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- <title>« Le manoir de verre » : comment la tech traite-t-elle les femmes développeuses ou data scientists ? (archive) — David Larlet</title>
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- <h1>« Le manoir de verre » : comment la tech traite-t-elle les femmes développeuses ou data scientists ?</h1>
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- <p>L’entrée dans le monde de la tech s’ouvre de plus en plus aux femmes. Mais quid de la suite ? Comment sont-elles considérées lorsqu’elles sont effectivement devenues développeuses ou data scientists ? Quels dispositifs peuvent être imaginés pour les aider à rester dans ce milieu alors que les femmes ont significativement plus de risques d’abandonner leur carrière technique que leurs homologues masculins ? </p>
- <p>Elisabeth Fainstein, Coach Développeuse pour l<strong>e </strong>programme Entrepreneurs d’intérêt général et fondatrice d’<a target="_blank" href="http://electronictales.io/">electronictales.io </a>fait le tour de quelques initiatives émergentes – du monde associatif aux grands groupes, en passant par les start-ups et le secteur public –, afin d’examiner les effets de celles-ci et de rêver aux solutions de demain.</p>
- <p><i>Disclaimer </i>: Je n’aime pas parler de choses que je ne connais pas. L’écriture d’une tribune est donc pour moi un exercice particulièrement difficile, car il ne s’agit pas d’un essai ; tout n’a pas vocation à être étayé avec la rigueur d’une publication scientifique. Une tribune étant nécessairement arbitraire, je vais donc me prêter à l’exercice de donner mon point de vue, en m’appuyant sur des faits vécus personnellement, des histoires relatées par mon entourage, des choses lues et vues ça et là dans les communautés que je fréquente. Comme vous le verrez, je me concentrerai en particulier sur les femmes devenues techniciennes du numérique suite à une reconversion professionnelle. Non que les autres ne m’intéressent pas, au contraire ; mais les aspérités de leurs parcours captent mieux certaines lumières.</p>
- <p>De même, il me semble important de préciser que je n’énonce rien de particulièrement neuf – les sujets que j’évoque ont tous été plus ou moins largement étudiés et théorisés par des départements entiers d’individus nettement plus diplômés que moi.</p>
- <p>Enfin, il est possible – et normal – que des lecteurs soient en désaccord avec à peu près tous les points que j’énonce, des fondamentaux aux détails : qu’est-ce qu’une « femme », qu’est-ce qu’« une femme dans la tech », « qu’est-ce que la Tech », « qu’est-ce que le juniorat », et ainsi de suite…</p>
- <p>Pour répondre à cela, je citerais Theodore Bikel parlant d’un tout autre sujet : « <i>I sing Jewish songs not because they are better than the songs of my neighbour. I sing them because they’re mine. And unless I sing them, that part of the culture will vanish and that wonderful meadow of proliferating flowers, with a profusion of flowers, will have the Jewish flower missing. That’s why I sing Jewish songs »</i>.</p>
- <p>Où sont les femmes ? Dans le monde la Tech, et plus particulièrement celui de la programmation, un ensemble d’études tournées vers le passé semble avoir – en partie – résolu la question. En résumé : oui, les femmes des pays occidentaux ont été fortement impliquées dans le domaine de l’informatique jusqu’au milieu des 1980, puis s’en sont détournées de manière drastique. Les raisons ? Si elles s’articulent sans doute en un faisceau complexe, deux peuvent être mises en avant. D’une part, la montée en prestige de l’informatique et ses possibilités de carrières ont attiré davantage d’hommes (une dynamique qui n’est pas sans rappeler l’histoire du cinéma). D’autre part, à partir de la fin des années 1970, l’ordinateur personnel arrive dans les foyers, et il est largement marketé comme destiné aux garçons.</p>
- <p>Des années de pratique amatrice plus tard, ces jeunes gens se sont plus facilement dirigés vers l’informatique pour leurs études supérieures. Sur les bancs de l’université, la différence d’expérience semble avoir été déterminante : les femmes, qui, elles, n’avaient en majorité pas grandi avec un ordinateur personnel, se sont retrouvées en difficulté face à leurs homologues masculins. Un premier obstacle, donc, sorte de seuil de verre fait de retard culturel et technique qui en a découragé plus d’une. De 1984 à 2010, le pourcentage de femmes faisant des études d’informatique n’a fait que chuter.</p>
- <p>La popularisation, ces dix dernières années, des bootcamps et autres formations courtes, est-elle en train de contribuer à inverser la tendance ? Des promotions 100 % féminines de Simplon à Ada Tech School (qui vient de lever 3 millions d’euros) en passant par des financements publics, de nombreuses initiatives visant à faire entrer davantage de femmes dans la Tech fleurissent. Grâce à ces nouvelles dynamiques, de plus en plus de femmes semblent retrouver le chemin des formations informatiques. La seuil de verre s’élargit…</p>
- <p>Mais qu’arrive-t-il une fois ce seuil de verre de la formation franchi ? Comment la Tech traite-t-elle les femmes lorsque celles-ci sont effectivement devenues des techniciennes du numérique – développeuses (notons qu’ici, mon éditeur de texte me signale une erreur et me suggère « développeurs »), administratrices réseaux, data engineers ou data scientists ? Statistiquement, ces femmes ont deux fois plus de chances de quitter le monde de la Tech que leurs homologues masculins.</p>
- <p>Pour tenter de comprendre pourquoi, entrons avec elles dans le manoir de verre de la Tech.</p>
- <p>Après la formation vient le temps d’intégrer une entreprise, et le parcours vitrifié continue. À ce stade, le véritable problème des techniciennes du numérique n’est pas nécessairement, à mon sens, d’être une femme, mais plutôt d’<i>avoir été</i> une femme jusqu’à ce moment précis. Revenons un instant aux ordinateurs personnels et aux garçons qui, ayant grandi, se dirigent vers des études d’informatique. Lorsqu’ils arrivent sur le marché du travail, ces derniers ont généralement derrière eux trois à cinq ans de formation spécialisée, ainsi que plusieurs expériences techniques, aussi bien professionnelles qu’extra-professionnelles. </p>
- <p>De l’autre côté de l’échiquier des juniors, les reconvertis, souvent passés par une formation courte de type bootcamp. Quel est le bagage de ces derniers ? Une première carrière dans un autre domaine et trois à douze mois de formation informatique accélérée, très souvent axée sur des aspects immédiatement applicables du développement web. En d’autres termes, un bagage réduit en algorithmie, en hardware ou encore en systèmes et réseaux. Pour les raisons sociologiques, économiques et culturelles évoquées en introduction, une grande partie des nouvelles techniciennes du numérique se retrouve dans la deuxième catégorie. Elles souffrent alors d’un problème qui dépasse la question de genre : le « manque de technicité » des reconvertis.</p>
- <p>S’il fallait résumer grossièrement le recrutement tel qu’il est pratiqué aujourd’hui dans la majorité des entreprises de la Tech, trois grandes modalités pourraient être identifiées :</p>
- <ul><li>Le recrutement fondé sur l’analyse des CV : à moins d’une volonté claire, les profils issus de la même école (ou d’une école de réputation égale) que les fondateurs ou la majorité des employés ont toutes les chances d’être privilégiés.</li><li>Le recrutement fondé sur une batterie de tests, souvent sur des sujets fondamentaux tels que l’algorithmique et le design des systèmes : pour les réussir, il n’est pas rare que les candidats qui ne sont pas issus d’une formation informatique traditionnelle doivent y consacrer un temps d’apprentissage conséquent, qui dure parfois plusieurs mois.</li><li>Un test technique à faire à la maison : pour le réussir, les candidats doivent parfois y consacrer jusqu’à une semaine de travail à temps plein.</li></ul>
- <p>Dans ces conditions, qui a le plus de chances d’être recruté ? Les personnes ayant suivi un parcours d’études informatiques classique (voire d’excellence), c’est-à-dire une vaste majorité d’hommes. Signes superficiels de cette dynamique profonde : les formulations qu’on retrouve encore dans certaines annonces d’emploi, où les entreprises disent rechercher « un ninja du code », « un héros du dev », et autres tournures martiales.</p>
- <p>Là encore, les femmes, parce qu’elles sont plus souvent issues de parcours de reconversion que de formations classiques, sont confrontées à un obstacle, donc : la porte de verre de l’entrée en entreprise. Mais comme pour la formation, les choses bougent : des entreprises font le choix délibéré de pratiquer une forme de discrimination positive dans leurs recrutements pour s’ouvrir à la diversité, ce qui favorise, entre autres, les femmes (et peut-être <i>surtout </i>les femmes plutôt blanches, plutôt jeunes et plutôt CSP+ d’ailleurs ; mais là encore les études manquent). Les annonces d’emploi en sont une nouvelle fois des témoins criants : écriture inclusive et précisions bienveillantes telles que<i> « vous n’avez pas à remplir tous les critères pour postuler » </i>fleurissent.</p>
- <p>Les raisons de cette ouverture à la diversité sont multiples : meilleures prises de décisions, meilleures performances financières, meilleure image de marque… Cependant, il est intéressant de noter qu’au sein même de ces recrutements « inclusifs », des biais peuvent exister. Et que ces biais suivent souvent les mêmes motifs : une femme communiquerait bien, garantirait une bonne relation avec les clients, apaiserait les dynamiques d’équipe… Elle serait aussi organisée, appliquée et aurait une sensibilité innée pour l’expérience utilisateur et le développement frontend. </p>
- <p>Même dans des entreprises éloignées des enjeux de la hype liée au fait d’avoir une femme dans l’équipe technique, par exemple dans certaines entreprises de services numériques historiques, ces préjugés peuvent, de facto, constituer des avantages concurrentiels pour les femmes. Sur ce sujet, les études manquent, mais il serait intéressant de voir si, à niveaux techniques égaux (et très juniors), une femme ne serait pas favorisée par rapport à un homme.</p>
- <p>L’entrée dans une entreprise tech est aussi l’occasion d’entendre pour la première fois une ritournelle destinée à être sans cesse rejouée au long de la carrière d’un·e technicien·ne du numérique : celle de la négociation salariale. Des expert·e·s ont couvert ce sujet, je ne ferai donc que résumer grossièrement les choses : pour un ensemble de raisons largement indépendantes de leur volonté, les femmes négocient leurs rémunération de façon moins offensive que leurs homologues masculins, voire ne négocient pas du tout. Ce constat dépasse le domaine de la Tech, mais il est intéressant de le revoir à la lumière de la bonne santé du marché du travail, où il n’est pas rare que les candidat.e.s soient en position de force – et donc en position de négocier – par rapport aux entreprises recruteuses. (Soit dit en passant, il serait passionnant qu’une étude se penche sur les salaires offerts aux femmes par les entreprises cherchant à atteindre davantage d’inclusion.)</p>
- <p>En d’autres mots, dès le départ, les techniciennes qui parviennent à passer la porte de verre de l’entreprise ont des chances de se retrouver une marche en dessous par rapport à leurs homologues masculins.</p>
- <p>En entreprise – mais cela marche aussi au sein de communautés techniques non-professionnelles -, le parcours de vie et d’études de certaines techniciennes peut encore placer celles-ci dans une situation inconfortable par rapport à leurs collègues issu·e·s de formations informatiques traditionnelles. Imaginez : vous venez de finir de corriger un bug ; contente de vous, vous allez prendre un café bien mérité. Quelques collègues bavardent gaiement autour de la machine. Vous vous approchez, et là, horreur : il est question d’AMD Ryzen 5 3600 <i>versus </i>Intel Core i3–10105F @ 3.70 GHz, du traumatisme vidéoludique qu’est <i>Dark Souls</i> ou encore des diverses façons d’overclocker un Raspberry Pi sans le faire fondre. Le mur de verre de la <i>computer culture</i> que vous n’avez jamais eu l’opportunité d’acquérir dans votre prime jeunesse vous coupe de vos camarades. Bien sûr, les informaticiens sortis d’écoles d’ingénieur ne parlent pas de ce genre de choses à chaque fois qu’ils vont boire un café. Mais lorsque cela arrive, croyez-moi, beaucoup de personnes qui les entendent et qui ne maîtrisent pas ces sujets peuvent éprouver un sentiment d’imposture aux effets bien réels – et peut-on vraiment leur jeter la pierre ?</p>
- <p>Je parlais, plus haut, du potentiel avantage d’être une femme pour le recrutement. Maintenant que nos techniciennes sont bien posées sur leur première marche, permettez-moi d’y revenir pour montrer en quoi il peut être comparé à un cadeau empoisonné – ou plutôt à de la glue qui les collerait à cet échelon de l’entreprise. <i>Glue work </i>– c’est précisément sous ce terme apparu assez récemment que sont regroupées les tâches non-techniques que peut avoir à faire un développeur ou une développeuse : organiser des rendez-vous, réaliser l’onboarding des juniors, contacter les utilisateurs… Sans grande surprise, les femmes de la Tech se reconnaissent davantage dans cette description que les hommes. Pourquoi ?</p>
- <p>Les techniciennes du numérique, pour toutes les raisons que nous avons déjà vues et probablement pour bien d’autres encore, ont moins confiance en leurs compétences techniques que leurs collègues hommes ; elles ont donc tendance à compenser en investissant la sphère du glue work. Ce faisant, elles renforcent auprès de leurs managers les stéréotypes liés à leur genre, confirmant le “bon” recrutement féminin de l’entreprise. Et le cercle vicieux commence. Plus la technicienne pratiquera bien ce glue work, plus elle écopera de tâches non-techniques ; puis elle traitera ce type de tâches, moins elle aura de temps pour faire de la technique.</p>
- <p>À court terme, cette dynamique diminuera ses chances de s’améliorer techniquement. À moyen et long terme, elle l’empêchera de produire des éléments valorisables pour la suite de sa carrière, la faisant doucement dériver – tant aux yeux de ses supérieurs que, parfois, aux siens – vers des postes para-techniques : engineering manager, product owner, chef de projet… Là, elles peuvent se confronter à une seconde forme de mur de verre : certes, elles restent dans le même open space que leurs collègues masculins, mais elles ne parviennent pas (ou plus) à occuper les fonctions de ces derniers.</p>
- <p>Seuil, porte, murs… La liste des obstacles cristallins ne s’arrête pas là, au contraire ; des concepts aussi essentiels que le plafond de verre ou son pendant plus aventureux récemment théorisé, la falaise de verre, permettent d’éclairer un constat univoque : les femmes ont deux fois plus de chances d’abandonner leur carrière technique que les hommes. Alors, quelles mesures pourraient être prises pour permettre aux techniciennes de rester dans notre écosystème ?</p>
- <p>Sur le grand échiquier des domaines professionnels, la Tech a un statut particulier. Peut-être plus qu’ailleurs, il y règne une culture créative, où les pratiques se réinventent sans cesse et peuvent être questionnées dans un foisonnement d’initiatives. La Tech, à l’image de son étendard le plus visible, le Web, est aussi une grande expérience collective menée à échelle mondiale. Et comme l’a dit une des ses figures tutélaires, Albus Dumbledore : « It is our choices […] that show what we truly are, far more than our abilities. ». Oui, des actions concrètes sont déjà pensées – et menées – par nombre d’acteurs de notre écosystème pour ouvrir celui-ci à davantage de diversité. Mais il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin : les efforts liés à l’inclusion ne peuvent pas s’arrêter à des efforts de formation et de recrutement ; ils doivent remonter la colonne vertébrale de l’entreprise pour accompagner les techniciennes tout au long de leur carrière.</p>
- <p>Anecdote vécue : j’ai déjà entendu un commercial décrire une école de développement web à un collaborateur potentiel en disant que c’était <i>« une boîte avec une majorité de femmes »</i>. L’assertion m’avait interpellée : oui, il y avait en effet beaucoup de responsables de communication, de cheffes de projets, de chargées d’affaires et autres professions ne relevant pas de la technique numérique. En revanche, il y avait exactement deux formatrices en développement web dans une équipe d’une trentaine d’enseignants, et aucune femme dans l’équipe de développement technique. Par la suite, j’allais revivre cet étonnement dans plusieurs autres structures : l’arbre d’une présence féminine générale semble cacher la forêt de l’absence de femmes à des postes techniques.</p>
- <p>Bien que cela puisse paraître évident, il semble donc indispensable de commencer son chemin vers plus d’inclusion en mesurant précisément, au sein de ses équipes, la réelle proportion genrée des individus en fonction du type de tâches qu’ils accomplissent. De ce comptage, on constatera peut-être que ressort un déséquilibre montrant que, si une parité de façade est souvent respectée, les femmes demeurent majoritairement présentes à certains types de postes et les hommes dans d’autres. </p>
- <p>Cette mesure honnête est le premier pas à faire pour initier un désamorçage réel de la distribution genrée des métiers au sein d’une entreprise de la Tech. Elle nous révèle également que la notion de parité, inscrite dans les textes de loi et dont les entreprises tirent souvent une grande fierté, ne suffit pas à freiner le phénomène des inégalités de genre dans le milieu professionnel. La mesure honnête démontre ainsi que la parité est devenue une notion “has been”, et constitue seulement une première pierre d’achoppement à la mise en œuvre d’un véritable effort de mixité et d’inclusion au sein de ses équipes. </p>
- <p>On peut voir dans ce rebond conceptuel (de la parité vers la mixité) des applications pratiques immédiates : la réelle mise en place d’une politique inclusive au sein d’une entreprise pourrait par exemple consister non seulement à embaucher plus de femmes à des postes traditionnellement occupés par une majorité d’hommes, mais aussi à recruter plus d’hommes à des postes traditionnellement occupés par une majorité de femmes, comme les postes de secrétariat, de community manager ou encore de chargé·e·s de communication.</p>
- <p>Si vous avez déjà eu l’insouciance de reposer un livre de bibliothèque loin de l’étagère où il était censé se trouver, peut-être ne l’avez vous pas remarqué, mais il est probable que, quelque part dans le monde, un bibliothécaire en charge du catalogage est tombé raide mort.</p>
- <p>Sans aller plus loin dans l’hommage douteux – puissent Peter Pan et ses fées reposer en paix –, disons simplement que, si mesurer est indispensable, rendre les données qui en résultent trouvables et consultables, notamment par les potentiels candidats à un poste, constitue une étape essentielle. Une publication des données de l’entreprise qui concernerait des indicateurs de diversité, bien sûr, mais aussi – et c’est probablement là que la bât blesse le plus – les rémunérations pratiquées dans l’entreprise. Des initiatives allant en ce sens ont déjà émergé. </p>
- <p>Dans le privé, entres autres, la mutuelle Alan publie ses grilles de salaire, accessibles à tous pour les grandes lignes, et à chaque salarié dans le détail. Dans le public, le programme Entrepreneurs d’Intérêt Général, qui permet à des talents du numérique de rejoindre une administration lors d’un CDD de 10 mois, propose un système encore plus simple : 3 500 euros nets par mois pour des personnes ayant moins de cinq ans d’expérience professionnelle, 4 000 euros nets pour celles et ceux qui en ont davantage. Derrière cette clarté, un effet plus qu’intéressant : la négociation salariale étant désamorcée, le risque de recruter des personnes à des marches différentes, en fonction de leur capacité à négocier, est réduit.</p>
- <p>On l’a déjà évoqué à plusieurs reprises : une partie des techniciennes de la Tech rencontrent des difficultés qui dépassent leur statut de femmes, et qui sont celles de toute une génération de juniors arrivant sur le marché du travail. Beaucoup d’analystes ont déjà prédit que la crise du Covid-19, avec sa globalisation du travail à distance et le boom des outils y aidant, constituera un événement historique majeur pour la Tech. Autre réalité, moins visible : sur un réseau tel que Linkedin, on ne compte plus les juniors (dans leur immense majorité issus d’une reconversion) à la recherche d’un premier emploi – en vain. </p>
- <p>L’équation est simple. D’un côté, une expansion toujours grandissante des bootcamps et autres formations courtes, menant vers une saturation du pool de personnes formées ; de l’autre, une crise économique et sociale réclamant de l’industrie toujours plus de performance et d’efficacité, d’<i>agile</i> et de <i>time-to-market</i>. Un ou une junior qui sort d’un bootcamp, c’est un ou une junior qu’il faut accompagner au quotidien dans sa montée en compétences. Mais le temps de la production compresse le temps de la transmission/formation, voire l’annihile. Les tech leads et autres seniors n’ont pas la “bande passante” pour accueillir des juniors, mais les besoins de recrutement restent prégnants. Partant de là, deux possibles : recruter des mid-level et des seniors ou, a minima, des personnes qui sortent d’école d’ingénieur (avec sous le bras, on l’a dit, plusieurs années de formation et des stages).</p>
- <p>Proposer des solutions pour sortir du temps de la production (ou du moins s’en écarter) dépasse largement mes compétences. En revanche, je suis convaincue que la crispation actuelle autour du recrutement des juniors, si elle ne s’arrête pas bientôt, aura des impacts néfastes dans les années à venir. Là encore, le calcul n’est pas très savant : les seniors finiront par quitter le marché du travail, laissant vacantes des places que les juniors (qui n’auront jamais été embauché, et donc formé) n’occuperont pas – ce qui ne fera qu’aggraver le déficit de techniciens et techniciennes dans la Tech. Même sans partir dans des considérations aussi long-termistes, l’embauche de professionnels expérimentés n’est pas sans risque : le marché leur étant très favorable, ils ou elles ont plus de chances de quitter prématurément l’entreprise que des juniors bien accompagnés par leurs collègues et managers. Enfin, recruter uniquement des seniors est un excellent moyen de ne jamais ouvrir ses équipes à la diversité, avec les conséquences que l’on sait. </p>
-
- <p>Pour diminuer ces risques, les entreprises devraient accepter de renoncer à une part de rentabilité immédiate au profit d’une forme d’investissement durable reposant sur le recrutement de davantage de juniors. En comprenant que ces juniors sortant de formations courtes – qui sont, notamment, des femmes – auraient pu être ingénieurs ou ingénieures si ils ou elles n’avaient pas rencontré dès l’enfance toute une série de barrières socio-culturelles, l’industrie miserait sur son propre avenir.</p>
- <p>Mais les efforts ne devraient pas s’arrêter au recrutement – auquel cas l’épée de Damoclès d’un simple <i>diversity washing</i> pendrait toujours à proximité. Et avec elle, deux risques. Le premier est qu’une femme soit recrutée pour être « la fille de l’équipe », consacrant une partie de son temps de travail – voire de ses loisirs – à se rendre visible et faire la publicité de l’entreprise (en participant à des talks, des interviews, etc.). Le second est qu’une fois recrutée, la technicienne ait sur ses épaules toute la charge de devoir s’« imposer » dans son milieu professionnel. </p>
- <p>À ce titre, il est édifiant de noter que certaines femmes sont valorisées par leurs collègues parce qu’elles sont des « grandes gueules », qu’elles « ne se laissent pas faire », qu’elles « savent se défendre ». Se défendre de quoi, au juste ? De réunions tendues, d’open spaces aux ambiances de caserne, du sentiment d’imposture, de la pression de livraisons soutenues… Autant de problèmes systémiques, et non individuels – en témoignent les statistiques, qui montrent bien que ces difficultés ne concernent pas <i>une </i>femme dans <i>une </i>entreprise, mais une multitudes de personnes. Or, il me semble problématique de faire reposer sur des individus la responsabilité de s’opposer à des forces systémiques, plutôt que de chercher à modifier le système en question.</p>
- <p>Les entreprises devraient donc réfléchir à mettre en place un véritable accompagnement de ces profils une fois passée l’étape du recrutement, et ce sur des plans multiples : technique, bien sûr (à travers du temps laissé à l’auto-formation et à la veille, du mentorat, des formations continues, etc.), mais aussi culturel et social (par exemple, en construisant des guidelines de conduite claires, en éditant des chartes de mixité, en repensant le temps de travail, etc.).</p>
- <p>Le constat que je dresse peut paraître sans appel. Il ne l’est pas ; tous les jours, je vois des initiatives fleurir et des changements être initiés. Un travail de longue haleine s’amorce déjà : celui de penser les impensés, de formaliser les implicites, de faire évoluer les systèmes. Beaucoup ont déjà compris qu’il ne suffit pas d’amorcer un changement pour faire bouger les choses ; il faut aussi comprendre ce que ce changement implique sur le long terme. </p>
- <p>De même, des transformations telles que celles que j’ai évoquées dans cette tribune ne peuvent pas être isolées. À titre personnel, je suis persuadée que la question des femmes dans la Tech n’est pas une question de <i>féminisation </i>de celle-ci ; elle la dépasse largement, car elle concerne tous les individus pouvant être identifiés à des groupes sous-représentés dans la Tech : personnes racisées, issues de milieux populaires, âgées, queer, en situation de handicap – j’en oublie certainement beaucoup. Si la Tech a déjà commencé sa mue, elle devra demain, pour continuer à faire écho au Monde de façon pertinente, regarder en face les problèmes d’une diversité bien plus large. Et embrasser une dynamique encore trop souvent reléguée au domaine du militantisme : la convergence des luttes.</p>
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- function loadThemeForm(templateName) {
- const themeSelectorTemplate = document.querySelector(templateName)
- const form = themeSelectorTemplate.content.firstElementChild
- themeSelectorTemplate.replaceWith(form)
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- form.addEventListener('change', (e) => {
- const chosenColorScheme = e.target.value
- localStorage.setItem('theme', chosenColorScheme)
- toggleTheme(chosenColorScheme)
- })
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- const selectedTheme = localStorage.getItem('theme')
- if (selectedTheme && selectedTheme !== 'undefined') {
- form.querySelector(`[value="${selectedTheme}"]`).checked = true
- }
- }
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- const prefersColorSchemeDark = '(prefers-color-scheme: dark)'
- window.addEventListener('load', () => {
- let hasDarkRules = false
- for (const styleSheet of Array.from(document.styleSheets)) {
- let mediaRules = []
- for (const cssRule of styleSheet.cssRules) {
- if (cssRule.type !== CSSRule.MEDIA_RULE) {
- continue
- }
- // WARNING: Safari does not have/supports `conditionText`.
- if (cssRule.conditionText) {
- if (cssRule.conditionText !== prefersColorSchemeDark) {
- continue
- }
- } else {
- if (cssRule.cssText.startsWith(prefersColorSchemeDark)) {
- continue
- }
- }
- mediaRules = mediaRules.concat(Array.from(cssRule.cssRules))
- }
-
- // WARNING: do not try to insert a Rule to a styleSheet you are
- // currently iterating on, otherwise the browser will be stuck
- // in a infinite loop…
- for (const mediaRule of mediaRules) {
- styleSheet.insertRule(mediaRule.cssText)
- hasDarkRules = true
- }
- }
- if (hasDarkRules) {
- loadThemeForm('#theme-selector')
- }
- })
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