Dans ce brouhaha général, j’échappe le fil de conversation avec la personne devant moi. Je ne l’entends pas plus fort que les autres bruits, et elle s’y dissout. En fait, je dois mettre une énergie titanesque pour continuer de suivre la conversation. Et cette énergie me rend anxieuse et physiquement épuisée au point de frôler l’effondrement.
Immanquablement, avec tous ces bruits, toute cette agitation des gens qui passent devant moi, avec les enfants qui jouent bruyamment, je vais sentir se matérialiser un vertige. Je manque d’air, mon ventre se crispe, et j’ai une envie criante de hurler et de me volatiliser. […]
À chaque addition de stimuli et de nombre d’individus, je m’enfonce un peu plus. Les bruits sont de moins en moins distincts, et je suis K.O. J’ai beau lutter, je ne parviens pas à faire semblant, à converser malgré tout. Il n’y a plus rien, rien qu’un genre de néant intellectuel ponctué de malaise physiques intenses, puis une sensation de détachement, d’un nuage de brume qui s’épaissit.
Derrière le mur de verre, Marie Josée Cordeau
J’ai du mal à établir un dialogue avec plus de quatre interlocuteurs. Au-delà de cette limite, plusieurs conséquences :
- les discussions deviennent plus superficielles (sans aucun jugement, certaines personnes ont besoin de ces échanges et je respecte cela), il se produit une perte d’intimité à la discussion qui devient semi-publique et perd de sa consistance ;
- les intervenants n’ont plus des pairs en face mais s’adressent à un auditoire avec tous les travers associés : figure du héros, concurrence d’attention, bouc émissaire, etc ;
- je m’épuise à tenter de cerner trop de subtilités et à explorer de trop nombreuses possibilités vu le temps imparti ce qui a pour effet immédiat une mise en retrait de protection, à la fois pour moi mais aussi pour les autres au sujet de la franchise déplacée que je pourrais avoir dans ces moments là.