Les publicitaires sont là pour rendre une pareille chose plausible. Ils peuvent vous dire que tel savon est le meilleur du monde, vous n’avez pas la possibilité de le tester. Qui peut tester tous les savons du monde ? Mais si le slogan apparaît assez souvent sur l’écran, ce savon finit par être le meilleur savon du monde. Vous avez là un exemple de ce que j’appelle le mensonge élevé au rang de principe.
Or le véritable succès de ces méthodes ne consiste pas dans le fait que les hommes croient ceci ou cela. Les hommes deviennent, ce faisant, cyniques et ne croient plus rien. C’est au fond le seul effet que produisent réellement tous ces mensonges. Mais il se passe quelque chose de bien plus grave que la propagation d’un cynisme spécifique, à savoir le fait qu’il n’y a plus de distinction entre la vérité et le mensonge, qu’on ne peut plus dire « Ça, c’est un mensonge » et « Ça, c’est une vérité ». Dans ce siècle terrible, où tant de choses se sont déjà passées nous devons être modestes. Nous devons être bien contents si nous parvenons encore à distinguer la vérité du mensonge ; […]. Si vous pensez que c’est uniquement le nombre de personnes qui fait qu’une vérité est une vérité ou un mensonge, alors il suffit que vous vous imaginiez combien de gens regardent les publicités. Tous veulent appartenir au monde que présente la publicité, tous veulent se servir d’une chose que quelqu’un vient d’inventer. À ce moment-là, ces gens deviennent de véritables escrocs escroqués. Et je crains plus qu’à bien des égards nous courions le risque de devenir des escrocs escroqués que je n’ai peur des menteurs.
Édifier un monde - Légitimité du mensonge en politique ?, Hannah Arendt, 1975
Ô Hannah, si tu savais ce qu’un réseau mondialisé a réussi à faire de cette vérité en politique… Les métriques des aggrégateurs devenant caution de mensonges tous plus éhontés les uns que les autres. Comment accepter une telle naïveté lorsqu’on a la lucidité d’en prendre conscience ?