Jour 2


Le vrai journal est écrit dans la mer et dans le ciel, on ne peut pas le photographier pour le donner aux autres. Il est né peu à peu de tout ce qui nous entoure depuis des mois, les bruits de l’eau sur la carène, les bruits du vent qui glisse sur les voiles, les silences pleins de choses secrètes entre mon bateau et moi, comme lorsque j’écoutais parler la forêt quand j’étais gosse.

La longue route, Bernard Moitessier

Je me suis réveillé 5 fois dans la nuit. Ce n’était pas pour vérifier le pilote automatique du voilier mais pour remettre une bûche dans le poêle. À chaque milieu ses contraintes… et son manque de sommeil. Cela m’a permis de dormir en t-shirt, la prochaine fois je m’abstiendrai de porter un duvet pour ce refuge dont le poêle est surdimensionné… mais qu’il faut tout de même alimenter en continu pour éviter qu’il ne s’éteigne !

J’attends que la pleige (sorte de neige très liquide) s’arrête pour quitter le refuge. Je démarre sous le soleil et la grêle. #Canada

Un chemin, sous la neige. Un chemin, sous la neige.
Pas de meilleure motivation que le soleil pour arriver en haut d’une crête !

J’ai prévu de faire une longue crête et je me rappelle aussi qu’il me restait à explorer un lac en contrebas, de l’autre côté, où j’espère trouver un emplacement pour de nouvelles aventures. Mes efforts sont récompensés car il y a effectivement de quoi mettre une tente et/ou un hamac. Il y a même une sorte de cuvette aménagée pour pouvoir faire trempette sur le petit cours d’eau à côté. Limite du glamping. Je suis joie.

Lac braque, gelé avec son barrage de castor au premier plan. Lac braque, gelé avec son barrage de castor au premier plan.
Pour le moment, il faut creuser si on veut pouvoir se baigner.

Je remonte sur la crête et avec le vent ça commence à crouter sévère. Le soleil se voile et la température chute, je dois absolument redescendre de l’autre côté avant que ça devienne ingérable. Je prends un raccourci. Le ruisseau aussi et j’ai rapidement les pieds trempés. Heureusement qu’il ne fait que -5°C mais ce n’est pas le moment de se faire mal. Je rejoins une piste de ski de fond qui me permet d’augmenter la cadence et de me réchauffer.

Point de vue depuis la crête. Point de vue depuis la crête.
J’espère dormir un jour sur cet à plat en contrebas. #YouDidNotSleepThere

J’arrive à un abri où j’envisageais initialement de passer la nuit. Je me fais une soupe miso pour me réchauffer de l’intérieur, il faudrait que je change au moins de chaussettes. Je suis rejoins par deux personnes qui vont y dormir cette nuit, ce seront mes seules rencontres ce jour. Elles ont l’air contentes d’être là, moi aussi.

Assis sur la chaise du poste de pilotage intérieur, je regarde l’eau phosphorescente à travers les hublots de la coupole qui protège des déferlantes et m’en rapproche. Je suis presque arrivé au tournant de ma route. Je sais, depuis l’océan Indien, que je ne veux plus rentrer là-bas.

[…]

Et jusqu’au Horn, ne pas regarder autre chose que mon bateau, petite planète rouge et blanc faite d’espace, d’air pur, d’étoiles, de nuages et de liberté dans son sens le plus profond, le plus naturel. Et oublier totalement la Terre, ses villes impitoyables, ses foules sans regard et sa soif d’un rythme d’existence dénué de sens. Là-bas… si un marchant pouvait éteindre les étoiles pour que ses panneaux publicitaires se voient mieux dans la nuit, peut-être le ferait-il ! Oublier tout ça.

Ne vivre qu’avec la mer et mon bateau, pour la mer et pour mon bateau.

Ibid.