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title: Faut-il taire ses émotions pour se sentir professionnel·le ? url: https://ut7.fr/blog/2018/12/20/faut-il-taire-ses-emotions-pour-se-sentir-professionnel-le.html hash_url: 973e1f111b

Ça ne serait pas très efficace d’ignorer les émotions dans notre contexte professionnel.

Quand j’ai commencé ma carrière, je ne considérais pas les émotions : ni les miennes, ni celles des personnes avec qui j’interagissais. C’est un peu tardivement que j’ai compris en quoi c’était une énorme erreur.

Pour ce qui est des émotions des autres, je n’en parlais pas. Mais je ne les ignorais pas complètement non plus : il fallait bien que j’anticipe les susceptibilités des un·e·s et des autres, ce qui constituait une charge considérable, mais nécessaire. Ces émotions-là n’étaient rien d’autre que des parasites dans la communication, des défauts de comportements auxquels il fallait bien palier. Il fallait faire avec.

Mais mes émotions à moi, je les taisais. Et je pensais que c’était une attitude très pro : je ne perturbais pas inutilement les autres avec mes histoires perso. À l’époque, j’aurais probablement dit que dans la sphère professionnelle, l’expression des émotions n’était pas appropriée, quelle que soit sa forme. J’avais une attitude neutre : j’agissais autant que possible sans tenir compte de mes émotions, et j’évitais même les situations qui auraient pu provoquer en moi des émotions que je n’aurais su contenir.

Cette posture n’était pas délibérée : je ne faisais que reproduire, inconsciemment, des images que j’avais perçues jusque là : mon oncle à cravate qui travaillait “dans l’informatique”, mes enseignant·e·s pendant ma formation post bac, mes pair·e·s et mes managers, une fois entré dans le monde du travail. Toutes ces personnes avaient l’air très compétentes, et je ne les ai jamais entendues parler de leurs émotions. Et les rares fois où j’ai pu percevoir des signes d’émotions, c’était par accident, des manifestations d’un manque de contrôle de leur part.

Avec le recul que je peux avoir aujourd’hui, c’est mon attitude d’alors qui me parait complètement inappropriée. En taisant mes émotions, je n’ai appris ni à les reconnaître, ni à les assumer. Pire encore : il me semble clair aujourd’hui que je n’agissais pas de manière neutre par rapport à mes émotions, mais plutôt que j’agissais sous leur influence, mais sans en avoir conscience. Car justement, ne sachant pas faire autrement que de les ignorer, je n’en avais tout simplement pas conscience. Pour avoir l’air professionnel, j’ai appris à maintenir mes émotions à distance, à me couper d’elles, et d’une certaine manière, me couper de moi-même.

J’ai redécouvert les émotions que j’éprouve dans un contexte professionnel. Pour y parvenir, j’ai appris temporiser mes réactions, à respirer, à déceler les manifestations corporelles de mes émotions, en prendre conscience, les accueillir, et rester à leur contact - même quand c’est désagréable. Sans chercher à leur donner immédiatement un sens, en évitant de les juger. Juste en prendre conscience. C’est ainsi que j’ai appris à sentir mes émotions, et à les utiliser pour informer mes choix et mes actions. La découverte a été brutale, déstabilisante, mais maintenant que je sais vivre avec elles en conscience, ma vie professionnelle a radicalement changé, car je dispose désormais d’une boussole extrêmement précise et immédiate pour juger de ce qui me convient où non. C’est une compétence majeure que j’ai acquise, et que je recommande à toute personne travaillant dans le domaine du développement logiciel, si elle n’a pas la chance de l’avoir développée avant.

Les émotions sont des données brutes, une réaction tout à fait factuelle de notre corps aux stimuli extérieurs. Ignorer autant d’indices sur soi même, c’est s’aveugler, et refuser de prendre en compte une partie des données à disposition. En se privant de ces données, on prend le risque de faire des choix sous-optimaux, que le contexte soit professionnel ou non. Également, on augmente ses chances d’emprunter une direction qu’on ne saura pas soutenir, car en trop grand décalage avec ce que l’on est vraiment.

Je suis heureux d’avoir franchi le cap, dépassé cet interdit qui m’empêchait de sentir mes émotions en milieu professionnel. Il m’arrive parfois de dire ce je sens - j’ai le privilège de pouvoir le faire sans que l’on ne me le reproche - j’espère que cela en inspirera d’autres.