title: Publication et cohérence
Ce blog tient plus du carnet personnel, au sens premier et intime, que du magazine, du partage de connaissances ou du journalisme citoyen. J’y exprime assez peu d’opinions personnelles et, lorsque cela m’arrive, j’évite de les transformer en revendications ou en discours de ralliements. Essayer de préserver cette forme de neutralité n’est pas destiné à paraître lisse mais s’inscrit intrinsèquement dans ma démarche de réflexion. J’estime qu’un engagement quelconque n’en est pas plus faible sans proclamation et que pancartes et banderoles sont plus encombrantes qu’utiles. Il n’est pas question d’une réserve mais d’une mesure préventive face à l’auto-persuasion, qui guette, tapie dans l’ombre. Je considère ma pratique comme une forme d’écriture de soi, bien plus orientée vers la construction de mon individualité que vers la quête narcissique de reconnaissance ou de notoriété publiques - que je tends à fuir, quitte à envisager de m’effacer - ou encore vers la flatterie de l’ego. En dernier lieu, je réfute également le recours à la notion d’extimité, trop fluctuante et sujette à interprétations variées, à mon goût.
Cette extériorisation d’une construction personnelle risque dès lors de se confronter à des soucis habituellement liés à la (re)présentation de soi. Puisque je prône l’honnêteté - peut-être devrais-je utiliser le terme d’intégrité -, je me dois de reconnaître qu’écrivant pour moi je ne m’en sais pas moins observé puisque je publierai ces mots. Nous touchons alors presque du doigt le paradoxe de l’observateur cher à Labov. C’est là que la difficulté de l’exercice prend corps : deviner quelles sont les parts consciente et inconsciente d’altération de mon expression liées à cette observation extérieure, et savoir si je suis en mesure de les minimiser à défaut de m’en extraire. Puis-je, dans ces conditions, être authentique - mais ce qualificatif a-t-il encore lieu d’être tant il a été galvaudé - ou ne suis-je pas déjà dans le paraître malgré moi ? Est-ce que je transpose toujours bien ce type voûté et un peu avachi, ou ne suis-je pas en train de me tenir plus droit qu’à l’accoutumée tout en veillant à rentrer ma bedaine ? Ce doute est plus important qu’il n’en a l’air : n’oublions pas que je parlais d’écrire en guise de production de matière pour la construction de mon édifice personnel. Qu’advient-il alors de ce résultat du moment que la matière première risque d’être corrompue ?
Il y a un côté mortifère dans le fait d’écrire qui correspond à un moment où l’idée jusqu’alors libre et vivante doit être figée. La publication en rajoute une couche lorsqu’elle transforme cette réflexion déjà morte en preuve sans grande conviction. Ce que j’ai écrit hier ne correspond probablement plus à ce que j’en pense aujourd’hui, et pourtant il va rester une trace aussi longtemps que je le souhaite. Trace qui se révèle être parfois un fardeau, parfois une mémoire externalisée, parfois un souvenir venant compléter la souvenance que j’en ai, toujours l’histoire d’un cheminement de pensée que je m’efforce de partager pour (me ?) montrer qu’une sinuosité est nécessaire et acceptable.
Je me rends compte que je cherche de moins en moins la cohérence chez les autres et qu’il n’y a que la mienne que je puisse soigner. Et remettre en cause.