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title: Peut-on écrire trop vite ? Peut-on publier trop ? url: https://page42.org/peut-on-ecrire-publier-trop/ hash_url: e7bb29ea6d

Il existe une règle tacite dans l’édition : écrire vite et beaucoup, c’est écrire mal. Avec ses trois romans écrits à l’année, Amélie Nothomb n’échappe pas aux critiques. Pourquoi continue-t-elle dès lors de vendre autant de livres ? On a trouvé une excuse : l’éditeur ne publie que le « meilleur des trois », signifiant par là que les deux autres n’ont pas survécu à l’écrémage éditorial et qu’ils n’étaient pas au niveau — ce dont je doute. Très sincèrement, qu’on n’aime ou qu’on n’aime, je suis sûr qu’ils étaient autant publiables que le survivant. Et je ne parle pas de James Patterson avec ses 12 ou 14 romans publiés à l’année (qu’il n’écrit pas tous, bien sûr, mais ça donne le ton). Des exemples parmi d’autres. On se soulage l’esprit en se répétant comme un mantra que « ce n’est pas de la vraie littérature ». Okay.

Mon vieux (enfin façon de parler, il est frais comme un fruit cueilli au petit matin et encore couvert de rosée) web-ami @TheSFReader m’a hier fait passer un article que j’ai trouvé rafraichissant, retranscris sur le blog ThePassiveVoice (que je vous conseille d’ailleurs chaudement). En résumé et pour les non-anglophones, l’auteur se demande pourquoi, avec la technologie à notre disposition, les gens ne publient pas davantage d’histoires. Nous avons des ordinateurs qui nous permettent d’écrire vite, des services en ligne qui nous permettent de publier et de vendre tout aussi vite. En fait, nous avons beaucoup plus de chance que les écrivains pulp du siècle dernier qui n’avaient pas toute cette technologie à disposition et qui pourtant mitraillaient comme des fous. Et de conclure que, puisque ce n’est ni un problème de mise sur le marché ou de technologie, que c’est simplement une idée préconçue qui nous habite en tant qu’auteurs : nous sommes persuadés qu’écrire doit prendre du temps.

Je ne dis pas qu’écrire ne prend *pas* de temps. Ça prend le temps qu’il faut, en vérité. Quelquefois, c’est long. D’autres fois un peu moins. Ça reste compliqué de construire une bonne histoire, de fabriquer un roman qui donne envie de tourner la page suivante. Pour ça il faut s’entraîner, et c’était justement tout le propos de mon « Projet Bradbury » où j’avais enchaîné les nouvelles semaine après semaine. Si j’ai écrit vite une fois dans ma vie, c’était bien cette fois-là. Mais je réalise que j’écris assez vite de manière générale. Une nouvelle me demande deux jours de travail, maximum trois. Il y a un mois, j’ai écrit une pièce de théâtre en à peine une semaine (elle sera normalement publiée à l’été 2017). J’aime écrire dans l’urgence. Et je ne crois pas que ça fasse de moi un mauvais écrivain — même si d’autres penseront le contraire.

J’ai beaucoup de mal à relire ce que j’ai écrit il y a plus d’un an ou deux. J’en veux pour preuve ce roman qu’une grande maison d’édition jeunesse avait accepté l’année dernière, avant de finir par le mettre à la poubelle pour cause de changement de direction éditoriale (une expérience désagréable — c’est un euphémisme). Je l’ai terminé il y a trois ans, après avoir mis presque un an à l’écrire. Autant dire que ça commence à dater. Je l’ai rapidement parcouru il y a quelques jours, parce que je me dis que c’est dommage de le laisser pourrir dans un tiroir. Et bien je ne devrais pas, parce que je trouve ça démoralisant. On change tellement en un, deux, trois ans. Le style évolue, ce n’est pas nécessairement meilleur d’ailleurs mais c’est juste autre chose. Du coup, difficile de se motiver quand trop de temps s’écoule.

Les écrivains sont comme tout le monde, ils et elles changent vite et souvent radicalement. Le fond peut rester le même, nous sommes des éponges. Et on ne peut pas absorber à longueur de journée sans jamais changer.

Alors cela fait sens pour moi d’écrire et de publier vite, comme on ferait de la photographie : c’est un portrait de soi à un instant précis. Y revenir plus tard, ce serait comme ajouter des rides sur une image de soi plus jeune. J’ai donc beaucoup de respect pour celles et ceux qui écrivent et publient vite. Je ne préjuge pas de la valeur de leurs écrits en fonction du ratio temps écoulé/nombre de caractères. C’est mystérieux, une bonne histoire. Personne ne sait vraiment comment ça fonctionne. Et s’il suffisait de passer cinq ans sur un roman pour le rendre parfait, ça se saurait, non ?