title: Chiroto T. Datoca
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description: Il y a quinze ans, j’ai entamé un projet de calligraphie que je n’ai jamais terminé, un cadeau que je n’ai jamais offert.
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Il y a quinze ans, j’ai entamé un projet de calligraphie que je n’ai jamais terminé, un cadeau que je n’ai jamais offert. L’été dernier, j’ai visité une exposition qui m’a rappelée à cet inachevé, et qui a fait germer en moi l’idée de le mener à bien. Ce jour-là, j’avais décidé : pour l’anniversaire de K, j’allais reprendre ce projet et lui offrir un manuscrit enluminé de ce poème qui compte tant : Childe Roland to the Dark Tower came de Robert Browning. Tiré d’un vers du Roi Lear de Shakespeare, le poème de 1855 a été l’inspiration de l’écrivain Stephen King pour sa saga La Tour Sombre à laquelle K et moi tenons tellement.
J’avais devant moi un peu moins de huit mois pour créer un livre calligraphié, peint et relié à la main. Un défi de taille soutenu par cette petite voix tout au fond de moi qu’il m’est impossible d’ignorer : je me devais de le relever.
Puisque la demi-mesure ne fait pas partie de mon vocabulaire, j’ai tenu à travailler au plus proche des techniques médiévales. J’ai ainsi appris à encrer à la plume, dorer à la feuille d’or pur, peindre aux pigments en poudre et relier au cuir de chèvre. Je m’y suis dévouée corps et âme, dédiant le moindre de mon temps libre à la concrétisation de ce projet qui devait se mener dans le plus grand secret. Je m’attelais à l’ouvrage à la moindre opportunité, me levant parfois à l’aube pour grappiller une heure de calligraphie avant d’aller bosser ou prolongeant des soirées jusqu’au petit matin lorsque K travaillait de nuit.
Au total j’ai passé plus de 230 heures sur ce projet (tout du moins c’est ce que j’ai pensé à compter) : un petit livre relié de cuir contenant 34 pages calligraphiées enluminées à la feuille d’or et cinq miniatures peintes. C’est un des accomplissements dont je suis la plus fière à ce jour.
Le poème fait 34 strophes de six vers chacun et raconte comment le chevalier Roland s’en est allé à la quête de la mythique Tour Sombre, narrant les aventures qu’il a vécues sur son chemin. Outre la calligraphie, je voulais également m’essayer à l’illustration dans le style de miniatures médiévales. Puisque mes travaux s’appuient avant tout sur des supports visuels, j’ai commencé par étudier le poème pour y trouver des idées d’illustrations pertinentes.
Je me suis fixée sur cinq images représentatives de moments clefs de l’histoire : la rencontre avec le vieux mendiant qui l’introduit, le face-à-face avec le cheval décharné dans le désert, la traversée de la rivière maudite, le parcours du champ de bataille abandonné, et bien sûr la scène d’apothéose finale où Roland meurt en soufflant son cor une fois la Tour Sombre découverte. Et puisque le dessin n’est clairement pas mon médium de prédilection, je me suis appuyée sur de la génération d’images par intelligence artificielle pour trouver de l’inspiration !
J’ai passé un temps initial non négligeable à me fixer sur le format du livre, essayant différentes tailles de pages, mesures d’interlignes et intercalages de feuillets. Il m’a fallu une dizaine d’heures rien que pour découper le papier et tracer toutes les lignes de guide, devant prendre des mesures au millimètre près. J’ai du en reprendre la plupart une deuxième fois en constatant que je devais décaler la majuscule enluminée, sans quoi le premier vers ne rentrait pas tout à fait.
C’est comme ça que j’ai choisi de mener ce projet de front, n’ayant pas des années d’études monastiques à plein temps à y dédier : j’ai décidé d’apprendre sur le tas de mes erreurs en serrant les fesses pour que tout se passe à peu près bien jusqu’au bout. Je n’aurai pas évité quelques boulettes – on les verra un peu plus loin – mais rien qui ne soit pas irrécupérable bien heureusement.
Et puis il fallait que je reprenne la calligraphie aussi : j’ai dépoussiéré mes livres enseignant la pratique de la Fraktur et j’ai rempli un carnet de lignes d’écriture. Par exemple si j’ai passé autant de temps au Luminarium à Lyon l’été dernier, c’est que j’y ai rempli des pages entières de lettres répétées en visant un certain sens de la régularité. Il n’y a qu’en forgeant qu’on devient forgeron.
Jusqu’à ce que le moment soit venu d’écrire « pour de vrai ». J’ai utilisé du papier vélin et de l’encre de Chine – et l’encrier en fonte que j’ai hérité de mon grand-père, un objet qui me fascinait déjà toute petite et auquel il me tenait très fort de faire honneur.
L’apprentissage le plus conséquent et l’étape la plus fastidieuse était sans conteste la dorure. Pour m’entraîner, j’ai calligraphié quelques noms à envoyer en guise de cartes de vœux pour Noël 2023. Je me suis ainsi cassé les dents à utiliser des fausses feuille d’or qui se sont émiettées dans tout mon appartement, avant que des professionnels viennent à ma rescousse sur un forum dédié (Internet est merveilleux).
Ils m’ont indiqué que la fausse feuille d’or servait avant tout à recouvrir de grandes surfaces et n’était pas du tout adaptée à la minutie de la calligraphie ; si je voulais pratiquer, pas le choix, je devais me lancer directement sur des feuilles d’or véritable. J’ai balisé en connaissant le précieux du petit paquet de feuilles d’or que j’avais acquis, jusqu’à constater que l’or véritable était un vrai plaisir à travailler. Au final j’aurai refait ces cartes trois fois, un apprentissage fastidieux et bien plus long que prévu mais bien nécessaire avant de m’atteler à mon projet final.
Pour faire adhérer la feuille d’or, il faut tout d’abord recouvrir les surfaces à dorer de deux couches de gesso, un genre d’apprêt rose-orangé mélangeant de la gomme et de la craie. Son application est un peu spéciale puisqu’il ne se dépose pas comme de la peinture ; il faut plutôt le répartir sous la forme d’une goutte qu’on va nourrir en matière pour l’étirer sur toute la surface à recouvrir avec une plume. Chaque couche a besoin d’une bonne nuit pour sécher, imaginez ça sur 40 pages recto verso…
Il faut ensuite appliquer deux couches de feuille d’or – j’ai choisi d’utiliser du 22 carats en-dessous histoire d’économiser un peu, et 24 carats au-dessus pour éviter le risque d’oxydation. Au passage, merci l’invention du papier de support avec lequel la feuille d’or est livrée, ce qui permet de la manipuler bien plus facilement que si elle était volante.
Pour la poser, il faut souffler sur le gesso pour l’humidifier avant d’y presser soigneusement la feuille afin qu’elle y adhère. On décolle délicatement le papier de support, et on utilise un pinceau pour enlever l’or qui dépasse (qu’on récupère évidemment dans un petit pot, ça pourra servir plus tard !) Il ne reste plus qu’à polir l’or avec un ustensile en agate (je crois que je ne maîtrise toujours pas vraiment cette technique) avant de passer à la couche suivante.
La dorure est un travail très lent et laborieux qui m’a rendue complètement dingue lors de la deuxième couche (quelle idée de vouloir dorer les petites gouttes des cadres aussi…) J’y ai passé 45 heures au total, de nombreuses soirées qui se sont finies bien tard dans la nuit. Un travail de longue haleine, mais quel émerveillement d’observer mon texte prendre relief avec ces reflets brillants dorés à la richesse incomparable !
Il faut dire que j’ai perdu pas mal de temps à refaire certaines pages, soit parce que j’avais recopié la mauvaise ligne de texte, ou que je me suis trompée de mesure de hauteur de ligne, ou que j’ai carrément oublié une lettre dans le titre principal qui compose le dernier vers. Je m’en suis rendue compte bien sûr une fois que j’avais tout calligraphié, encré et doré y compris le dessin du dos. C’est dans ces moments-ci qu’on respire un grand coup, on fait un tour sur le balcon, puis on se remet à l’ouvrage. J’avoue avoir laissé passé l’une ou l’autre typo mais celle-ci, elle était bien trop énorme pour que je puisse l’ignorer…
Une fois toutes les dorures remplies et polies, côté calligraphie il ne restait « plus » qu’à encrer en rouge les éléments vides restants et à contourer au noir chaque dorure. Un jeu d’enfant en comparaison des étapes précédentes !
Pour finir les pages, il me restait à peindre les miniatures. C’est l’étape qui me faisait le plus paniquer car je n’avais pas touché à de la peinture depuis plus de quinze ans et je n’avais aucune notion de comment tenir un pinceau, mélanger des couleurs, accentuer des ombres et des lumières… Alignement des étoiles, c’est à la même période que je suis tombée par hasard dans un magasin de seconde main sur l’immense et superbe ouvrage « Codices illustrés : Les plus beaux manuscrits enluminés du monde » qui m’a été précieux d’inspiration. Mais d’abord – techniques médiévales oblige – fabriquons la peinture à partir de pigments en poudre et de détrempe à l’œuf !
La peinture se présente sous forme de pigments, une poudre granuleuse à laquelle il faut ajouter un liant (la détrempe) pour la rendre liquide. Pour ce faire, il faut mélanger le tout sur une plaque de verre à l’aide d’un couteau de peintre, puis utiliser une molette (la petite poignée en verre sur les images ci-dessus) pour affiner l’ensemble et être sûr d’écraser chaque petit grain de pigment. Le mélange est ensuite recueilli au couteau et transféré dans un petit godet ; on nettoie la plaque et les ustensiles, puis on passe à la couleur suivante !
Une fois ma palette composée et avant de me lancer dans le vif du sujet, j’ai cherché quelques tutos de peinture pour avoir l’une ou l’autre base qui m’ont vite dépassée par leurs multiples techniques et théories… J’ai tout fermé et j’y suis allée au culot, mélangeant à l’instinct les couleurs jusqu’à trouver des teintes qui me plaisaient, et testant différentes techniques au fil des miniatures jusqu’au rendu escompté.
La peinture est bien plus permissive, corrigeable et pardonnable que ce que je pensais, les couches pouvant facilement se superposer jusqu’à obtenir le résultat souhaité. J’ai passé environ trois heures par image, parfois à la loupe pour les détails les plus minutieux, et le résultat me plaît énormément ; je ne sais pas si j’ai été baignée de la chance du débutant mais je n’ai pas l’impression d’avoir gaffé sur aucune des cinq illustrations, et j’avoue que je me suis même plutôt amusée !
Anecdote : J’ai eu droit à mon baptême de peintre en dégustant par inadvertance le verre d’eau sale dont je me servais pour rincer mes pinceaux plutôt que ma bière que j’avais posée à côté.
Un petit coup de stylo noir pour rehausser les contours, et j’en avais enfin terminé de composer chaque page. C’était un plaisir non négligeable de les étaler toutes devant moi et de constater le travail accompli. Rien n’était joué toutefois : les dernières étapes d’assemblage sont paraît-il les plus délicates, et je n’avais pas droit à l’erreur…
Il fallait maintenant passer à la reliure : je devais superposer les feuilles les unes dans les autres en trois carnets (qu’on appelle signatures) qui seront cousus au milieu avant d’être encollés à la couverture. Et c’est à cette étape que j’ai constaté la plus grosse boulette qui m’a fait tomber le cœur dans les talons : je me suis plantée dans l’ordre des pages. Il y avait trois feuilles au milieu dont les recto/verso ne correspondaient pas.
J’ai eu beau les retourner dans tous les sens rien à faire : les strophes ne s’enchaînaient pas dans le bon ordre. Je pensais avoir bien vérifié pourtant, mais pas assez apparemment. Pour corriger ma gamelle, j’aurais du refaire trois feuilles au complet : douze pages, dont deux illustrations, et le temps m’était bien trop compté pour envisager de tout recommencer. J’avoue que j’ai eu besoin d’un bon moment pour laisser l’émotion s’évacuer. Mais je n’avais pas le temps de m’appesantir sur mon malheur : il fallait que je trouve une autre solution, pas question d’abandonner.
Au final, j’ai choisi de couper les feuilles de cette signature au milieu afin de pouvoir en réordonner les pages du mieux que je pouvais pour que l’histoire reste compréhensible. On trahit l’ordre originel du poème, mais c’était le meilleur des compromis. J’allais simplement devoir improviser ma reliure en collant ces quelques pages plutôt qu’en les cousant. J’ai eu les boules pendant quelques jours mais ça m’est passé. Si je le voulais vraiment, je pourrais refaire cette signature mais rétrospectivement, je crois que j’aime sincèrement cet accroc qui fait partie de l’histoire du livre. Place à la reliure maintenant.
Contrairement à ce que je lisais un peu partout, j’ai trouvé l’étape de reliure plutôt facile et rapide malgré la difficulté supplémentaire de devoir encoller mes pages libres au milieu des deux signatures cousues. Une fois qu’on a compris les nœuds à coudre c’est assez automatique, il suffit de se prendre le temps et de maintenir une tension constante sur le fil. Lorsque j’ai terminé d’encoller la tranche consolidée par de la tarlatane, j’ai été plutôt émue de tenir entre mes mains le livre assemblé qui ressemblait de plus en plus à mon objectif final.
Pour la couverture, j’ai acheté une peau de chèvre teinte à un artisan de la région avec qui j’ai discuté plus de trois heures un samedi après-midi tant il semblait amusé par mon projet. Il m’a abreuvée de conseils avisés et je suis repartie ma peau sous le bras, le cœur rempli de savoir qu’il existe toujours dans ce monde des personnes à ce point généreuses à partager leur savoir-faire.
Parce que je manquais de défis apparemment, j’ai voulu estamper la reliure avec le titre du poème en lettres dorées à l’avant, et un symbole à l’arrière. Après de nombreuses recherches dans les bas-fonds du web artisanal, j’ai fini par trouver un kit de lettres gothiques en laiton (qui est devenu un des objets les plus précieux en ma possession) qu’on peut assembler en mots en les glissant dans un rail. J’ai aussi fait faire sur mesure un tampon de métal représentant le symbole emblématique du Ka-tet de la saga de Stephen King.
Sans accès à de la machinerie dédiée, je suis tombée sur un super tutoriel qui donnait l’espoir d’un résultat tout à fait honnête en faisant chauffer les lettres sur une plaque électrique avant de les presser sur un film doré thermocollant posé sur le cuir (je n’avais pas le temps ni les ressources d’envisager utiliser de la vraie feuille d’or). Alors j’ai pratiqué. Et pratiqué. Et repratiqué, des dizaines et des dizaines de tamponnages, jusqu’à avoir un résultat à peu près satisfaisant.
J’ai fini ma dorure de couverture un samedi à 3h du matin après de multiples essais et boulettes qui ont fini par consommer l’entièreté de ma peau de chèvre. J’ai d’ailleurs perdu la sensibilité au bout de mon index droit pendant une bonne semaine tant, malgré mes gants de protection, je devais appuyer sur le métal brûlant pour espérer que l’or se transfère. C’était une galère sans nom d’appliquer tout juste la bonne pression et température tout en restant alignée avec le gabarit que j’avais bricolé pour que le titre soit bien centré, et je retenais mon souffle à chaque décollage du film doré tant les résultats me semblaient aléatoires. Je m’en veux d’avoir gaspillé autant de cuir mais hé, pour si peu de pratique, je trouve que je m’en suis plutôt bien sortie au final.
Toute dernière étape de la reliure, je devais encoller le cuir sur des plaques en carton et le livret sur les feuilles de garde rouge qui allaient faire le lien avec la couverture. Une nuit sous presse, et mon projet serait en théorie terminé…
Seulement voilà, ça n’aurait pas été drôle si je n’avais pas eu une galère de dernière minute : en ôtant la presse le lendemain matin, j’ai constaté que plusieurs feuilles avaient collé entre elles, le gesso d’apprêt ayant adhéré au papier de la page opposée. Les décoller délicatement a abîmé certaines dorures, que j’ai du reprendre patiemment en ajoutant une troisième couche de feuille d’or. Leçon comprise, j’aurais du glisser du papier sulfurisé entre chaque page pour éviter cette adhérence – on apprend toujours de ses erreurs.
J’ai appliqué la dernière feuille d’or deux jours avant la date fatidique et j’ai été immobile quelques minutes en constatant que j’avais terminé. Je n’en revenais pas de tenir entre mes mains ce livre achevé après tant de temps, d’obsession et d’efforts. J’ai senti un soulagement immense me glisser sur le corps et je me suis mise à pleurer, complètement débordée par l’émotion. J’avais réussi.
J’ai offert mon manuscrit à K le jour de son anniversaire et je crois qu’il a eu son effet. « Oh mais c’est fait main… Oh mais C’EST TOI QUI L’AS FAIT ?! » J’ai passé quelques heures à lui raconter cette aventure, à quel point j’avais tout fait en cachette en son absence, les quelques fois où il avait failli me griller, les autres petits mensonges innocents nécessaires à préserver la surprise. J’étais toute aussi émue que lui en le regardant découvrir chaque page. C’était un cadeau lourd de symboles pour moi, et je l’espère pour lui aussi.
Je crois que je n’aurais jamais pu envisager un tel ouvrage si je n’avais pas eu cet objectif clairement défini : un jour précis de fin février, j’allais offrir mon livre achevé. C’est cette échéance qui m’a tirée tout du long, ne me laissant pas de place pour douter, me remettre en question, m’inquiéter, me demander si c’était bien raisonnable. Je n’avais qu’une seule chose en tête tout du long : avancer.
Tout s’apprend, surtout à notre époque. J’ai été émerveillée de la quantité de tutoriels vidéo que j’ai trouvés, réalisés par des passionnés dédiant leur temps à partager leur savoir-faire. Plusieurs d’entre eux ont répondu avec un plaisir évident à mes questions de débutante, certains demandant même des nouvelles de mon projet quelques semaines après. J’ai eu accès à une multitude de ressources et de connaissances qui m’ont permis d’acquérir les bases techniques nécessaires alors que je partais de rien ou presque. Et j’ai même pu m’appuyer sur l’intelligence artificielle pour me guider et m’inspirer quand je ne trouvais pas exactement ce que je recherchais. Je dois tout de même mentionner que je reconnais aussi mon privilège financier qui m’a permis d’acquérir l’ensemble du matériel nécessaire à ce travail.
C’était un projet démesuré et lourd d’enseignements que je suis encore en train d’assimiler. J’avoue avoir eu besoin d’une ou deux semaines pour m’en remettre, me sentant aussi sonnée qu’après avoir rendu mon manuscrit de doctorat. Lorsqu’un projet te dévore ainsi pendant autant de temps, le monde te paraît vertigineux ensuite.
Et maintenant ? C’est une forme de renaissance. J’avais complètement mis de côté toutes mes autres passions pendant plusieurs mois – je me suis remise au yoga et à l’escalade la semaine dernière, et mon dos verrouillé d’avoir passé tellement d’heures plié sur mon ouvrage me remercie. Je me suis remise à lire, à voir des films, non plus dans l’angoisse de ne pas pouvoir consommer tout ce que je souhaiterais, mais avec la reconnaissance de pouvoir dédier du temps dans mes journées à faire ce que j’aime. J’ai passé tout le weekend dernier à jouer au jeu vidéo Stray que j’ai a-do-ré, et tout ceci m’emplit d’une reconnaissance nouvelle que je ne sais comment caractériser mais qui est plus que bienvenue.
J’en ressors emplie d’une nouvelle forme de confiance en moi qui m’a peut-être été le plus beau des cadeaux. Je suis capable d’entreprendre un tel projet et de le mener à bien. D’apprendre, de résoudre des problèmes, de m’adapter, et d’être fière de mon ouvrage. Je suis capable d’une dévotion et d’un focus de longue haleine, à la limite de l’hubris peut-être, une détermination qui m’a permis une telle traversée tête baissée, et je me sens très forte de l’autre côté.
Je me demande à quoi ressemblerait un monde et des vies où on aurait tous le temps d’explorer de telles possibilités. Ne serait-ce qu’une journée par semaine qu’on pourrait dédier à l’art, au sport, à la communauté. Ne pas devoir entreprendre ce genre de projets en apnée en rognant sur son sommeil, mais en disposant de l’espace-temps et de la sécurité nécessaires à leur réalisation. On pourrait en accomplir beaucoup, de belles et de bonnes choses partagées.