Correspondances hebdomadaires

2017-12-22 · Lettre à Thomas

Thomas,

Suite d’une discussion récente inachevée faute de temps, au sujet de l’expatriation. Ou plutôt du sentiment que les choses bougent davantage en France au point de vouloir y revenir. Il s’agit d’un ressenti que j’ai eu en étant au Japon et qui m’a en partie motivé pour revenir. J’avais alors oublié les raisons du mouvement, ce mal-être latent qui devient le terreau fertile de nouvelles idées. Il y a une beauté et une énergie dans ce foisonnement mais les conditions pour y arriver me sont de plus en plus insupportables. Je n’ai plus envie d’un état d’urgence mais d’un état de bienveillance, quitte à devoir m’éloigner pour cela de l’innovation et la disruption.

Bien sûr, le prix à payer est élevé : les réflexions philosophiques me manquent, les mises en communs me manquent, de nombreuses rencontres me sont maintenant beaucoup moins accessibles. J’apprends à vivre avec et je sais que je pourrais être moteur de nouvelles initiatives dans d’autres lieux une fois acclimaté. Les réflexions y seront peut-être moins poussées compte tenu de la plus faible pression du milieu et les actions en découlant seront probablement différentes, à l’origine de l’évolution d’une culture locale.

David

2017-12-02 · Lettre à Yohan

Yohan,

C’est un plaisir de travailler avec toi depuis tant d’années, d’abord sur Libé, puis chez Mozilla et actuellement avec Etalab. J’ai l’impression de sortir grandi de nos interactions et tu as indirectement contribué à mes réflexions sur la simplicité dans le développement et au statut de dévelopeur expérimenté.

J’admire ton intégrité lorsqu’il est question d’outils avilissants (coucou Slack). J’apprécie ton humilité et ta soif de toujours explorer plus loin les possibilités que nous offre notre domaine. Il est tellement facile de se considérer comme étant brilliant (cache) dans cette profession qu’une approche impliquant peu d’égo (cache) est exceptionnellement rare. Il y a un enjeu politique dans la ré-acquisition de ses outils mais aussi social dans la (re)prise de contrôle que cela procure. On ne se fatigue plus à courir après les dernières nouveautés lorsqu’on est en train de les réinventer en se les réappropriant.

Je me demande de plus en plus si proposer les services d’une équipe (cache) qui a l’habitude de travailler ensemble ne serait pas plus pertinent qu’une somme d’égos afin de faire émerger un produit.

Nous avons encore de belles années devant nous :-).

David

2017-12-01 · Lettre à Simone

Simone,

Ou Peggy, je ne sais plus. Merci pour ces voyages philosophiques et notamment ces thérapies. C’est un angle auquel je suis sensible pour avoir l’impression d’évoluer à mon échelle. Prendre soin en ayant davantage conscience de ce qui blesse au quotidien.

Ce qu’il me manque en tant qu’expatrié c’est de pouvoir participer aux après-midi et échanger avec d’autres sur ces thématiques. En espérant que cela t’encourage à continuer, et pourquoi pas… à essaimer.

David

2017-07-19 · Lettre à Hubert

Hubert,

Merci pour ces 5548 articles qui nourrissent mes réflexions de manière asynchrone et dense. Tu es le seul journaliste que je suis avec assiduité. En fait c’est à la fois pire et mieux que ça : tu es ma définition d’un journalisme qui sait s’adapter à un contexte changeant. C’est lourd à porter, c’est quelque peu déprimant de te voir aussi esseulé mais c’est aussi enthousiasmant et inspirant de constater que c’est possible !

Alors se pose la question de l’essaimage. Comment faciliter un cadre apprenant qui permette à ces réflexions de produire des interactions transverses ? Comment répertorier les externalités positives qui suscitent l’envie de prendre part à un tel travail ? Comment diffuser sans dénaturer ?

Autant de questions qui dans un autre domaine sont irrésolues de mon côté.

David

2017-04-05 · Lettre à Éric

Éric,

Je comprends tes réticences (cache) vis-à-vis de Mastodon, j’ai eu les mêmes assez rapidement mais je continue de creuser en me posant des questions sur la fédération d’identités ou l’expérience utilisateur. C’est la beauté d’un réseau naissant avec les tâtonnements de chacun. Proposer une solution compliquée et découvrir qu’il en existe une plus simple. La communauté itère dans un voyage initiatique qui est nécessaire pour atteindre les limites de la décentralisation. Celui-ci doit se faire ensemble sans brûler les étapes au risque d’en perdre en chemin et de créer un réseau plus élitiste que ce qu’il n’est déjà.

Je suis ravi que l’instance la plus populaire n’arrive pas à tenir la charge, ne surtout pas l’optimiser et laisser d’autres prendre le relais pour atteindre un réseau réellement décentralisé. Je ne pense pas que tu aies eu tout de suite ton nom de domaine et ton hébergeur de confiance pour tes courriels, il en est de même pour ton identifiant Mastodon. Il évoluera au cours du temps, des données seront perdues mais tu auras probablement sauvegardé ton graphe de relations en attendant mieux (le CSV d’export est une liste des différents identifiants).

Quelle chance de pouvoir faire une expérience de cette échelle qui implique de la décentralisation et de la liberté. Il n’y a pas de stratégie, de gros acteurs ou quoi que ce soit, juste un joyeux bordel qui apporte du fun. Et ça fait du bien.

David

2017-03-09 · Lettre à Brice

Brice,

Je profite d’être à Confoo pour te répondre (cache) sur ma façon d’articuler une intervention tant que c’est encore chaud. En général, ça commence par un truc qui me trotte en tête depuis un petit moment et j’essaye de formuler un titre et son résumé qui s’en approchent. Parfois j’ai déjà rédigé un billet sur le sujet et je l’ajoute pour les personnes qui doivent sélectionner. D’autres fois j’ai un brouillon que je mets en ligne sans qu’il soit pour autant lié (en public). Dans ce dernier cas, le billet sera de toute façon publié.

Lorsque le sujet est accepté, je creuse davantage en commençant par retenir les cinq choses que les personnes présentes devront idéalement retenir de l’intervention. J’itère beaucoup à cette étape ce qui change parfois complètement l’orientation et il arrive que ça ne soit même plus cohérent avec le titre initialement proposé. Je me suis longtemps résolu à coller au sujet retenu mais depuis quelques temps j’assume et je l’annonce en début d’intervention. Je préfère égoïstement être au plus proche de ce que j’ai envie de présenter plutôt que de me forcer et que ça se voit.

Une fois le fil conducteur trouvé, j’enlève deux des points précédemment choisis. C’est l’étape la plus difficile. Il faut trouver le compromis entre pertinence et bourrage de crâne. Ensuite je commence à rédiger/continuer le billet et le support pour mettre à plat les idées. Je ne sais jamais au final si ça va être trop long ou trop court, pour cette dernière intervention je suis tombé pile mais une horloge au fond de la salle m’aidait beaucoup.

David

2017-02-21 · Lettre à Jean-Pierre

Jean-Pierre,

Tu fais partie des anonymes qui m’écrivent pour réagir sur un ancien article — en l’occurence 2009 — car cet espace a le (mal|bon)heur de n’être pas trop mal indexé parfois. Je ne sais pas comment gérer ces échanges sur des positions qui ne sont plus forcément les miennes. Le contexte a évolué, j’ai évolué.

Internet oublie toujours tout mais cet endroit constitue une part de ma mémoire et de mon histoire que j’essaye toutes deux de préserver. Petit plaisir narcissique, expérience personnelle et génératrice d’échanges que j’encourage lorsqu’ils sont bienveillants. Je me demande souvent ce qui motive l’envoi d’un courriel à un inconnu pour lui prouver qu’il a tort. Une question d’égo ou de paternalisme inconscient peut-être.

Qui sait, peut-être un jour irons-nous discuter de tout cela… à Arles ?

David

2017-02-09 · Lettre à Marion

Marion,

Merci pour ta réaction au sujet de la vitesse et de l’écriture qui est ton domaine. Je voulais à mon tour rebondir sur la différence entre un ouvrage et un blog. Dans le premier cas, on est dans l’expression d’une thèse qui demande un temps long. Dans le second, je pense que l’on est dans la construction d’une thèse qui demande également un temps long. Dans les deux cas, cela requiert des itérations empreintes d’humilité pour revoir sa copie et continuer à partager tout de même avec son éditeur ou avec son lectorat. Lorsqu’on tente de transformer son lectorat en éditeur, cela peut avoir des effets de bord non négligeables (cache) par contre, voir aussi mes propres déboires avec LEAN.

Néanmoins, le blog est le fruit d’une évolution personnelle grâce à l’intelligence du collectif qui a pris la peine d’échanger, de proposer d’autres voies. Un journal qui n’est plus un curriculum vitae mais un chemin de pensée montrant une progression au fil des années. J’y vois une sorte d’impressionnisme qui donne l’image de l’auteur lorsqu’on prend suffisamment de recul. Une vidéo peut-être plus qu’une image pour sa nature évolutive et vivante. Si l’on file la métaphore, un manuscrit ressemble davantage au tableau académique d’une nature qui est morte lors de sa mise sous presse.

La différence fondamentale entre les deux approches réside peut-être dans la nature publique ou privée du processus d’amélioration continue. Le blog se rapproche de l’open-source sur ce plan là qui consiste à exposer son code à la critique collective en vue de le rendre plus pertinent. La gouvernance change alors et réduit les intermédiaires, on se rapproche également des AMAP et des circuits courts. Chaque lecteur pouvant à son tour devenir auteur le temps d’un échange.

Et tisser les liens qui font la toile.

David

2017-02-05 · Lettre à Pep

Pep,

J’ai suivi avec intérêt tes réflexions (cache) relatives aux modes de publications. Elles s’orientent déjà trop pour moi dans la technique et dans la complexité pour avoir envie de rejoindre un tel mouvement. J’ai le sentiment d’avoir fait ce chemin et d’en être revenu en raison de l’entre-soi qu’il accentue sous couvert d’adoption précoce. Je suis aujourd’hui davantage dans l’aide à la simplicité de publication qui me semble être la première étape libératrice, laissant les interactions et les algorithmes aux plateformes filtrantes. Au moins pour un temps.

Je réinvente des générateurs statiques, je m’inspire du travail de collègues et j’essaye au moins de répondre à mes propres besoins. Je me suis longtemps retenu de publier quoi que ce soit en laissant des briques à assembler soi-même. De la publication naissant la responsabilité, la culpabilité et la naissance d’un nouveau silo. Aussi petit soit-il. Et d’un autre côté l’envie de créer un outil convivial dont puisse s’emparer l’auteur en touchant à trois variables qui donnent goût à la programmation. Telle que je l’ai découverte en tout cas.

Tout cela étant dit, je ne voudrais freiner aucune initiative qui amène des alternatives à la situation actuelle. J’espère me tromper complètement et il y a de toute façon un public pour toutes ces expérimentations. Une question de variabilité locale pour une évolution globale.

David

2017-02-09 : réponse de Pep (cache).

2017-01-25 · Lettre à E.

E.,

Je me demande souvent si la douleur se réduit lorsqu’on la partage. Je l’espère lorsque je la reçois et j’hésite lorsque je la transmets. Accepter d’un côté, renoncer de l’autre.

Un mal à délivrer, des mots à délier. Expliquer l’inexplicable et faire expérimenter des situations pleines de vie afin qu’elles deviennent majoritaires. Le pouvoir de l’exemple, le devoir de l’humain. Essayer d’un côté, espérer de l’autre.

Lorsque le vélo ne suffit plus, il reste l’avion… une façon de ne plus questionner ce qui est acceptable mais avec qui (cache).

David

2017-02-12 : réponse de Stéphane (cache).

2017-01-19 · Lettre à Cascador

Cascador,

J’ai apprécié que tu pointes les contradictions dans un texte qui est justement là pour en garder la trace. Le témoignage d’un tiraillement que connais j’imagine chaque accompagnant qui se plonge dans les notions de risque et de vitesse. Encourager l’expérimentation lorsqu’elle n’est pas invalidante. Prendre le temps de pratiquer avant d’acquérir les concepts. Ces curseurs sont propres à chaque relation et évoluent dans le temps. Je pense aujourd’hui qu’un apprentissage itératif et bienveillant est davantage approprié. Je me trompe probablement et mon moi-dans-six-jours/mois/ans sera peut-être là pour lire ces lignes et sourire.

Le choix délibéré de le laisser trouver une place dans ce monde en limitant les (dés)orientations vient de la croyance qu’il pourrait trouver ainsi des chemins auxquels je n’avais pas pu songer. Pas forcément meilleurs mais qui lui sont propres avec un sentiment d’accomplissement personnel et/ou collectif.

Pour autant, je ne considère pas cela comme un espoir. Lorsque l’on prend le temps d’apprécier l’instant présent, je ne pense pas que l’on ait besoin de formuler des espérances. Mon seul espoir c’est que l’on soit bien ensemble là et maintenant. Se projeter au-delà n’apporte que de l’anxiété inutile vu le peu de contrôle que l’on a dessus. Ce monde est malade de ses propres projections erronées qu’il s’épuise à rattraper.

David

2017-01-12 · Lettre à Stéphane et Vincent

Stéphane et Vincent,

Voici quatre ans que nous avons créé scopyleft, l’occasion d’évoluer à bien des niveaux. De tisser des liens avec des humains et de challenger des valeurs communes. Lorsque je regarde autour de moi, je ne peux que constater le rapport privilégié que nous avons au travail grâce à ce cadre.

Et pourtant, même si nous avons longtemps cherché à travailler ensemble, je ne pense plus que ce soit un cap aujourd’hui. Ces années ont eu pour externalité de construire de la confiance. C’est elle qui a participé à ma paternité et à ma récente expatriation. La confiance est la base qui nous permet d’expérimenter de nouvelles formes de vies avec la solidarité et l’empathie suffisantes pour prendre des risques de manière apaisée.

Vos envols (cache) respectifs me permettent d’alimenter mes réflexions depuis ma branche, dans mon petit nid. Peut-être un intermédiaire entre l’arbre et l’oiseau ?

Merci pour votre bienveillance.

David

2017-01-07 · Lettre à Karl

Karl,

Ton silence numérique est difficile à accepter. Il a rythmé mes lectures ces dernières années, c’est un vide poétique qui ne peut être remplacé. Et pourtant je le comprends. J’ai l’espoir qu’il ne soit que passager et que nous puissions échanger sur nos expériences (cache) respectives.

Ton dernier billet publié parle d’équilibre (cache) et je voudrais y adjoindre mon propre murmure. Je me pose beaucoup de questions sur la temporalité ces jours-ci. Dans cet équilibre, je ressens une immobilité nécessaire à l’appréciation de l’instant présent. Or, j’ai parfois du mal à m’en contenter, happé par la dynamique qui nous donne l’illusion d’avancer. Ce déséquilibre synonyme de mouvement dans un perpétuel risque de chute en avant exhibitionniste. Se tenir enfin debout, mais pour aller où ?

Peut-être accepter de se perdre en forêt pour prendre le temps d’écouter les brindilles craquer sous nos pieds et le sous-bois nous enivrer de ses senteurs. Regarder filer le ruisseau et imaginer son parcours, les méandres qui l’attendent et les affluents qu’il va rencontrer. Y déposer une feuille, la suivre un moment et l’observer s’éloigner. S’allonger et sourire, au bruit des cigales stridulantes.

Dissocier tout en restant intime, là pourrait être l’équilibre.

David

PS : hasard heureux d’une publication décalée, La Grange s’est réveillée depuis.

2017-01-24 : réponse de Karl (cache).