Petite réflexion inspirée de la manifestation qui fait l’actualité : j’entends dire qu’une telle manifestation est spontanée, qu’elle est auto-organisée, que c’est une nouvelle ère de la possibilité de contestation et de la politique. J’entends aussi dire que des partis politiques traditionnels voudraient récupérer ce mouvement, mais qu’ils sont à la peine, comme débordés.
Au temps des réseaux sociaux, n’oublions pas que la spontanéité dépend des timelines algorithmiques, et la contestation de ce qui est donné à voir à travers les bulles de filtres. N’oublions pas que tout ce qui permet au champ social de s’organiser est par définition politique.
N’oublions pas que les réseaux sociaux ne sont pas neutres, mais imprégnés dès leur conception d’une idéologie spécifique qui, si elle oscille entre libertarisme et censure, a le plus souvent comme point de mire l’influence et l’exploitation des désirs de l’ego.
Ne nous mentons pas : les réseaux sociaux sont bel et bien un parti politique qui structure toutes ces manifestations. Qu’il soit hors de portée de la perception de ceux qu’il anime est très inquiétant : déterminés par une cause qu’ils ignorent, ils sont tout sauf libres. Or, la politique de nos démocraties repose sur la liberté individuelle.
Sommes-nous encore capable de libre arbitre en étant connectés ? Sommes-nous juste capable de liberté individuelle en étant socialisés ? Serions-nous même capables de penser sans avoir été influencés ?
La réponse ne peut être que « non » ;-).
Quelle autre liberté que celle qui s’exprime dans un espace relationnel ? Ainsi définie, autrui n’est-il pas tout autant la condition de ma liberté que celui face auquel elle s’échoue ? Les "autruis" multiples qui, en la circonscrivant, font apparaitre le périmètre qui n’est qu’à moi ne sont-ils pas les garants de ma liberté en même temps que ses gardiens ?
Et à quoi donc inciterait ce périmètre, cette marge de manœuvre, cette souveraineté irréductible d’un royaume isolé, cette latitude tragique à investir, sinon à la rencontre (Lévinas) et à l’engagement, qui n’est pas le renoncement à la liberté, mais son dépassement/accomplissement ? (cf. sphère éthique de Kierkegaard par ex.)