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title: Dis tonton, c’est quoi les blocages d’instance sur Mastodon ? url: https://n.survol.fr/n/dis-tonton-cest-quoi-les-blocages-dinstance-sur-mastodon hash_url: e33bbb49c8

Voilà qu’on reparle de modé­ra­tion de Masto­don. L’his­toire de départ c’est une instance (« Info­sec ») qui a choisi d’en mettre une autre (« Journa ») sous silence pour ne pas subit les propos que cette dernière a choisi de lais­ser en ligne.

Hein ? Une instance ?

Masto­don fonc­tionne à travers un réseau fédéré. Son petit nom est le fédi­verse. Les utili­sa­teurs sont regrou­pés en ilots plus ou moins gros qu’on appelle les instances. Certains utili­sa­teurs ont leur propre instance person­nel. D’autres instances regroupent plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Si un Tom d’Info­sec est abonné à Alice de Journa, alors les deux instances commu­niquent entre elles pour que Journa envoie les messages d’Alice à Info­sec. Info­sec fera ensuite en sorte de les présen­ter à Tom.

Diffé­rentes instances

Vous connais­sez déjà ça avec les emails, qui fonc­tionnent sur le même prin­cipe. On a un îlot Gmail, un Outlook, un Yahoo, un Orange, un Free… et chaque entre­prise créé le sien avec son propre nom.

Ok, mais c’est quoi le blocage d’une instance ?

Si Info­sec choi­sit de bloquer entiè­re­ment Journa, alors elle ne trai­tera plus les nouveaux messages de cette dernière et n’y enverra plus les siens. On parle de défé­dé­rer une instance.

Cette procé­dure n’in­fluera que sur l’ins­tance qui réalise qui le blocage (Info­sec) et les utili­sa­teurs de cette dernière. L’ins­tance ciblée (Journa) conti­nuera à conver­ser avec toutes les milliers d’autres instances du réseau.

Blocage d’une instance par une autre.

En réalité il y a un niveau inter­mé­diaire qu’on appelle la mise sous silence.

Masto­don a trois flux : le flux person­nel qui présente unique­ment les abon­ne­ments, le flux local qui présente unique­ment les messages locaux à l’ins­tance, et le flux fédéré qui présente tous les messages reçus par l’ins­tance.

La mise sous silence masque les conte­nus concer­nés dans le flux fédéré mais permet de rece­voir des messages dans le flux person­nel à condi­tion de s’y être expli­ci­te­ment abonné.

C’est ce niveau de blocage inter­mé­diaire (la mise sous silence) qui a été mis en œuvre par Info­sec.

Mais pourquoi faire ça ?

La vraie réponse : Peu importe. Si tu choi­sis de ne pas écou­ter CNews chez toi, tu n’as pas à donner d’ex­pli­ca­tion. C’est ton choix.

C’est la même chose pour l’ins­tance Info­sec et ses utili­sa­teurs : Ils font ce qu’ils veulent chez eux.

Le plus souvent on bloque une instance quand elle est la source de spam, de harcè­le­ments, ou de propos racistes, trans­phobes, handi­phobes, pédo­por­no­gra­phiques ou inju­rieux.

Chaque instance a ses propres sensi­bi­li­tés. Certaines tiennent à une liberté d’ex­pres­sion très large, d’autres préfèrent exclure la porno­gra­phie ou certains sujets pour créer un espace qui leur convient.

Certains préfèrent une modé­ra­tion légère quitte à subir parfois quelques conte­nus problé­ma­tiques là où d’autres préfèrent une modé­ra­tion forte quitte à limi­ter certaines inter­ac­tions externes légi­times.

C’est un choix local, qui ne concerne qu’eux.

Ici Info­sec a jugé que certains propos venant de Journa étaient trans­phobes et les utili­sa­teurs d’Info­sec souhai­taient s’en proté­ger (c’est à dire ne plus les voir ni en assu­rer la trans­mis­sion chez eux).

On bloque toute une instance et tous les utili­sa­teurs pour un unique message problé­ma­tique ?

Masto­don prévoit un moyen de signa­ler les propos gênants à l’ins­tance d’ori­gine. Le plus souvent les blocages d’ins­tance inter­viennent quand l’ins­tance d’ori­gine (ici Journa) refuse d’agir, ou que le problème survient trop régu­liè­re­ment.

Pour faire un paral­lèle, si je sais que CNews invite régu­liè­re­ment des invi­tés que je ne supporte pas, je peux préfé­rer ne plus du tout regar­der CNews pour m’en proté­ger, quitte à ne plus entendre certains autres invi­tés qui seraient eux accep­tables à mes yeux. Je n’in­ter­dis pas CNews, je choi­sis juste de ne pas diffu­ser cette chaîne dans mon salon.

J’avoue que sur ce sujet, si j’avais eu à modé­rer, avec une seule occur­rence qui n’est qu’un partage d’un contenu d’un jour­nal de réfé­rence, j’au­rais mis sous silence unique­ment l’uti­li­sa­teur concerné et pas l’ins­tance, mais ce n’est que mon choix lié à mes équi­libres person­nels.

Info­sec a fait un autre choix, et il ne regarde qu’eux.

Pourquoi est-ce que Journa a refusé d’agir sur des propos trans­phobes ?

Les équi­libres de liberté d’ex­pres­sion sont très subjec­tifs. Tous les pays n’ont déjà pas le même socle de base en interne. Les commu­nau­tés peuvent en plus choi­sir d’al­ler au-delà de ce socle de base. Certaines le font, d’autres pas, et pas toujours sur les mêmes sujets.

Enfin, parfois il y a simple­ment désac­cord sur ce qui est ou pas inju­rieux, ce qui est ou pas trans­phobe, ce qui est ou pas raciste, ce qui est ou pas un consti­tu­tif d’un harcè­le­ment, etc.

Les commu­nau­tés se regroupent autour de poli­tiques, valeurs et cultures communes, mais n’ont pas forcé­ment les mêmes que le voisin.

C’est ce qu’il se passe ici. Soit Journa a consi­déré que l’ar­ticle du New York Times relayé était suffi­sam­ment étayé avec des avis de docteurs et cher­cheurs à propos des effets indé­si­rables de certains trai­te­ments, soit Journa n’a pas agit en pensant que ce n’est pas son rôle de tran­cher une telle ques­tion et remettre en cause le New York Times.

D’autres personnes sur Info­sec ont, elles, consi­déré que le contenu était trans­phobe et qu’il valait mieux bloquer l’ins­tance si elle n’agis­sait pas pour empê­cher la diffu­sion de conte­nus trans­phobes à l’ave­nir. Info­sec a agit en fonc­tion de ses propres utili­sa­teurs, et ça ne regarde qu’eux (oui, je me répète mais c’est impor­tant).

Ça pose quand même un sacré problème de liberté d’ex­pres­sion, non ?

En fait, pas vrai­ment, pas beau­coup plus que tous les gens qui comme moi font le choix de ne jamais allu­mer la TV sur CNews.

Personne n’em­pêche les membres de Journa de s’ex­pri­mer, ou d’être entendu, ou même d’être relayé sur la très grande majo­rité des instances Masto­don.

Dans le schéma de tout à l’heure, le blocage est à la péri­phé­rie de l’ins­tance Info­sec et pas à la péri­phé­rie de l’ins­tance Journa. Tant qu’Info­sec n’est qu’un des très nombreux acteurs du réseau, ça ne pose pas de problème majeur.

Blocage d’une instance par une autre.

Les seuls pour qui il y aurait poten­tiel­le­ment un enjeu de liberté d’ex­pres­sion, ce sont les membres de l’ins­tance d’Info­sec.

Ahah ! Tu vois, tu le dis toi-même, il y a bien un problème pour eux !

Ça dépend. Si je parti­cipe à une asso­cia­tion, qu’il y a une TV dans la salle de pause et qu’il a été décide que cette TV diffu­se­rait Arte plutôt que CNews, est-ce une atteinte à la liberté d’ex­pres­sion parce que je ne peux pas y écou­ter les chro­niqueurs de CNews ?

Proba­ble­ment pas : Je peux encore écou­ter CNews chez moi, ou dans une autre asso­cia­tion, ou même monter ma propre asso­cia­tion qui aura des règles diffé­rentes. Cela ne commen­cera à être un problème que si ma capa­cité à aller voir ailleurs est limi­tée ou complexe, ou si on donne à l’as­so­cia­tion d’ori­gine une auto­rité quel­conque.

C’est exac­te­ment la même chose avec Info­sec. Ses membres peuvent toujours aller lire Journa ailleurs avec un second compte, ou démé­na­ger leur compte prin­ci­pal sur une autre instance, ou même monter leur propre instance. Ajou­ter un second compte ou migrer ailleurs est facile, sans limite.

Non seule­ment personne ne bride l’ex­pres­sion des membres de Journa mais en plus personne ne limite la capa­cité à aller les lire faci­le­ment.

Pour­tant tu disais toi-même que…

La ques­tion surgi­rait diffé­rem­ment si Info­sec avait une situa­tion de quasi-mono­pole, ou que toutes les instances bloquant Journa avaient en se regrou­pant une situa­tion de quasi-mono­pole limi­tant de fait la capa­cité à accé­der au contenu dont on parle.

Ce n’est pas le cas aujourd’­hui.

Ce serait aussi un sujet pour un blocage liti­gieux réalisé de façon cachée. Ici l’ad­mi­nis­tra­teur d’Info­sec a publié un billet sur le sujet et le fait même que j’en parle ici montre qu’on est loin de ce cas.

Ça pose au moins une ques­tion de démo­cra­tie interne d’In­fo­sec

Pas à mon avis. Tout fonc­tion­ne­ment interne n’a pas forcé­ment à être démo­cra­tique. C’est impor­tant pour un pays ou une collec­ti­vité terri­to­riale parce qu’on ne choi­sit pas son pays d’ori­gine et qu’on ne change pas faci­le­ment de pays ou de terri­toire.

La démo­cra­tie c’est « le pouvoir au peuple ». Sur Masto­don l’uti­li­sa­teur a le pouvoir vu qu’il peut choi­sir à tout moment une instance avec des règles qui lui conviennent, sans avoir de consé­quences néga­tives signi­fi­ca­tives.

C’est d’au­tant moins un sujet que le message de l’ad­mi­nis­tra­teur d’Info­sec laisse entendre que ce sont des utili­sa­teurs de l’ins­tance qui l’ont fait agir et pas lui qui a pris la déci­sion unila­té­ra­le­ment.

Mais alors il n’y a aucun problème ?

Il y a plein de problèmes, mais pas forcé­ment des ques­tions de liberté d’ex­pres­sion ou de démo­cra­tie, et pas forcé­ment sur le cas Info­secJourna.

Un premier problème est la trans­pa­rence. Info­sec a agi en trans­pa­rence mais ce n’a pas toujours été lé cas de toutes les instances par le passé. Quand c’est trans­pa­rent on fait nos choix, éven­tuel­le­ment on va voir ailleurs. Quand c’est caché ça veut dire mani­pu­ler l’in­for­ma­tion reçue et influen­cer des personnes sans qu’ils ne le sachent, et ça c’est déjà beau­coup plus liti­gieux.

La contrainte est un second problème. Ce ne semble pas le cas ici mais par le passé la menace de défé­dé­rer a été utili­sée comme une pres­sion pour forcer une autre commu­nauté à chan­ger ses propres règles et valeurs (« si tu ne bloques pas l’ins­tance xxx alors on bloque ton instance aussi »). On est là dans une démarche où l’ou­til a été détourné pour deve­nir une arme plutôt qu’un bouclier.

Enfin, il y a un sujet si une instance ou un groupe d’ins­tances peut avoir suffi­sam­ment de poids pour que ça devienne effec­ti­ve­ment un sujet de liberté d’ex­pres­sion. C’est parti­cu­liè­re­ment le cas si on cumule avec le problème précé­dent. Là ça peut être aussi moche qu’un réseau centra­lisé, ou créer plusieurs sous-réseaux indé­pen­dants et qui ne commu­niquent pas entre eux.

Du coup le système de Masto­don est problé­ma­tique ?

Oui, non, ça dépend de tes propres choix.

C’est juste qu’il n’y a pas de système parfait ni de façon univer­selle de posi­tion­ner les équi­libres entre les diffé­rents enjeux.

Le choix de Masto­don est un choix qui répond à des problèmes vus sur Twit­ter ou d’autres réseaux centra­li­sés, qui ouvre d’autres possi­bi­li­tés et d’autres façons de penser les équi­libres. C’est déjà pas mal.

Que peut-on amélio­rer ?

  1. Inci­ter à plus de trans­pa­rence à l’in­té­rieur d’une instance, sur ce qui est bloqué globa­le­ment et pourquoi.
  2. Refu­ser globa­le­ment les guerres de modé­ra­tion entre instances et les instances qui veulent contraindre les règles des autres (le « si tu ne bloques pas l’ins­tance xxx alors on bloque ton instance aussi »)
  3. S’as­su­rer qu’au­cune instance ne repré­sente plus de 20% des utili­sa­teurs actifs, et qu’un groupe d’ins­tances ne devienne majo­ri­taire au point de pouvoir deve­nir un problème.
  4. Faire en sorte que jamais la procé­dure de démé­na­ge­ment de compte ne soit limi­tée, même en cas de blocage d’ins­tance.