title: Dis tonton, c’est quoi les blocages d’instance sur Mastodon ?
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Voilà qu’on reparle de modération de Mastodon. L’histoire de départ c’est une instance (« Infosec ») qui a choisi d’en mettre une autre (« Journa ») sous silence pour ne pas subit les propos que cette dernière a choisi de laisser en ligne.
Hein ? Une instance ?
Mastodon fonctionne à travers un réseau fédéré. Son petit nom est le fédiverse. Les utilisateurs sont regroupés en ilots plus ou moins gros qu’on appelle les instances. Certains utilisateurs ont leur propre instance personnel. D’autres instances regroupent plusieurs dizaines de milliers de personnes.
Si un Tom d’Infosec est abonné à Alice de Journa, alors les deux instances communiquent entre elles pour que Journa envoie les messages d’Alice à Infosec. Infosec fera ensuite en sorte de les présenter à Tom.
Vous connaissez déjà ça avec les emails, qui fonctionnent sur le même principe. On a un îlot Gmail, un Outlook, un Yahoo, un Orange, un Free… et chaque entreprise créé le sien avec son propre nom.
Ok, mais c’est quoi le blocage d’une instance ?
Si Infosec choisit de bloquer entièrement Journa, alors elle ne traitera plus les nouveaux messages de cette dernière et n’y enverra plus les siens. On parle de défédérer une instance.
Cette procédure n’influera que sur l’instance qui réalise qui le blocage (Infosec) et les utilisateurs de cette dernière. L’instance ciblée (Journa) continuera à converser avec toutes les milliers d’autres instances du réseau.
En réalité il y a un niveau intermédiaire qu’on appelle la mise sous silence.
Mastodon a trois flux : le flux personnel qui présente uniquement les abonnements, le flux local qui présente uniquement les messages locaux à l’instance, et le flux fédéré qui présente tous les messages reçus par l’instance.
La mise sous silence masque les contenus concernés dans le flux fédéré mais permet de recevoir des messages dans le flux personnel à condition de s’y être explicitement abonné.
C’est ce niveau de blocage intermédiaire (la mise sous silence) qui a été mis en œuvre par Infosec.
Mais pourquoi faire ça ?
La vraie réponse : Peu importe. Si tu choisis de ne pas écouter CNews chez toi, tu n’as pas à donner d’explication. C’est ton choix.
C’est la même chose pour l’instance Infosec et ses utilisateurs : Ils font ce qu’ils veulent chez eux.
Le plus souvent on bloque une instance quand elle est la source de spam, de harcèlements, ou de propos racistes, transphobes, handiphobes, pédopornographiques ou injurieux.
Chaque instance a ses propres sensibilités. Certaines tiennent à une liberté d’expression très large, d’autres préfèrent exclure la pornographie ou certains sujets pour créer un espace qui leur convient.
Certains préfèrent une modération légère quitte à subir parfois quelques contenus problématiques là où d’autres préfèrent une modération forte quitte à limiter certaines interactions externes légitimes.
C’est un choix local, qui ne concerne qu’eux.
Ici Infosec a jugé que certains propos venant de Journa étaient transphobes et les utilisateurs d’Infosec souhaitaient s’en protéger (c’est à dire ne plus les voir ni en assurer la transmission chez eux).
On bloque toute une instance et tous les utilisateurs pour un unique message problématique ?
Mastodon prévoit un moyen de signaler les propos gênants à l’instance d’origine. Le plus souvent les blocages d’instance interviennent quand l’instance d’origine (ici Journa) refuse d’agir, ou que le problème survient trop régulièrement.
Pour faire un parallèle, si je sais que CNews invite régulièrement des invités que je ne supporte pas, je peux préférer ne plus du tout regarder CNews pour m’en protéger, quitte à ne plus entendre certains autres invités qui seraient eux acceptables à mes yeux. Je n’interdis pas CNews, je choisis juste de ne pas diffuser cette chaîne dans mon salon.
J’avoue que sur ce sujet, si j’avais eu à modérer, avec une seule occurrence qui n’est qu’un partage d’un contenu d’un journal de référence, j’aurais mis sous silence uniquement l’utilisateur concerné et pas l’instance, mais ce n’est que mon choix lié à mes équilibres personnels.
Infosec a fait un autre choix, et il ne regarde qu’eux.
Pourquoi est-ce que Journa a refusé d’agir sur des propos transphobes ?
Les équilibres de liberté d’expression sont très subjectifs. Tous les pays n’ont déjà pas le même socle de base en interne. Les communautés peuvent en plus choisir d’aller au-delà de ce socle de base. Certaines le font, d’autres pas, et pas toujours sur les mêmes sujets.
Enfin, parfois il y a simplement désaccord sur ce qui est ou pas injurieux, ce qui est ou pas transphobe, ce qui est ou pas raciste, ce qui est ou pas un constitutif d’un harcèlement, etc.
Les communautés se regroupent autour de politiques, valeurs et cultures communes, mais n’ont pas forcément les mêmes que le voisin.
C’est ce qu’il se passe ici. Soit Journa a considéré que l’article du New York Times relayé était suffisamment étayé avec des avis de docteurs et chercheurs à propos des effets indésirables de certains traitements, soit Journa n’a pas agit en pensant que ce n’est pas son rôle de trancher une telle question et remettre en cause le New York Times.
D’autres personnes sur Infosec ont, elles, considéré que le contenu était transphobe et qu’il valait mieux bloquer l’instance si elle n’agissait pas pour empêcher la diffusion de contenus transphobes à l’avenir. Infosec a agit en fonction de ses propres utilisateurs, et ça ne regarde qu’eux (oui, je me répète mais c’est important).
Ça pose quand même un sacré problème de liberté d’expression, non ?
En fait, pas vraiment, pas beaucoup plus que tous les gens qui comme moi font le choix de ne jamais allumer la TV sur CNews.
Personne n’empêche les membres de Journa de s’exprimer, ou d’être entendu, ou même d’être relayé sur la très grande majorité des instances Mastodon.
Dans le schéma de tout à l’heure, le blocage est à la périphérie de l’instance Infosec et pas à la périphérie de l’instance Journa. Tant qu’Infosec n’est qu’un des très nombreux acteurs du réseau, ça ne pose pas de problème majeur.
Les seuls pour qui il y aurait potentiellement un enjeu de liberté d’expression, ce sont les membres de l’instance d’Infosec.
Ahah ! Tu vois, tu le dis toi-même, il y a bien un problème pour eux !
Ça dépend. Si je participe à une association, qu’il y a une TV dans la salle de pause et qu’il a été décide que cette TV diffuserait Arte plutôt que CNews, est-ce une atteinte à la liberté d’expression parce que je ne peux pas y écouter les chroniqueurs de CNews ?
Probablement pas : Je peux encore écouter CNews chez moi, ou dans une autre association, ou même monter ma propre association qui aura des règles différentes. Cela ne commencera à être un problème que si ma capacité à aller voir ailleurs est limitée ou complexe, ou si on donne à l’association d’origine une autorité quelconque.
C’est exactement la même chose avec Infosec. Ses membres peuvent toujours aller lire Journa ailleurs avec un second compte, ou déménager leur compte principal sur une autre instance, ou même monter leur propre instance. Ajouter un second compte ou migrer ailleurs est facile, sans limite.
Non seulement personne ne bride l’expression des membres de Journa mais en plus personne ne limite la capacité à aller les lire facilement.
Pourtant tu disais toi-même que…
La question surgirait différemment si Infosec avait une situation de quasi-monopole, ou que toutes les instances bloquant Journa avaient en se regroupant une situation de quasi-monopole limitant de fait la capacité à accéder au contenu dont on parle.
Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Ce serait aussi un sujet pour un blocage litigieux réalisé de façon cachée. Ici l’administrateur d’Infosec a publié un billet sur le sujet et le fait même que j’en parle ici montre qu’on est loin de ce cas.
Ça pose au moins une question de démocratie interne d’Infosec
Pas à mon avis. Tout fonctionnement interne n’a pas forcément à être démocratique. C’est important pour un pays ou une collectivité territoriale parce qu’on ne choisit pas son pays d’origine et qu’on ne change pas facilement de pays ou de territoire.
La démocratie c’est « le pouvoir au peuple ». Sur Mastodon l’utilisateur a le pouvoir vu qu’il peut choisir à tout moment une instance avec des règles qui lui conviennent, sans avoir de conséquences négatives significatives.
C’est d’autant moins un sujet que le message de l’administrateur d’Infosec laisse entendre que ce sont des utilisateurs de l’instance qui l’ont fait agir et pas lui qui a pris la décision unilatéralement.
Mais alors il n’y a aucun problème ?
Il y a plein de problèmes, mais pas forcément des questions de liberté d’expression ou de démocratie, et pas forcément sur le cas Infosec – Journa.
Un premier problème est la transparence. Infosec a agi en transparence mais ce n’a pas toujours été lé cas de toutes les instances par le passé. Quand c’est transparent on fait nos choix, éventuellement on va voir ailleurs. Quand c’est caché ça veut dire manipuler l’information reçue et influencer des personnes sans qu’ils ne le sachent, et ça c’est déjà beaucoup plus litigieux.
La contrainte est un second problème. Ce ne semble pas le cas ici mais par le passé la menace de défédérer a été utilisée comme une pression pour forcer une autre communauté à changer ses propres règles et valeurs (« si tu ne bloques pas l’instance xxx alors on bloque ton instance aussi »). On est là dans une démarche où l’outil a été détourné pour devenir une arme plutôt qu’un bouclier.
Enfin, il y a un sujet si une instance ou un groupe d’instances peut avoir suffisamment de poids pour que ça devienne effectivement un sujet de liberté d’expression. C’est particulièrement le cas si on cumule avec le problème précédent. Là ça peut être aussi moche qu’un réseau centralisé, ou créer plusieurs sous-réseaux indépendants et qui ne communiquent pas entre eux.
Du coup le système de Mastodon est problématique ?
Oui, non, ça dépend de tes propres choix.
C’est juste qu’il n’y a pas de système parfait ni de façon universelle de positionner les équilibres entre les différents enjeux.
Le choix de Mastodon est un choix qui répond à des problèmes vus sur Twitter ou d’autres réseaux centralisés, qui ouvre d’autres possibilités et d’autres façons de penser les équilibres. C’est déjà pas mal.
Que peut-on améliorer ?