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David Larlet 4 anni fa
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      famille/histoire/index.html
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      famille/sources/chapitre4.md

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famille/histoire/index.html Vedi File

@@ -785,7 +785,69 @@ etc. »</p>
<p>Cette affirmation était vraie pour moi. Quant à Martin et Victor, je ne les ai pas vu toucher à leur cartable. Mais toute rapporteuse et chipie que j’étais, je savais qu’il ne fallait pas le dire. D’ailleurs, si je ne l’avais pas compris, les regards de Martin et Victor dirigeaient sur moi étaient assez éloquents de promesses désagréables.</p>
<p>Après le repas, mon père suréleva les affaires susceptibles d’être atteintes par l’eau.</p>
<p>Nous nous serrions les uns contre les autres pour dormir. Afin d’éviter les chutes pendant le sommeil, nous nous couchions en chiens de fusil avec nos têtes regroupées au centre du bas-flanc. Nous n’avions enlevé aucun de nos vêtements ni nos chaussures. Soigneusement, mon père nous bordait. Le bas-flanc où dormait habituellement la cousine-pauvre était occupé par les fourneaux portatifs, certains ustensiles de cuisine ainsi que nos cartables et les deux jarres de nuoc mam. Elle se coucha avec nous.</p>
<p><em>Toujours en cours de numérisation : page 100/178.</em></p>
<p>Le lendemain matin, notre bas-flanc était devenu un radeau, celui de nos parents en était un autre. L’eau nous entourait de toutes parts. Nous ne pouvions en bouger tandis que mon père s’affairait dans ce liquide malodorant pour récupérer quelques menus objets. À l’aide d’une corbeille il essayait aussi de pêcher les boudins de crottes humaines, de chiens, de chats, les feuilles et tous corps flottants non identifiés.</p>
<p>Un regard vers les fourneaux nous rassura sur le petit déjeuner. Mon père avait réussi à y allumer le charbon de bois, la soupe de la veille était en train de se réchauffer.</p>
<p>La surface de l’eau balayée, il apporta à chacun un bol de soupe. Il nous remit nos cartables, puis il nous porta un à un sur son dos jusqu’à la route goudronnée. Il ne pleuvait plus. Mais mon père avançait avec précaution le long des arbres et des arbustes. Il nous demandait de nous tenir aux branches afin de nous alléger. Il s’aidait de la même façon pour soulever ses pieds enfoncés à chaque pas dans la boue du chemin qui montait. Cela semblait lui demander beaucoup d’efforts, mais il ne se plaignait pas. Il avait même l’air heureux, mon papa. Il nous déposait tout doucement sur la route.<br />
— Dépêchez-vous maintenant ! Et travaillez bien !</p>
<p>Au retour de l’école, le midi, il nous attendait sur la route goudronnée, il nous achetait une patate douce cuite à l’eau pour déjeuner. C’était une dépense supplémentaire, bien sûr. Nous repartîmes à l’école en sautillant et en grignotant le tubercule bienfaisant. Seul, Martin était soucieux.</p>
<p>Ma mère et la nièce-cousine-pauvre-porteuse-de-jarres déposées de la même façon sur la route goudronnée étaient parties dans les quartiers non inondées pour proposer le nuoc mam.</p>
<p>Le soir, mon père nous ramena sur son dos de la route goudronnée au bas-flanc. Cette descente était encore plus dangereuse que la montée. Aussi il avait attaché solidement aux arbres une corde, elle lui servait de rampe.</p>
<p>Au passage, j’apercevais les deux poules et le coq perchés, frileusement interrogateurs, sur le toit du poulailler.</p>
<p>Mon père avait pu pêcher dans la journée des poissons-chats, non loin de la maison, en fouillant dans la vase. Il pouvait ainsi jeter un coup d’œil sur Félix emmitouflé sur le bas-flanc. Nous eûmes donc un peu de riz rouge et du poisson aux feuilles de topinambours.<br />
— Et les poules ? Qu’ont-elles mangé papa ?<br />
— Des vers-de-terre que j’ai ramassés près de la route goudronnée. Elles se sont régalées.<br />
— Moi aussi, j’ai pensé à elles. Tiens, il y en a plein dans cette boîte, dit Victor.</p>
<p>Ma mère et la cousine-pauvre-porteuse-de-jarres rentrèrent, heureuses.<br />
— On a tout vendu. Les gens riches ont rarement vu des marchands ambulants passer ces jours-ci. Ils se disputaient pour acheter notre nuoc mam.</p>
<p>Le jour suivant, mercredi, le dos de mon père nous permit encore d’aller à l’école et d’en revenir les pieds secs.<br />
— Le niveau de l’eau a augmenté. Restez tranquilles sur le bas-flanc. Faites vos devoirs. Je m’occupe du reste. Je me suis reposé un peu. Je ne suis pas fatigué, nous dit-il d’un ton rassurant.</p>
<p>Lorsque ma mère et la cousine-pauvre rentrèrent, elles reçurent les mêmes consignes. Mon père devenait un rempart contre les éléments.</p>
<p>Jeudi, le niveau d’eau semblait stationnaire.<br />
— Puisque vous avez fait vos devoirs et que vous n’allez pas à l’école aujourd’hui, Martin et Victor vous allez pouvoir m’aider, leur dit-il avec un clin d’œil.</p>
<p>À la contrainte du bas-flanc exigu mes frères préféraient de loin exécuter des travaux d’homme. Après avoir relevé leurs pantalons et leurs manches le plus haut possible, ils enfoncèrent leurs pieds dans l’eau. Plouf ! Plouf !<br />
— Tenez-vous bien, ça glisse. Marchez doucement. Essayez d’attraper des poissons et des grenouilles. Je vais vérifier la solidité des murs. J’ai entendu quelques craquements cette nuit. Il ne faudrait pas que la maison nous tombe sur la tête, continua mon père avec un soupçon de fierté.</p>
<p>En effet, que deviendrions-nous si, après le ciel, le toit nous tombait dessus ? « Petit Jésus ayez pitié de nous ! » murmurais-je.</p>
<p>Mes frères revinrent avec des poissons et des grenouilles enfilés dans une tige de bambou. Ils grelottaient. Vite, ils déposèrent le produit de leur pêche dans une marmite, ils s’essuyèrent avec les hardes qui nous servaient de serviettes et vinrent se réchauffer sur le bas-flanc.<br />
— Alors les hommes, vous avez froid ! Moi aussi ! dit mon père.<br />
Mais il faut que je continue encore un peu.<br />
— On a vu des serpents d’eau.<br />
— Ils ne vous ont pas mordus ?<br />
— Non, on s’est sauvé !</p>
<p>Vendredi, le niveau de l’eau n’avait pas baissé.<br />
— Tiens bien ton cartable et accroche-toi à mon cou. Allez hop ! On y va !</p>
<p>Mon père fit huit fois l’aller-retour du bas-flanc à la route goudronnée, notre cordon ombilical. Encore huit fois, le soir, pour porter six personnes et deux jarres.</p>
<p>Samedi, l’eau n’avait toujours pas baissé.</p>
<p>Mon père ne manifestait aucun signe de découragement. Secrètement, après la classe, j’éprouvais quelque répulsion à retrouver la puanteur de chez nous. Déposée sur le bas-flanc, au bout de quelques instants, je ne la sentais plus, elle s’était mêlée intimement aux membres de la famille.</p>
<p>Dimanche, l’eau n’avait pas bougé.</p>
<p>Martin et Victor partirent à la pêche avec moins d’enthousiasme. Cependant, ils ne revinrent pas bredouilles.</p>
<p>Pour ma part, avec toute la force de mon regard, je fixais l’eau en priant. Je la surveillais, je suivais des yeux ses moindres ondulations, je la sondais mais elle était aussi impénétrable que la boue qu’elle contenait. Elle faisait partie des épreuves que Dieu nous envoyait, personne n’y pouvait rien.</p>
<p>Lundi matin, à moitié endormi, Félix chercha à descendre du bas-flanc et il tomba dans l’eau. Mon père se précipita, le releva, le mit sur un banc, le déshabilla, le doucha, le frotta énergiquement avec des chiffons ; Félix se retrouva tellement vite dans des vêtements secs et enroulés dans des couvertures qu’il n’eut même pas le temps de pleurer.</p>
<p>Mardi, je fus réveillée par une exclamation :<br />
— L’eau est descendue, je vois l’œil du bambou ! Regardez ! s’exclama Victor en se redressant.</p>
<p>Ce faisant, il fit tomber un pan de la couverture dans l’eau. Mon père la rinça avec l’eau de la jarre, l’essora et l’étendit sur les fils de fer tendus au-dessus du coin-cuisine.</p>
<p>Ma mère était agenouillée sur son bas-flanc, les mains jointes, ses lèvres remuaient quelques remerciements à l’adresse de la Vierge Marie. Nous en fîmes autant.</p>
<p>Enfin, le milieu du tunnel ! Bientôt le bout !</p>
<p>Mercredi, l’eau s’était retirée encore d’un centimètre.</p>
<p>Jeudi, rien.</p>
<p>Vendredi, rien.</p>
<p>Samedi, rien.</p>
<p>Dimanche, un demi-centimètre.</p>
<p>Lundi, un centimètre.</p>
<p>Mardi, mercredi, jeudi et les jours suivants, baisse lente mais régulière.</p>
<p>L’inondation dura peut-être un mois, je ne sais plus.</p>
<p>Nous nous trouvions encore dans l’humidité et les odeurs nauséabondes mais nous étions émergés, sauvés par les bras et les jambes de mon père et l’infinie bonté de Dieu.</p>
<p>Bien qu’il y eut un forte demande de nuoc mam dans la ville française, ce produit se raréfiait puisqu’il était fabriqué par les pêcheurs et nous étions coupés d’eux par l’inondation. Donc, il était impossible, ou presque, à ma mère d’en racheter pour la revente au détail. Les malheurs des uns auraient pu faire son bonheur si elle avait possédé un hélicoptère pour aller chercher le nuoc mam ou si elle avait pu installer un pipe-line partant des village de pêcheurs vers la ville de Huê.</p>
<p>Faute d’hélicoptère et de pipe-line, ma mère dut recourir aux colliers de sapèques de Mu Ly. Pour cela, elle a dû se rendre à Nam Giao sur les collines, elle a dû essuyer les réprimandes de sa tante, entendre quelques qualificatifs méprisants à l’encontre de mon père, pleurer en chœur avec Mu Ly.</p>
<h3>Pension de famine</h3>
<p>Mu Ly a dû se montrer assez généreuse — selon ses moyens — car ma mère loua une dépendance en bordure de la ville française au bout de la rue Chaigneau à côté de l’École de la Providence et pas loin de l’École Française que François et moi-même fréquentions.</p>
<p>Cette location se payait en sapèques complétées par de menus services et du nuoc mam, une sorte de troc. La propriétaire occupait le bâtiment principal en briques et tuiles, elle nous avait fait de la place dans le bâtiment en bambou qui lui servait de remise, de fourre-tout et de cuisine.</p>
<p>Le jardin n’était pas bien entretenu mais il présentait l’avantage d’être sain, pas humide. Les cocotiers, les mit, les ananas y poussaient comme ils pouvaient. Le propriétaire demanda à mon père d’y mettre un peu d’ordre. Ainsi, il put ramasser un grand tas de branches mortes pour faire la cuisine.</p>
<p>Très rapidement, le père de la propriétaire mourut. Elle-même ne tenait pas à demeurer dans cette grande maison. Ma mère lui proposa de la lui louer, ce qui fût fait.</p>
<p>À nous le jardin, à nous les belles pièces en briques. La seule qui nous effrayait tous — les enfants — c’était celle qu’occupait son père, où il était mort, où son cadavre avait été exposé.</p>
<p>En louant cette maison, ma mère avait le projet d’en faire une pension de famille pour quelques élèves qui fréquentaient l’école « La Providence » et qui venaient de la province.</p>
<p>Elle apposa une affiche sur le portail. Je me souviens qu’il n’en est jamais venu qu’un seul.</p>
<p>Pendant qu’il était là, nous, les enfants, prenions nos repas avec lui, dans la pièce centrale à colonnettes. Les menus étaient variés. Pour nous, c’était tous les jours fête. Nous avions cependant la consigne de le laisser manger à sa faim en ralentissant notre rythme jusqu’à ce qu’il soit rassasié. Cela dura jusqu’aux grandes vacances.</p>
<p><em>Toujours en cours de numérisation : page 107/178.</em></p>
<figure>
<a href="/static/famille/images/14-illustration-labour.jpg" title="Cliquer pour une version haute définition">
<img src="/static/famille/thumbnails/14-illustration-labour.jpg" alt="Labour, version scannée" />

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famille/sources/chapitre4.md Vedi File

@@ -80,7 +80,117 @@ Après le repas, mon père suréleva les affaires susceptibles d’être atteint

Nous nous serrions les uns contre les autres pour dormir. Afin d’éviter les chutes pendant le sommeil, nous nous couchions en chiens de fusil avec nos têtes regroupées au centre du bas-flanc. Nous n’avions enlevé aucun de nos vêtements ni nos chaussures. Soigneusement, mon père nous bordait. Le bas-flanc où dormait habituellement la cousine-pauvre était occupé par les fourneaux portatifs, certains ustensiles de cuisine ainsi que nos cartables et les deux jarres de nuoc mam. Elle se coucha avec nous.

*Toujours en cours de numérisation : page 100/178.*
Le lendemain matin, notre bas-flanc était devenu un radeau, celui de nos parents en était un autre. L’eau nous entourait de toutes parts. Nous ne pouvions en bouger tandis que mon père s’affairait dans ce liquide malodorant pour récupérer quelques menus objets. À l’aide d’une corbeille il essayait aussi de pêcher les boudins de crottes humaines, de chiens, de chats, les feuilles et tous corps flottants non identifiés.

Un regard vers les fourneaux nous rassura sur le petit déjeuner. Mon père avait réussi à y allumer le charbon de bois, la soupe de la veille était en train de se réchauffer.

La surface de l’eau balayée, il apporta à chacun un bol de soupe. Il nous remit nos cartables, puis il nous porta un à un sur son dos jusqu’à la route goudronnée. Il ne pleuvait plus. Mais mon père avançait avec précaution le long des arbres et des arbustes. Il nous demandait de nous tenir aux branches afin de nous alléger. Il s’aidait de la même façon pour soulever ses pieds enfoncés à chaque pas dans la boue du chemin qui montait. Cela semblait lui demander beaucoup d’efforts, mais il ne se plaignait pas. Il avait même l’air heureux, mon papa. Il nous déposait tout doucement sur la route.
— Dépêchez-vous maintenant ! Et travaillez bien !

Au retour de l’école, le midi, il nous attendait sur la route goudronnée, il nous achetait une patate douce cuite à l’eau pour déjeuner. C’était une dépense supplémentaire, bien sûr. Nous repartîmes à l’école en sautillant et en grignotant le tubercule bienfaisant. Seul, Martin était soucieux.

Ma mère et la nièce-cousine-pauvre-porteuse-de-jarres déposées de la même façon sur la route goudronnée étaient parties dans les quartiers non inondées pour proposer le nuoc mam.

Le soir, mon père nous ramena sur son dos de la route goudronnée au bas-flanc. Cette descente était encore plus dangereuse que la montée. Aussi il avait attaché solidement aux arbres une corde, elle lui servait de rampe.

Au passage, j’apercevais les deux poules et le coq perchés, frileusement interrogateurs, sur le toit du poulailler.

Mon père avait pu pêcher dans la journée des poissons-chats, non loin de la maison, en fouillant dans la vase. Il pouvait ainsi jeter un coup d’œil sur Félix emmitouflé sur le bas-flanc. Nous eûmes donc un peu de riz rouge et du poisson aux feuilles de topinambours.
— Et les poules ? Qu’ont-elles mangé papa ?
— Des vers-de-terre que j’ai ramassés près de la route goudronnée. Elles se sont régalées.
— Moi aussi, j’ai pensé à elles. Tiens, il y en a plein dans cette boîte, dit Victor.

Ma mère et la cousine-pauvre-porteuse-de-jarres rentrèrent, heureuses.
— On a tout vendu. Les gens riches ont rarement vu des marchands ambulants passer ces jours-ci. Ils se disputaient pour acheter notre nuoc mam.

Le jour suivant, mercredi, le dos de mon père nous permit encore d’aller à l’école et d’en revenir les pieds secs.
— Le niveau de l’eau a augmenté. Restez tranquilles sur le bas-flanc. Faites vos devoirs. Je m’occupe du reste. Je me suis reposé un peu. Je ne suis pas fatigué, nous dit-il d’un ton rassurant.

Lorsque ma mère et la cousine-pauvre rentrèrent, elles reçurent les mêmes consignes. Mon père devenait un rempart contre les éléments.

Jeudi, le niveau d’eau semblait stationnaire.
— Puisque vous avez fait vos devoirs et que vous n’allez pas à l’école aujourd’hui, Martin et Victor vous allez pouvoir m’aider, leur dit-il avec un clin d’œil.

À la contrainte du bas-flanc exigu mes frères préféraient de loin exécuter des travaux d’homme. Après avoir relevé leurs pantalons et leurs manches le plus haut possible, ils enfoncèrent leurs pieds dans l’eau. Plouf ! Plouf !
— Tenez-vous bien, ça glisse. Marchez doucement. Essayez d’attraper des poissons et des grenouilles. Je vais vérifier la solidité des murs. J’ai entendu quelques craquements cette nuit. Il ne faudrait pas que la maison nous tombe sur la tête, continua mon père avec un soupçon de fierté.

En effet, que deviendrions-nous si, après le ciel, le toit nous tombait dessus ? « Petit Jésus ayez pitié de nous ! » murmurais-je.

Mes frères revinrent avec des poissons et des grenouilles enfilés dans une tige de bambou. Ils grelottaient. Vite, ils déposèrent le produit de leur pêche dans une marmite, ils s’essuyèrent avec les hardes qui nous servaient de serviettes et vinrent se réchauffer sur le bas-flanc.
— Alors les hommes, vous avez froid ! Moi aussi ! dit mon père.
Mais il faut que je continue encore un peu.
— On a vu des serpents d’eau.
— Ils ne vous ont pas mordus ?
— Non, on s’est sauvé !

Vendredi, le niveau de l’eau n’avait pas baissé.
— Tiens bien ton cartable et accroche-toi à mon cou. Allez hop ! On y va !

Mon père fit huit fois l’aller-retour du bas-flanc à la route goudronnée, notre cordon ombilical. Encore huit fois, le soir, pour porter six personnes et deux jarres.

Samedi, l’eau n’avait toujours pas baissé.

Mon père ne manifestait aucun signe de découragement. Secrètement, après la classe, j’éprouvais quelque répulsion à retrouver la puanteur de chez nous. Déposée sur le bas-flanc, au bout de quelques instants, je ne la sentais plus, elle s’était mêlée intimement aux membres de la famille.

Dimanche, l’eau n’avait pas bougé.

Martin et Victor partirent à la pêche avec moins d’enthousiasme. Cependant, ils ne revinrent pas bredouilles.

Pour ma part, avec toute la force de mon regard, je fixais l’eau en priant. Je la surveillais, je suivais des yeux ses moindres ondulations, je la sondais mais elle était aussi impénétrable que la boue qu’elle contenait. Elle faisait partie des épreuves que Dieu nous envoyait, personne n’y pouvait rien.

Lundi matin, à moitié endormi, Félix chercha à descendre du bas-flanc et il tomba dans l’eau. Mon père se précipita, le releva, le mit sur un banc, le déshabilla, le doucha, le frotta énergiquement avec des chiffons ; Félix se retrouva tellement vite dans des vêtements secs et enroulés dans des couvertures qu’il n’eut même pas le temps de pleurer.

Mardi, je fus réveillée par une exclamation :
— L’eau est descendue, je vois l’œil du bambou ! Regardez ! s’exclama Victor en se redressant.

Ce faisant, il fit tomber un pan de la couverture dans l’eau. Mon père la rinça avec l’eau de la jarre, l’essora et l’étendit sur les fils de fer tendus au-dessus du coin-cuisine.

Ma mère était agenouillée sur son bas-flanc, les mains jointes, ses lèvres remuaient quelques remerciements à l’adresse de la Vierge Marie. Nous en fîmes autant.

Enfin, le milieu du tunnel ! Bientôt le bout !

Mercredi, l’eau s’était retirée encore d’un centimètre.

Jeudi, rien.

Vendredi, rien.

Samedi, rien.

Dimanche, un demi-centimètre.

Lundi, un centimètre.

Mardi, mercredi, jeudi et les jours suivants, baisse lente mais régulière.

L’inondation dura peut-être un mois, je ne sais plus.

Nous nous trouvions encore dans l’humidité et les odeurs nauséabondes mais nous étions émergés, sauvés par les bras et les jambes de mon père et l’infinie bonté de Dieu.

Bien qu’il y eut un forte demande de nuoc mam dans la ville française, ce produit se raréfiait puisqu’il était fabriqué par les pêcheurs et nous étions coupés d’eux par l’inondation. Donc, il était impossible, ou presque, à ma mère d’en racheter pour la revente au détail. Les malheurs des uns auraient pu faire son bonheur si elle avait possédé un hélicoptère pour aller chercher le nuoc mam ou si elle avait pu installer un pipe-line partant des village de pêcheurs vers la ville de Huê.

Faute d’hélicoptère et de pipe-line, ma mère dut recourir aux colliers de sapèques de Mu Ly. Pour cela, elle a dû se rendre à Nam Giao sur les collines, elle a dû essuyer les réprimandes de sa tante, entendre quelques qualificatifs méprisants à l’encontre de mon père, pleurer en chœur avec Mu Ly.


### Pension de famine

Mu Ly a dû se montrer assez généreuse — selon ses moyens — car ma mère loua une dépendance en bordure de la ville française au bout de la rue Chaigneau à côté de l’École de la Providence et pas loin de l’École Française que François et moi-même fréquentions.

Cette location se payait en sapèques complétées par de menus services et du nuoc mam, une sorte de troc. La propriétaire occupait le bâtiment principal en briques et tuiles, elle nous avait fait de la place dans le bâtiment en bambou qui lui servait de remise, de fourre-tout et de cuisine.

Le jardin n’était pas bien entretenu mais il présentait l’avantage d’être sain, pas humide. Les cocotiers, les mit, les ananas y poussaient comme ils pouvaient. Le propriétaire demanda à mon père d’y mettre un peu d’ordre. Ainsi, il put ramasser un grand tas de branches mortes pour faire la cuisine.

Très rapidement, le père de la propriétaire mourut. Elle-même ne tenait pas à demeurer dans cette grande maison. Ma mère lui proposa de la lui louer, ce qui fût fait.

À nous le jardin, à nous les belles pièces en briques. La seule qui nous effrayait tous — les enfants — c’était celle qu’occupait son père, où il était mort, où son cadavre avait été exposé.

En louant cette maison, ma mère avait le projet d’en faire une pension de famille pour quelques élèves qui fréquentaient l’école « La Providence » et qui venaient de la province.

Elle apposa une affiche sur le portail. Je me souviens qu’il n’en est jamais venu qu’un seul.

Pendant qu’il était là, nous, les enfants, prenions nos repas avec lui, dans la pièce centrale à colonnettes. Les menus étaient variés. Pour nous, c’était tous les jours fête. Nous avions cependant la consigne de le laisser manger à sa faim en ralentissant notre rythme jusqu’à ce qu’il soit rassasié. Cela dura jusqu’aux grandes vacances.

*Toujours en cours de numérisation : page 107/178.*


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