title: La crise d’Oka, jour par jour url: https://www.ledevoir.com/documents/special/2020-07-09-crise-oka-jour-par-jour/index.html hash_url: 17404d432deb0949212bfeabb5225107
Il y a trois décennies, un projet de développement immobilier et d’agrandissement de terrain de golf déclenchait un conflit d’ampleur nationale voué à transformer les relations entre les Autochtones, les gouvernements et le reste de la société. Retour en cartes, en photos et en dates sur la crise d’Oka.
9 juillet 2020
À la confluence de la rivière des Outaouais et du lac des Deux-Montagnes, à l’ouest de l’île de Montréal, se trouve le territoire mohawk de Kanesatake.
Ce territoire n’est pas officiellement une réserve indienne, mais plutôt d’établissement indien. Par le passé, cela a facilité la vente de parcelles de terre utilisées en pratique par la communauté. Certaines portions de Kanesatake sont enclavées dans le village voisin d’Oka.
En 1989, des promoteurs proposent d’agrandir le golf d’Oka et de construire une soixantaine d’habitations luxueuses. Constituées d’une pinède et d’une forêt mixte, les terres visées par les promoteurs ont une grande importance historique pour les Mohawks. Juste à côté du golf se trouve un cimetière autochtone.
Dans les années 1940, le gouvernement fédéral avait vendu ces mêmes terres à la municipalité d’Oka. En 1990, Ottawa envisageait toutefois de les racheter afin de les céder aux Mohawks, qui en revendiquent la possession.
11 mars 1990 Sous l’impulsion des autorités traditionnelles de la communauté, des Mohawks érigent une barricade près de la pinède. Leur barrage est situé sur une petite route de terre battue, non loin de la route 344. C’est l’entrée sud de la pinède.
Au cours du printemps, la municipalité d’Oka obtient une injonction de la Cour ordonnant aux activistes mohawks de démonter leur barricade, mais ces derniers ne cèdent pas puisque le projet de développement est toujours sur les rails. Les parties entreprennent des négociations, sans arriver à faire avancer le dossier.
29 juin Un juge délivre une nouvelle injonction. Quelques jours plus tard, le ministre de la Sécurité publique du Québec, Sam Elkas, lance un ultimatum aux Autochtones, exigeant leur retrait le plus tard le 9 juillet.
9 juillet Les Mohawks ne bougent toujours pas. Le ministre délégué aux Affaires autochtones du Québec, John Ciaccia, écrit au maire d’Oka pour l’inciter à suspendre indéfiniment le projet, sans quoi les choses risquent « de dégénérer en confrontation avec de tristes conséquences pour les sociétés autochtone et non-autochtone ».
10 juillet Le maire d’Oka refuse d’abandonner le projet. Par ailleurs, il demande formellement à la Sûreté du Québec (SQ) d’intervenir dans sa communauté.
Chez les militants, on se prépare à réagir. Dans les jours précédents, des membres des Warriors — un groupe autonomiste mohawk — se sont joints à l’occupation.
Nous ne cherchons pas la violence, mais nous nous défendrons si on nous attaque
11 juillet La SQ intervient à 5 h 45 dans l’espoir de démanteler la barricade. Les gaz lacrymogènes et les grenades assourdissantes n’intimident toutefois pas les manifestants. Ces derniers, armés et nombreux, restent en position. Des femmes et des enfants sont situés entre les policiers et les Warriors.
Quand les Mohawks de Kahnawake apprennent que la SQ est en train d’intervenir à Oka, ils décident de bloquer le pont Honoré-Mercier afin de détourner l’attention de la police et d’encourager leurs confrères de la rive nord (cercles rouges). Les forces de l’ordre se sentent bousculées.
À 8 h 50, le Groupe tactique d’intervention de la SQ s’avance vers le barrage d’Oka. Une fusillade éclate. Des gaz lacrymogènes obstruent le champ de vision des tireurs. Un policier de 31 ans, le caporal Marcel Lemay, est atteint mortellement par une balle qui se loge dans son aisselle gauche.
Selon le rapport du coroner, les policiers ont tiré à hauteur d’homme, d’un mouvement balayé, sans viser une cible particulière. Du côté de Warriors, on indique avoir fait feu au-dessus de la tête des policiers en guise de riposte. En une trentaine de secondes, 93 tirs d’arme à feu se font entendre, dont 51 coups provenant de cinq ou six policiers. Au moins trois Autochtones font feu, selon le coroner.
Après la fusillade, les policiers se retirent dans le village d’Oka. Les activistes utilisent des véhicules policiers abandonnés dans la cohue pour établir un nouveau barrage, celui-là sur la route 344, plus passante.
Les policiers de la SQ bouclent toute la zone qui englobe le territoire de Kanesatake et le village d’Oka. Seuls les résidents d’Oka peuvent passer les points de contrôle.
Dans les heures et les jours qui suivent, la police établit également des barrages autour de Kahnawake, près de Châteauguay. En tout, des centaines d’agents sont déployés. Des militants mohawks établissent des barricades faisant face à celles de la police.
12 juillet Dès le lendemain de la fusillade, le ministre Ciaccia se rend derrière la barricade d’Oka pour négocier avec les Mohawks, qui le respectent en tant qu’interlocuteur. Il arrive à conclure une entente de principe avec certains interlocuteurs deux jours plus tard, mais les Warriors rejettent l’accord.
14 juillet À Châteauguay, des résidents sont excédés par le barrage du pont Honoré-Mercier. Ils ne tolèrent pas non plus que la SQ laisse passer des Autochtones de la communauté qui désirent aller se procurer des denrées à Châteauguay. Furieux, certains d’entre eux lancent des cailloux en direction des Mohawks. Presque chaque soir, des citoyens blancs manifestent. Ces événements donneront lieu à des actes de violence et de racisme.
19 juillet Au lendemain de nouvelles conditions posées par les Autochtones concernant leurs droits territoriaux, le ministre Ciaccia demande, lors d’une sortie publique à Montréal, « qui parle au nom des Mohawks ? ». Le ministre fédéral des Affaires indiennes, Tom Siddon, déclare pour sa part qu’il ne négociera pas avec des gens armés. Les tensions persistent.
26 juillet Pour calmer le jeu, le gouvernement fédéral propose de racheter les terres litigieuses. Il offre 5,3 millions de dollars. La transaction sera officialisée au début du mois d’août, sans que la barricade sur la route 344 soit levée pour autant.
29 juillet Au moins 1000 personnes manifestent leur soutien aux Mohawks dans le parc Paul-Sauvé, à Oka. On compte parmi eux des délégations de Cris, d’Innus, de Hurons-Wendats, d’Algonquins, d’Ojibwés, de Micmacs et d’autres nations autochtones du Canada. Des députés de l’opposition fédérale sont également sur place.
Pendant plus de cent ans, ils ont tenté de s’occuper de nous, mais ils ont échoué misérablement
1er août En soirée, 10 000 résidents de Châteauguay manifestent devant les barricades des Mohawks de Kanesatake et demandent l’intervention de l’armée. Un mannequin à l’effigie d’un Mohawk est pendu et brûlé. Quelques jours plus tard, des citoyens menés par l’ex-policier Yvon Poitras bloquent l’autoroute 15.
5 août Le premier ministre du Québec, Robert Bourassa, lance un ultimatum de 48 heures aux Mohawks. Si les insurgés ne se conforment pas à l’entente, M. Bourassa avertit qu’il prendra les « mesures appropriées » pour résoudre la crise. Dans les jours qui suivent, des centaines de citoyens d’Oka et de Kanesatake quittent leur maison.
8 août Québec fait appel à l’armée canadienne, qui viendra en renfort de la SQ neuf jours plus tard. En parallèle, Ottawa nomme un médiateur spécial, le juge Alan B. Gold, pour rapprocher les parties.
12 août À l’invitation du groupe Solidarité-Châteauguay, des manifestants bloquent le pont Saint-Louis-de-Gonzague pour exiger la réouverture du pont Mercier. Une cinquantaine de policiers de la SQ écartent ces personnes lors d’une opération qui fait des blessés. Des manifestants saccagent ensuite le poste de police pour libérer leurs confrères arrêtés.
À Oka, les ministres Ciaccia et Siddon vont derrière la barricade pour signer l’entente négociée par le juge Gold sur les conditions préalables à la véritable négociation, qui débute quatre jours plus tard. Des représentants de la Fédération internationale des droits de l’homme y agissent à titre d’observateurs.
14 août Des unités de la 5e Brigade mécanisée de l’armée canadienne, basées à Valcartier, se mettent en route vers la région métropolitaine. Elles vont se poster à Blainville et à Saint-Benoît, près d’Oka, et à Saint-Rémi et à Farnham, près de Kahnawake. Les militaires prendront le relais de la SQ près des barrages trois jours plus tard, à la demande du premier ministre Bourassa.
19 août Les forces armées avancent leurs troupes à un kilomètre et demi au-delà des anciennes barricades policières dans le rang Sainte-Germaine, à Oka. Les militaires déplacent de vieilles voitures mises là par les Mohawks pour prendre position sur un terrain surélevé à l’intérieur du périmètre fixé par les activistes. L’étau se resserre autour de Kanesatake et de Kahnawake.
27 août Considérant que les négociateurs mohawks sont de mauvaise foi, le gouvernement rompt les discussions. Les Warriors exigent une amnistie générale pour leurs membres et le droit de garder leurs armes. La mission des observateurs internationaux prend fin du même coup.
27 août Alors que de nouvelles « négociations de la dernière chance » se mettent en branle, l’armée lance un ultimatum de 24 heures aux activistes. Tandis que des femmes, des enfants et des personnes âgées quittent Kahnawake dans la foulée de la menace de l’armée, des citoyens de LaSalle lancent des objets vers leurs voitures.
29 août L’ultimatum arrivé à échéance, l’armée canadienne commence à démanteler la barricade principale de la route 132 à Sainte-Catherine et la barricade du pont Mercier. Des Warriors non armés les y aident.
Le démantèlement se déroule avec quelques frictions dans les jours qui suivent. Le pont Mercier sera finalement rouvert à la circulation le 5 septembre. Cette artère, où circulent normalement 70 000 véhicules par jour, est ainsi restée fermée pendant 57 jours.
1er septembre À Oka, après une altercation entre les Warriors et l’armée pendant la nuit, les militaires encerclent la quarantaine de personnes qui tiennent toujours la barricade et les forcent à se retrancher. Les Warriors et leurs sympathisants, parmi lesquels on compte des femmes et des enfants, sont maintenant confinés dans une zone de 600 mètres sur 800 mètres autour du centre de désintoxication de Kanesatake.
3 septembre Des Warriors tentent, en vain, de s’échapper d’Oka. En pleine nuit, ils tirent des rafales avant de chercher à fuir par le lac, mais l’armée intercepte l’embarcation dans laquelle ils doivent monter.
12 septembre Malgré une proposition de reddition de la part des militaires quelques jours plus tôt, les Warriors restent en place à Oka. L’armée ratisse la pinède et installe des projecteurs puissants afin de mieux surveiller le repaire des Mohawks. Dans les jours qui suivent, elle coupe toute ligne téléphonique permettant une communication depuis le centre de désintoxication vers l’extérieur, outre une « ligne rouge » avec l’armée.
18 septembre Au fait de la présence d’armes à la marina de Kahnawake, la SQ investit l’île de Tekakwitha, qui fait partie de la réserve, avec huit hélicoptères afin d’y effectuer une saisie. Des centaines de Mohawks se massent vers le barrage restreignant l’accès à l’île et lancent des pierres aux militaires. L’armée riposte avec des coups de feu et des gaz lacrymogènes.
26 septembre La crise d’Oka prend fin dans la plus grande confusion.
Une cinquantaine de Warriors, de femmes et d’enfants, de même qu’une dizaine de journalistes quittent le centre de désintoxication à la suite de la conclusion d’une entente avec l’armée. Après la sortie de leur repaire assiégé, des femmes et des enfants tentent de se disperser, mais les militaires les en empêchent. Lors de ces escarmouches, un véhicule passe près d’écraser une femme et son enfant. Des coups de poing sont échangés avec les Warriors. Les personnes arrêtées sont acheminées vers la prison de Farnham, en Montérégie.
Une quarantaine d’activistes autochtones ont finalement été accusés d’entrave au travail d’agents de la paix, de participation à une émeute et de port d’armes dans le but d’en faire un usage dangereux pour la paix publique.
Près de deux ans après les événements, le 3 juillet 1992, un jury rend un verdict de non-culpabilité.