Arrakice


Un mauvais jeu de mot pour une fraîche sortie.

Silence #

Des arbres à perte de vue. Le sable blanc crisse sous les pas et oblige à adopter cette démarche qu’on les icemens, ce pas cassant qui permet de ne pas attirer les humains, de se fondre dans les dunes de neige. Les sinus gelés laissent une trainée blanche sur la barbe, caractéristique de ces régions froides. Je réajuste mon tour de cou et j’adopte un allure qui me permet de ne pas perdre cette précieuse eau liquide.

Rien ne bouge dans ce désert blanc, même les gerbilles locales sont allées se mettre à l’abri du froid. À intervalle régulier, un corbeau vient vérifier que la masse mouvante que je représente est encore en état de se défendre, de conserver son eau et sa chaleur. De loin en loin, le martèlement des pics nous rappelle qu’il y a de la vie. Et des prédateurs. Je ne suis plus qu’à une dizaine de marteleurs de la chaleur du Sietch.

Des pas dans mon dos, un rythme de prédateurs alpha qui se dépense sans compter. Je fais appel à mon enseignement prana-bindu pour réchauffer mes zygomatiques et me préparer à l’échange. La litanie m’apaise encore un fois :

Je ne connaîtrai pas la peur car la peur tue l’esprit. La peur est la petite mort qui conduit à l’oblitération totale. J’affronterai ma peur. Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi. Et lorsqu’elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin. Et là où elle sera passée, il n’y aura plus rien. Rien que moi.

Et un maudit coureur.

Perdu #

Le besoin pressant d’un univers logique et cohérent est profondément ancré dans l’inconscient humain. Mais l’univers réel est toujours à un pas au-delà de la logique.

Extrait de Les Dits de Muad’Dib, par la Princesse Irulan (Dune)

J’étais parti pour dormir dehors. Puis la veille, je me rends compte que ça va vraiment piquer (genre inférieur à -20°C). Pas encore bien acclimaté et conscient d’être proche du solstice, je n’avais pas envie de passer 15h dans un duvet à attendre le soleil. J’ai déjà fait et c’est pas plaisant. Surtout à mon âge. Aussi, je décide de me rabattre sur un refuge inconnu…

(Mal)Heureusement, arrivé sur place, un avertissement indique que les refuges ont été placardés (!) pour cause de COVID avec photos à l’appui. Je comprends et j’ai un peu de mal à l’accepter, d’autant que par ces températures ça me semble être une structure de sécurité plus qu’un potentiel cluster mais soit. J’enlève finalement le duvet du sac et me voilà parti pour une balade à la journée.

Et finalement, j’ai bien fait car… je me suis retrouvé à gravir la mauvaise montagne (plusieurs fois) car ma carte était incomplète. Au moment où j’ai retrouvé mon chemin intentionnel, il devenait limite de rejoindre le refuge avant que la nuit tombe et j’ai pu faire demi-tour sans me mettre en danger. Ce n’était pas le moment de réquisitionner les secours. Ni de perdre des doigts.

Pro-tip : toujours faire une photo de la carte des sentiers affichées au début du chemin qui est davantage à jour/exacte.

Loup #

En cas de rencontre, on m’a conseillé de m’accroupir et de regarder le loup dans les yeux en lui faisant face, d’autres m’ont dit de me faire la plus grande possible pour lui faire peur. D’autres m’ont adjurer de ne jamais regarder un loup dans les yeux. Mais tous ont un conseil commun : « fais un feu ». Je suis satisfaite de cette dernière technique qui semble simple et logique. Petit problème pourtant. Il n’y a pas ou peu de bois dans ces steppes.

Sauvage par nature, Sarah Marquis

Je repense souvent à cet extrait lorsque je suis dans la forêt l’hiver. Faire un feu par des températures très négatives est loin d’être trivial. Le bois est gelé et difficile à trouver, les doigts n’ont plus la même dextérité et les briquets perdent en efficacité, le feu coule littéralement si la plateforme n’est pas suffisamment épaisse sur la couche de neige, les équipements doivent être à la bonne distance pour ne pas geler mais ne pas non plus brûler. Et quand enfin ça prend… vous n’êtes pas à l’abri que la neige située sur une branche au-dessus un peu réchauffée ne vienne réduire vos efforts à néant.

Si je croise un loup, je lui demande des allumettes.

Limites #

Le concept de progrès agit comme un mécanisme de protection destiné à nous isoler des terreurs de l’avenir.

Extrait de Les Dits de Muad’Dib, par la Princesse Irulan (Dune)

Par -15°C, j’ai rapidement atteint les limites de ce que pouvait produire un téléphone. J’essayais de protéger la batterie au maximum mais c’est le capteur (ou le processeur ?) qui étai(en)t à la peine pour enregistrer des vidéos en 4K. Du coup, je perdais des frames au cours du temps d’exposition au froid, ce qui est visible… et frustrant.

Aussi, j’étais limité à une seule prise sans pouvoir faire aucun réglage (à la fois pour la batterie mais aussi pour mes doigts !). Cela explique l’exposition fluctuante et les erreurs de mise au point. En cours de route, je me suis rapidement rendu compte que c’était mon outil de sécurité que j’hypothéquais en faisant des vidéos. La logique qui me semblait bonne de « je l’ai toujours sur moi » m’avait presque fait oublié le pourquoi.

Même la batterie de rechange dans une pochette dédiée avec une chaufferette à main n’arrivait plus à recharger quoi que ce soit. Et je ne parle même pas de la télécommande bluetooth qui devait m’éviter de quitter les gants et qui a refusé dès la première prise de vue de me suivre dans mes délires.

Toutes ces choses considérées, il serait tentant de céder encore une fois à davantage de matériel. Ça permettrait aussi de récupérer les surexpositions en post-traitement.

Ou s’abstenir de faire des vidéos en hiver.

Fléaux #

Réflexion de forêt : nous ne traversons pas/plus(?) des crises mais des fléaux. La différence entre les deux c’est que l’ont peut sortir des premières et que l’on doit composer avec les seconds.

On ne sort pas d’une crise écologique qui génère des millions de migrants climatiques. On ne sort pas d’une descente énergétique qui génère des pertes de « confort » substantielles. On ne sort pas d’une pandémie qui est la double conséquence de la déforestation et de la mobilité humaine.

On s’adapte et on apprend à vivre avec.

En acceptant les fléaux, je regarde les choses avec plus d’humilité. Quelles attitudes solidaires adopter pour traverser ces fléaux ensemble ? Quelles relations et initiatives éviter qui essayent de sortir d’une crise ?

Peut-être que la différence entre les deux a aussi à voir avec une question de revenus… et de privilèges associés.