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David Larlet 3 years ago
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@@ -113,6 +113,44 @@ Le bonheur d’avoir dans son assiette le poisson que l’on a pêché, dans sa
<p>Et je fixe ce point très précis où les étincelles du brasier, propulsées vers le ciel, pâlissent et brillent d’un dernier éclat avant de se confondre aux étoiles. J’ai du mal à me convaincre de gagner ma tente, je suis comme un gosse qui ne veut pas couper la télévision. De mon duvet, j’entends crépiter le bois. Rien ne vaut la solitude. Pour être parfaitement heureux, il me manque quelqu’un a qui l’expliquer.</p>
<p>[…]</p>
<p>Je suis incapable de prendre la moindre photo. Ce serait double injure : je pêcherais par inattention ; j’insulterais l’instant.</p>
<p>[…]</p>
<p>La cabane est le wagon de reddition où j’ai scellé mon armistice avec le temps : je suis réconcilié. La moindre des politesses est de le laisser passer.</p>
<p>[…]</p>
<p>Le courage serait de regarder les choses en face : ma vie, mon époque et les autres. La nostalgie, la mélancolie, la rêverie donnent aux âmes romantiques l’illusion d’une échappée vertueuse. Elles passent pour d’esthétiques moyens de résistance à la laideur mais ne sont que le cache-sexe de la lâcheté. Que suis-je ? Un pleutre, affolé par le monde, reclus dans une cabane, au fond des bois. Un couard qui s’alcoolise en silence pour ne pas risquer d’assister au spectacle de son temps ni de croiser sa conscience faisant les cent pas sur la grève.</p>
<p>[…]</p>
<p>Quelques pages du <em>Neveu de Rameau</em> finissent par prendre. Pas la première fois que Diderot déclenche des incendies. Une flamme anémique s’élève d’un petit tas d’écorce râpée, séchée contre ma peau. Le feu, pauvre animal blessé par l’orage. Je le fais grandir brindille par brindille. La flamme vacille, j’ai des émotions de réanimateur cardiaque. Elle gonfle, c’est la victoire. Je souffle à m’en étourdir et obtiens un brasier.</p>
<p>[…]</p>
<p>La cabane a-t-elle un sens politique ? Vivre ici n’apporte rien à la communauté des hommes. L’expérience de l’ermitage ne verse pas son écot à la recherche collective sur les moyens de faire vivre les gens ensemble. Les idéologies, comme les chiens, restent au seuil de la porte des ermitages. Au fond des bois, ni Marx ni Jésus, ni ordre ni anarchie, ni égalité ni injustice. Comment l’ermite, préoccupé seulement de l’immédiat, pourrait-il se soucier de prévoir ?<br />
La cabane n’est pas un point de reconquête mais de chute.<br />
Un havre de renoncement, non un quartier général pour la préparation des révolutions.<br />
Une porte de sortie, non un point de départ.<br />
Un carré où le capitaine va boire un dernier rhum avant le naufrage.<br />
Le trou où la bête panse ses plaies, non le repaire où elle fourbit ses griffes.</p>
<p>[…]</p>
<p>Les hommes qui ressentent douloureusement la fuite du temps ne supportent pas la sédentarité. En mouvement, il s’apaisent. Le défilement de l’espace leur donne l’illusion du ralentissement du temps, leur vie prend l’allure d’une danse de Saint-Guy. Ils s’agitent.<br />
L’alternative c’est l’ermitage.</p>
<p>[…]</p>
<p>Dans un ermitage, on se contente d’être aux loges de la forêt. Les fenêtres servent à accueillir la nature en soi, non à s’en protéger. On la contemple, on y prélève ce qu’il faut, mais on ne se nourrit pas de l’ambition de la soumettre. <mark>La cabane permet une posture, mais ne donne pas un statut.</mark> On joue à l’ermite, on ne peut se prétendre pionnier.</p>
<p>L’ermite accepte de ne plus rien peser dans la marche du monde, de ne compter pour rien dans la chaîne des causalités. Ses pensées ne modèleront pas le cours des choses, n’influenceront personne. Ses actes ne signifieront rien. (Peut-être sera-t-il l’objet de quelques souvenirs.) Qu’elle est légère, cette pensée ! Et comme elle prélude au détachement final : on ne se sent jamais aussi vivant que mort au monde !</p>
<p>[…]</p>
<p>L’amour vrai ne serait-il pas d’aimer ce qui nous est irrémédiablement différent ? Non pas un mammifère ou un oiseau, qui sont encore trop proches de notre humanité, mais un insecte, une paramécie. Il y a dans l’humanisme un parfum de corporatisme reposant sur l’impératif d’aimer ce qui nous ressemble. L’homme se doit d’aimer l’homme comme le chirurgien-dentiste aime les autres chirurgiens-dentistes. Dans la clairière, j’inverse la proposition et tente d’aimer les bêtes avec une intensité proportionnelle au degré d’éloignement biologique qu’elles entretiennent avec moi. <mark>Aimer c’est reconnaître la valeur de ce qu’on ne pourra jamais connaître.</mark> Et non pas célébrer son propre reflet dans le visage d’un semblable.</p>
<p>[…]</p>
<p>Faut-il à tout prix gagner les bois si l’on refuse son temps ? On peut trouver silence dans ses voûtes intérieures.</p>
<p>On peut aussi fermer les yeux : <mark>la paupière est l’écran le plus efficace entre soi et le monde.</mark></p>
<p>[…]</p>
<p>Le reflet offre à l’homme de contempler deux fois la splendeur. […] Les montagnes jouent à front renversé. Les reflets sont plus beaux que la réalité. L’eau féconde l’image de sa profondeur, de son mystère. La vibration à la surface situe la vision aux lisières du rêve.</p>
<p>[…]</p>
<p>À la manière de ces ésotériques guénoniens obsédés par l’identification de « l’âge d’or », nous sommes quelques âmes nomades qui cherchons par tous les moyens à revivre les moments intenses de nos existences. […] Tout ce que nous entreprenons découlerait d’une inspiration éphémère, intangible. Une fraction de seconde fonderait l’existence. Les bouddhistes nomment <em>Satori</em> ces instants où la conscience entrevoit quelque chose. À peine né, le surgissement s’évanouit. À l’aveugle, on chercher à le ramener. On voudrait ressusciter la sensation disparue.</p>
<p>[…]</p>
<p>La bionique consiste à s’inspirer des inventions de la biologie pour les appliquer à la technique. Il faudrait fonder l’école de l’éthobionique. On s’inspirerait du comportement animal pour conduire nos actes. Au moment d’agir, au lieu de demander conseil à nos héros — qu’auraient décidé Marc Aurèle, Lancelot ou Geronimo — on se dirait : « Et maintenant, que ferait mon chien ? Et un cheval ? Et le tigre ? Et même l’huître (modèle de placidité) ? » Les bestiaires deviendraient nos livres de conduite. L’éthologie serait promue science morale.</p>
<p>[…]</p>
<p>La contemplation, c’est le mot que les gens malins donnent à la paresse pour la justifier aux yeux des sourcilleux qui veillent à ce que « chacun trouve sa place dans la société active »•</p>
<p>[…]</p>
<p>La cabane est le lieu du <em>pas de côté</em>. Le havre de vide où l’on n’est pas forcé de <em>réagir</em> à tout. Comment mesurer le confort de ces jours libérés de la mise en demeure de <em>répondre</em> aux questions ? Je sais à présent le caractère agressif d’une conversation. Prétendant s’intéresser à vous, un interlocuteur fracasse le halo du silence, s’immisce sur la rive du temps et vous somme de répondre à ce qu’il vous demande. <mark>Tout dialogue est une lutte.</mark></p>
<p>[…]</p>
<p>Chaque calorie tirée de la pêche ou de la cueillette, chaque photon assimilé par le corps est dépensé pour pêcher, cueillir, puiser l’eau et couper le bois. L’homme des bois est une machine de recyclage énergétique. Le recours aux forêts est recours à soi-même. Privé de voiture, l’ermite marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le bois. Le principe de non-délégation concerne aussi l’esprit : <mark>privé de télé, il ouvre un livre</mark>. […] Le communisme de la cabane consiste à refuser les intermédiaires. L’ermite sait d’où vient son bois, son eau, la chair de ce qu’il mange et la fleur d’églantier qui parfume sa table. Le principe de proximité guide sa vie. Il refuse de vivre dans l’abstraction du progrès et de ponctionner une énergie dont il ignore tout. Être moderne : refuser de se préoccuper de l’origine des bienfaits du progrès.</p>
<p>[…]</p>
<p>En Russie, pour signifier qu’on s’en fout, on dit <q>mnie po figou</q>. Et on appelle « pofigisme » l’accueil résigné de toute chose. Les Russes se vantent d’opposer leur pofigisme intérieur aux convulsions de l’Histoire, aux soubresauts du climat, à la vilénie de leurs chefs. Le pofigisme n’emprunte ni à la résignation des stoïciens ni au détachement des bouddhistes. Il n’ambitionne pas de mener l’homme à la vertu sénéquienne ne de dispenser des mérites karmiques. Les Russes demandent simplement qu’on les laisse vider une bouteille aujourd’hui parce que demain sera pire qu’hier. Le <em>pofigisme</em> est <mark>un état de passivité intérieure corrigée par une force vitale</mark>. Le profond mépris envers toute espérance n’empêche pas le pofigiste de rafler le plus de saveur possible à la journée qui passe.</p>
<p><cite><em>Dans les forêts de Sibérie</em>, Sylvain Tesson</cite></p>
</blockquote>
<p>Ce livre est presque trop bien écrit pour réussir à entrer dedans, sans compter la romanticisation de l’isolement. C’est la première fois que cela m’arrive et c’est troublant. Peut-être que cela se produit lorsqu’on reste dans une cabane trop longtemps… à garder en mémoire.</p>

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> […]
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> La cabane est le lieu du *pas de côté*. Le havre de vide où l’on n’est pas forcé de *réagir* à tout. Comment mesurer le confort de ces jours libérés de la mise en demeure de *répondre* aux questions ? Je sais à présent le caractère agressif d’une conversation. Prétendant s’intéresser à vous, un interlocuteur fracasse le halo du silence, s’immisce sur la rive du temps et vous somme de répondre à ce qu’il vous demande. ==Tout dialogue est une lutte.==
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> […]
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> Chaque calorie tirée de la pêche ou de la cueillette, chaque photon assimilé par le corps est dépensé pour pêcher, cueillir, puiser l’eau et couper le bois. L’homme des bois est une machine de recyclage énergétique. Le recours aux forêts est recours à soi-même. Privé de voiture, l’ermite marche. Privé de supermarché, il pêche. Privé de chaudière, son bras fend le bois. Le principe de non-délégation concerne aussi l’esprit : ==privé de télé, il ouvre un livre==. […] Le communisme de la cabane consiste à refuser les intermédiaires. L’ermite sait d’où vient son bois, son eau, la chair de ce qu’il mange et la fleur d’églantier qui parfume sa table. Le principe de proximité guide sa vie. Il refuse de vivre dans l’abstraction du progrès et de ponctionner une énergie dont il ignore tout. Être moderne : refuser de se préoccuper de l’origine des bienfaits du progrès.
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> En Russie, pour signifier qu’on s’en fout, on dit <q>mnie po figou</q>. Et on appelle « pofigisme » l’accueil résigné de toute chose. Les Russes se vantent d’opposer leur pofigisme intérieur aux convulsions de l’Histoire, aux soubresauts du climat, à la vilénie de leurs chefs. Le pofigisme n’emprunte ni à la résignation des stoïciens ni au détachement des bouddhistes. Il n’ambitionne pas de mener l’homme à la vertu sénéquienne ne de dispenser des mérites karmiques. Les Russes demandent simplement qu’on les laisse vider une bouteille aujourd’hui parce que demain sera pire qu’hier. Le *pofigisme* est ==un état de passivité intérieure corrigée par une force vitale==. Le profond mépris envers toute espérance n’empêche pas le pofigiste de rafler le plus de saveur possible à la journée qui passe.
>
> <cite>*Dans les forêts de Sibérie*, Sylvain Tesson</cite>


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