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title: Ostéopathe, je n’en garderai que le nom url: https://scribe.rip/@laurentlouat/ost%C3%A9opathe-je-nen-garderai-que-le-nom-fd14316bc871 hash_url: b2c5ca7e92 archive_date: 2024-05-20 og_image: description: Cette rupture est symbolique. Mais les dérives sont quant à elles réelles. N’oubliez pas, ne pas se positionner, c’est cautionner. favicon: https://scribe.rip/favicon.ico language: fr_FR

Si je prends la parole aujourd’hui, c’est que je pense que mon parcours et mon cheminement intellectuel peuvent servir à d’autres confrères qui, je le sais, sont nombreux à être passés par mes différentes situations.

Lorsque je suis entré en études d’ostéopathie, j’étais certain de commencer un cursus scientifique qui m’amènerait à être une profession de santé respectable.

Cela correspondait parfaitement à mon idéal de carrière. J’avais trouvé un métier dans la santé où j’allais pouvoir aider des gens, et ce, directement avec mes mains.

Le début de mon cursus se passe bien. Les enseignements théoriques (anatomie, physiologie, biomécanique, etc.) me confortent dans mon choix et me font sentir que je suis dans un cursus sérieux qui va m’amener à une profession dans cette même continuité.

Puis, au fur et à mesure du cursus, les cours réellement d’ostéopathie font leur arrivée.

On parle beaucoup de Still, le fondateur de l’ostéopathie, de toute la philosophie associée à cela. Puis, des professeurs charismatiques interviennent petit à petit pour nous faire part de leur expérience et nous former à l’ostéopathie qui n’est selon eux qu’une application de l’anatomie et de la physiologie.

Comment remettre cela en question alors ?Ce ne sont que les lois de la science.

Nous commençons à apprendre à sentir avec nos mains des problèmes chez les patients. Des mouvements imperceptibles pour nous, jeunes étudiants, qui regardions ébahis ces anciens qui étaient capables de sentir des choses incroyables. Ils nous expliquent que nous allons petit à petit apprendre à trouver la cause des problèmes. Que la médecine est le plus souvent symptomatique et que nos mains et notre raisonnement nous permettront d’aller plus loin que les symptômes.

Je me vois encore rentrer chez moi et dire à mes parents tout fiers que j’allais bientôt sentir des choses que seul moi pourrais sentir et que j’allais trouver la cause de tous les maux.

C’était si séduisant sur le papier.

Puis j’ai eu la chance de croiser certains professeurs « différents », qui m’ont introduit des notions d’esprit critique par rapport à ce qu’on pouvait nous raconter.

La plupart des étudiants n’en ont pas tenu compte. « Rolala il nous énerve avec ses études scientifiques »

Mais la graine était bien semée, ici, dans un petit coin de ma tête, prête à germer.

Curieux, je décide alors de m’intéresser à ces études scientifiques, à ce que pense vraiment la médecine de notre profession. Je découvre que ce que je pensais comme acquis n’est en fait accepté que par nous, ostéopathes.

Forcément, au départ, la défiance est de mise. Comment ces ostéopathes avec 40 ans de carrière pourraient-ils dire des bêtises ? Ces médecins sont corporatistes et de mauvaise foi, ils veulent garder le monopole de la santé et nous éliminer !

Fort heureusement, mon esprit rationnel prend rapidement le dessus. Au fur et à mesure de mes recherches, je découvre la notion de biais cognitif, la différence entre corrélation et causalité, et je me rends compte petit à petit du nombre d’incohérences dans ce que j’ai appris.

J’ai la chance également de vivre des moments importants dans mon cheminement de pensée.

Je remercie d’ailleurs encore chaleureusement ce chirurgien digestif à Léon Bérard, qui, lors d’un stage d’observation au bloc opératoire, m’a permis une prise en conscience brutale en me montrant directement sur le patient opéré le fameux petit épiploon que nous avions pourtant appris à « étirer » à l’école.

S’en était trop.

Je suis en 4ème année d’études, je remets tout en question. On m’a menti. Je suis énervé. On m’a pris pour un imbécile.

J’ai bientôt fini mon cursus, impossible alors de faire marche arrière et aucune passerelle n’existe.

Et là, comme une sorte d’auto-thérapie pour sauver ma dissonance cognitive, je me mets à passer ma vie sur PubMed.

« Ok on nous a raconté des bêtises, mais je suis sûr qu’il existe des données qui expliqueront pourquoi les patients sont soulagés par l’ostéopathie »

Je veux réinventer l’ostéopathie, la sauver, ou en fait plutôt avec du recul : me sauver.

Et des données, il en existe. Je me persuade alors que tout est une question d’explication. Il suffit d’avoir des explications rationnelles et scientifiques pour expliquer nos résultats en ostéopathie et l’ostéopathie deviendra une science et une profession de santé.

Je milite sur les réseaux pour cette cause, je publie toutes les semaines des articles, je fais un mémoire solide, je rédige même un livre pour expliquer scientifiquement pourquoi et comment l’ostéopathie fonctionne. Je m’engage même en politique dans l’association étudiante de la profession pour essayer de faire bouger les choses au niveau institutionnel.

Puis le diplôme arrive, ça y est, je suis ostéopathe.

Fier d’être un ostéopathe « moderne », je continue de militer et de me revendiquer comme tel.

Je sens que ça prend, des ostéopathes prennent la parole à ce sujet sur internet, les comptes Instagram d’ostéo « EBP » fleurissent, je me dis « ça y est, l’ostéopathie va enfin changer ».

Ce militantisme va même beaucoup m’aider au niveau professionnel. J’accède à des milieux médicaux pourtant historiquement hostiles et fermés aux ostéopathes. Je sens que les choses bougent, évoluent.

Bref tout me conforte dans cette croisade pour sauver l’ostéopathie.

Mais faut-il défendre l’indéfendable ?

Je rencontre un jour à un congrès, Arthur, le fondateur de la page ODEC (ostéopathie – dérives et esprit critiques), nous échangeons ensuite régulièrement et ses positions m’intéressent.

La seule différence dans son action, c’est que moi je voulais sauver l’ostéopathie alors que lui voulait la quitter, la dénoncer.

Curieux, je m’intéresse à ses travaux. J’ai du mal à saisir ce que je pensais être parfois un peu extrémisme. En soi, il suffit de faire évoluer les connaissances comme par le passé en médecine et l’ostéopathie pourra enfin devenir une science.

Mais je m’aperçois petit à petit que la réalité est bien plus obscure. Et là, c’est le début de ma deuxième déception après la première vécue durant mes études.

Je m’aperçois déjà qu’il existe un biais de représentativité. À force d’échanger avec des gens qui pensaient comme moi, je m’étais persuadé que tous les ostéopathes commençaient à se remettre en question. Quelle naïveté de ma part. Je m’aperçois que quasiment l’ensemble de la profession nous est hostile. On nous traite de médecins ratés, de faux ostéopathes, de fermés d’esprit, de petits jeunes orgueilleux qui pensent tout savoir, de scientifistes.

Je suis rejetés de ce que je considérais pourtant comme « ma famille », de ceux que je m’évertuais pourtant à défendre.

Mais encore, si ce n’était que ça…

Les travaux d’Arthur m’alarment de plus en plus. Je découvre des choses complètement dingues. Des figures pourtant considérées comme de véritables références chez les ostéopathes balancent des dingueries.

Certains prétendent même avoir encore régulièrement des conversations avec Still (le fondateur de l’ostéopathie) qui est pourtant mort en 1917.

Je me rends compte également que de nombreux courants ostéopathiques reposent même sur des phénomènes sectaires. Je découvre le New Age, toute la spiritualité cachée qui se cache finalement derrière de nombreuses facettes de l’ostéopathie.

Je m’aperçois que tout cela est accepté depuis longtemps au niveau institutionnel. Nos syndicats ne font rien, voire même soutiennent ces personnes.

Puis je découvre les répercussions que tout cela a sur les patients. Et là, c’en est trop pour moi. Je peux encaisser beaucoup de choses quand il s’agit de ma personne. J’ai maintenant les épaules pour comprendre certaines choses et je ne me fais plus avoir comme avant.

Mais quand on touche aux patients, pour lesquels j’ai dédié ma carrière et mon engagement, je ne peux plus continuer à me voiler la face.

  • Quand les théories fantaisistes servent à justifier des techniques internes aux patientes, c’est un abus sexuel par une figure d’autorité.
  • Quand les théories fantaisistes servent à justifier des traitements pour le phimosis chez les enfants, on est plus proche de la pédophilie que de la médecine.
  • Quand les théories fantaisistes servent à profiter de la détresse des parents avec leur bébé pour leur vendre des traitements dont ils n’ont pas besoin, c’est de l’escroquerie par abus de faiblesse.
  • Quand les théories fantaisistes créent une perte de chance et un retard diagnostic chez les patients, c’est une mise en danger de la vie d’autrui.
  • Quand les théories fantaisistes ont servi à vendre des formations à des étudiants crédules qui n’arrivent pas à gagner leur vie après le diplôme, c’est de l’escroquerie en bande organisée.
  • Quand les théories fantaisistes ont servi à créer des besoins chez les patients pour qu’ils aillent voir ensuite un ostéopathe, c’est de la manipulation mentale à visée commerciale.
  • Quand les théories fantaisistes se transmettent de génération entre pères fondateurs et pères spirituels, on est plus proche de la secte que de la profession de santé.

Est-ce que j’ai envie de défendre tout ça ? Puis-je me regarder dans la glace en défendant indirectement toutes ces pratiques ?

Ma réponse maintenant est non.

Ce que je défendais en fait depuis toutes ces années, c’est la thérapie manuelle.

D’ailleurs, aucune des études que je m’obstinais à citer ne mentionnait « osteopathy ». Les études parlent toujours de « Osteopathic MANIPULATIVE treatment », « MANUAL Therapy », « Spinal MANIPULATIVE therapy », etc.

En fait, quand on regarde de plus près les choses, la science dément tout ce qui fait la spécificité de l’ostéopathie (concept de dysfonction, MRP, crânien, liens anatomiques mécanistes farfelus, viscérales, lois de l’artère, etc.) et soutient tout ce qui est spécifique à la thérapie manuelle (efficacité des manipulations mobilisations sur plusieurs indications notamment musculo-squelettiques).

Alors pourquoi soutenir l’ostéopathie si tout ce qui reste sérieux au sein de cette thérapie n’est pas propre à l’ostéopathie ?

Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas changer de métier ?

Premièrement, je suis convaincu qu’il existe une place dans le monde de la santé pour une thérapie manuelle exclusive. La seule profession de santé qui s’en rapproche est celle de kinésithérapie, mais la thérapie manuelle est utilisée dans ce cadre-là comme un outil parmi d’autres durant une « rééducation orthopédique » s’étalant sur de nombreuses séances (je ne parle là que du champ d’intervention qui se rapproche de ce qu’on fait en thérapie manuelle, il existe plein d’autres spécialités en kinésithérapie). On parle alors, dans ce cas-là, de mobilisation articulaire de type « gymnastique médicale » visant à faire retrouver son autonomie au patient après une pathologie, une chirurgie, etc.

Deuxièmement, il faut savoir que la réorientation est un luxe que peu d’ostéopathes peuvent se permettre étant donné l’absence de passerelle et de reconnaissance de notre diplôme au niveau universitaire.

Enfin, il faut malgré tout reconnaître que le titre d’ostéopathe offre une liberté qui peut être utilisée heureusement à bon escient pour mettre en place des prises en charge de qualité (temps de consultation libre, tarification libre, liberté d’installation, etc.).

Pour finir, je ne souhaite pas pour autant cracher dans la soupe concernant ma formation. Cela va peut-être vous étonner, mais je tiens à remercier mon école qui a su me fournir tous les outils nécessaires pour avoir un esprit critique (certains professeurs sortaient vraiment du lot, nombreux stages dans le monde médical qui m’ont permis de découvrir ce qu’était vraiment le monde de la santé, un enseignement théorique hors ostéopathie vraiment solide). On met souvent tout sur le dos des écoles, mais j’ai vécu le même enseignement que mes camarades avec les mêmes outils pour me rendre compte de tout ça… et pourtant un bon nombre d’entre eux ont filé dans l’ésotérisme tête baissée.

Aujourd’hui, je garde mon titre d’ostéopathe d’un point de vue administratif (code APE, URSAFF, INSEE, remboursements mutuelles, référencement vis-à-vis des patients, etc.). Je n’ai pas de solutions parfaites pour demain. J’espère que les autorités se saisiront du problème et trouveront une solution rapidement.

En attendant, je souhaite promouvoir la thérapie manuelle, dans une démarche éthique et scientifique, car je suis convaincu que celle-ci a toute sa place dans le système de santé français.

Cette rupture est symbolique. Mais les dérives sont quant à elles réelles. N’oubliez pas, ne pas se positionner, c’est cautionner.