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title: cailloux n°103 : words, words, words url: https://cailloux.substack.com/p/103-words-words-words hash_url: bbca3c5e1b

Enfant, j’avais une passion pour le dictionnaire, que je lisais en l’ouvrant au hasard, à la recherche de mots comme des horizons nouveaux. C’est sans doute pour cela que j’ai beaucoup aimé cet article de Pippa Bailey qui présente le travail hautement collaboratif des lexicographes du Oxford English Dictionary. L’OED est un dictionnaire descriptif, c’est-à-dire qu’il s’attache à décrire la langue et ses évolutions, plutôt qu’à prescrire son usage (ceci est un raccourci, mais n’étant pas linguiste, je compte sur votre indulgence che·res lecteurices).

Dans l’article on découvre par exemple que l’expression “what the what” a été documentée pour la première fois dans la série 30 Rock ou que “burner phone” a été retrouvé dans One Life 2 Live de Kingpin Skinny Pimp (quel nom !) avant d’être popularisé par la série The Wire. On y apprend aussi l’origine de l’institution qu’est l’OED :

In 1857 a group of gentleman scholars from the Philological Society – Herbert Coleridge, grandson of the poet Samuel Taylor Coleridge, Frederick Furnivall (immortalised by his friend Kenneth Grahame as Ratty in The Wind in the Willows), and Richard Chenevix Trench – established the Unregistered Words Committee, with the aim of capturing those parts of the English language that had not yet been recorded.

Il existe des personnes qui posent un regard sur les enfants en tant que catégorie sociale et politique et étudient la domination qu’éls subissent, mais il reste encore à nous saisir collectivement de leurs travaux. Tal Piterbraut-Merx était l’une d’entre elles et dans ce texte, Conjurer l’oubli, pour une réminiscence politique de nos enfances, il propose d’examiner le discours que les adultes posent sur l’enfance.

Un alliage étrange et monstrueux se forme : il semble d’un côté que l’adulte ait pour une grande partie et le plus souvent oublié les brimades, les humiliations et les violences vécues, ou les minimise (le fameux « j’en suis pas mort·e »). L’enfance se trouve alors idéalisée, comme un âge d’insouciance et d’irresponsabilité regretté. Et, en même temps, l’adulte se souvient des promesses qu’on lui a tenues enfant : il faut accepter cet état inconfortable pour pouvoir devenir adulte. Tu auras droit, plus tard, d’utiliser le couteau qui coupe fort, de rester dehors, de décider par toi-même de tes sorties, de tes ami·es ! L’inconfort du statut d’enfant est condition de possibilité de la liberté acquise chez l’adulte. L’oubli de l’adulte vis-à-vis de son enfance est ainsi paradoxal : la mémoire opère son travail de sélection et de tri, et les souvenirs se parent d’un éclat nouveau, qui réhabilite l’exercice du pouvoir.
Pour devenir adulte, il semble qu’il faille oublier la condition réelle et politique de l’enfance.

Le rapport de pouvoir adulte-enfant se comprend comme d’autres types de domination telles que la classe, le genre, la race, mais a ceci de particulier que tout dominant a, autrefois, fait partie du groupe dominé. Ainsi, elle suggère que l’acte de réminiscence de notre enfance puisse être une “démarche politique et collective”.

Appréhender le statut politique des enfants, c’est accepter de s’imprégner de cadres de pensée que nous ne possédions sûrement pas en l’état au moment de notre enfance.

Toujours dans Sluggish de Jessie Meadows, une réflexion sur le diagnostic des troubles psy.

I could explain my distress as a kid by saying it was Bipolar 2, or I could tell you to listen to L.G.FUAD. The song would certainly express my emotional state much better than the DSM label ever could. That’s the magic of good art, really — it can reach across space and time to communicate the most ineffable of shared human experiences.
Diagnoses can provide the illusion of comfort in knowing you are not alone, but I think they fall flat in the meaning department.
[…]
Categorizing types of suffering doesn’t help the sufferers understand any of the why’s or how’s of their pain beyond a sort of circular, empty logic: Why was I distressed in this particular way? Because you had bipolar 2. How do you know I had bipolar 2? Because you were distressed in this particular way.

On a parfois tendance à penser qu’un diagnostic, par exemple “TDAH” ou “dépression” est une entité naturelle discrète (ce n’est jamais le cas, la comorbidité est la règle et pas l’exception), qui contiendrait une sorte de vérité essentielle et immuable.

En réalité, on pourrait comparer un diagnostic à une constellation. Depuis l’endroit où l’on se trouve, on remarque que des étoiles semblent proches les unes des autres, comme des symptômes qui se présenteraient souvent ensemble. On décide d’appeler la forme qu’elles prennent “la Grande Ourse”, ou “la schizophrénie”. En réalité, selon un point de vue différent, on pourrait créer d’autres formes à partir de chacune de ces étoiles, et donner d’autres noms à ces formes-là.

La constellation permet de décrire un coin du ciel depuis notre point de vue, subjectif dans le temps et dans l’espace. Ça permet de se repérer, de synthétiser des informations et de les transmettre à d’autres, mais ça ne dit pas grande chose de l’expérience vécue par celles et ceux qui explorent ces espaces interstellaires.

Si vous êtes à Strasbourg, vous pourrez entendre ma voix, que j’ai prêtée à H.A.V (pour hallucinations auditives verbales), un concert sous casque à conduction osseuse de Philippe Gordiani et qui sera créé le 28 et le 29 septembre prochains au festival musica.

Je n’ai aucune idée de ce à quoi cela va ressembler mais je suis curieuse de l’entendre. J’ai déjà eu l’occasion de tester l’écoute via la conduction osseuse avec l’œuvre Handphone Table de Laurie Anderson. Il s’agit d’une table en bois à l’intérieur de laquelle est placée une source sonore. On ne peut l’entendre qu’en s’y asseyant et en plaçant ses coudes dans les petites dépressions imprimées dans le bois de chaque côté de la table, puis en plaçant ses mains sur les oreilles. Le son est diffusé via le bois et les os des bras, et la boîte crânienne devient elle-même une enceinte.

Laurie Anderson, vue d’exposition de Handphone Table, MOMA, 1978.