A place to cache linked articles (think custom and personal wayback machine)
Nelze vybrat více než 25 témat Téma musí začínat písmenem nebo číslem, může obsahovat pomlčky („-“) a může být dlouhé až 35 znaků.

index.md 32KB

title: Un Web sous surveillance, conf au Capitole du Libre 2016 url: https://www.miximum.fr/blog/conf-cdl-2016/ hash_url: 858e0a4422

Ce billet est la transcription de la conférence « Un Web sous surveillance » donnée le 19 novembre à Toulouse au Capitole du Libre.
</p>
<div itemprop="articleBody">
<h1>Introduction</h1>

Quand j’étais petit, je voulais être dictateur. Pour pouvoir tout savoir sur tout le monde. Comme Dieu, le Père Noël ou Mark Zuckerberg.

Imaginez le pouvoir à ma disposition si je pouvais connaître toutes vos pensées les plus intimes, fouiller dans les recoins de vos disques durs ou consulter l’historique intégral de votre navigation sur le Web.

Ce fantasme de l’omniscience est aujourd’hui à la portée de tous, puisque nous sommes entrés dans l’aire de la surveillance généralisée.

Les données que vous laissez sur le Web

Dans notre usage quotidien du Web, nous générons des sommes de données astronomiques.

D’abord, il y a les données que nous livrons volontairement aux services que nous utilisons. Aujourd’hui tout est stocké en ligne, toutes les démarches se font sur le Web, on va publier nos photos, nos emails, notre agenda, nos documents, nos tweets, nos posts Facebook, c’est déjà a peu près toute notre vie.

Ensuite, il y a les données que nous communiquons nous-même, mais sans forcément en avoir conscience, ou sans avoir conscience que ce sont des données exploitables. Quand vous cliquez sur un bouton de partage sur un site Web, vous donnez des indications sur vos centres d’intérêt. Quand vous vous connectez au wifi depuis votre smartphone, le mot de passe sera stocké sur les serveurs de Google ou Apple. Quand vous postez une photo de vous sur Facebook, vous communiquez en fait la signature de votre visage. Quand vous vous connectez sur une page Web, votre navigateur envoie un grand nombre d’information sur la configuration de votre machine. La liste est sans fin.

Ensuite, il y a les données que d’autres publient à votre place sans votre consentement. Quand vous envoyez un mail à quelqu’un qui utilise gmail, vos conversations privées se retrouvent sur les serveurs de Google. On a tous cet « ami » qui ira publier des photos de vous bourré en chemise à fleurs sur Facebook et tagguer votre visage. Il suffit que vos relations enregistrent votre numéro dans leur carnet d’adresse pour que Facebook sache que vous êtes connectés.

Il y a ensuite les données qu’on peut obtenir par des moyens détournés. Par exemple, la Google Car qui emprunte toutes les rues du monde pour prendre les photos pour Google Street View va en même temps permettre à Google de géolocaliser tous les réseaux Wifi. Il y a la surveillance et l’espionnage : depuis Snowden, on sait que même les plus paranos étaient encore très en dessous de la réalité. Et puis le vol. Quand Yahoo se fait voler les informations sur 500 millions de compte, ça fait pas mal de données qui partent dans la nature. Le problème, c’est que la sécurité des systèmes d’information est un problème très difficile, et dont beaucoup d’acteurs n’ont absolument pas conscience. Il y a deux semaines, la CNIL a adressé un avertissement public au parti socialiste parce que sa plate-forme d’adhésion présentait des défauts de sécurisation et qu’il était très facile d’accéder à des informations sensibles et privées sur les adhérents. De plus en plus d’entreprises fabriquent des objets connectés qui ne respectent pas les mesures élémentaires de sécurité, et qui sont donc piratables extrêmement facilement.

Et puis, il y a le truc le plus pernicieux, ce sont les infos qu’on peut déduire ou extrapoler, en recoupant plusieurs jeux de données, en analysant les méta-données, ou en comparant vos données avec celles provenant de millions d’autres comptes.

Des chercheurs de l’université de Cambridge ont montré qu’il était possible de construire un modèle statistique qui permettait, simplement en analysant la liste de vos « like » Facebook, d’établir un portrait de vous avec une précision carrément terrifiante, prenant en compte votre âge, vos préférences sexuelles, votre idéologie politique, votre orientation religieuse, la couleur de votre peau, est-ce que vous consommez de la drogue ou pas, si vous êtes épanoui dans votre travail, et même votre QI ! Et ça, juste à partir de vos « like » sur Facebook.

Mais ça, on va se dire que c’est à peu près intuitif. C’est à dire que, si j’aime plutôt les articles de Marianne ou du Figaro, on comprends pourquoi c’est révélateur quant à mes préférences politiques.

Mais il y a des cas beaucoup plus inattendus. Par exemple, savez vous que la structure du graphe de vos amis sur Facebook est un bon indicateur de la santé de votre mariage ? Simplement en regardant les relations entre les gens, Facebook est capable de dire « oui, il y a une forte probabilité que ces deux personnes soient encore en couple dans 5 ans », ou « non, il y a de l’eau dans le gaz ». Tout simplement parce que graphe va dépendre de votre vie sociale. Si vous avez beaucoup d’activités communes avec votre partenaire, vous aurez beaucoup de relations en commun.

Évidemment, ce n’est pas fiable à 100%, mais on peut imaginer que ce n’est qu’un signal parmi tant d’autres. Les entreprises qui disposent de catalogues de données entiers sur vous sont capables de recouper tous ces signaux et disposent maintenant de modèles statistiques qui leurs permettent de dresser votre profil avec une précision confondante. Il faut vous rendre à l’évidence, Facebook vous connait mieux que votre propre mère.

Qui recueille ces données ?

Concrètement, qui recueille nos données ? En premier lieu, il y a les acteurs que tout le monde connait : les géants du Web, les Gafas (Google, Amazon Facebook etc.) Ce sont les entreprises qui ont les moyens de collecteur eux mêmes de grosses quantités de données sur leurs utilisateurs.

Il existe une autre catégorie d’acteurs, c’est celle des courtiers en données (data brokers). Le métier de ces entreprises, c’est tous simplement de collecter, acheter, nettoyer, qualifier, retraiter, croiser, et au final, revendre des données sur des gens. Il en existe des centaines, mais parmi les leaders, on va retrouver des noms comme Acxiom, Experian, CoreLogic, Datalogix, et, en France, Mediapost, une filiale du groupe La Poste.

Une société comme Acxiom, le leader du marché, c’est 1500 points de données par individu pour 500 millions de personnes dans le monde. Ce qui permet à ce genre de boites de vendre des fichiers extrêmement précis : vous voulez une liste d’emails de personnes qui aiment les chiens ? Des amateurs de sports d’hiver ? Des retraités qui habitent à la campagne ? Des jeunes couples qui ont du mal à finir le mois ? Des trentenaires sans enfants et qui aiment la moto ? Il n’y a qu’à demander !

D’où viennent ces données ? Elles sont aspirées sur le Web, achetées à d’autres entreprises (merci les cartes de fidélité et campagnes promotionnelles), récupérées dans des fichiers publics, tous les moyens sont bons.

La troisième catégorie d’acteurs, ce sont les acteurs publics : gouvernements, services de renseignements, etc. En France, par exemple, on a un gouvernement très impliqué dans la protection de la vie privée, mais ils s’impliquent surtout pour la détruire, en fait. Nous avons eu la loi sur le renseignement, l’état d’urgence permanent, l’amendement sur le secret de sources, le fichier TES ! Le ministère de l’intérieur est chargé de la sécurité intérieure et des libertés publiques, et on sent bien qu’ils s’intéressent plutôt au premier point qu’au second.

Il y aurait énormément à dire sur chacun de ces acteurs, mais concentrons nous sur le Web.

Comment fonctionne le tracking

Certains me diront peut-être : je n’utilise pas trop Google, je n’ai pas de compte Facebook, ces entreprises ne savent rien sur moi. Et là, je pouffe !

Imaginez la scène suivante : c’est le dimanche matin, vous êtes affalé sur votre canapé, dans votre robe de chambre préférée avec peut-être un chocolat chaud ou un café, vous écoutez de la musique douce, peut-être du Debussy ou de l’AC-DC, et vous surfez sur le Web, pour lire les mises à jour sur vos sites préférés.

En vérité, sans même que vous n’en ayez conscience, c’est votre pire cauchemar qui se réalise : vous êtes en pyjama, dans un hall de gare. Malgré l’impression de solitude que vous confère l’intimité de votre domicile, quand vous naviguez sur le Web, vous êtes suivis à la trace par d’innombrables paires d’yeux numériques qui vont espionner tous vos faits et gestes.

Même si vous n’avez jamais mis les pieds numériques sur le site Web de Facebook, Facebook est capable de vous suivre à la trace sur le Web. C’est le principe du tracking. Pour bien comprendre la problématique du tracking, il faut d’abord comprendre comment fonctionne le Web.

Quand j’utilise mon navigateur pour consulter un article sur lemonde.fr, c’est un peu comme si j’envoyais un coursier à la bibliothèque du coin pour emprunter un livre. Ici, la première partie de l’url, c’est le nom de domaine c’est à dire l’adresse de la bibliothèque, et le reste de l’url, c’est la référence du document.

Les humains utilisent un protocole pour communiquer : c’est la politesse. C’est simplement un ensemble de règles qui permettent de structurer la communication. Mon navigateur et le serveur de Monde utilisent aussi un protocole : c’est le protocole http. Il est un peu plus technique, un peu plus verbeux, mais pas beaucoup plus compliqué. Le navigateur émet une requête, qui est simplement du texte un peu structuré, le serveur envoie une réponse.

Une des limitations d’http, c’est qu’il n’y a pas de mécanisme de session. Il n’y a pas de fonction qui indiquerait que plusieurs requêtes successives sont émises par une seule et même personne au cours d’une même session de navigation. C’est un peu embêtant si je suis en train d’acheter quelque chose sur un site de ecommerce, ou si je consulte une page pour laquelle j’ai du m’authentifier.

C’est à la charge des développeurs de chaque site d’implémenter leur propre système de session. Pour faire ça, en général on utilise l’équivalent d’une carte de bibliothèque : ce sont les fameux cookies. Lorsque vous vous connectez pour la première fois sur un site Web, le serveur, dans sa réponse, va déposer sur votre navigateur une petite clé, une simple chaîne de caractère générée aléatoirement, et à chaque nouvelle connexion, le navigateur va renvoyer cette clé, ce qui permettra à l’application de savoir que vous êtes une seule et même personne. Il existe un mécanisme de protection qui est la règle du même domaine (same domain policy) : quand je me connecte sur google.fr, le serveur de Google dépose un cookie sur mon navigateur, seul google.fr sera en mesure ultérieurement de lire ce cookie.

Mais alors, comment les cookies sont-ils utilisés pour le tracking ?

Et bien, contrairement à un livre, une page Web n’est pas un élément unique, elle est en fait constituée de plusieurs ressources. Vous allez avoir le contenu de la page Web, mais aussi les styles c’est à dire les indications sur le rendu graphique, les éventuels scripts, les images, les sons, les vidéos, les typographies, les cartes, les pubs, etc. Et pour chacune de ces ressources, le navigateur va émettre une nouvelle requête.

Or, il est fort possible que certaines de ces ressources soient hébergés sur d’autres serveurs, contrôlés par d’autres entreprises. Par exemple, pour afficher cette page du Monde, mon navigateur émet des dizaines voire des centaines de requêtes. Il va notamment émettre une requête vers un serveur de Google qui héberge l’un des nombreux scripts d’analyse utilisé par le Monde, et une requête vers un serveur de Facebook qui héberge le script qui permet d’afficher ce petit bouton de partage. Pour chacune de ces requêtes, mon navigateur va inclure les éventuels cookies préalablement déposés par Google et Facebook, ainsi qu’une autre information, qui est l’adresse de la page que je suis en train de visiter.

Pour marquer les esprits, on peut prendre un exemple un peu plus frappant. Par exemple, ici, je me connecte sur le site d’une entreprise montpelieraine qui vend des médicaments en ligne pour acheter un test de dépistage du VIH. On imagine bien que j’aimerais que cette information reste relativement privée. Or, voici une partie de la liste des 130 requêtes nécessaires pour afficher cette page le jour ou j’ai fait le test. Et si je regarde le contenu de ces requêtes, je vais trouver un certain nombres d’informations envoyées par mon navigateur et notamment deux champs : les cookies déposés par le site concernés, et l’adresse de la page actuelle dans un champ nommé referer.

Google sait que moi, Thibault Jouannic, je suis en train d’acheter un test de dépistage du VIH. Le tracking, aujourd’hui, c’est un problème endémique, il y en a partout puisque les gafas multiplient les services que les développeurs vont pouvoirs utiliser plus ou moins cavalièrement pour se faciliter la vie. Pour Facebook et Twitter, ça va principalement être des petits boutons de partage qui permettent de diffuser des articles sur les réseaux sociaux. Google est le champion du tracking puisque la quantité de services offerts aux développeurs Web est impressionnante : services d’analyse d’audience, cartographie en ligne, typographies, hébergement de contenu, etc. Tout ça, ce sont des services que vous pouvez utiliser et intégrer à votre site Web, au prix d’une multiplication des points de fuite de données.

Une étude de l’université de Princeton a montré que Google, Facebook et Twitter sont les trois entreprises qui ont des trackers sur plus de 10% des sites de la planète, et que Google est au dessus des 70%.

Pour bien mesurer l’ampleur du problème, vous pouvez utiliser une extension publiée par Mozilla qui s’appelle Lightbeam. Lightbeam, c’est un tracker de trackers qui va vous permettre de voir qui est mis au courant de votre navigation. Voici ce que révèle Lightbeam lorsque je navigue sur quelques sites : c’est proprement terrifiant. Cette année, pour Halloween, je me suis déguisé en rapport Lightbeam et j’ai eu beaucoup de succès.

Pourquoi la vie privée est importante ?

Certains parmi les plus facétieux d’entre vous me diront peut-être : « après tout, si des données me concernant se retrouvent sur des serveurs privés, et sont analysés par des logiciels en même temps que les données de millions d’autres personnes, qu’est-ce que ça peut bien me faire ?

La question est posée : la vie privée est-elle une préoccupation de vieux con ? Et bien non ! Cette hémorragie de données a de véritables conséquences, très concrètes, sur notre vie de tous les jours.

Il faut bien voir que vos données représentent une véritable mine d’or, qui peut être exploitée pour le meilleur ou pour le pire. On n’est pas sur TF1, il ne faut pas sombrer dans le complotisme. Avec ces données, on peut faire des choses extraordinaire. En sociologie, en médecine, pour améliorer notre urbanisme ou nos démocraties. Il y a des champs de recherche merveilleux. Le problème, c’est que ces données sont uniquement accessibles à quelques géants et à ceux qui ont les moyens de se payer leurs fichiers ; c’est à dire, à des organisations à buts lucratifs. Par conséquent, il est assez fréquent que ces données ne soient pas exploitées dans votre intérêt.

D’abord, des sites comme Facebook ou Twitter ont tout intérêt à ce que vos données soient le plus publiques possibles. L’absence d’intimité, c’est le carburant qui fait fonctionner un réseau social. Il devient de plus en plus facile pour un simple individu de récupérer énormément d’informations sur une tierce personne, et ça, ça rend très simple l’usurpation d’identité ou le social engineering. C’est très facile pour moi d’appeler votre opérateur téléphonique, ou d’envoyer un mail à votre grand-mère et de me faire passer pour vous si je connais la moitié de votre vie.

Mais la principale utilisation de vos données, c’est le profilage. Le profilage, c’est le fait de vous ranger dans des catégories les plus précises possible afin de prédire vos habitudes et comportements. Et une fois qu’on connait vos habitudes et comportement, on peut se faire de la thune sur votre dos.

Par exemple, en vous proposant des publicités qu’on espère le plus ciblées possibles. Si vous êtes dans la catégorie des gauchistes fauchés, vous aurez droit aux promos sur les vélos décathlon et si vous êtes plutôt le Figaro et Valeurs Actuelles, on vous proposera des annonces pour des 4x4 ou des croisières. Et si vous venez d’arriver à la retraite, comme ma mère, de sympathiques courriers publicitaires pour des compagnies de pompes funèbres et ça, ça fait quand même méga plaisir.

Le financement par la publicité est devenu le modèle par défaut sur le Web, et ça pose pas mal de problèmes. Quand vous utilisez un service financé par la pub, vous n’êtes pas le client, le client c’est l’annonceur. Il y a donc conflit d’intérêt entre vous et l’éditeur du service. Quand vous allez sur un site de presse, votre objectif, c’est de lire l’article. L’objectif de l’éditeur, c’est de vous faire cliquer sur la pub. Et ça produit des sites qui sont de plus en plus pénibles à utiliser.

L’autre conséquences, c’est qu’on va privilégier la quantité à la qualité. La principale source de visites aujourd’hui pour un site de presse, c’est Facebook. Pour un journaliste, il sera sans doute plus rentable de publier une news people même pas vérifiée avec un titre aguicheur plutôt qu’un dossier sur des problèmes sociaux ou politiques importants. Le rapport signal / bruit du Web est devenu catastrophique. C’est pénible pour nous, mais c’est aussi une souffrance pour les journalistes, qui ne peuvent plus faire leur métier correctement.

Je rappelle qu’une presse libre, indépendante et de qualité, c’est une condition importante pour une démocratie saine.

Mais le profilage va permettre d’aller encore plus loin. Aujourd’hui, de plus en plus de services vont s’adapter à votre profil, la plupart du temps pour pouvoir vous vendre encore plus de pub. Par exemple, c’est un algorithme opaque qui va déterminer quels articles vont apparaître ou pas dans votre flux Facebook. De la même manière, Google va adapter ses résultats de recherche par rapport à ce qu’il pense que vous voulez trouver. Le résultat, c’est que vous êtes de moins en moins susceptibles d’être mis en contact avec des points de vue qui ne sont pas les vôtres. Vous êtes enfermés dans une bulle idéologique dont il devient difficile de sortir puisque vous n’avez même pas conscience qu’elle existe. Et ça, ça ne va pas favoriser le développement de citoyennes et de citoyens matures et éclairés. Pour en savoir plus sur la question, vous pouvez lire The Filter Bubble, de Eli Pariser.

Parlons de l’exploitation politique de vos données. Aujourd’hui, tous les candidats avec un peu de moyens disposent d’outils extrêmement perfectionnés pour optimiser leurs campagnes électorales. Il existe des logiciels dédiés : NationBuilder, BlueStateDigital, NGP VAN, DigitalEBox en France ; ces logiciels vont fournir différents outils pour rationaliser les actions de campagne. Notamment, le recueil d’informations sur des bases d’électeurs potentiels, et le croisement de ces données avec des fichiers publics ou des fichiers achetés.

Aujourd’hui, quand des sympathisants font du porte à porte et viennent toquer chez vous, ce n’est plus du tout du hasard. Ils savent qui habitent là, ils savent à quels arguments vous serez sensible.

Pas de prosélytisme, je précise que tous les partis politiques utilisent ce genre de pratiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite.

Dans le principe, on ne peut pas reprocher à des politiciens d’utiliser des outils numériques. Instinctivement, on se rend bien compte qu’il y a une frontière au delà de laquelle ça va aller trop loin. Si on sait tout sur tout le monde et qu’on a les moyens de dire exactement ce que les gens ont envie d’entendre, d’abord c’est la porte ouverte au clientèlisme politique le plus abject, et surtout ça créé un déséquilibre des pouvoirs entre les citoyennes et les citoyens et la classe politique : comment moi, citoyen, vais-je pouvoir me faire une opinion politique éclairée si certains disposent d’outils extrêmement perfectionnés qui leurs permettent de tout savoir sur moi et de me dire exactement ce que j’ai envie d’entendre ? Et puis il va devenir tout simplement impossible pour une personne sans moyens importants de gagner une élection.

Mais le meilleur moyen de gagner de l’argent avec votre profil, c’est encore de vendre l’information aux plus offrants. Et là, ça devient la porte ouverte au grand n’importe quoi. Imaginez une campagne électorale ou un candidat notoirement raciste lancerait de grandes campagnes de pubs ciblées sur les noirs pour les décourager de voter ? Ça existe, c’est ce que fait Trump actuellement. Imaginez un assureur qui analyserait votre flux Facebook pour adapter le montant de votre police d’assurance voiture ? Ça existe, c’est que qu’à tenté la compagnie Admiral au Royaume-Uni. Des exemple, il y en a plein, et la tendance va en s’accélérant.

Aujourd’hui, les logiciels, applications, algorithmes et moteurs de recommandation sont de plus en plus présents dans nos vies. Avec l’augmentation du nombre d’objets connectés, de plus en plus de portes vont s’ouvrir sur notre intimité, de plus en plus de données vont être collectées. Et le profilage va avoir de plus en plus d’impact.

Le problème de la surveillance généralisée, ce n’est pas tant le fait que des informations soient disponible sur vous, c’est surtout le fait que vous n’avez aucun contrôle sur qui exploite ces données, qui les achète, quand, pourquoi, combien ? Et quelles sont les conséquences pour vous.

Un jour, on vous refusera l’entrée d’un magasin, l’accès à un service, on ne retiendra pas votre CV, on augmentera le tarif de votre police d’assurance, on vous assignera à résidence, parce que avez le mauvais profil dans la mauvaise base de données.

Qui est vulnérable ?

Une dernière chose sur cette question : peut-être qu’il y en a qui ne sont pas convaincus et que se disent que peut-être, il y a des problèmes plus graves. N’oubliez pas une chose : qui sont les personnes les plus susceptibles de souffrir de l’espionnage généralisé ?

Si ma femme et moi décidons de pimenter notre vie sexuelle en filmant nos galipettes et qu’une fuite de données fait que cette vidéo se retrouve publique, qui va en souffrir le plus ? Pas moi, j’aurais droit à quelques commentaires graveleux de la part de mes amis, et ma vie continuera comme avant. Ma femme, par contre, elle ne pourra plus faire deux pas sur le Web et dans la rue sans être victime de harcèlement.

Si le fichier géant du gouvernement est piraté et se retrouve sur thepiratebay.com, qui va en souffrir le plus ? Pas moi, qui suis blanc et athée. Mon voisin musulman qui a aussi le malheur d’être basané, par contre, par les temps qui courent, il a peut-être plus à craindre si son adresse se retrouve sur le Web.

Si Google utilise mes données pour afficher des publicités ciblées, qui va en souffrir le plus ? Pas moi, qui suis éduqué à la problématique et qui sait installer des bloqueurs de pub. Ma grand-mère par contre, qui utilise le Web tous les jours et est en train de perdre la vue, n’est tout simplement plus en mesure de distinguer la différence entre les annonces et les vrais résultats, et elle est donc plus susceptible de se faire arnaquer.

Bref, dans cette salle, il y a principalement (pas que) des hommes blancs éduqués et dans la force de l’âge. Nous ne sommes pas les plus vulnérables aux problèmes de surveillance, et par conséquent, il est facile de minimiser l’impact de ces problèmes. Les plus vulnérables en ligne, ce sont aussi les plus vulnérables dans le monde physique : les catégories défavorisées, les gens peu éduqués, les personnes physiquement vulnérables ou en situation de handicap, les femmes, les minorités ethniques, etc.

Au minimum, si vous ne vous sentez pas concerné par l’espionnage généralisé, ne minimisez pas l’ampleur du problème, parce que d’autres personnes sont plus vulnérables que vous.

Que faire pour se protéger ?

Que faire pour se protéger ?

La première chose à faire à mon avis, c’est de ne pas céder à la paranoïa. Certes, nous entrons dans l’aire de la surveillance généralisée, mais après tout, à moins d’être un criminel, activiste politique ou de vivre dans une dictature, vous ne risquez quand même pas la prison ou la peine de mort. D’autant que nous ne sommes pas les plus mal lotis : nous avons la CNIL et une législation française et européenne qui va quand même relativement dans le sens d’une protection de la vie privée.

Oui, il existe des mesures techniques pour garantir l’anonymat, mais déployer systématiquement tous ces outils reviendrait un peu à rentrer dans une banque avec une cagoule : vous allez attirer l’attention sur vous plus qu’autre chose.

La deuxième chose à faire, c’est de ne pas sombrer dans le je m’enfoutisme. L’intimité et la vie privée restent des valeurs humaines fondamentales. On ne peut pas vivre sans, contrairement à ce que Mark Zuckerberg voudrait nous faire croire. Il y a des gens qui pensent que, quand on est né avec Facebook, on s’habitue à ne pas avoir d’intimité, de la même manière que nous nous somme habitués à des trucs qui paraissaient horribles pour nos grands parents. Si vous avez des enfants en bas-âge, je vous encourage à faire l’expérience suivante : privez les totalement d’intimité. Vous les faites dormir dans le salon, vous suivez toutes leurs communications, etc. Et puis dans 10 ~ 15 ans, vous nous direz comment ils ont tournés. La science vous remerciera.

La vie privée est un droit très chahuté ces derniers temps. Par exemple, notre bon gouvernement a publié un décret récemment qui autorise la création d’une base de données qui contiendra des informations sur 60 millions de français, notamment l’apparence physique, la photo, les empreintes digitales, les coordonnées, etc. Le but officiel, c’est de lutter contre la fraude documentaire mais comment ne pas imaginer que ce fichier ne sera jamais détourné ou piraté ? C’est d’ailleurs ce que dénonce la député Isabelle Attard, qui me semble être l’une des dernières personnes encore saines d’esprit dans notre gouvernement. Bref ! Si on veut préserver ce qui reste de notre intimité, il va falloir mettre la main à la pâte.

Quelles sont les mesures techniques à prendre pour nous protéger ? Le strict minimum pour contrer le tracking, c’est d’utiliser des logiciels libres, un navigateur libre donc Firefox ou à la rigueur Chromium et d’installer une extension de bloqueur de tracker comme uBlock (et pas Adblock, qui commence à vendre des pubs).

Il faut bien comprendre que, quand on utilise des outils numériques, l’anonymat total est impossible, il reste toujours une trace quelque part. Si vous avez besoin d’anonymat, il existe différents outils, adaptés à différentes situations. Mais il n’y a rien de pire qu’avoir un faux sentiment de sécurité en installant des outils sans vraiment comprendre à quoi ils servent ou comment ils marchent. C’est pour ça que je ne vais pas vous donner de liste d’outils en vrac, par contre, je peux vous conseiller quelques ressources pour vous permettre d’approfondir la question. Vous pouvez par exemple lire anonymat sur Internet de Martin Untersinger. Je peux aussi vous recommander Surveillance de Tristan Nitot que je n’ai pas encore eu l’occasion de lire mais qui ont de bons retours. Vous pouvez également vérifier s’il ne s’organise pas du côté de chez vous des Café Vie Privée, des rencontres qui permettent aux gens de discuter d’anonymat, de cryptographies, et des technologies liées.

Au delà des mesures techniques, il est important d’adopter une certaine hygiène numérique. Je ne vais pas vous dire qu’il ne faut pas utiliser le Web pour protéger votre vie privée, ça serait débile. Le Web, c’est quand même un des meilleurs trucs qui soient arrivés à l’humanité depuis l’imprimerie et la tartiflette. Néanmoins, quelques mesures permettent de limiter les hémorragies.

On l’a vu, on peut déduire énormément d’infos en recoupant plusieurs sources de données. Si vous devez vraiment utiliser les services des Gafas, essayez de ne pas donner toutes vos données à une seule entreprise. Si vous utilisez Google comme moteur de recherche, essayez peut-être de ne pas aussi leur donner votre calendrier et vos emails.

Il existe de plus en plus d’alternatives crédibles aux services des Gafas, et Framasoft fait un super boulot avec sa campagne de dégooglisation du Web. Si vous cherchez des alternatives à google docs, google mail, google calendar, google maps, etc., rendez-vous sur https://degooglisons-internet.org/.

La plupart des services et produits que vous pouvez utiliser actuellement ont des options de protection de la vie privée qui ne sont jamais activées par défaut. Prenez un peu de temps pour le faire.

Posez-vous la question : ai-je vraiment besoin que mes ampoules, mon glaçon, mon pèse-personne ou mon sextoy se connectent à internet ? À titre personnel, la réponse serait plutôt non, mais c’est peut-être le vieux con qui s’exprime.

Enfin, il nous faut une réponse législative adaptée. Cette année, le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles est paru au journal officiel de l’Union européenne. Ce règlement apporte un certain nombre de mesures destinées à mieux protéger la vie privée de la personne, et c’est une très bonne chose. À titre individuel, à part bien réfléchir pour qui vous allez voter, vous ne pouvez pas faire grand chose au niveau politique. Par contre, vous pouvez apporter votre soutien à ceux qui montent au créneau et défendent vos libertés. Je pense par exemple à La Quadrature du Net, qui fait un super boulot sur ce genre de dossiers. Ce sont quand même des gens qui doivent subir Valls, Cazeneuve, Urvoas, donnez leur des sous.

Conclusion

Bref ! Comme le dit un proverbe Normand, toutes les meilleures choses ont une fin, sauf le saucisson qui en a deux.

Je vais donc conclure cette petite intervention en disant que nous entrons de plein pieds dans l’aire de la donnée. Les possibilités qui s’offrent à nous dans ce nouveau monde sont énormes. Allons nous utiliser cette opportunité pour bâtir une utopie numérique empreinte d’humanisme et porter toujours plus haut les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ou nous dirigeons nous vers une sombre dystopie dans laquelle la surveillance généralisée est mise au service du contrôle absolu par les actionnaires de multinationales et les fanatiques du pouvoir politique ?

Et bien, probablement comme d’habitude, ni l’un ni l’autre mais quelque part entre les deux.

Ces données représentent une richesse, exploitable pour le meilleur ou pour le pire. À nous de nous éduquer et nous former pour rétablir un peu l’équilibre des pouvoirs entre les Gafas, les pouvoirs publics et les simples citoyens.

Merci de votre attention.

Références des illustrations

  • Le Souper à Emmaüs, Le Caravage
  • Werkstattinterieur mit einem Schuhmacher, einem Metzger, einer Klöpplerin und einem Jungen, der eine Saublase, Jean Josef Horemans l’ancien
  • Un atelier aux Batignolles, Henri Fantin-Latour
  • Œudipe et le Sphinx, François-Xavier Fabre
  • Le Souper à Emmaüs, Rembrandt
  • Phryné devant l’aréopage, Jean-Léon Gérôme
  • Le Fils de l’Homme, René Magritte

</div>