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title: Le moment communaliste ?
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<p align="left"><i><span>Les tra­duc­tions de Murray Bookchin se mul­ti­plient, les bio­gra­phies et les essais qui lui sont consa­crés com­mencent à for­mer une pile plus qu’honorable. Peu connu de son vivant</span></i><i><span>, le théo­ri­cien éta­su­nien, usuel­le­ment pré­sen­té comme le « père » de l’é­co­lo­gie sociale, a depuis peu le vent en poupe au sein de la gauche. Mais cet inté­rêt n’est pas sans poser ques­tion : convo­qué pour son pro­jet révo­lu­tion­naire « muni­ci­pa­liste liber­taire » (ou « com­mu­na­liste »), le risque est cer­tain, par la grâce du pré­lè­ve­ment, d’as­sis­ter à la domes­ti­ca­tion de son œuvre. De pas­ser, en clair, d’un appel à ren­ver­ser le capi­ta­lisme à l’in­té­gra­tion citoyen­niste à l’ordre local et natio­nal exis­tant. </span></i>☰ Par Elias Boisjean<i><span><br/> </span></i></p><hr/><p align="left"><picture class="wp-image-54902 size-full alignleft">
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</noscript>Une décen­nie après son décès dans le Vermont, voi­ci que la presse mili­tante hexa­go­nale se sai­sit de la théo­rie inté­grale qu’il a léguée : « <em>une nou­velle poli­tique</em> », disait Bookchin, à laquelle il consa­cra sa vie entière. En 2014, Reporterre loue ain­si sa «<i> pen­sée essen­tielle </i>» (quelques mois plus tôt, <a href="https://www.revue-ballast.fr/olivier-besancenot/">Besancenot</a> et <a href="https://www.revue-ballast.fr/michael-lowy/">Löwy</a> fai­saient part, dans l’ouvrage <i>Affinités révo­lu­tion­naires</i>, de leur admi­ra­tion pour le « <i>pion­nier </i>» qu’il fut<sup/>). L’année sui­vante, Ballast <a href="https://www.revue-ballast.fr/janet-biehl-bookchin-a-ete-marginalise/">s’entretient</a> avec sa veuve, l’es­sayiste Janet Biehl, et creu­se­ra, jus­qu’à ce jour, la ques­tion com­mu­na­liste. À l’été 2016, <i>Le Monde diplo­ma­tique </i>salue le pen­seur «<i> vision­naire </i>». Fin<i> </i>2018, <i>L’Humanité </i>le qua­li­fie de «<i> défri­cheur </i>» et Le Média se demande si le muni­ci­pa­lisme liber­taire ne serait fina­le­ment pas «<i> la solu­tion </i>». En mars 2019, le men­suel <em><span class="caps">CQFD</span> </em>s’in­ter­roge de savoir qui « <em>a une meilleure pers­pec­tive à offrir</em> » que le muni­ci­pa­lisme bookchinien<sup/> et l’émission Hors-Série, évo­quant Bookchin au mois de novembre der­nier, pré­vient : « <i>[L]</i><i>e voi­ci désor­mais (presque) par­tout : son heure est venue. </i>»</p><blockquote><p align="left">« Affaire de ter­rain, d’a­bord. La révo­lu­tion du Rojava, amor­cée en 2012, a pro­pul­sé le pen­seur sur le devant de la scène. »</p></blockquote><p align="left">Si l’on doit aux édi­tions <a href="http://www.atelierdecreationlibertaire.com/+-BOOKCHIN-Murray-+.html">Atelier de créa­tion liber­taire</a> d’avoir intro­duit ses écrits en France à par­tir des années 1980, il a bel et bien fal­lu attendre le mitan des années 2010 pour que Murray Bookchin sus­cite l’at­ten­tion de la gauche fran­çaise — voire euro­péenne. Le 1<sup>er</sup> décembre 2019, l’initiative <a href="http://fairecommune.mystrikingly.com/">Faire Commune</a> éclot à Paris : « <em>Il s’agit d’affirmer notre <q>droit à la ville</q>. Dans ce droit, il y a l’idée d’une vie bonne, d’une vie juste et digne, où l’entraide est une clé de voûte</em>. » Elle invoque une « <em>orga­ni­sa­tion non-capi­ta­liste de la vie</em> », se réclame ouver­te­ment du com­mu­na­lisme et se réfère à Bookchin, au Rojava syrien et au Chiapas zapa­tiste. Le même jour, l’an­cien foot­bal­leur Vikash Dhorasoo, en sa qua­li­té de can­di­dat aux élec­tions muni­ci­pales de 2020, en appelle au com­mu­na­lisme sur un célèbre pla­teau de télé­vi­sion de France 2 — auprès d’une figure de la France insou­mise et au nom de la liste <a href="https://decidons.paris/lappel/">Décidons Paris !</a>, qui convoque éga­le­ment pour « <em>lignée</em> » le Rojava.</p>
<h2 align="left">L’air du temps</h2><p align="left">Cette per­cée sou­daine ne pro­cède nul­le­ment du hasard. Affaire de ter­rain, d’a­bord. La révo­lu­tion du Rojava, amor­cée en 2012, a pro­pul­sé le pen­seur sur le devant de la scène. C’est qu’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Abdullah_%C3%96calan">Abdullah Öcalan</a>, théo­ri­cien du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire kurde et cofon­da­teur incar­cé­ré du <span class="caps">PKK</span>, a lu Bookchin du fond de sa pri­son et fait savoir que ses ana­lyses avaient pesé sur les siennes propres. Mieux : elles contri­buèrent à la muta­tion du Parti des tra­vailleurs du Kurdistan, tro­quant son mar­xisme-léni­nisme indé­pen­dan­tiste contre l’au­to­no­mie communaliste<sup/>. « <span id="result_box" lang="fr"><em>Je suis heu­reux qu’[Öcalan] trouve matière, dans mes idées sur le muni­ci­pa­lisme liber­taire, à aider à pen­ser un futur corps poli­tique kurde. […] Mon espoir est que le peuple kurde puisse un jour éta­blir une socié­té libre et ration­nelle qui per­met­tra à son éclat de s’épanouir à nou­veau </em></span>», écri­vit Bookchin en 2004. À l’ins­tar de l’en­thou­siasme sou­le­vé par l’in­sur­rec­tion zapa­tiste au sein du mou­ve­ment alter­mon­dia­liste dans les années 1990, le Rojava a su ral­lier à sa cause une par­tie de la gauche inter­na­tio­nale (mar­xiste et anar­chiste, pour l’es­sen­tiel). Le « <em>nou­veau socia­lisme</em><sup/> » kurde, ou « confé­dé­ra­lisme démo­cra­tique », repose sur l’a­bo­li­tion du patriar­cat et du mar­ché capi­ta­liste, l’é­co­lo­gie et le pou­voir com­mu­nal décen­tra­li­sé ; il s’est ain­si désan­cré du Moyen-Orient pour deve­nir, après le trots­kysme ou le gué­va­risme, une pro­po­si­tion phi­lo­so­phique et poli­tique dont l’u­ni­ver­sa­li­sa­tion invite à la dis­cus­sion. Le sou­lè­ve­ment des gilets jaunes, salué du Rojava, a enfon­cé le clou : à la faveur d’un enra­ci­ne­ment mili­tant anté­rieur, le muni­ci­pa­lisme liber­taire est appa­ru dans la Meuse, à <a href="https://www.revue-ballast.fr/contre-le-mal-vivre-quand-la-meuse-se-souleve/">Commercy</a> (puis lors de l’<a href="https://www.revue-ballast.fr/commercy-le-pouvoir-au-peuple-portfolio/">Assemblée des assem­blées</a>, en charge de coor­don­ner le mou­ve­ment). S’il importe de ne pas for­cer le trait<sup/>, reste que cela fut per­çu par la gauche de trans­for­ma­tion sociale comme le signe, moins loin­tain, d’un chan­tier poli­tique à inves­tir.</p><div id="attachment_54795" class="wp-caption alignnone"><picture aria-describedby="caption-attachment-54795" class="wp-image-54795 size-full">
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</noscript><p id="caption-attachment-54795" class="wp-caption-text">(Torn Around)</p></div><p align="left">Affaire idéo­lo­gique, aus­si — posons ici trois axes. Un : la prise de conscience du péril éco­lo­gique en cours, annon­cé par Bookchin depuis les années 1950, a rebat­tu les cartes : l’a­ve­nir n’est plus un hori­zon mais une menace. Planète rava­gée, extinc­tion de masse des espèces ; voi­là main­te­nant que <em>l’air</em> se vend en bou­teille. Par sa défense d’une éco­lo­gie « sociale » et son rejet de l’environnementalisme et d’une éco­lo­gie mys­tique, roman­tique et réac­tion­naire, Bookchin offre des outils à notre époque : contre les « petits gestes » et les sur­vi­va­listes, il pose que « <em>l’a­ve­nir de la vie sur la pla­nète dépend de l’a­ve­nir de nos</em> <em>socié­tés</em> », c’est-à-dire du capi­ta­lisme et de son dépas­se­ment par la voie révo­lu­tion­naire. Deux : la débâcle du com­mu­nisme d’État, l’in­ca­pa­ci­té anar­chiste à gagner le grand nombre, la prise de pou­voir néo­li­bé­rale et les décu­lot­tées réfor­mistes (de Mitterrand à Tsípras) ont lais­sé hagards celles et ceux qui escomptent en finir avec les inéga­li­tés de classes et les oppres­sions sexistes et racistes qu’elles nour­rissent. La cen­tra­li­sa­tion léni­niste aura, balan­cier oblige, géné­ré son contraire : l’air du temps radi­cal est désor­mais aux foyers, à la séces­sion, aux îlots, aux oasis, aux archi­pels, aux brèches, aux inter­stices, à l’i­ci-et-main­te­nant. Fragmentation des grands récits, funé­railles des solu­tions glo­bales.</p><blockquote><p align="left">« Puis le natif du Bronx, héri­tier d’une famille ouvrière juive russe, de mar­quer ses dis­tances avec l’anarchisme pour ache­ver de struc­tu­rer son grand pro­jet poli­tique. »</p></blockquote><p align="left">Tout en reje­tant avec la der­nière éner­gie le tota­li­ta­risme révo­lu­tion­naire et ses pou­voirs pro­duc­ti­vistes bureau­cra­tiques, Bookchin a com­bat­tu la <a href="https://infokiosques.net/lire.php?id_article=2">« <em>tyran­nie</em> <em>de l’ab­sence de struc­ture</em> »</a> et la haine des ins­ti­tu­tions, le mépris des pro­grammes et l’a­ven­tu­risme, le culte de l’ac­tion et le pri­mat du rêve, l’hé­gé­mo­nie de Foucault sur la théo­rie cri­tique et l’é­loge exis­ten­tiel du <em>way of life</em>, la glo­ri­fi­ca­tion de l’es­thé­tique et de l’é­phé­mère. Jusqu’au der­nier d’entre ses jours, il a tenu à rap­pe­ler que toute poli­tique d’é­man­ci­pa­tion est affaire de <em>masses</em> et d’<em>orga­ni­sa­tion</em>. Lutter par le bas sans jamais s’i­so­ler du grand nombre ni avan­cer sans savoir où cela nous mène­ra : un équi­libre théo­rique et pra­tique aujourd’­hui sin­gu­lier, offrant en outre une feuille de route acces­sible à qui le sou­haite. Trois : l’as­pi­ra­tion démo­cra­tique des citoyens ordi­naires et la défiance sub­sé­quente à l’en­droit des « élites » et des « oli­garques » des quatre coins de la pla­nète a ravi­vé, aux côtés de la per­cée popu­liste « de gauche », la cri­tique de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive. Des occu­pa­tions de places au <span class="caps">RIC</span> récla­mé par nombre de gilets jaunes, l’exi­gence est una­nime : la poli­tique doit reve­nir à la base. « <em>Les mots de l’ex­pres­sion <q>démo­cra­tie repré­sen­ta­tive</q> se contre­disent mutuel­le­ment</em> », affir­mait Bookchin dès les années 1980. Le com­mu­na­lisme, pour par­tie héri­tier de la cité d’Athènes, tombe alors à pic.</p>
<h2 align="left">Aller à la source</h2><p align="left">Au lec­teur sou­cieux de la bio­gra­phie du pen­seur, un copieux ouvrage existe aux édi­tions L’Amourier : <a href="http://www.amourier.com/666-ecologie-ou-catastrophe-la-vie-de-murray-bookchin.php"><em>Écologie ou catas­trophe, la vie de Murray Bookchin</em></a>. Au lec­teur que le temps contraint, nous ren­voyons aux <a href="https://www.revue-ballast.fr/bookchin-ecologie-radicale-et-municipalisme-libertaire/">pré­sentes colonnes</a>. Disons ici seule­ment ceci : né en 1921, dis­pa­ru en 2006, celui que l’Internationale situa­tion­niste qua­li­fiait en son temps de « <i>cré­tin confu­sion­niste </i>» (une « <i>erreur </i>», nous confie­ra <a href="https://www.revue-ballast.fr/raoul-vaneigem-sauver-les-acquis-sociaux-ils-sont-deja-perdus/">Raoul Vaneigem </a>à l’été 2019) fut tour à tour mili­tant com­mu­niste ortho­doxe, trots­kyste et anar­chiste. Puis le natif du Bronx, enfant d’une famille ouvrière juive russe, de mar­quer ses dis­tances avec l’anarchisme pour ache­ver de struc­tu­rer son vaste pro­jet poli­tique : le muni­ci­pa­lisme liber­taire, ou com­mu­na­lisme. La syn­thèse d’une vie de mili­tan­tisme et de réflexion — pour ce faire, Bookchin affir­ma pui­ser dans « <i>le meilleur du mar­xisme et de l’anarchisme </i>». Du pre­mier, il conser­va la ratio­na­li­té et le désir d’appréhender sys­té­mi­que­ment le monde ; du second, sa pers­pec­tive fédé­ra­liste et sa cri­tique de l’État comme des hié­rar­chies.</p><div id="attachment_54796" class="wp-caption alignnone"><picture aria-describedby="caption-attachment-54796" class="wp-image-54796 size-full">
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</noscript><p id="caption-attachment-54796" class="wp-caption-text">(Torn Around)</p></div><p align="left">Tel était, selon ses propres mots, l’ob­jec­tif alloué au com­mu­na­lisme : « <i>rem­pla­cer l’État, l’urbanisation, la hié­rar­chie et le capi­ta­lisme par des ins­ti­tu­tions de démo­cra­tie directe et de coopé­ra­tion </i>». Bookchin ima­gi­na toutes les étapes néces­saires à l’a­vè­ne­ment d’une révo­lu­tion sociale — enten­du que celle-ci gisait sous les ruines de l’Espagne, de Moscou ou du Chili. Ainsi s’é­noncent-elles à grands traits : créer des pôles muni­ci­pa­listes locaux (récep­tifs, au besoin, aux spé­ci­fi­ci­tés cultu­relles du ter­ri­toire) ; mettre en place des assem­blées démo­cra­tiques (règle majo­ri­taire, pleine liber­té d’ex­pres­sion) ; tra­vailler à leur exten­sion par des reven­di­ca­tions audibles du tout-venant ; géné­ra­li­ser l’é­du­ca­tion popu­laire ; s’emparer des mai­ries ; mailler le pays et arti­cu­ler l’in­té­gra­li­té des com­munes nou­vel­le­ment auto­gou­ver­nées ; ins­ti­tuer un Congrès de délé­gués — ou « Commune des com­munes confé­dé­rées » — afin de cen­tra­li­ser ce qui doit l’être ; s’armer ; expro­prier les pos­sé­dants par la muni­ci­pa­li­sa­tion de l’é­co­no­mie ; vider l’État — c’est-à-dire le « <em>contrôle social pro­fes­sion­nel, sys­té­ma­tique et orga­ni­sé</em> » — de sa légi­ti­mi­té régu­la­trice et donc de sa puis­sance ; le ren­ver­ser au terme d’un pro­bable affron­te­ment final et s’en­ga­ger, en paral­lèle de la créa­tion d’une nou­velle Internationale, dans le plein déploie­ment du com­mu­nisme liber­taire éco­lo­giste. On en trou­ve­ra le détail <a href="https://www.revue-ballast.fr/le-municipalisme-libertaire-quest-ce-donc/">dans la pré­sente revue</a>.</p>
<h2 align="left">Bookchin citoyenniste ?<strong><br/> </strong></h2><blockquote><p>« Des espaces de dia­logue <q>par­ti­ci­pa­tifs</q>, <q>concer­tés</q> et, pour les plus ambi­tieux d’entre eux, <q>éthiques</q> n’y suf­fi­ront pro­ba­ble­ment pas. »</p></blockquote><p align="left">En 2019, le men­suel <em>Silence</em>, qui œuvre à la pro­mo­tion de la non-vio­lence et à l’« <em>éla­bo­ra­tions d’utopies</em> », pré­sente Bookchin comme sa « <em>grande source d’inspiration</em> ». La même année, Pablo Servigne, chef de file de la col­lap­so­lo­gie et sym­pa­thique par­ti­san d’une réha­bi­li­ta­tion de la « spi­ri­tua­li­té » en poli­tique, invite à le «<i> lire et relire</i> ». Extinction Rebellion, porte-dra­peau de la non-vio­lence verte, des soins éner­gé­tiques et des bulles régé­né­ra­trices, le cite à son tour dans l’une de ses lettres d’information. Au mois de novembre paraît un <i>Guide du muni­ci­pa­lisme</i>, sous-titré <i>Pour une ville citoyenne, apai­sée, ouverte</i> : il est coor­don­né par le par­ti <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Barcelone_en_commun">Barcelona en común </a>(lui-même com­po­sé de mili­tants de Podemos, de la Gauche unie et alter­na­tive ou de l’Initiative pour la Catalogne Verts), coécrit par la fille de Bookchin et la mai­resse de Barcelone, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ada_Colau">Ada Colau</a>, et par­rai­né, en France, par Commonspolis (« <em>un think-do tank au ser­vice des réseaux et cultures pour le chan­ge­ment […] [et la] </em><em>trans­for­ma­tion non-vio­lente des conflits par la construc­tion de poli­tiques citoyennes</em> »). L’Institut de la concer­ta­tion et de la par­ti­ci­pa­tion citoyenne pro­meut quant à lui le muni­ci­pa­lisme dans le cadre des élec­tions fran­çaises de 2020 : citant Bookchin, il enjoint à ren­for­cer le pou­voir des citoyens (« <em>notam­ment par le biais de dis­po­si­tifs ambi­tieux de concer­ta­tion publique et de dia­logue entre les par­ties pre­nantes</em> »), accroître « <em>la cohé­sion de notre socié­té</em> », refon­der la démo­cra­tie et débattre « <em>avec une exi­gence d’ou­ver­ture et de bien­veillance</em> ». Aux côtés d’Europe Ecologie – Les Verts, les Groupes d’ac­tion muni­ci­pa­listes éco­lo­gistes et sociaux (<span class="caps">GAMES</span>) se reven­diquent même­ment du théo­ri­cien éta­su­nien et, se pré­sen­tant comme « <em>une pla­te­forme citoyenne, créa­tive et col­la­bo­ra­tive</em> », aspirent tout autant à pré­sen­ter des listes en 2020.</p><p align="left">Empruntons à<a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-rouler-sur-le-capital-2-3/"> Frédéric Lordon</a> la défi­ni­tion qu’il for­mule du citoyen­nisme puis­qu’elle épuise ce qu’il convient d’en dire. « <em>[Q]ui débat pour débattre, mais ne tranche rien, ne décide rien et sur­tout ne clive rien. Une sorte de rêve démo­cra­tique coton­neux pré­ci­sé­ment conçu pour que rien n’en sorte.</em> » Et crai­gnons la citoyen­ni­sa­tion de Bookchin — crainte par­ta­gée, du reste, par l’es­sayiste et agri­cul­teur Floréal M. Romero dans son récent ouvrage <a href="http://www.editionsducommun.org/agir-ici-et-maintenant-floreal-m-romero/"><em>Agir ici et main­te­nant</em></a> : sous cou­vert de com­mu­na­lisme, l’ac­ces­sion aux mai­ries appa­raît comme un simple « <em>recy­clage de la social-démo­cra­tie</em> ». Il ne fait pour­tant aucun doute que Bookchin misait sur l’é­che­lon élec­to­ral muni­ci­pal (et <em>seule­ment</em> lui) pour per­mettre aux assem­blées de mettre la main sur villes et vil­lages. Seulement voi­là : c’é­tait un levier, non une fin en soi. Dans l’une des pré­faces qu’il rédi­gea à <em>La Société à refaire</em>, Bookchin nota qu’il ne sau­rait être ques­tion de se « <em>born[er] à une simple pra­tique élec­to­rale</em> »<sup/>. « <em>La seule</em> <em>solu­tion qui existe</em>, <em>c’est de le détruire [le capi­ta­lisme], car il incarne tous les maux — des valeurs patriar­cales à l’ex­ploi­ta­tion de classe</em> », écri­vait-il encore. L’entreprise com­mu­na­liste ne souffre d’au­cune équi­voque sitôt qu’on lit l’au­teur avec le soin néces­saire : abo­li­tion du capi­ta­lisme, des classes sociales, du cri­té­rium de la crois­sance, de l’État, de la police, de l’ar­mée, de la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion, des hié­rar­chies au sein de l’es­pèce humaine (de genre et de race) et de la domi­na­tion de cette der­nière sur l’en­semble du monde ani­mal et végé­tal. Il y a fort à parier que des espaces de dia­logue « par­ti­ci­pa­tifs », « concer­tés » et, pour les plus ambi­tieux d’entre eux, « éthiques » n’y suf­fi­ront pas. Pas plus que l’<a href="https://www.revue-ballast.fr/associations-face-a-loffensive-des-entrepreneurs-sociaux/">éco­no­mie sociale et soli­daire</a>, le com­merce équi­table et les seuls cir­cuits courts coopé­ra­tifs chers à nos muni­ci­pa­listes.</p><div id="attachment_54798" class="wp-caption alignnone"><picture aria-describedby="caption-attachment-54798" class="wp-image-54798 size-full">
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</noscript><p id="caption-attachment-54798" class="wp-caption-text">(Torn Around)</p></div>
<h2 align="left">Le pouvoir, donc les armes</h2><div><p>Prenons la France et ses bien­tôt 67 mil­lions d’ha­bi­tants. Les effec­tifs de la Police natio­nale ? 150 000 hommes et femmes, à peu de choses près. La gen­dar­me­rie ? 100 000. L’armée de terre ? Plus de 110 000. La puis­sance de feu — dont il n’est plus à démon­trer qu’elle frap­pe­ra les par­ti­sans de la jus­tice et de l’é­ga­li­té sitôt qu’ils repré­sen­te­ront une menace sub­stan­tielle pour l’ordre capi­ta­liste — appa­raît ain­si dans toute sa net­te­té. Le Chili du libé­ral <a href="https://www.revue-ballast.fr/chili-naissance-dun-soulevement/">Pi<span class="st">ñ</span>era</a> tire à balles réelles ; la France du libé­ral Macron crève des yeux, arrache des mains, moleste pom­piers et lycéens : cela sans même le début d’une richesse répar­tie ou d’un sem­blant de dépri­va­ti­sa­tion. Une <span class="caps">ZAD</span> ne tient que tant que la troupe se tient à l’ex­té­rieur ; un pré­sident trop volon­taire se voit sans délai refroi­di et rem­pla­cé par son plus fidèle lieu­te­nant (disons <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Blaise_Compaor%C3%A9">Compaoré</a>). Toute pro­po­si­tion anti­ca­pi­ta­liste dont le pré­am­bule ne dénoue pas la ques­tion des forces armées s’a­vère par consé­quent nulle et non ave­nue. Lénine, lequel avait au moins pour lui d’a­li­gner logi­que­ment deux idées, n’é­cri­vait pas en vain, à la veille de la prise du pou­voir des bol­che­viks, qu’il fau­dra ins­tau­rer pour la sur­vie de la révo­lu­tion le « <em>rem­pla­ce­ment de la police par une milice popu­laire</em> » — laquelle ne ferait « <em>qu’un avec l’ar­mée</em> » (autre­ment dit : « <em>arme­ment géné­ral du peuple sub­sti­tué à l’ar­mée per­ma­nente</em> »).</p><blockquote><p>« Toute pro­po­si­tion anti­ca­pi­ta­liste dont le pré­am­bule ne dénoue pas la ques­tion des forces armées s’a­vère par consé­quent nulle et non ave­nue. »</p></blockquote><p>Que sou­tient la doc­trine com­mu­na­liste en l’es­pèce ? Dans <em>Un autre futur pour le Kurdistan ?</em>, l’es­sayiste Pierre Bance a sou­li­gné l’in­flexion de Bookchin : sa stra­té­gie du pour­ris­se­ment pro­gres­sif de l’État (années 1970) évo­lua en stra­té­gie de la confron­ta­tion (années 1990). Entendre qu’il fau­dra affron­ter le pou­voir éta­tique à chaque avan­cée com­mu­nale, tout en s’é­chi­nant à le tenir à dis­tance autant qu’il est pos­sible, ceci jus­qu’à la grande bataille révo­lu­tion­naire. Le « second » Bookchin n’en dou­tait plus : le déploie­ment démo­cra­tique consti­tue­ra une menace aux yeux de l’État et ce der­nier atta­que­ra (« <em>[J]e ne crois pas non plus que la bour­geoi­sie va abdi­quer volon­tai­re­ment son sta­tut, encore moins sa main­mise sur la socié­té !</em> », lan­çait-il en 1996). En l’ab­sence de forces d’au­to­dé­fense, l’ex­pé­rience com­mu­na­liste se trou­ve­rait dès lors « <em>à [s]a mer­ci</em> ». D’où l’im­pé­ra­tif, expli­ci­te­ment for­mu­lé par sa com­pagne et exé­gète Janet Biehl, de « <em>for­mer une milice pour rem­pla­cer la police et l’ar­mée</em> » dans tous les sec­teurs pas­sés sous le contrôle des assem­blées. Une milice (ou « garde civique », pour employer un terme moins néga­ti­ve­ment conno­té à l’heure qu’il est) entiè­re­ment aux ordres de la popu­la­tion et dotée d’of­fi­ciers élus. La ten­sion entre les com­munes et l’État, lit-on dans <a href="https://ecosociete.org/livres/le-municipalisme-libertaire"><em>Le Municipalisme liber­taire</em></a>, est même « <em>dési­rable</em> » : à mesure que le com­mu­na­lisme s’é­ten­dra au sein des fron­tières natio­nales, accu­mu­lant par là même force pou­voir (un <em>« pou­voir</em> <em>paral­lèle</em> », un « <em>contre-pou­voir</em> » : un « <em>pays dans le</em> <em>pays</em> », résume Romero), l’État, pro­gres­si­ve­ment délé­gi­ti­mé, sera conduit à réagir. Le face-à-face qui s’en­sui­vra cer­tai­ne­ment déter­mi­ne­ra qui de la révo­lu­tion démo­cra­tique ou de l’ordre sta­to­ca­pi­ta­liste l’emportera.</p><p>Ce que Bookchin nom­mait « <em>vider l’État</em> » mérite alors toute notre atten­tion : une insur­rec­tion fron­tale, esti­mait-il, est condam­née à l’é­chec au regard des effec­tifs répres­sifs en pré­sence. Il faut donc, par le patient pro­ces­sus com­mu­na­liste, saper « <em>maté­riel­le­ment et mora­le­ment</em> » l’en­semble des ins­ti­tu­tions éta­tiques afin, le jour venu, de pro­vo­quer sa chute « <em>sans trop de dif­fi­cul­tés</em> ». « <em>Que le peuple dis­pose ou non du pou­voir repose fina­le­ment sur la ques­tion de savoir s’il dis­pose d’armes </em>», assu­rait Bookchin, liant ain­si, fidèle à son ins­pi­ra­tion grecque, la démo­cra­tie popu­laire à l’au­to­dé­fense. En 1995, dans <em>From urba­ni­za­tion to cities</em>, il en pré­ci­sait les contours : « <em><span id="result_box" lang="fr">[U]</span>ne garde civile com­po­sée de patrouilles tour­nantes, à des fins de police, et des contin­gents mili­taires bien entraî­nés pour répondre aux menaces exté­rieures. </em>»</p><p>*</p><p>On peut ne pas suivre Bookchin dans l’en­semble de ses déve­lop­pe­ments (Biehl elle-même estime qu’il est pré­fé­rable de construire le com­mu­na­lisme sans remettre en cause l’État-nation<sup/>) ; on gagne à dis­cu­ter ses thèses et leur appli­ca­tion géo­gra­phique et tem­po­relle ; on a même toute lati­tude de balayer son œuvre d’un revers de la main ; on ne sau­rait, en revanche, enrô­ler Bookchin sans sai­sir la cohé­sion d’en­semble de sa doc­trine. Qui, on l’a com­pris, ne bar­guigne pas : inté­grer un conseil muni­ci­pal, voire diri­ger une ville, n’est d’au­cun secours si cela ne par­ti­cipe pas d’une trans­for­ma­tion glo­bale sans « <em>com­pro­mis avec cet ordre</em> <em>social</em> ». Donc de la fin du règne capi­ta­liste au pro­fit d’une « <em>socié­té com­mu­niste liber­taire</em> ». Rien moins.</p>