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  12. <title>Paniques anticomplotistes (archive) — David Larlet</title>
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  58. <h1>Paniques anticomplotistes</h1>
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  64. </p>
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  66. <hr>
  67. <main>
  68. <figure class="spip_document_3225 spip_documents spip_documents_center xl">
  69. <figcaption>
  70. <p class="crayon document-titre-3225 spip_doc_titre">Félix Vallotton. - «<small class="fine"> </small>Paysage de ruines et d’incendies<small class="fine"> </small>», 1915.</p>
  71. </figcaption>
  72. </figure>
  73. <p><span class="mot-lettrine"><span class="lettrine">S</span>i</span> <i>Hold-up</i> n’avait pas existé, les anticomplotistes l’auraient inventé. C’est le produit parfait, le bloc de complotisme-étalon en platine iridié, déposé au Pavillon de Breteuil à Sèvres. De très belles trouvailles, des intervenants dont certains ont passé le 38e parallèle comme des chefs : une bénédiction. Altérée cependant parce que, certes, on est content d’avoir raison et d’être la rationalité incarnée, mais quand même l’époque est sombre et on rit moins. La Terre plate et la Lune creuse, on veut bien, ça c’est vraiment drôle, mais QAnon beaucoup moins, ça fait de la politique, le cas échéant ça prend des armes<small class="fine"> </small>; aux fusils près et du train où vont les choses on pourrait bientôt avoir les mêmes à la maison. D’ailleurs, on commence à les avoir. Pour l’heure il n’est question que de masques et de vaccins, ce qui n’est déjà pas rien, mais on sent bien que tous les autres sujets sont candidats. Ce qu’on sent bien également, c’est le degré auquel le camp de la raison se voit lui-même démuni, et légèrement inquiet devant sa difficulté à élaborer des stratégies antidotes. Disons-le tout de suite, dans la disposition qui est la sienne, il n’est pas près d’en trouver la première.</p>
  74. <h3 class="spip">D’une forme à l’autre (mais la même)</h3>
  75. <p><q class="lire_aussi"> </p>
  76. <p>Lire aussi Serge Halimi, « <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/61619">Dès maintenant<small class="fine"> </small>!</a> », <i>Le Monde diplomatique</i>, avril 2020.</p>
  77. <p></q>
  78. <p>Le torrent de commentaires qu’a immédiatement suscité la diffusion du documentaire est sans doute le premier signe qui trahit la fébrilité — du temps a passé depuis le mépris et les ricanements. Si encore il n’y avait que la quantité. Mais il faut voir la «<small class="fine"> </small>qualité<small class="fine"> </small>». C’est peut-être là le trait le plus caractéristique de l’épisode «<small class="fine"> </small>Hold-up<small class="fine"> </small>» que toutes les réactions médiatiques ou expertes suscitée par le documentaire ne font que reconduire les causes qui l’ont rendu possible. Les fortes analyses reprises à peu près partout ont d’abord fait assaut de savoirs professionnels par des professionnels : «<small class="fine"> </small>la musique<small class="fine"> </small>» — inquiétante (la musique complotiste est toujours inquiétante), le format «<small class="fine"> </small>interviews d’experts sur fond sombre<small class="fine"> </small>» (le complotisme est sombre), «<small class="fine"> </small>le montage<small class="fine"> </small>» (le montage… monte<small class="fine"> </small>?). C’est-à-dire, en fait, les ficelles ordinaires, et grossières, de tous les reportages de M6, TF1, LCI, BFM, France 2, etc. Et c’est bien parce que l’habitude de la bouillie de pensée a été installée de très longue date par ces formats médiatiques que les spectateurs de documentaires complotistes ne souffrent d’aucun dépaysement, se trouvent d’emblée en terrain formel connu, parfaitement réceptifs… et auront du mal à comprendre que ce qui est standard professionnel ici devienne honteuse manipulation là.</p>
  79. <h3 class="spip">Complotistes ou décrypteurs<small class="fine"> </small>?</h3>
  80. <p>Mais les médias ont passé ce point d’inquiétude où l’on sent bien qu’on ne peut plus se contenter de la stigmatisation des cinglés. L’urgence maintenant c’est de <i>comprendre</i> — hélas en partant de si loin, et avec si peu de moyens. Alors la science médiatique-complotologique pioche pour refaire son retard, et tout y passe. Il y a d’abord, nous dit très sérieusement Nicolas Celnik dans <i>Libération</i> (lui aussi a compris qu’il ne fallait plus se moquer, alors il écrit une <i><a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/11/18/lettre-a-mon-ami-complotiste_1805979" class="spip_out" rel="external">«<small class="fine"> </small>Lettre à (son) ami complotiste<small class="fine"> </small>»</a></i>), que l’un des ressorts positifs des adeptes de complots vient de <i>«<small class="fine"> </small>l’impression d’avoir découvert ce qui devait rester caché<small class="fine"> </small>»</i>. Mais Nicolas Celnik sait-il que le vocable princeps de l’idéologie journalistique est «<small class="fine"> </small>décrypter<small class="fine"> </small>», ce qui, si l’on suit bien l’étymologie, signifie, précisément, mettre à découvert ce qui était caché. Il n’est pas un organe de presse qui ne s’enorgueillisse de ses «<small class="fine"> </small>décryptages<small class="fine"> </small>». Partout ce ne sont que «<small class="fine"> </small>décrypteurs<small class="fine"> </small>», d’ailleurs Abel Mestre et Lucie Soullier qui consacrent un papier-fleuve dans <i>Le Monde</i> à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/17/l-epidemie-de-covid-19-revelatrice-de-la-poussee-des-theories-complotistes-en-france_6060009_823448.html" class="spip_out" rel="external">s’inquiéter de la double épidémie</a> de Covid et de théories complotistes, déplorent que l’audience de ces dernières soit <i>«<small class="fine"> </small>devenue considérable, bien au-delà de celle des sites qui les décryptent<small class="fine"> </small>»</i>.</p>
  81. <blockquote class="exergue">
  82. Le décryptage autorisé a toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente</p>
  83. <p></blockquote>
  84. <p>Ici le parallélisme manifestement inaperçu entre les îlotes tentant de «<small class="fine"> </small>découvrir ce qui devrait rester caché<small class="fine"> </small>» et l’aristocratie des «<small class="fine"> </small>décrypteurs<small class="fine"> </small>» se complique de ce que le décryptage autorisé n’a jamais rien décrypté, qu’il a même toujours consisté en cette forme particulière de recryptage, mais ici tout à fait inconsciente, en quoi consiste le catéchisme néolibéral. Il suffit d’écouter un «<small class="fine"> </small>décrypteur<small class="fine"> </small>» livrer aux masses abruties qu’il a la bonté d’éclairer le sens profond de la suppression de l’ISF, de la réduction de la dette publique ou du démantèlement du <a href="https://blog.mondediplo.net/2017-10-03-Le-service-de-la-classe">code du travail</a> pour être au clair sur ce que «<small class="fine"> </small>décrypter<small class="fine"> </small>» signifie réellement — à savoir voiler dans les catégories de la pensée néolibérale. «<small class="fine"> </small>Décrypter<small class="fine"> </small>», c’est avoir admis que les gueux ne se contentent plus d’une simple injonction, et entreprendre de leur en donner les bonnes raisons. Par exemple : «<small class="fine"> </small>il faut supprimer l’ISF <i>sinon les cerveaux partiront</i><small class="fine"> </small>» — là c’est décrypté<small class="fine"> </small>; «<small class="fine"> </small>il faut réduire la fiscalité du capital <i>pour financer nos entreprises</i><small class="fine"> </small>» (tout est <i>clair</i>)<small class="fine"> </small>; «<small class="fine"> </small>il faut fermer des lits <i>pour que l’hôpital soit agile</i><small class="fine"> </small>» (décryptage de qualité : qui voudrait d’un hôpital podagre ou arthritique<small class="fine"> </small>? on <i>comprend</i>)<small class="fine"> </small>; «<small class="fine"> </small>il faut réduire les dépenses publiques <i>pour ne pas laisser la dette à nos enfants</i><small class="fine"> </small>» (<i>clarté</i> économique, <i>clarté </i> morale), etc.</p>
  85. <p>C’est très exaltant pour un journaliste de décrypter, ça donne un grand sentiment d’utilité sociale, c’est comme une charité démocratique. Les gueux ne pouvaient pas apercevoir tout ça, ça leur restait donc <i>crypté</i> — du coup on le leur <i>décrypte</i>. Décrypter, c’est faire comprendre aux intéressés ce qu’on va leur faire, pourquoi c’est nécessaire, et pourquoi c’est bon pour eux. Et comme ils auront compris, ils seront contents — suppose-t-on. Si les malheureux décrypteurs savaient ce que donnerait qu’on <a href="https://blog.mondediplo.net/feuilletonner-la-guerre-de-position">décrypte leurs décryptages</a>, ce qu’on porterait au jour — les abysses de raisonnements indigents, d’idées reçues, de servilités intellectuelles inconscientes, mais fièrement portées en bandoulières comme vérités d’initiés.</p>
  86. <p>Les complotistes en tout cas ont parfaitement reçu le message du «<small class="fine"> </small>décryptage<small class="fine"> </small>», à ceci près qu’à force de s’entendre administrer par d’autres un sens inaperçu du monde qui les bousille en leur expliquant qu’il est le meilleur possible, ils ont entrepris de s’en chercher un autre par eux-mêmes. Ça ne donne sans doute pas des résultats bien fameux — mais à décrypteur, décrypteur et demi. C’est le «<small class="fine"> </small>décryptage<small class="fine"> </small>» lui-même qui, pour permettre aux journalistes de faire les entendus, a installé l’idée qu’il y avait quelque chose à aller chercher dessous. Les complotistes les prennent au mot, à ceci près que le quelque chose des décrypteurs étant toujours la même chose, eux se mettent en devoir d’aller chercher autre chose.</p>
  87. <h3 class="spip">Cérébroscopie des complotistes</h3><q class="lire_aussi"> </p>
  88. <p>Lire aussi « <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/56954"> Médias français, qui possède quoi<small class="fine"> </small>?</a> », <i>Le Monde diplomatique</i>, novembre 2020.</p>
  89. <p></q>
  90. <p>Alors on va chercher pourquoi l’autodécryptage des gueux décrypte de travers. Ici la science complotologique est à son meilleur. Comme les sciences les plus avancées, elle isole des «<small class="fine"> </small>effets<small class="fine"> </small>». Par exemple la physique connaît «<small class="fine"> </small>l’effet Compton<small class="fine"> </small>», «<small class="fine"> </small>l’effet Doppler<small class="fine"> </small>», «<small class="fine"> </small>l’effet Einstein<small class="fine"> </small>». La complotologie, pour sa part dispose de l’effet «<small class="fine"> </small>millefeuille argumentatif<small class="fine"> </small>». Impossible d’ouvrir un article sur <i>Hold-up</i> sans avoir à manger du millefeuille (argumentatif) — une feuille de vrai, une feuille de faux, une feuille de vrai… Un journaliste de Mediapart va plus loin et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_wqn9i3ebR8" class="spip_out" rel="external">pose gravement la question</a> : <i>«<small class="fine"> </small>pourquoi nos cerveaux sont-ils si perméables<small class="fine"> </small>»</i> (à l’aberration complotiste)<small class="fine"> </small>? «<small class="fine"> </small>Nos<small class="fine"> </small>» : pas de discrimination offensante. «<small class="fine"> </small>Cerveaux<small class="fine"> </small>» : parce que c’est là-dedans que ça se passe. La réception du complotisme, c’est une affaire «<small class="fine"> </small>dans le cerveau<small class="fine"> </small>». Un psychologue social, dont la psychologie sociale n’a plus rien de social (mais c’est la grande tendance de la psychologie sociale) saisit aussitôt la perche du «<small class="fine"> </small>cerveau<small class="fine"> </small>» : comme une invitation faite aux sciences cognitives et à leur panacée explicative : le <i>biais</i>. Pourquoi le «<small class="fine"> </small>cerveau<small class="fine"> </small>» (des complotistes) erre-t-il<small class="fine"> </small>? Parce qu’il est en proie à des biais (cognitifs) — marche aussi avec «<small class="fine"> </small>pourquoi votre fille est muette<small class="fine"> </small>» : elle est en proie à des biais (auditifs). Après le biais pâtissier (celui du millefeuille — particulièrement traître avec toute cette crème, on ne sait plus si on mange des feuilles vraies ou des feuilles fausses), le biais de confirmation, puis le biais d’intentionnalité (à qui profite le crime<small class="fine"> </small>?), etc. De ce qu’il y a des biais, il résulte que la pensée n’est pas droite. C’est scientifique, on a bien avancé.</p>
  91. <p>À un moment cependant le psychologue social se souvient qu’il y a «<small class="fine"> </small>sociale<small class="fine"> </small>» dans «<small class="fine"> </small>psychologie sociale<small class="fine"> </small>». Et qu’il y a des inégalités <i>«<small class="fine"> </small>assez énormes dans les sociétés modernes<small class="fine"> </small>»</i>. Dont résulte logiquement que le complotisme prospère auprès <i>«<small class="fine"> </small>des gens qui ont un plus faible degré d’éducation<small class="fine"> </small>»</i>. On le pressentait, mais c’est quand même plus satisfaisant quand c’est établi par la science. Attention toutefois, la science a ses complexités : quand <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/macron-gilets-jaunes-eric-drouet-est-un-produit-mediatique-01-02-2019-2290611_1897.php" class="spip_out" rel="external">Macron pense</a> que les «<small class="fine"> </small>gilets jaunes<small class="fine"> </small>» sont soutenus par les Russes, ou quand le sénateur PS François Patriat, à propos des mésaventures de DSK en 2011, envisage <i>«<small class="fine"> </small>non pas la théorie du complot mais la théorie du piège<small class="fine"> </small>»</i>, il est impossible d’y voir des bouffées complotistes, d’abord parce que François Patriat l’écarte formellement, ensuite parce qu’il est assez évident que nous avons affaire à des personnes qui n’ont pas «<small class="fine"> </small>un faible degré d’éducation<small class="fine"> </small>». Le complotisme, c’est la pathologie cognitive <i>des pauvres</i> — on ne tardera sans doute pas à établir que le jambon mouillé a des effets pernicieux sur le cortex préfrontal et, là, la psychologie sociale sera pleinement sociale, ainsi que scientifique.</p>
  92. <h3 class="spip">Les paroles institutionnelles en ruines</h3>
  93. <p>Voilà donc où en est la «<small class="fine"> </small>compréhension<small class="fine"> </small>» du fait complotiste dans les médias assistés de leurs experts satellites. D’où naît irrésistiblement un désir de compréhension de cette «<small class="fine"> </small>compréhension<small class="fine"> </small>», ou plutôt de cette incompréhension, de cette compréhension tronquée sur l’essentiel. En réalité, que la formation des opinions reprenne toute liberté, pour le meilleur et pour le pire, quand l’autorité des paroles institutionnelles est à terre, ça n’a pas grand-chose de surprenant. Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre<small class="fine"> </small>? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre. On les comprend : l’examen de conscience promet d’être douloureux, autant s’en dispenser — et maintenir le problème bien circonscrit au cerveau des complotistes.</p>
  94. <blockquote class="exergue">
  95. Mais pourquoi l’autorité des paroles institutionnelles est-elle à terre<small class="fine"> </small>? C’est la question à laquelle les paroles institutionnelles ont le moins envie de répondre</p>
  96. <p></blockquote>
  97. <p>C’est que l’autorité des paroles institutionnelles n’a pas été effondrée du dehors par quelque choc exogène adverse : elle s’est auto-effondrée, sous le poids de tous ses manquements. À commencer par le mensonge des institutions de pouvoir. Les institutions de pouvoir mentent. Mediator : Servier ment. Dépakine : Sanofi ment. Bridgestone : Bridgetsone ment. 20 milliards de CICE pour créer un million d’emplois : le Medef ment. Mais aussi : Lubrizol, les pouvoirs publics mentent<small class="fine"> </small>; nucléaire, tout est sûr : les nucléocrates mentent. Loi de programmation de la recherche : Vidal ment (mais à un point extravagant). Violences policières, alors là, la fête : procureurs, préfecture, IGPN, ministres, président de la République, tout le monde ment, et avec une obscénité resplendissante qui ajoute beaucoup. Covid : hors-concours.</p>
  98. <q class="lire_aussi"> </p>
  99. <p>Lire aussi Philippe Descamps, « <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/62402">Épidémie d’affaires</a> », <i>Le Monde diplomatique</i>, novembre 2020.</p>
  100. <p></q>
  101. <p>Le capitalisme néolibéral a déchaîné les intérêts les plus puissants, or là où les intérêts croissent, la vérité trépasse. C’est qu’il faut bien accommoder la contradiction entre des politiques publiques forcenées et l’effet qu’elles font aux gens. Or pour combler ce genre d’écart, quand on a décidé de ne pas toucher aux causes de l’écart, il n’y a que le secours des mots. Alors on arrose généreusement avec du discours. Au début on fait de la «<small class="fine"> </small>pédagogie<small class="fine"> </small>», on «<small class="fine"> </small>décrypte<small class="fine"> </small>». Et puis quand le décryptage ne marche plus, il ne reste plus qu’à mentir — à soutenir que ce qui est n’est pas («<small class="fine"> </small>la police républicaine ne se cagoule pas, elle agit à visage découvert<small class="fine"> </small>»), ou que ce qui n’est pas est (on ferme des lits pour améliorer l’accueil des malades). Quand il n’est pas pure et simple répression, le néolibéralisme finissant n’est plus qu’une piscine de mensonge. Nous baignons là-dedans. C’est devenu une habitude, et en même temps on ne s’y habitue pas. Vient forcément le moment où l’autorité de la parole institutionnelle s’effondre parce que l’écart entre ce qu’elle dit et ce que les gens expérimentent n’est plus soutenable d’aucune manière.</p>
  102. <p>Alors ça part en glissement de terrain, et tout s’en va avec, notamment les médias d’accompagnement, précisément parce qu’ils auront accompagné, trop accompagné, pendant trop longtemps. Ils auront tant répété, tant ratifié, se seront tant empressés. Les complotistes voient l’esprit critique de la presse se réarmer dans la journée même de la parution d’un documentaire. Mais, en matière d’esprit critique, ils se souviennent aussitôt des interviews de Léa Salamé, de Macron interrogé par TF1-France2-BFM, de la soupe servie à la louche argentée, de la parole gouvernementale outrageusement mensongère mais jamais reprise <i>comme telle</i>, ils se souviennent de deux mois d’occultation totale des violences policières contre les «<small class="fine"> </small>gilets jaunes<small class="fine"> </small>», ils se souviennent du journalisme de préfecture qui a si longtemps débité tels quels les communiqués de Beauvau, certifié l’envahissement de la Salpêtrière par des casseurs. Certains médias protestent : «<small class="fine"> </small>c’est injuste, nous sommes en train de changer, nous avons vu, nous en parlons maintenant, nous envoyons des grandes reporters sur les ronds-points, nous avons à cœur de reprendre (prendre) contact avec la vie des gens<small class="fine"> </small>». Sans doute, mais c’est tellement tard, tellement <i>trop</i> tard. Car ça fait des décennies que ça dure. Trente, quarante ans d’accompagnement, d’occultations sélectives — même pas par mauvais geste : par simple cécité —, de leçons faites, il faut s’adapter, il faut être compétitif, il faut accepter des sacrifices, l’Europe est notre avenir, vous ne voulez tout de même pas que La-France sorte de la mondialisation<small class="fine"> </small>? C’est long trente ans à ce régime, pendant que le chômage, la précarité, les inégalités, les suicides et les services publics explosent. Ça en fait du travail de sape dans les esprits.</p>
  103. <p>En fait c’est très simple : pourquoi les paroles institutionnelles s’effondrent-elles<small class="fine"> </small>? Parce que, dans le temps même où elles présidaient au délabrement de la société, elles auront, chacune dans leur genre, ou trop menti, ou trop couvert, ou trop laissé passer, ou trop regardé ailleurs, ou trop léché, que ça s’est trop vu, et qu’à un moment, <i>ça se paye</i>. Le complotisme en roue libre, c’est le moment de l’addition. Il faut vraiment être journaliste, ou expert de Conspiracy Watch pour ne pas voir ça. Trente ans de ruine à petit feu de l’autorité institutionnelle, et puis un beau jour, l’immeuble entier qui s’effondre : le <i>discrédit</i>. Mais normalement on sait ça : le crédit détruit, ne se reconstruit pas rapidement. Maintenant, il y a les ruines, et il va falloir faire au milieu des gravats pour un moment. On comprend que la plupart des médias, qui comptent au nombre des gravats, ne se résolvent pas à regarder le tableau. C’est bien pourquoi il fallait faire aussitôt un hold-up sur <i>Hold-up</i> : pour en fixer la «<small class="fine"> </small>compréhension<small class="fine"> </small>», et qu’elle ne s’en aille surtout pas ailleurs.</p>
  104. <h3 class="spip">Rééducation et bienveillance</h3>
  105. <p>En attendant, la soupe est renversée et on a les complotistes sur les bras. Comment faire<small class="fine"> </small>? On a compris que l’heure de les traiter de cinglés était passée et qu’il urge de trouver autre chose pour endiguer la marée. Mais quoi<small class="fine"> </small>? Dans l’immédiat, pas grand-chose hélas, en tout cas pas <i>ça</i>. Il va falloir se faire à l’idée que la ruine des constructions de longue période, comme le crédit fait à la parole institutionnelle, ne se répare que par des reconstructions de longue période (par exemple, la destruction présente de la chaîne éducation-recherche prendra des décennies à être surmontée). Tant que la phalange anticomplotiste continuera d’apparaître telle qu’elle est, c’est-à-dire soudée au bloc des pouvoirs, le crédit de l’ensemble restera à zéro. En réalité, tant que la masse «<small class="fine"> </small>médias<small class="fine"> </small>» ne se fragmentera pas, tant que ne s’en détachera pas une fraction significative, qui rompe avec la position globale de ratification de l’ordre néolibéral et de déférence à l’endroit de tous ses pouvoirs, les clients du complotisme continueront de n’y voir qu’un appareil homogène de propagande — et d’aller chercher «<small class="fine"> </small>ailleurs<small class="fine"> </small>». Les gens ne vont chercher un «<small class="fine"> </small>ailleurs<small class="fine"> </small>» au-dehors que lorsque le champ institutionnel a échoué à aménager un «<small class="fine"> </small>ailleurs<small class="fine"> </small>» au-dedans. Mais quel aggiornamento, quelles révisions déchirantes, cette rupture, maintenant, ne suppose-t-elle pas<small class="fine"> </small>?</p>
  106. <q class="lire_aussi"> </p>
  107. <p>Lire aussi Félix Tréguer, « <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/61980">Les deux visages de la censure</a> », <i>Le Monde diplomatique</i>, juillet 2020.</p>
  108. <p></q>
  109. <p>Pour l’heure, incapable, la parole autorisée cherche fébrilement quelque autre ressource — mais forcément au voisinage de ses formes de pensée invétérées. Idée de génie et redéploiement pédagogique : on va aller <i>leur parler</i>. Mais gentiment cette fois. On va leur écrire des <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/11/18/lettre-a-mon-ami-complotiste_1805979" class="spip_out" rel="external">lettres</a>, en leur disant qu’ils sont nos amis — c’est donc la version <i>Libération</i>. Il y a celle du <i>Monde</i>. Si l’ambiance générale n’était pas si flippante, ce serait à se rouler par terre de rire. Tout y est. On va chercher Valérie Igounet de Conspiracy Watch — on avait l’habitude jusqu’ici de Rudy Reichstadt mais lui est trop épais, c’était l’anticomplotisme première manière, maintenant on ne peut plus le sortir. Dans la saison 2, ça donne : <i>«<small class="fine"> </small>Il faut réfuter par des faits, décrypter, mais sans être dans l’accusation ou la moquerie<small class="fine"> </small>»</i>. Voilà la solution : tout dans l’onctueux, l’humain et la bienveillance — on est excellemment partis. <i>«<small class="fine"> </small>On est sur un fil<small class="fine"> </small>»</i>, ajoute quand même l’experte dans un souffle. Tu l’as dit Valérie.</p>
  110. <p>Tristan Mendès-France, lui, explique à peu de choses près qu’on a le stock des zinzins sur les bras et qu’avec eux, c’est foutu, il faudra faire avec. Mais que tout notre effort doit aller à enrayer les nouveaux recrutements : <i>«<small class="fine"> </small>il faut viser les primo-arrivants, faire de la prévention<small class="fine"> </small>»</i>. Valérie Igounet a déjà commencé : elle mène, nous explique <i>Le Monde</i>, <i>«<small class="fine"> </small>de nombreux ateliers avec l’Observatoire du complotisme auprès d’enfants<small class="fine"> </small>»</i> — il faut prendre les «<small class="fine"> </small>primo-arrivants<small class="fine"> </small>» de loin. Tout le problème de l’anticomplotisme, c’est qu’il peut prononcer l’âme claire une phrase pareille qui, normalement, devrait faire froid dans le dos. Qu’on n’aille pas croire à une embardée individuelle : c’est la ligne générale. Le nouvel expert gyroscopique — il tourne sur à peu près tous les médias, France Culture, <i>Le Monde</i>, <i>Regards</i> —, Thomas Huchon, pense également qu’il faut <i>«<small class="fine"> </small>faire de l’éducation aux médias</i> (…) <i>en gros de la prévention pour vacciner contre l’épidémie de “fake news”<small class="fine"> </small>»</i>. On se croirait au point de presse de Jérôme Salomon, et ça n’est pas un hasard. Car c’est cela qu’on trouve dans une tête d’anticomplotiste : des images de bacilles, de prophylaxie et de cordon sanitaire. De politique<small class="fine"> </small>? Aucunement. Ça n’est pas une affaire de politique, ou de discours politique : c’est une affaire <i>médicale</i>.</p>
  111. <p>On voit d’ici à quoi pourra ressembler «<small class="fine"> </small>l’éducation<small class="fine"> </small>», ou plutôt la rééducation, aux médias. L’essentiel est que l’analyse du complotisme soit ramenée à son cadre : d’un côté le pathologique, de l’autre le pédagogique. Et puis, dans le camp-école réaménagé, les éducateurs, nous est-il désormais garanti, seront pleins d’empathie et d’écoute : <i>«<small class="fine"> </small>la diffusion du complotisme,</i> conclut l’article du <i>Monde, pose un défi à une multitude d’acteurs qui doivent plus que jamais prendre le temps d’expliquer, de démontrer, sans ostraciser ni caricaturer<small class="fine"> </small>»</i>. De ne rien comprendre à ce point, c’en est extravagant. Finalement, rien n’a bougé d’un iota, le complotisme a encore de beaux jours devant lui. On se croirait revenu dans <i>Tintin au Congo,</i> mais où on aurait rappelé les missionnaires pour leur faire faire une UV de psycho avant de les renvoyer sur le terrain : «<small class="fine"> </small>Nous n’économiserons ni notre patience ni notre bonté pour vous faire apercevoir que les esprits de la forêt n’existent pas. Puisque ce qui existe, c’est Dieu<small class="fine"> </small>».</p></p>
  112. </main>
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