title: A Fresnes, de jeunes passionnés d’informatique “ hackent ” les codes de l’entreprise
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Agés de 19 ans à 26 ans, ils partagent une maison et leurs compétences au service de Seed-Up, une start-up créée à la fin de 2015, spécialisée dans le développement de sites Internet, d’applications et autres nouvelles technologies. Le concept, né dans la Silicon Valley, s’est exporté en Allemagne et en Angleterre avant d’être reproduit en France.
L’idée est née en 2014 à la suite d’une rencontre entre Paul Poupet, 24 ans, aujourd’hui patron de la jeune entreprise et Robin Lambertz, 20 ans, diplômé de l’Ecole 42 – fondée par Xavier Niel, par ailleurs actionnaire à titre personnel du Monde –, à l’occasion d’un hackaton, ces compétitions où les informaticiens développent une idée en quarante-huit heures. Elle a ensuite pris forme dans la bibliothèque de l’Ecole centrale Paris, en septembre 2015, avec l’aide de Benjamin Poilvé, 25 ans, cofondateur de la start-up, ingénieur en systèmes avancés, diplômé de la filière entrepreneur de l’Ecole centrale Paris et de l’Ecole nationale supérieure de création industrielle (Ensci).
Une fois le projet lancé, et presque 20 000 euros de prêts bancaires plus tard, ils sont suivis par Edouard Malet, 23 ans, diplômé de l’Ecole centrale, puis par Eric Delanghe, 19 ans et Mickael Barbarin, 26 ans, tous deux diplômés de l’Ecole 42.
Environ 40 % de leur temps est consacré aux commandes des clients. Les 60 % restants le sont au développement de projets personnels. Avec pour objectif de diminuer petit à petit la part consacrée aux commandes extérieures pour focaliser l’activité de l’entreprise sur les projets.
Très vite, ils ont dû augmenter la cadence pour répondre aux commandes, et il a fallu renforcer l’équipe, trouver de la main-d’œuvre qualifiée et rentable. Trois stagiaires ont renforcé les troupes, pour six mois. « On commence, donc c’est une question de coût », assume Paul Poupet, qui ne tarde pas à prévenir : « Ici, c’est dur et il faut faire sa place. Si une personne n’est pas assez bonne, elle risque de se faire bouffer par les autres. »
A l’image d’une colocation, tout est fait en commun. « Le rituel du matin, c’est réveil aux alentours de 10 heures, enfin, quand on n’est plus fatigué, chercher les œufs, faire le café et les gaufres », précise-t-il, fier de la double friteuse, « indispensable pour bien travailler ». Le soir, vers 22 heures, tout ce petit monde dîne, assis dans un canapé d’angle situé au fond de la pièce, derrière les écrans d’ordinateurs, les fers à souder et les enceintes connectées.
Dans les chambres, les paires de chaussettes sales et les baskets s’accumulent, mêlées à de la paperasse. Depuis les fenêtres, les pommiers et les cerisiers donnent au jardin un air de campagne. Seules des chaises disposées en cercle autour d’un tableau indiquent la présence d’une « salle de réunion ». Quelques herbes hautes plus loin, sous la véranda du jardin, une table de ping-pong jouxte des fûts de bière et un barbecue équipé d’un aspirateur « avec un circuit inversé, pour qu’il souffle au lieu d’aspirer ».
Au milieu du salon, qui fait office d’open space – un espace de travail partagé –, entre les algorithmes dessinés à la craie sur le mur transformé en tableau et un agenda bien rempli, une grosse aiguille rouge est figée au milieu d’un cadran en carton.
« On a piraté le site Internet de la RATP pour que notre horloge indique l’heure de passage du bus. Mais avec un système de requêtes automatiques toutes les cinq secondes, on a été repérés rapidement », explique Benjamin Poilvé. Sur son bureau, posés pêle-mêle, un pistolet à élastiques chargé et des petites figurines en plastique à l’effigie de ses collègues ont été fabriqués à l’aide d’une imprimante 3D.
« On travaille tous les jours, samedi et dimanche compris. »
Mais si la maison rappelle une auberge espagnole, et bien que tous se tutoient et se baladent pieds nus, l’ambiance est studieuse. Les heures de travail s’enchaînent souvent jusqu’à une heure avancée de la nuit. Les projets doivent être rendus à temps. « Même s’il y a une marge de tolérance et que l’on fait des barbecues le dimanche, personne ne ramène dix potes. D’ailleurs, on travaille tous les jours, samedi et dimanche compris », lance Paul Poupet à ses employés, en guise de rappel. Un manège qui n’a pas échappé aux voisins, habitués à voir « de la lumière à tous les étages en permanence et les jeunes pianoter sur leurs claviers comme des fous ».
A la frontière entre une flexibilité du travail d’inspiration libérale assumée, inspirée d’un modèle entrepreneurial porté par Emmanuel Macron, ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, et la revendication d’une plus grande horizontalité dans les rapports hiérarchiques, défendue notamment par les « nuitdeboutistes », le modèle du jeune entrepreneur est dans l’air du temps. Et cela convient à ses stagiaires, qui n’écartent cependant pas la possibilité de retourner travailler dans une entreprise au mode de fonctionnement plus vertical.
« Même si on est mal payés par rapport au temps que l’on passe à bosser, je suis beaucoup plus impliqué dans mon travail que je ne l’étais dans les grandes entreprises pour lesquelles j’ai travaillé, explique Hamid Djennaoui, 26 ans, stagiaire responsable de toute l’interface graphique des projets, diplômé de Strate, une école de design, en formation à l’école d’informatique Sup info. Le système hiérarchique très vertical des grosses sociétés empêche d’être force de propositions. Au moins, ici, il ne faut pas attendre des semaines pour avoir les outils nécessaires et être impliqué dans un projet. J’apprends beaucoup en échangeant avec les autres, qui sont à portée de main. Il n’y a pas de discussion stérile, donc on avance beaucoup plus vite. »
« On ne s’intéresse pas à l’école ni à l’âge, mais aux compétences. »
Le recrutement, très sélectif, ne laisse pas de place au hasard, et la décision d’embauche est collective. « Il y avait de très bons profils que l’on a refusé car on doit vivre avec eux », précise Paul Poupet. Après examen du curriculum vitae, les candidats planchent, jusqu’à quatre heures, sur des sujets techniques de développement informatique, avec l’aide des potentiels futurs colocataires. « On ne s’intéresse pas à l’école ni à l’âge, mais aux compétences et à l’envie de partager un lieu où le vivre-ensemble a du sens », précise-t-il.
« J’ai trouvé l’offre sur une page Facebook, se souvient Amine Liazadi, 23 ans, stagiaire, diplômé d’une licence de mathématiques et d’informatique de l’université de Tizi-Ouzou (Algérie), étudiant à l’université de Paris-Créteil. Après l’entretien, j’ai été rappelé pour un dîner, la dernière étape du recrutement. » Elisa Desbrosses, 19 ans, étudiante à l’IUT de Besançon (Doubs), stagiaire chargée de la communication, est la seule fille à bord à avoir parcouru le même chemin du combattant avant d’être recrutée.
Même si les bénéfices ne sont pas encore suffisants pour fournir au jeune entrepreneur un salaire, les comptes sont à l’équilibre et lui permettent de régler les payes de tous les employés, les 2 000 euros de loyer, de remplir le réfrigérateur pour le mois et de réinvestir dans du matériel.
Un investissement qui commence à porter ses fruits. Depuis le mois de décembre 2015, quatre applications sont sur les rails, dont deux qui se démarquent : Hawker ambitionne de transformer le texte d’un journal en données audio, grâce à une voix de synthèse ; BeTheSound est une application gratuite permettant de synchroniser tous les appareils audio d’une pièce, qu’il s’agisse d’un ordinateur, d’une vieille enceinte ou d’un téléphone portable. Cette application a été récompensée par le « coup de cœur du jury » du Startup Weekend, organisé par l’Ecole polytechnique, et a reçu le prix créateur d’avenir du concours Petit Poucet, un incubateur qui repère les start-up prometteuses.