Je commence à comprendre que c’est moi qu’il faudrait aussi protéger de cette caméra.
Au début, je croyais qu’il suffisait d’appuyer sur le déclencheur après avoir réglé l’objectif. Ce n’est pas du tout ça. Il faut y mettre quelque chose d’autre, dans cette caméra. Elle essaye maintenant de me bouffer les tripes.
La longue route, Bernard Moitessier
Cette sortie a été plusieurs fois décalée, aussi j’essaye d’assurer le coup en me tenant éloigné des chasseurs. Je retourne dans un refuge que je connais bien en passant par de nouveaux chemins. Et je laisse la caméra à la maison.
Dès les premiers mètres, je sais déjà que je n’ai pas les chaussures appropriées : ça glisse et c’est très humide, j’ai des chaussures basses, plutôt lisses et pas super étanche. J’ai déjà été dans cette situation, il faut croire qu’il est difficile d’apprendre de ses erreurs. Je persévère et je suis récompensé, passés les premiers kilomètres plus populaires je me retrouve dans une trace fraîche qui est beaucoup plus praticable.
Ce n’est pas la première fois que je remarque que l’hiver ce sont les infrastructures et les activités humaines qui rendent la forêt plus dangereuse (glissades, décrochages, infrastructures, machines, etc).
Je fais un long périple en acceptant le côté glissant de mon pas, me revoilà sur Arrakice avec sa démarche bien particulière pour ne pas attirer l’hiver… (rires). À force de trop glisser en descente, j’ai la malléole qui tape un tronc et ça pique pas mal, sans compter les adducteurs qui commencent à souffrir. Je ne suis pas mécontent d’arriver au refuge après une quinzaine de kilomètres.
Je n’ai croisé personne mais j’ai eu beaucoup de notifications qui sont venues étirer mes pensées. Je me mets en mode avion et je monte à bord du Joshua. J’ai l’impression de partager une partie de cette (longue) route avec la neige qui fouette les vitres telle des embruns et des préoccupations autour de la récupération de l’eau potable.
Pourtant, c’est une carte bien lourde à porter, ce besoin de rassurer la famille et les amis, de leur donner des nouvelles, des images, de la vie, de leur transmettre ce quelque chose d’infiniment précieux, cette petite plante invisible qui s’appelle l’espoir. La raison me crie de jouer seul, seul, sans m’encombrer des autres. […]
Mais une autre voix insiste depuis plusieurs jours : « Tu es seul, pourtant tu n’es pas seul, les autres ont besoin de toi et tu as besoin d’eux. Sans eux, tu n’arriverais nulle part et rien ne serait vrai. »
Ibid.
J’ai beaucoup de gratitude pour Isabelle Attard qui cite cet ouvrage dans son livre et qui m’a motivé pour l’emprunter à la bibliothèque ainsi que pour Thomas qui m’a indirectement incité à amener de la lecture en forêt.
Il y a des poids qui allègent.