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title: Sylvain Tesson : les vers de la réaction url: https://comptoir.org/2024/03/11/sylvain-tesson-les-vers-de-la-reaction/ hash_url: d767413ad4 archive_date: 2024-03-17 og_image: https://comptoirdotorg.files.wordpress.com/2024/03/sylvain-tesson.png description: La rentrée littéraire de ce début d’année 2024 fut marquée – comme presque chaque année désormais – par la parution d’un nouveau récit de voyage de Sylvain Tesson, doublé d’une polémique sur sa nom… favicon: https://secure.gravatar.com/blavatar/d516daa7fb122f031098a3523884605516add46cc63f1940d3e69aa42056b5c2?s=32 language: fr_FR

La rentrée littéraire de ce début d’année 2024 fut marquée – comme presque chaque année désormais – par la parution d’un nouveau récit de voyage de Sylvain Tesson, doublé d’une polémique sur sa nomination comme parrain du Printemps des poètes. Succès littéraires à répétition, les livres de l’auteur disent quelque chose du besoin de sensible, de beauté, de romantisme de nos contemporains, dans un monde toujours plus calculable et maîtrisé. Mais derrière la silhouette iconique de l’écrivain-voyageur tessonien se cache une recette commerciale bien huilée, au service d’une idéologie ouvertement réactionnaire.

Raconter le sensible et le beau

Le succès rencontré par les ouvrages de Sylvain Tesson, écrivain-voyageur, est le reflet d’une époque en mal de beauté et de « lignes de fuite ». Il est facile au lecteur découvrant la prose tessonienne de se laisser emporter par cette langue ciselée, ce sens de l’aphorisme qui a fait sa renommée, ses formules ramassées et poétiques. La proposition que Tesson déroule au fil de ses livres est en effet séduisante : devant l’empire toujours plus étendu de la laideur, du calculable et du consommable, fuir par les interstices et contempler la beauté du monde reste notre seule option. Prendre la poudre d’escampette par les « chemins noirs » [1] pour « vivre maigre sous les voies lactées » plutôt que « ruminer au chaud dans la moiteur de ses semblables » [2].

Tout rêveur ayant un jour voulu fuir par les sentiers sait ce qu’il doit à Tesson. Formidable passeur, ses récits bruissent d’aventure, de voyage et de vieux poètes, de géographie et de sublimes paysages. Dans une société faite de réalité virtuelle, d’intelligence artificielle et d’objets connectés, la lecture des récits de Tesson peut infléchir le cours d’une vie et ouvrir au lecteur la porte de la randonnée et du bivouac, la recherche de l’aventure au coin de la rue, la quête d’un ailleurs, dans un pouce levé, dans une nuit à la belle étoile, dans un train de nuit pour Rijeka. Contre l’accélération et le désenchantement du monde, les livres de Tesson ont le goût, à défaut d’antidote, d’un antidouleur à base de lenteur et de recueillement.

Lire Tesson, c’est aussi appréhender une certaine critique esthétique de la modernité. Alors que nombre d’auteurs s’emploient utilement à déployer des critiques économiques, sociales, écologiques, féministes ou culturelles de la modernité capitaliste, l’approche esthétique et sensible du monde (c’est-à-dire une lecture du monde au prisme de nos sens, de nos perceptions, de notre idée de la beauté) peut sembler un champ parfois délaissé par la théorie critique. Des écrivains comme Tesson déplorant les effets néfastes de « l’aménagement du territoire » sur la beauté de nos paysages peuvent ainsi apporter un certain supplément d’âme qui parfois manque aux froides critiques de l’ordre établi. Comme l’écrit Evelyne Pieiller, il s’agit, chez Tesson comme chez d’autres, « de dénoncer et de refuser ce qui ôte à l’humain sa capacité d’éveil à plus grand que lui » [3]. Il s’agit aussi de se souvenir que « nous ne sommes pas seuls » sur cette planète[4], comme Tesson en fait la découverte au Tibet sur les traces de la panthère des neiges : « j’ai traversé le monde, j’étais regardé et je n’en savais rien. »[5] Cet appel à remettre l’humain à sa juste place dans le monde, par-delà son hubris conquérant et dominateur, résonne avec les préoccupations écologiques contemporaines.

« Contre l’accélération et le désenchantement du monde, les livres de Tesson ont le goût, à défaut d’antidote, d’un antidouleur à base de lenteur et de recueillement. »

Éloge du singulier, production du même

Cependant, au fil des ouvrages commis par l’écrivain depuis une vingtaine d’années, les ficelles du « phénomène Tesson »[6] apparaissent désormais de plus en plus grossières. 2024 : nouvelle année, nouveau récit. Cette fois, ce sera une escapade en voilier le long des côtes atlantiques, de la Galice à l’Écosse, à la recherche des « fées », de cette « qualité du réel révélée par une disposition du regard »[7]. La recette est connue. Il convient, pour cela, et dans cet ordre, de 1) prendre une idée de voyage originale : traversée de la France à pied, escapade sur les traces des évadés du goulag, séjour prolongé dans une cabane sibérienne, tour des Alpes à peaux de phoque… 2) mélanger allègrement avec des aphorismes sur la vie, la technique, l’amour, la grâce d’un paysage, la pureté de la neige, pour 3) saupoudrer le tout d’une mélasse réactionnaire fleurant bon la France d’autrefois (on y reviendra).

Résultat garanti : podium des ventes en vingt-quatre heures à peine pour Avec les fées[8]. 700.000 exemplaires écoulés pour La Panthère des neiges. Tesson est une machine à sous, et la probabilité pour ses éditeurs de gagner le jackpot avec lui est selon toute vraisemblance plus élevée que pour un interdit bancaire au casino d’Annemasse.

Écrivain médiatique, ses tournées sur les plateaux sont savamment orchestrées. Pour Avec les fées, le Français lambda qui aura regardé France 5 le mercredi soir, écouté France Inter le jeudi, ouvert Le Figaro le samedi matin avant d’entrer chez Gibert ou Decitre l’après-midi aura probablement croisé plus d’une fois le visage asymétrique de l’écrivain. Nul doute qu’un Roland Barthes de l’an 2024 pourrait d’ailleurs se livrer à une « iconographie de Sylvain Tesson » sur le modèle de celle commise par le sémiologue à propos de l’abbé Pierre : la pipe, la casquette, la face amochée, la chemise de flanelle et les godillots de marche, le verbe haut, le rictus de celui qui a vu la lumière et la nuit. Il y a un mythe Tesson, une mystique, avec ses mantras, ses fanatiques et ses aspirants.

Tesson pourtant, d’un point de vue stylistique, n’invente pas grand-chose. Il ne fait que recycler – certes avec talent, on en conviendra – des auteurs, des citations, des poètes, inopinément glissés dans le récit de sa vie de bourgeois parisien parcourant les steppes et gravissant les sommets. Il est paradoxalement (ou non) devenu le symbole du monde qu’il s’efforce de dénoncer dans ses livres : rockstar de la production mimétique d’une littérature de voyage convenue. Et au vu du succès de ses ouvrages, tant critique[9] que commercial, et de leurs multiples adaptations à l’écran, Tesson fait mouche, avec un discours qui semble universel, consensuel dans son anticonformisme et sa dénonciation des travers de l’époque. Universel et gentiment apolitique Tesson, vraiment ?

« Il y a un mythe Tesson, une mystique, avec ses mantras, ses fanatiques et ses aspirants. »

De la réaction en littérature, mode d’emploi

Si l’écrivain s’est probablement fondu dans le moule du récit de voyage nostalgique, dont il est lui désormais difficile de s’extraire, il convient de se pencher plus attentivement sur le contenu politique des écrits de l’auteur. À première vue, les descriptions des hauts plateaux tibétains ou du littoral irlandais ne semblent pas porter en eux de positionnement politique particulièrement clivant. Pourtant, force est de constater que ses multiples aphorismes et digressions sur la société contemporaine font de Tesson un écrivain engagé, qu’il s’en défende ou non. Un écrivain campé sur des thèmes et des prises de position ouvertement réactionnaires, qui ne sauraient être écartées d’un revers de main au nom de son droit à chanter la beauté des couchers de soleil et la grâce d’une montagne enneigée.

Émission « L’Heure des Pros » sur CNEWS du 19 janvier 2024

Passons brièvement sur le récent épisode, qui déclencha au mois de janvier dernier une curieuse épilepsie éditoriale chez nos confrères du Figaro pas moins de quinze articles publiés en dix jours sur le sujet – qui découvrirent tout-à-trac que la littérature pouvait être politique. Tesson nommé parrain du Printemps des poètes, c’en était trop pour 1 200 poètes et figures littéraires qui signèrent une tribune parue dans Libération pour s’opposer à cette nomination[10]. Anecdotique pétition (au demeurant discutable, là n’est pas la question) osant politiser la littérature et s’attaquer au troubadour national, c’en était bien trop pour Geoffrey Lejeune, ancien patron de Valeurs Actuelles désormais à la tête du JDD, qui en Tesson ne voit rien de moins que « le plus grand écrivain vivant ». C’en était également trop pour Luc Ferry, Pascal Bruckner, Franz-Olivier Giesbert, Éric Naulleau et autres rafraîchissants penseurs d’avant-garde qui s’offusquèrent de ces « maîtres censeurs » et de ces « rien-pensants » coupables d’un « terrorisme idéologique » mâtiné « d’épuration éthique »[11]. Les ennemis réactionnaires des ennemis de Tesson en font-ils ses amis ? En l’espèce, la positive semble clairement l’emporter.

« Tesson est paradoxalement (ou non) devenu le symbole du monde qu’il s’efforce de dénoncer dans ses livres : rockstar de la production mimétique d’une littérature de voyage convenue. »

Les écrits de Tesson sont en effet peuplés d’un imaginaire franchement réactionnaire, de diatribes et d’aphorismes contre la modernité et les valeurs qu’elles charrient, lui opposant « mépris pour l’égalitarisme » et « dandysme de celui qui ne fraie pas avec le troupeau »[12]. Russophile convaincu, l’écrivain ne cesse de rejouer au fil de ses récits la réaction contre la révolution, la lutte des nobles blancs contre les rouges. Invité sur le plateau de La Grande Librairie, l’écrivain affirme ainsi croire « davantage à l’échappée individuelle qu’à la théorie collective ». Allergique à l’idée de révolution sociale, Tesson lui préfère l’action individuelle, celle qui implique d’abord de « faire la révolution sur soi-même avant de la faire dans le monde »[13]. Sylvain Tesson est un écrivain de droite biberonné à l’anticommunisme, y associant toute aspiration égalitaire, regrettant ainsi « l’état déplorable non seulement du présent, mais aussi bien de l’avenir qui s’y prépare. […] Ce triste sort tient avant tout à la démocratie, à son pathétique idéal d’égalité, qui nivelle par le bas et conduit au triomphe des médiocres »[14].

Au beau milieu de Blanc, il nous gratifie par exemple d’une brève nouvelle sur « l’égalitarisme », qui moque un gouvernement français au pouvoir en 2050 dont le but serait d’aplanir toutes les montagnes du pays, au nom de l’égalité des territoires et de la nouvelle devise « Égalité – Égalité – Égalité ». Bien. En termes de finesse d’analyse, on aura probablement vu mieux, mais passons. On ne peut après tout pas en vouloir au fils d’un influent patron de presse de Chatou d’être le produit de sa classe sociale. Là où les choses se corsent, c’est que Tesson ne se contente pas de croiser le fer contre le péril rouge. Il charrie dans ses écrits et ses interventions un imaginaire réactionnaire assumé mais maquillé d’apolitisme, amalgamant au passage et sans scrupule terrorisme islamiste et socialisme[15] pour combattre d’un même mouvement les menaces perçues de l’islam et d’une société plus égalitaire. Subtil.

L’islam, il en est largement question dans les pages de ses ouvrages. De Géographie de l’instant à Une très légère oscillation, Tesson ne cache pas son aversion pour cette religion et, par un habile tour de passe-passe, pour ses pratiquants. On retrouve d’ailleurs dans Blanc, entre deux raccourcis sur les réfugiés qui en traversant la Méditerranée fuiraient l’islam pour se jeter dans les bras de la chrétienté, la défense d’une Europe assiégée par les dangers conjoints du communisme et de l’islam. Les pages dédiées aux Balkans, victimes de l’occupant ottoman puis du joug yougoslave, l’illustrent à merveille.

Le geste tessonien consiste plus largement à essentialiser à la hache les divers peuples rencontrés au cours de ses voyages. Ainsi de « l’âme slave » qui, au fil des pages de L’Axe du loup, Blanc ou Dans les forêts de Sibérie, se trouve maintes fois louée mais semble toutefois ramenée à un cocktail vodka-Dostoïevski qui serait inné à chaque individu né de l’autre côté du rideau de fer. Ainsi de tous les peuples qui, chez Tesson, ont des caractéristiques immuables, de toute éternité. Forcément, cette vision du monde en blocs culturels relativement étanches (la question du métissage est peu présente dans l’œuvre tessonienne) s’accompagne d’un éloge poussé des frontières. Il n’y a qu’à parcourir le répétitif Blanc pour s’en convaincre. Pourtant, Tesson le géographe formé à l’Institut français de Géopolitique, élève d’Yves Lacoste, semble vite oublier que la frontière joue aussi un rôle ambivalent, entre fermeture et ouverture, une fonction d’interface, zone de contact et d’échanges.

« Un écrivain campé sur des thèmes et des prises de position ouvertement réactionnaires, qui ne sauraient être écartées d’un revers de main au nom de son droit à chanter la beauté des couchers de soleil et la grâce d’une montagne enneigée. »

Prompt à faire l’éloge de la frontière comme marqueur d’exclusion, Tesson l’est aussi à manifester une indignation à géométrie pour le moins variable. Si ses écrits et interventions médiatiques ne manquent pas de dénoncer à juste titre le sort tragique des Arméniens au cours de l’histoire (du génocide de 1915 à l’annexion du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan), on aura beau cherché quelques mots d’empathie sur la destinée non moins tragique des Rohingyas ou des Palestiniens, en vain. En effet, il aura peut-être échappé au lecteur paresseux que l’Arménie constitue « un verrou chrétien au milieu de l’ancien Empire ottoman », et que bien entendu « la chute du poste avancé préfigure toujours celle du donjon central »[16]. Défendre les Arméniens, non pas au nom de leurs droits humains à vivre en paix – comme on défendrait les Ouïghours ou les Kurdes absents des écrits de Tesson – mais bien plutôt comme dernier bastion d’une chrétienté menacée par un péril civilisationnel venu d’Orient ? On n’oserait y croire.

Les liens tant idéologiques qu’interpersonnels qu’entretient Tesson avec l’extrême-droite la plus haïssable sont attestés, comme en témoigne l’enquête fouillée du journaliste François Krug parue l’an dernier[17]. On pourrait aussi mentionner les références littéraires pour le moins douteuses mobilisées par l’écrivain-voyageur, à l’instar de Paul Morand, régulièrement cité, qui deux fois eut la gloire d’être nommé ambassadeur par Pétain avant de devoir fuir la France à la Libération. Mais bien sûr, littérature et politique sont deux mondes aussi étanches que l’Occident et l’Orient, et l’on serait bien mal intentionné de lire Morand, Jünger, Barrès, Raspail ou Céline en ayant à l’esprit leurs accointances avec ce que la droite a pu produire de pire.

Sylvain Tesson, comme ses illustres prédécesseurs, a bien entendu le droit de penser comme il l’entend, et nul ne lui en tiendra rigueur d’avoir choisi son camp, celui de la réaction. Mais il serait intellectuellement malhonnête de ne pas le considérer pour ce qu’il est : un écrivain engagé. Tesson n’est malheureusement pas qu’un simple vagabond mélancolique esseulé dans un siècle qu’il abhorre, lui préférant nettement l’utopie féodale du XIIe siècle (qui lui jetterait la pierre ?)[18], il est un auteur politisé traçant dans ses écrits les contours pessimistes d’une humanité repliée sur elle-même, où les nations se savent et s’affrontent de toute éternité, où l’alliance du paganisme celtique et de la chrétienté sont l’unique essence de l’Europe, où la possibilité d’un salut collectif n’est ni abordée ni souhaitée, où seuls quelques bourgeois nostalgiques peuvent parcourir les décombres d’un monde en feu pour en apprécier les dernières lueurs. Et tant pis pour les autres. Pour la masse qui, obnubilée par les écrans, n’aura pas su voir la lumière.

« Tesson ne cache pas son aversion pour l’islam et, par un habile tour de passe-passe, pour ses pratiquants. »

Garder la beauté et jeter tout le reste

Éditions Libertalia, 2019, 104 p.

Pourtant, défense de la beauté ne rime pas nécessairement avec nostalgie réactionnaire. Un certain romantisme esthétique peut aller de pair avec la remise en cause de l’ordre établi, et un discours écologiste politisé. Ainsi de Corinne Morel Darleux qui, dans ses essais Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ou plus récemment Alors nous irons chercher la beauté ailleurs, fait de la défense de la beauté la pierre angulaire du combat anticapitaliste. La fuite y est représentée non pas comme une échappée individuelle fleurant bon l’égoïsme aristocratique mais comme un véritable acte politique, un refus de parvenir dans un monde où la réussite sociale se définit selon des critères ne reflétant que lointainement l’intérêt commun. Pour Morel Darleux, le besoin d’être exposé à la beauté, les revendications esthétiques ont une véritable portée politique et collective, contre le gris des banlieues et le morne des zones périurbaines[19].

Ainsi de Lordon qui trace également dans ce sens en prêchant un « communisme du luxe »[20]. Ainsi d’autres auteurs, contemporains ou plus lointains, qui s’emploient à montrer où la beauté peut encore se cacher aujourd’hui. Dans le quotidien le plus banal des romans de Nicolas Mathieu ou François Bégaudeau. Dans les luttes et aventures collectives des fresques d’Alain Damasio. Dans le mystère des poèmes de Cécile Coulon. Dans tout ce que la littérature peut aussi produire de beau et de généreux à la fois.

En se voulant à contre-courant de l’air du temps, Tesson reflète mieux que personne les paradoxes et contradictions de l’époque. Son succès témoigne, d’une certaine manière, de la volonté croissante de nos contemporains de s’extraire d’un système capitaliste qui transforme toute chose en marchandise et ne fait que peu de cas de la beauté du monde – sinon une marchandise de plus. Mais sa littérature – qui, elle, s’accommode largement des logiques de production du marché culturel – accompagne la droitisation rampante des esprits et du débat public.

« Un certain romantisme esthétique peut aller de pair avec la remise en cause de l’ordre établi, et un discours écologiste politisé. »

Il ne s’agit bien sûr pas d’interdire Tesson, comme s’en offusquent d’honorables éditorialistes du Figaro. Les discours réactionnaires ont encore largement droit de cité, et de plus en plus, merci pour eux. Il s’agit simplement de démasquer l’idéologie cachée derrière la poésie tessonienne, pour mieux combattre ses idées. Tesson nous offre peut-être une bouée de sauvetage dans un monde toujours plus laid, jetable, bétonisé. Mais avec une bouée de ce type, d’aucuns préféreront sûrement s’administrer le conseil de Morel Darleux : plutôt couler en beauté que flotter sans grâce.

Arthus Fabliaut

Nos Desserts :

Notes

[1] Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs, Gallimard, Paris, 2016

[2] Sylvain Tesson, La panthère des neiges, Gallimard, Paris, 2019

[3] Evelyne Pieiller, « La gauche en quête d’un supplément d’âme », Le Monde Diplomatique, décembre 2019

[4] La chanson-phare de la bande originale du film La Panthère des neiges, écrite par Tesson, s’intitule « We are not alone »

[5] Marie Amiguet et Vincent Munier, La panthère des neiges, Paprika Films, Kobalann, Le Bureau, Arte France Cinéma, 2021

[6] Pierre Vavasseur, « Sylvain Tesson, le phénomène des librairies avec La Panthère des neiges », Le Parisien, 21 novembre 2019

[7] Sylvain Tesson, Avec les fées, Editions des Équateurs, Paris, 2019

[8] Libération, « Top des ventes de livres : Tesson fait le mur », Libération, 13 janvier 2024

[9] Sylvain Tesson a notamment obtenu le prix Renaudot en 2019 pour La panthère des neiges alors même que l’ouvrage ne figurait pas dans la liste des sélectionnés

[10] Un collectif de plus de 1200 poètes et auteurs, « Nous refusons que Sylvain Tesson parraine le Printemps des poètes », Libération, 18 janvier 2024

[11] Collectif, « Pour Sylvain Tesson, au nom de l’imprescriptible liberté de parole et de pensée », Le Point, 22 janvier 2024. Les expressions « rien-pensants » et « épuration éthique » sont tirées d’un article du Figaro

[12] Evelyne Pieiller, « La réaction, c’était mieux avant », Le Monde Diplomatique, août 2023

[13] Sylvain Tesson, Géographie de l’instant, Éditions des Équateurs, Paris, 2012

[14] Evelyne Pieiller, op. cit.

[15] Sylvain Tesson, « Le journal de Sylvain Tesson : porter haut l’étoile », Le Point, 18 novembre 2023. Dans cet édito du 18 novembre 2023, l’écrivain « s’inquiète retournement des consciences qui transforme l’État hébreu, victime sanglante, en coupable »

[16] Valérie Toranian, « Sylvain Tesson : ‘L’Arménie est un éclat de nous-mêmes fiché dans l’Orient’ », Revue des Deux Mondes, 6 décembre 2022

[17] François Krug, Réactions françaises. Enquête sur l’extrême droite littéraire, Seuil, Paris, 2023

[18] Alexandre Demidoff, « Sylvain Tesson : ‘Je suis de tous les réseaux asociaux’ », Le Temps, 1er juin 2018

[19] Corinne Morel Darleux, Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce, Libertalia, Montreuil, 2019

[20] Frédéric Lordon, Figures du communisme, La Fabrique, Paris, 2021