#aventure
Publications relatives à cette étiquette
Jour 2
Un ultratrail est un concours de bouffe, itinérant.
Kilian Jornet, de mémoire.
Réveil à 5h-ish, départ à 6h-ish. Cette journée va être une course contre la météo. De la pluie en continu est annoncée à partir de 9h et je veux avoir dépassé la section avec les ponts en bois et les rochers avant cela car ça devient rapidement glissant. Je trottine tout ce que je peux tout en sachant que les dénivelés sont en fin de parcours. Cruels choix entre les craintes et les douleurs.
Le sac fait un bon kilo de moins, ce qui aide pas mal. J’ai appris à mieux le charger aussi et à utiliser les compartiments à bon escient pour éviter de mouiller mes affaires en allant chercher de la nourriture par exemple. Beaucoup d’apprentissages pendant cette sortie d’initiation au fastpacking (pour lâcher les gros mots).
Chaque partie de la chaine musculaire de la jambe se fait connaitre tour à tour, pour l’instant les maillons tiennent le coup et je réussis à passer le crux presque dans les temps. Il y a un jeu dangereux à être en équilibre sur cette limite. Je sens bien que j’ai encore une marge de progression physique non négligeable à acquérir pour aller plus loin.
La suite se fait intégralement sous la pluie et lorsque le vent s’en mêle c’est la douche assurée en raison des branches gorgées d’eau. Je choisis l’option de rester en t-shirt à manches longues plutôt que de mettre une protection étanche, il y a suffisamment de montées pour éviter l’hypothermie et ça permet de sécher en continu. Encore une journée assez intense pour les pieds. Entre l’humidité et les frottements, il faut que je trouve de meilleures options. Le traitement que j’ai entamé il y a plus d’un mois n’a pas l’air très efficace (ou alors ce serait pire sans ?).
J’ai amené pas mal de personnes dans cette forêt, aussi il y a des passages qui ont maintenant une valeur sentimentale. Je me rends compte que cela m’aide pour passer certaines parties et garder la lucidité nécessaire en fin de parcours. J’ai du mal à décrire à quel point le profil et les efforts sont différents d’une randonnée dans les Alpes françaises par exemple. Il y a notamment une charge mentale constante relative au terrain qui peut vite être fatigante. C’est aussi ce qui rend si difficile une progression rapide.
J’arrive encore à trottiner dans le vingtième et dernier kilomètre de cette sortie. Ça n’a plus rien d’aérien (doux euphémisme) mais ça augure de bonnes choses pour la suite de mes projets. Peut-être une autre grande boucle ?
Jour 1
There’s a difference between knowing the path and walking the path.
Morpheus, donnant des conseils Komoot à Néo.
Réveil à 5h30. Encore. En route vers la forêt Ouareau. Encore. Cette fois avec un peu moins d’ambition / orgueil.
Niveau confiance, elle est assez haute tout de même car j’ai réussi à trottiner 24km la fin de semaine précédente. En bémol, je suis allé faire du tennis la veille et j’ai un peu mal au dos.
Niveau matériel, j’ai réussi à faire descendre le sac à 7 kilos (sans eau) et je teste pour l’occasion un sac-gilet adapté à la course qui soit robuste et permette de transporter une tente.
Le départ est très rapide, l’envie est bien là, la frustration des « échecs » précédents aussi. Je me rends bien compte que je ne vais pas pouvoir tenir toute la journée comme ça. Je mets une heure de moins que lors de ma précédente tentative dans la neige ! Je prends le sac de nourriture dédié à la prochaine section et je m’attaque au mont 107. C’est le sommet de la sortie et déjà je me félicite d’avoir renoncé l’autre fois car le chemin est un torrent de fonte bien raide. Le reste de la journée viendra me confirmer la validité de ce choix.
Je tente de petites foulées dans la descente et ça semble passer sans trop balloter en arrière. Je ne sais pas si c’est le format de sac ou son poids mais la différence en terme de mobilité est flagrante. J’apprécie ce sentiment de liberté physique. Notamment car ça glisse beaucoup avec l’humidité ambiante. Je découvre des sentiers que je n’avais pas encore arpentés et des points de vue… dans le nuage.
Après une douzaine de kilomètres, je rejoins une piste forestière sur 2/3 km, l’occasion de voir si je suis encore capable de courir (oui !). J’essaye vraiment de rester économe car le chemin restant pourrait être encore long, je n’ai pas de plan très précis cette fois-ci, je veux retrouver cette flexibilité que la trace numérique vient contenir. Je m’arrête lorsque je suis fatigué et je fais des détours si j’ai envie.
La rivière Ouareau était en crue et je ne peux qu’observer les dégâts que cela a produit sur le « Sentier des murmures » qui porte assez mal son nom en cette saison. La plupart des ponts non arrimés ont bougé et/ou sont difficilement praticables. Cette partie qui devait être roulante est entrecoupée de crochets pour ne pas finir dans l’eau. J’arrive néanmoins à un premier emplacement que j’aime beaucoup mais le bruit de la rivière est trop important pour que je puisse dormir à ses côtés. Il y a une différence entre bruit blanc et eaux blanches !
Je décide de remonter jusqu’à l’abri 3 côtés que je convoitais la fois précédente. Cela rajoute quelques kilomètres mais c’est aussi la possibilité de dormir au sec qui m’attire car la météo est incertaine. En arrivant en face de cet endroit, je tombe nez à nez avec une quinzaine de tentes, ce que je n’avais jamais croisé auparavant dans aucune de mes sorties. Un club de kayak est venu profiter des eaux en crue pour le weekend. J’allonge encore de quelques kilomètres, j’ai trop besoin de ma tranquillité…
Je décide d’aller jusqu’au lac bœuf auquel j’avais rendu visite il y a quelques mois. C’est un nouvel emplacement alors j’ai l’espoir qu’il soit libre et c’est le cas. Curieusement, je ne me sens pas épuisé mais j’appréhende tout de même le retour avec la fatigue. Ma montre m’indique 24 km à l’arrivée après plus de 7 heures d’effort et environ 1000 mètres de dénivelé. La carte comptabilise 25,5 km. Qui croire ? Est-ce vraiment important ? Je me réjouis d’être arrivé et d’explorer les différentes possibilités de couchage. Je vois le soleil pour la première fois de la journée.
Le printemps québécois reste une saison très bruyante, surtout aux abords des lacs. Entre les oiseaux et les insectes, c’est la cacophonie toute la nuit. Je suis très content d’avoir opté pour une tente fermée après avoir beaucoup hésité, la moustiquaire se retrouve constellée de bibittes après seulement une quinzaine de minutes.
Côté alimentation, cette nouvelle stratégie qui consiste à manger en permanence est une réussite. Par contre, il va falloir que je me fasse mes propres compositions car celles du commerce sont vraiment pas terribles. J’avais l’espoir que des choses aient changé au cours de ces 10 dernières années. Pareil pour les plats lyophilisés, deuxième fois que je trouve ça horrible. Rendez-moi ma semoule et mes nouilles instantanées !
Descriptions
Le crépuscule était tombé lorsqu’ils partirent enfin : rampant par-dessus le bord ouest du vallon, ils passèrent comme des fantômes dans le pays accidenté en bordure de la route. La Lune n’était plus qu’à trois nuits de son plein, mais elle ne devait pas franchir les Montagnes avant minuit ou presque, et le début de leur voyage se fit dans la plus grande obscurité. […]
Enfin, quand la nuit se fit vieille et que la fatigue les eut déjà rattrapés […]
Dès la tombée de la nuit, la terre s’étant évanouie en un gris informe, ils se remirent en route. […]
Le jour était en train d’éclore, et ils virent que les Montagnes étaient à présent beaucoup plus distantes, fuyant vers l’est en une longue courbe qui se perdait à l’horizon. […]
La lumière croissante leur révéla une terre déjà moins aride et moins ravagée. Les Montagnes se dressaient encore de façon menaçante sur leur gauche, mais la route du Sud était visible tout près d’eux, et elle s’éloignait à présent des racines noires des collines, obliquant vers l’ouest. […]
Le Seigneur des Anneaux, J.R.R. Tolkien, traduction de Daniel Lauzon
Je ne sais pas si j’y suis plus sensible à cette relecture ou s’il s’agit d’améliorations avec la nouvelle traduction mais je remarque des tournures de phrases qui m’inspirent pour raconter des aventures en nature. Le sujet devenant l’environnement pour traduire les contraintes qu’il impose.
Puisqu’il faut s’éloigner du style de Sylvain Tesson [archive]…
Jour 2
On se réveille dans la brume avec le soleil peinant à passer à travers, le lac et la neige ont regelé pendant la nuit. C’est une belle ambiance après une nuit agitée par la chaleur du sauna refuge. Les poêles tirent à fond dans ces endroits pour éviter que des personnes n’arrivent pas à faire démarrer un feu (j’imagine que ça peut être critique) mais ça les rend très inefficaces dans la durée et très chauds dès qu’on met deux buches dedans.
Cet épisode me confirme encore une fois que les enfants ont des corps de sportifs de très haut niveau. Je suis impatient de pouvoir le charger un peu plus car c’est frustrant de le voir gambader devant de bon matin alors que mes muscles sont à peine réveillés. J’aime bien lorsqu’on va explorer un peu plus loin et que l’on se projette sur ce que l’on pourrait faire l’année suivante.
Le retour est moins joyeux car il s’agit d’enchainer les efforts et chaque heure qui passe rend la neige plus meuble. À tel point que l’on décide de couper par une piste sur une courte section. Mon évaluation est que la saison de ski est terminée, même une sous-couche bien travaillée ne tiendra pas la semaine qui s’en vient.
J’aurais aimé faire une boucle un peu plus longue au retour mais il faut savoir s’adapter aux conditions. Le plus important est de terminer sans blessure ni dégoût.
Je commence à imaginer un parcours rapide sur plusieurs jours dans cette forêt que je connais bien. Peut-être qu’une fenêtre se dessine en avril… il faut que je récupère un peu de cardio d’ici là.
Jour 2
Sommeil entrecoupé, comme toujours, je finis par ouvrir une dernière fois les yeux après avoir passé plus de 12 heures bien emmitouflé. Il faudrait que j’apprenne à expirer moins d’eau car le résultat est problématique (la fermeture éclair du duvet est bien gelée au matin). Et à moins bouger aussi, car chaque nouvelle position est longue à réchauffer…
Le crux de la sortie (coucou les grimpeur·euses), c’est de se lever et d’allumer un feu sans perdre sa dextérité de manière critique. Vous n’imaginez pas à quel point craquer une allumette peut devenir compliqué dans ces situations. D’autant qu’il fait encore en-dessous de -20°C et que le bois n’est pas aussi réactif ! J’arrive tout de même à allumer un feu avant que ce soit problématique et je suis content de ma nouvelle tentative de foyer hivernal qui ne coule pas. Au point d’en faire une photo-publicité.
L’eau conservée liquide dans mon duvet me fait gagner un temps non négligeable avant de pouvoir ingurgiter une boisson chaude. Et de faire fondre de la neige, encore et toujours, activité favorite du camping d’hiver…
Un petit tour de lac pour se réchauffer les pieds gelés et se mettre en jambe avant de se remettre à tracter. J’ai l’impression de voler. Il n’y a guère que les corneilles pour sortir par pareilles journées. Je fais une pause au soleil, je suis content d’être. Ici et maintenant.
Le retour est éreintant. Une suite de longues montées et de neige de plus en plus difficile à naviguer car j’arrive à des endroits davantage empruntés par des véhicules à chenilles. Chaque enfoncement des crans de la courroie métallique réduit mon accroche de manière significative. Je suis même parfois obligé de déchausser selon les montées… et les descentes car je suis moyennement en confiance avec une telle inertie sans aucune accroche possible. J’ai au moins réussi à limiter le départ en drapeau de la pulka avec un nouveau mécanisme à base de ducktape et de forj.
Après pas mal de pauses et une dizaine de kilomètres, je retrouve le parking dans un sale état. Dire que j’envisageais de faire la boucle à la journée avec l’enfant… Une sortie avec beaucoup d’intensité et d’apprentissages !
Jour 1
Arrivée en fin de matinée. La voiture affiche -12°C et je sais que je ne vais probablement pas avoir plus ces 30 prochaines heures dans la forêt. Depuis que j’ai appris la connaissance de la Grande Boucle de la forêt de Ouareau, j’ai eu envie de la faire, à mon rythme, avec une nuit à l’autre bout du parc. Ma pulka est énorme, ils annoncent une nuit fraîche et avec du vent. Je me lance dans la première descente alors que la neige est dure comme de la roche. J’apprends à mes dépens que les écailles des skis ne sont pas adaptées lorsque je repars en arrière à la première montée. Première chute, ça commence bien.
Avec les demi-peaux, ça passe déjà mieux mais ça demande de beaucoup forcer sur les bras. Les quelques personnes que je croise en skis de fond n’en mènent pas large non plus, les conditions sont atroces quel que soit l’équipement on dirait. Certains choisissent de tirer 40 kg en plus pour le fun. Après quelques heures, j’arrive enfin au lac tant espéré, le soleil me gratifie de ses derniers rayons pour monter le camp et préparer de quoi me réchauffer pour la soirée.
Il fait déjà -16°C et j’ai choisi de prendre une tente cette fois-ci par crainte du vent annoncé mais il n’y a pas de soucis à se faire pour l’instant. C’est même très agréable s’il n’y avait pas le ronron des motoneiges dans le lointain qui vient casser un peu l’ambiance. Le son porte très loin en hiver.
Je suis pas mal déshydraté mais j’essaye de gérer stratégiquement cela, je sais qu’il va falloir passer le plus longtemps possible dans le duvet. Les courbatures attendront. Je passe une bonne soirée au coin du feu car il y a finalement très peu de vent et la voûte céleste est superbe par ces températures. J’aurais bien dormi à la belle étoile.
Je suis bien content d’avoir pris mon plus gros duvet car j’apprends que le thermomètre de ma montre s’arrête de fonctionner à partir de -20°C. Et il n’est que 7 h du soir. Le passage du foyer au duvet est toujours un moment assez critique. Je découvre que les chaufferettes permettent de récupérer des pieds gelés plus rapidement (j’avais fait l’erreur de ne prendre que des bouteilles isotherme). Je prends soin de donner une forme enfilable à mes chaussures avec la bonne position des lacets qui vont geler aussi.
Je m’endors en écoutant le silence, seulement brisé par les arbres qui craquent de froid. L’hiver tire ses dernières balles et certains resteront couchés demain.