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title: Dispersez-vous ! Non ! url: https://www.facebook.com/notes/hubert-guillaud/dispersez-vous-non-/10153729475059910 hash_url: d80a71cd16

On a tous envie de pouvoir dormir à nouveau normalement, de pouvoir sortir dans les rues sans ne plus ressentir cette inquiétude sourde qui s'est abattue sur nous depuis la semaine dernière, de pouvoir dire à nos enfants qu'il n'y a plus de danger, plus aucun, vraiment plus aucun.
On a tous envie de retrouver notre insouciance, cette frivolité qui incarne si parfaitement notre si vaste et merveilleuse liberté.
Alors on la cherche. Partout. On guette des signes de son retour. On traque le moindre événement sur les réseaux sociaux et les sites d'information. On attend l'annonce qui lèvera cette appréhension qui mobilise notre attention. On recharge frénétiquement ces pages qui nous annoncent en continue ce qu'il se passe. On suit ce que dit la presse qu'on avait depuis longtemps perdu de vue. On se préoccupe des moindres agissement de la police dont on ne s'était pourtant jamais inquiété jusqu'alors, comme s'il s'agissait de notre nouveau meilleur ami sur les réseaux sociaux. Bon, jusqu'à présent, on ne l'aurait jamais vraiment accepté comme ami sur FB : avec ses gros godillots et ses injonctions à nous hurler dessus pour nous dire ce qu'on doit faire, on l'aurait plutôt évité comme on le fait de bien des trolls... Mais bon, d'un coup, sa force brute et son gilet pare-balle semblent être devenus bien rassurants face aux tirs perdus qui nous menacent. On est tous prêts à vouloir s'abriter derrière. Qu'importe si ce nouvel ami est pour l'instant un peu encombrant.
Alors on se cale derrière. Et on recharge la page. On attend. On attend que notre insouciance revienne. On attend qu'on nous libère en arrêtant tout ce qui nous menace. On voudrait d'un coup que tout soit nettoyé. Ce sang. Ces éclats de verre. Ces fleurs. Ces rideaux baissés. Ces flots de policiers et de militaires. Ces camions de la presse du monde entier... Même cette bonne humeur un peu bravade que tout le monde fait semblant d'afficher. Même les morts et les blessés, on les voudrait à nouveau vivants et on noie notre émotion dans leurs portraits, dans leurs histoires, pour ne plus penser à leurs cadavres et à leurs vies arrêtées qui auraient pu être les nôtres. On voudrait que tout revienne comme avant et on attend que la police soit passée, qu'elle les ai tous arrêtés : ceux qui ont commis les attentats comme ceux qui ont prévu d'en faire.
On serait même près à fermer les yeux. A hausser les épaules sur l'Etat d'urgence, sur la guerre qu'on s'apprête à mener, là-bas, si loin de nos pavés. On est prêt à ouvrir nos sacs à qui nous le demandera pour qu'il vérifie qu'il n'y a ni bombes ni armes. On est même prêt à ce que nos communications soient surveillées, puisqu'en fermant bien les yeux, on ne le verra pas. On est prêt à ce qu'ils soient tous arrêtés, même ceux qui n'ont rien fait, tant que ce n'est pas nous. On est prêt à tout pour que toute menace disparaisse, si ça nous rend notre si chère insouciance. Notre sécurité, n'est-elle pas finalement préférable à tout ces petits désagréments ? Nous sommes tous un peu lâches. Nous sommes tous prêts à dire oui, à signer n'importe quoi pour que cette menace s'évanouisse à nouveau. Qu'on nous l'enlève. Qu'on n'ait pas à la gérer. Elle est trop lourde pour chacun d'entre nous.
Et puis, voilà qu'on nous dit que nous n'aurons plus le droit de nous retrouver. De nous regrouper. D'être ensemble. De manifester. De dire qu'on n'est pas d'accord. On commence à entendre que nous ne pourrons peut-être plus parler aussi librement que nous l'avons toujours fait. On commence à dire aux enfants qu'ils ne pourront plus aller au cinéma avec leurs classes. Que les manifestations sportives seront annulées. Que la fête sera remise à plus tard. Qu'on ne pourra peut-être même plus aller au match de foot tous ensemble... Que les Resto du Coeur ne pourront plus distribuer de la bouffe à ceux qui en ont besoin.
On nous annonce que nul ne nous libérera de notre insouciance demain. Qu'il faudra bien 3 mois au moins, plus peut-être... Qu'on pourra assigner à résidence sur décision administrative tout ceux qui dérangent. Pas seulement ces affreux djihadistes. Mais tout ceux qui troublent l'ordre public. Que les salariés d'Air France ne pourront plus déchirer les chemises de ceux qui les traitent comme des chiens. Que nous ne pourrons plus dire à nos dirigeants qu'ils se trompent dans de joyeux cortèges. Que nous ne pourrons pas manifester pour la planète, pour la retraite ou pour Charlie... Ou contre une hausse des impôts ou contre la politique agricole ou les paradis fiscaux... Qu'on ne pourra pas dire qu'on ne veut pas de polices municipales armées. Qu'on ne pourra pas dire qu'on ne veut pas de flics avec des armes sur eux, en-dehors de leurs heures de service... Qu'on ne veut pas plus d'armes dans nos rues, mais pas d'armes dans nos rues. Qu'on ne veut pas d'arrestations administratives ou de mises en résidences pour les syndicalistes, les membres d'associations anti-nucléaire, les zadistes ou les lanceurs d'alertes... Qu'on ne veut pas de l'Etat d'exception. Qu'on ne veut pas qu'on nous interdise de dire non, même si cela ne transforme pas toujours grand chose. Parce que pouvoir dire non, c'est l'essence même de notre insouciance. Je veux pouvoir continuer à dire que je ne suis pas d'accord avec les autres, parce que c'est ainsi qu'on vit ensemble... En acceptant de n'être pas d'accord les uns avec les autres. En fait, notre insouciance n'est pas aussi frivole qu'il n'y paraît.
Pour retrouver notre insouciance, on a d'abord besoin de la partager. Et si on ne peut plus la partager, alors c'est certain, on ne pourra pas la retrouver. Dans ce choix entre liberté et sécurité que nous proposent aujourd’hui nos hommes politiques, tout compte fait, je choisis la liberté. Parce qu'au bout du combat pour la liberté, je sais que je la retrouverai peut-être, mon insouciance. Alors qu'au bout du combat pour la sécurité, je sais que j'aurai perdu tout ce qui me permet d'y aspirer : ma fierté, nos valeurs, et surtout ce qui permet de nous opposer et de nous retrouver.
On nous demande de nous disperser. Malgré la trouille, malgré l’irrépressible trouille qui nous saisit tous, c'est tout le contraire de ce à quoi j'aspire aujourd'hui.
Hubert, 19 novembre 2015, le jour où un quarteron d'imbéciles va enterrer notre liberté parce que des fous nous l'ont volée. https://twitter.com/search?q=%23PJL...