title: Reliance, déliance, liance : émergence de trois notions sociologiques url: https://www.cairn.info/revue-societes-2003-2-page-99.htm hash_url: 526f95a281f82f4ae5cf85d0bfe610fd
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Michel Maffesoli, grand adepte, utilisateur et diffuseur de la notion de « reliance » m’a demandé en tant que parrain de celle-ci, de rédiger un article de référence concernant la genèse et le contenu de ce concept à l’audience croissante. Ce faisant, il songeait non seulement à ses collègues sociologues, mais surtout à ses étudiants et disciples amenés à recourir à l’usage de ce terme relativement neuf au sein de la panoplie de la langue sociologique.

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C’est bien volontiers que je réponds à son amicale et pressante invitation. Compte tenu des multiples échanges que j’ai eus à ce propos au fil des ans, j’estime indispensable de lier l’analyse du concept de « reliance » à celle de deux autres qui lui sont ontologiquement liées : « déliance » et « liance ». En fait – cela peut se constater à la lecture chronologique de mes écrits sur le sujet – la « reliance » suppose l’existence préalable d’une « dé-liance » et celle-ci un état de « pré-déliance » que nous définirons alors comme le phénomène de « liance », séquence que je vais tenter d’expliciter dans quelques instants.

De la reliance

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Pour étudier et comprendre la problématique du lien social dans la société contemporaine, le concept de « reliance », en particulier celui de « reliance sociale », me paraît de nature à éclairer, approfondir et synthétiser un grand nombre d’études particulières sur le sujet.

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Notons au préalable l’existence d’une controverse scientifique sur la nature même de cette notion de « reliance » : s’agit-il d’une simple notion ou mérite-t-elle le titre de concept ? Michel Maffesoli, allergique à tout risque de rigidité herméneutique, accorde sa préférence à la première de ces qualifications. Par ailleurs, dans le cadre d’une disputatio académique locale, un éminent collègue n’a pas hésité à aller plus loin, à refuser catégoriquement (et oralement) de reconnaître à la « reliance » la qualité de concept. Personnellement, m’appuyant sur la définition du dictionnaire philosophique de Lalande, je persiste à considérer qu’en l’occurrence, il ne s’agit certes pas d’un concept a priori, mais bien d’un concept a posteriori, de nature empirique, en l’occurrence « une représentation mentale générale et abstraite d’un objet » (Robert).

La reliance : émergence du concept

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Pour cerner ce concept émergent, je vais tenter d’en situer l’origine, la définition, le contenu, avant d’en souligner la dimension sociologique et la spécificité.

Origine de la notion

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Parrain de cette notion, dans la mesure où je ne l’ai point inventée, mais seulement enrichie, entretenue et développée, je me dois de lui reconnaître deux pères philologiques : Roger Clausse et Maurice Lambilliotte. Car si cette notion apparaît relativement nouvelle, elle peut cependant se targuer d’une existence de plus d’un demi-siècle et d’une présence active de plus d’un quart de siècle. À ma connaissance, le premier sociologue à avoir utilisé, et probablement créé le terme de « reliance » en français est Roger Clausse, dans son ouvrage Les Nouvelles[1][1] Roger CLAUSSE, Les Nouvelles, Bruxelles, Éditions de.... Analysant le besoin social d’information, il en inventorie les diverses dimensions, et notamment la dimension psychosociale : « Il est besoin psychosocial: de reliance en réponse à l’isolement[2][2] Id., p. 9.. » Le développement de l’information et de son support, le journal, tend à répondre à ce besoin. Aussi, Roger Clausse distingue-t-il, au sein du complexe des fonctions sociales remplies par le journal, une fonction de «reliance sociale» qu’il définit comme suit : « rupture de l’isolement ; recherche de liens fonctionnels, substitut des liens primaires, communion humaine [3][3] Id., p. 22..

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» Information prise auprès de cet auteur, ce terme de « reliance » a été utilisé par lui comme synonyme de celui d’« appartenance » : le besoin de reliance était dans son esprit une facette du besoin d’appartenance sociale (« d’appartenir à une communauté dont on partage ou refuse le sort heureux ou malheureux »); la fonction de reliance sociale ne serait qu’une formulation originale, plus précise, de ce que Jean Stoetzel avait auparavant défini comme la fonction d’appartenance sociale ou, plus profondément peut-être, une synthèse de la fonction d’appartenance sociale et de la fonction psychothérapeutique de la presse (la reconstitution d’un équivalent des relations primaires détruites par la société de masse) mise en évidence par ce même Stoetzel [4][4] Jean STOETZEL, Études de presse, 1951, pp. 35-41.. Depuis lors, l’analyse de cette fonction de reliance a été étendue aux autres médias : radio, T.V., etc [5][5] Cf. notamment Gabriel THOVERON, Radio et télévision....

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Les sociologues des médias ne sont toutefois pas les seuls à avoir eu recours à ce néologisme. Voici quelques décennies, un autre auteur belge a utilisé le même terme, mais dans un sens légèrement différent : Maurice Lambilliotte, dans son ouvrage, L’homme relié[6][6] Maurice LAMBILLIOTTE, L’homme relié. L’aventure de.... Il lui donne une signification transcendantale, quasi religieuse : pour lui, la reliance est à la fois un état et un acte, « l’état de se sentir relié [7][7] Id., p. 108. », « un acte de vie (…) acte de transcendance par rapport aux niveaux habituels où se situe notre prise de conscience [8][8] Id., p. 109. ». « Mode intérieur d’être : (…) elle permet à tout individu de dépasser, en conscience, sa solitude » [9][9] Ibid.. La reliance à ses yeux est donc essentiellement du domaine de l’expérience intérieure, une quête de l’Unité de la vie.

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Cette double émergence de la notion de « reliance », avant ma propre intervention, n’est pas le fruit du hasard, même si les deux « créateurs » du terme ne paraissent pas avoir agi de façon concertée. En fait, ils sont « reliés » par leur commune insertion forcée dans un système socioscientifique à base de division et de « déliance » (la société de la foule solitaire) et aussi par une caractéristique convergente de leur conception de la reliance : la relier à l’homme, placer celui-ci au centre ou au départ du procès de reliance.

Premier élément de définition

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Une telle conception, malgré les apparences, n’a rien d’une évidence. Elle pourrait même être considérée comme réductionniste : les hommes ne sont pas les seuls à pouvoir être reliés, les idées et les choses – si elles avaient la parole – pourraient revendiquer un droit similaire [10][10] Dans le langage courant, elles sont même les seules....

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Des idées peuvent être reliées: en son principe, la science vise à réaliser une telle reliance, à découvrir les relations cachées entre les faits, les choses et les phénomènes. Certes la science occidentale dominante, issue des œuvres de Descartes, isole, sépare, divise pour connaître et comprendre. Mais ce premier moment de la démarche scientifique – dont se contentent trop de chercheurs – n’a de sens que s’il est complété par une seconde démarche, celle qui vise à relier ce qui est isolé, séparé, disjoint, dé-lié… Après l’étape de la science en miettes, doit venir celle de la science élargie, enrichie, recomposée… ce qu’Edgar Morin a théorisé dans son projet de revalorisation de la « pensée complexe [11][11] Edgar MORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris,... ». Depuis quelques années, de nombreux efforts en ce sens ont vu le jour : la théorie des systèmes constitue un des lieux de leur cristallisation. Edgar Morin, lui, essaie de la dépasser, de l’élargir encore, en élaborant une théorie de l’auto-organisation avec l’ambition de relier les trois éléments de la trilogie individu-société-espèce [12][12] Edgar MORIN, La Méthode. I. La Nature de la Nature,.... Des choses peuvent être reliées : deux villes par une route ou un chemin de fer, deux rives par une passerelle ou un pont, deux maisons par une ligne téléphonique, deux fleuves ou deux mers par un canal. Reliance entre des choses, destinée à être utilisée par des hommes : il est frappant de constater que tous les exemples qui viennent spontanément à l’esprit relèvent du monde des transports et des communications [13][13] En fait, des choses peuvent être reliées sans qu’il....

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Toutefois, afin d’éviter toute dilution du concept, nous avons, dans un premier temps, proposé de ne point en étendre l’application aux liaisons entre idées et entre choses, de le réserver aux relations dont l’un des pôles au moins est constitué par une personne humaine En cela, notre définition rejoignait et reliait celle de nos deux prédécesseurs.

Définition de la reliance

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La « reliance » n’a jusqu’à présent droit de cité dans aucun lexique ou dictionnaire francophone [14][14] Le terme existe en anglais, où il signifie « confiance,..., fût-il psychologique, sociologique ou philosophique [15][15] Les équipes responsables de la rédaction de deux dictionnaires....

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À nous donc, faute de référence sémantique, de proposer une définition de ce terme.

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Pour moi, en une première approche très générale, la reliance possède une double signification conceptuelle :

  1. l’acte de relier ou de se relier : la reliance agie, réalisée, c’est-à-dire l’acte de reliance ;

  2. le résultat de cet acte : la reliance vécue, c’est-à-dire l’état de reliance.

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Afin d’éviter le piège de la tautologie, il importe de préciser le sens du verbe «relier », tel qu’il sera utilisé dans le cadre de cette définition.

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En effet, les dictionnaires classiques ne le définissent que par rapport à des choses ou à des idées. Or, j’ai déjà précisé que dans la perspective adoptée par notre équipe, il s’agit a priori d’un acte ou d’un état où au moins une personne humaine est directement concernée. Ce qui nous a amené à entendre par relier: «créer ou recréer des liens, établir ou rétablir une liaison entre une personne et soit un système dont elle fait partie, soit l’un de ses sous-systèmes.»

Reliance et reliances

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Dans le cadre de cette définition très globale, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées, chacune correspondant à un type particulier de reliance :

  • la reliance entre une personne et des éléments naturels : je peux vivre ma reliance au Ciel (par la religion notamment), à la Terre (retrouver mes « racines »), aux divers composants de notre Univers, et y puiser une dimension importante de mon identité ; dans ce cas, l’on peut parler de reliance cosmique ;

  • la reliance entre une personne et l’espèce humaine : elle peut se réaliser notamment par les rites, les mythes, la prise de conscience de son insertion dans la longue évolution des systèmes vivants ; dans ce cas, l’on parlera de reliance ontologique ou anthropo-mythique ;

  • la reliance entre une personne et les différentes instances de sa personnalité : la quantité et la qualité des relations entre les pulsions du Ca, les exigences du Surmoi,et le Moi en construction, entre le corps et l’esprit, entre le conscient, le subconscient et l’inconscient ; ici, il s’agira de reliance psycho-logique ;

  • la reliance entre une personne et un autre acteur social, individuel (une personne) ou collectif (groupe, organisation, institution, mouvement social…) : c’est la reliance sociale proprement dite, dont la reliance psychosociale (entre deux personnes) constitue à la fois un cas particulier et un élément de base.

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Reste alors le cas des relations entre deux acteurs sociaux collectifs : elles pourraient aussi être définies, analysées, interprétées en termes de reliance sociale. La définition retenue jusqu’à présent conduit à les exclure du champ recouvert – momentanément – par ce concept : les y inclure reviendrait à affaiblir le sens et l’intérêt de celui-ci, alors que la sociologie abonde en concepts et théories pour l’analyse de telles relations

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La reliance sociale

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Dans le cadre de l’étude du lien social, la notion qui doit intéresser le sociologue au premier chef est évidemment celle de reliance sociale, c’est-à-dire de la reliance entre deux acteurs sociaux dont l’un au moins est une personne.

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Les autres dimensions de la reliance sont toujours présentes, ne fût-ce que de façon sous-jacente, lorsqu’on traite de reliance sociale : tel est d’ailleurs un des intérêts de ce concept qui enrichit l’analyse des liens sociaux par l’évocation de leurs dimensions psychologiques, philosophiques et culturelles.

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Par application des divers éléments précédemment réunis, je propose de définir comme suit la reliance sociale: « la création de liens entre des acteurs sociaux séparés, dont l’un au moins est une personne ».

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Cette définition générale n’est pas dictée uniquement par la prise en considération des spécificités du contexte sociologique contemporain (un système social au sein duquel les liens traditionnels ont été détendus, brisés, éclatés, une société de « déliance »), mais peut s’appliquer à tout acte ou état de reliance.

La reliance : dimension sociologique du concept

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Une première approche superficielle de l’idée de reliance pourrait donner à penser qu’il s’agit d’un concept d’essence psychologique renvoyant aux besoins et désirs – qu’éprouveraient les individus perdus au sein de la foule solitaire -– de nouer ou renouer des relations affectives (des liens sociaux) avec autrui: dans ces conditions, les sociologues n’auraient qu’en faire.

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Telle n’est pas ma conviction. La dimension sociologique du concept saute aux yeux dès que l’on désire prendre en considération le fait que l’acte de relier implique toujours une médiation, un système médiateur.

Reliance sociale et système médiateur

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Les acteurs sociaux sont à la fois liés (ils ont des liens directs entre eux), et reliés par un ou des systèmes médiateurs (qu’il s’agisse d’une institution sociale ou d’un système culturel de signes ou de représentations collectives). Dans la relation intervient un troisième terme. Naissent ainsi ce que Eugène Dupréel [16][16] Eugène DUPRÉEL, Traité de Morale, Bruxelles, Presses... a appelé des « rapports sociaux complémentaires».

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La définition de la reliance sociale peut donc être affinée et être formulée dans les termes suivants : «La production de rapports sociaux médiatisés, c’est-à-dire de rapports sociaux complémentaires ou, en d’autres termes, la médiatisation de liens sociaux ».

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Les systèmes médiateurs, mis en jeu par cette médiation, peuvent être :

  • soit des systèmes de signes (la langue, la possession d’objets de consommation…) ou de représentations collectives (les croyances, la culture…) permettant la communication, l’échange, la reliance ;

  • soit des instances sociales (groupes, organisations, institutions…), déterminant et modelant les rapports de reliance.

La reliance sociale, concept tridimensionnel

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À partir du fait que la reliance n’existe pas indépendamment d’instances médiatrices, trois sens du concept « reliance sociale » peuvent être distingués d’un point de vue sociologique, selon que cette reliance est envisagée :

  • en tant que médiatisation, c’est-à-dire comme le processus par lequel des médiations sont instituées, qui relient les acteurs sociaux entre eux : c’est le procès de reliance (reliance-procès);

  • en tant que médiation, c’est-à-dire comme le système plus ou moins institutionnalisé, reliant les acteurs sociaux entre eux : c’est la structure de reliance (reliance-structure);

  • en tant que produit, c’est-à-dire comme le lien entre les acteurs sociaux résultant du ou des systèmes médiateurs dont font partie ces acteurs : c’est le lien de reliance (reliance-lien).

Lien social et reliance sociale

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La complexité ainsi dévoilée du concept de reliance sociale nous incite à la prudence sociologique lorsque nous est suggérée l’analyse du lien social: par-delà celui-ci se profilent la dynamique de sa genèse (sa médiatisation) et le résultat de celle-ci (les médiations qui le déterminent), le procès et la structure de reliance qui produisent le lien social en sa spécificité momentanée. La tâche prioritaire du sociologue est de comprendre à la fois la dynamique du tissage et la statique du tissu social, pour reprendre une métaphore de Michel Maffesoli [17][17] Michel MAFFESOLI, Le temps des tribus, Paris, Méridiens.... Et dans l’ordre des préoccupations heuristiques du sociologue, la reliance, selon moi, est prioritaire par rapport au lien.

Les modèles de reliance sociale

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À chacune des trois dimensions qui viennent d’être dégagées, correspondent différents modèles de reliance:

  • la reliance-procès peut être formelle ou informelle, institutionnelle ou contre-institutionnelle, etc. ;

  • la reliance-structure peut être bureaucratique ou effervescente, atomisante ou globalisante, marchande ou écologique, etc.;

  • la reliance-lien peut être atomisée (la foule solitaire), moléculaire (les communautés), globale (les manifestations collectives).

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Un des objectifs prioritaires de recherche devrait consister à dresser une typologie concrète de ces différents modèles de reliance.

La reliance sociale, concept psychosociologique

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Une théorie sociologique digne de ce nom ne peut faire l’impasse sur la dimension psychosociologique des phénomènes humains. Or, l’intérêt du concept de « reliance », et plus particulièrement celui de « reliance sociale », me paraît précisément résider dans la « reliance » qu’il permet entre deux approches des phénomènes psychosociaux trop souvent séparées, l’approche sociologique et l’approche psychologique.

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Sous l’angle sociologique, nous avons noté deux raisons de recourir à l’emploi du terme « reliance », et donc du verbe « re-lier » en lieu et place du verbe lier, pour décrire les liens entre personnes et groupes de personnes ; de tels liens existant ou ayant existé, les acteurs sociaux étant ou ayant été ainsi « liés » peuvent être RE-liés

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D’autre part, le recours au concept de reliance permet, grâce à l’introduction de ces dimensions sociologiques d’élargir, d’enrichir une étude qui, sans cela, risquerait de se confiner à l’analyse psychologique des liens affectifs, des liaisons sentimentales, des relations amoureuses – sujet intéressant certes, relié à la reliance à bien des égards, mais dont l’exploration et l’exploitation, déjà entreprises avec talent par une multitude de savants, de poètes et de romanciers, sortent des limites d’une (trop) stricte définition sociologique du lien social. Il s’agit donc bien d’un concept à vocation et d’orientation psychosociologique.

La reliance : dimension anthropologique du concept

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Parti avec mon équipe de chercheurs [19][19] Dans le cadre d’un vaste programme interuniversitaire... d’une étude et d’une définition de la reliance sociale (à la reliance aux autres), j’ai été progressivement amené à élargir cette notion et, dans un premier temps, à y intégrer deux autres dimensions essentielles des enjeux de reliance: la reliance à soi (reliance psychologique), la reliance au monde (reliance culturelle, écologique ou cosmique). À chacun de ces enjeux correspond en effet un travail social et psychosocial sur trois notions clés pour le devenir humain :

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Dans une démarche ultérieure, j’ai, suite à divers échanges avec Edgar Morin, complété les définitions initiales en y ajoutant ce que nous pourrions appeler la reliance cognitive, reliance des idées et des disciplines scientifiques, démarche indispensable pour prendre en compte la complexité des réalités humaines et sociales, pour contribuer au développement de la «pensée complexe[20][20] Cf. Edgar MORIN, Introduction à la pensée complexe,... ».

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Ce faisant, la « reliance » par delà sa dimension de concept sociologique, acquiert une réelle dimension «anthropologique», ce qui nous conduit à nous interroger sur son substrat anthropologique, sur les finalités politicoscientifiques auxquelles son usage peut donner corps.

La reliance, substrat anthropologique

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Certains, en effet, ne se font pas faute d’exprimer leur inquiétude face au risque de dérive psychologique d’un concept que l’on tient à ancrer fermement dans le champ sociologique. Une telle inquiétude a sous-tendu, par exemple, les critiques que m’ont initialement adressées des sociologues aussi avertis que Raymond Ledrut et Renaud Sainsaulieu. La qualité de leurs auteurs m’a paru mériter une sérieuse prise en compte de leurs arguments et une réponse circonstanciée.

Une anthropologie judéo-chrétienne ?

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Derrière la mise en valeur de l’idée de reliance, Raymond Ledrut a cru pouvoir déceler une vision anthropologique contestable : celle, judéo-chrétienne, de la « bergerie fraternelle », de « la communauté pacifique et bienheureuse », de « l’homme sujet et cœur [21][21] Raymond LEDRUT, in Bulletin de l’AISLF, n°4, 1987,... ». Renaud Sainsaulieu l’a rejoint dans une certaine mesure lorsqu’il a interprété le désir de reliance comme une sorte d’« aspiration fusionnelle », lorsqu’il voit dans la reliance un type particulier de relation où le désir d’être entendu et accepté sans lutte ni stratégie serait central. Bref, je me serais fait l’avocat d’« une sociologie de faibles en quête d’attention que seul l’amour peut justifier [22][22] Renaud SAINSAULIEU, in Bulletin de l’AISLF, n°4, 1987,... ».

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Je tiens à l’affirmer avec force : je ne reconnais nullement mon projet dans ces critiques qui lui ont été adressées. Celles-ci ont probablement été inspirées par l’application que j’avais faite du concept à l’interprétation d’une expérience communautaire en Belgique dans les années 70, et sur laquelle je reviendrai un peu plus loin.

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Afin de clarifier le débat et d’en bien situer les enjeux, je me dois de tenter d’apporter deux précisions : l’une d’ordre conceptuel, l’autre d’ordre philosophique (ou idéologique).

Le double sens de la reliance sociale

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Bien des confusions à propos de l’idée du concept et des politiques de reliance sociale sont liées au fait qu’une distinction élémentaire n’est pas faite entre deux sens de ce terme :

  • la reliance sociale lato sensu (au sens large) telle que je l’ai définie jusqu’à présent, à savoir la création de liens entre des acteurs sociaux ;

  • la reliance sociale stricto sensu (au sens étroit), c’est-à-dire l’action visant à créer ou recréer des liens entre des acteurs sociaux que la société tend à séparer ou à isoler, les structures permettant de réaliser cet objectif, les liens ainsi créés ou recréés.

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La première définition est générale et englobante : elle ne comporte point de jugement de valeur et tend à recouvrir toutes les situations existantes. La seconde, en revanche, est plus contingente et plus normative : elle se réfère à des aspirations spécifiques des acteurs sociaux dans le cadre de la société de la foule solitaire et aux stratégies spécifiques d’action développées afin de répondre à la fois à leurs aspirations en matière de reliance sociale (procès et structures) et à leurs aspirations à la reliance sociale (c’est-à-dire à leur désir de liens chaleureux, fraternels, proches, conviviaux). Bref à leur quête d’un renouveau de communications, de contacts, d’échanges, de partage, de rencontres, d’affection, d’amour, d’identité. La première fonde une grille d’analyse sociologique, la seconde éclaire des objectifs d’action sociale.

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Le second sens est certainement à l’origine de l’intérêt pour le concept de reliance. Et c’est à lui que s’adressent non moins évidemment les critiques à cet égard partiellement fondées de Raymond Ledrut et Renaud Sainsaulieu. Partiellement, car l’aspiration à la reliance sociale peut être de divers types : elle n’implique pas nécessairement un désir fusionnel, elle peut être désir d’échange de solitudes acceptées comme irréductibles. L’interprétation de mes contradicteurs est limitée, elle ne concerne qu’une des conceptions de la reliance sociale : c’est précisément elle que j’ai voulu dépasser en proposant ce concept qui permet, me semble-t-il, d’échapper à l’anthropologie judéo-chrétienne originelle pour se rapprocher de ce que je serais tenté de situer, à la suite des réflexions de Raymond Ledrut [23][23] Raymond LEDRUT, « L’analyse, critique du lien social:..., dans la perspective d’une anthropologie laïco-nietzchéenne.

Une anthropologie laïco-nietzchéenne ?

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En tant que citoyen, j’avouerai sans nulle honte trouver sympathiques les valeurs judéo-chrétiennes décrites (dénoncées ?) par mes interlocuteurs. À condition d’en affirmer les limites, d’éviter de tomber dans le piège de l’illusion groupale, de l’idyllisme communautaire, de la fraternité irénique.

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En tant que sociologue, je pourrais me contenter de procéder à l’analyse critique de ces illusions et de ces leurres, des contradictions et impasses de pratiques contestées visant à répondre à des aspirations certes légitimes. Mais j’ai estimé devoir aller plus loin, ne pas limiter l’analyse à ce sens étroit de la reliance sociale, élargir l’outil conceptuel en lui donnant toute son ampleur sociologique : de là est née la définition de la reliance sociale au sens large.

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L’anthropologie qui fonde celle-ci est laïque: en quelque sorte, la reliance sociale peut apparaître comme la forme profane de la religion. Les deux actions sont en effet construites sur le même radical sémantique (religare : relier). N’est-ce pas Freud qui considérait que l’une des fonctions de la religion consistait à unir les individus au groupe en fusionnant les charges affectives contenues et en les libérant grâce à des rites empruntant à leur dimension collective une ferveur émotionnelle intense ? Liens sociaux avec transcendance d’une part, liens sociaux sans transcendance, ou avec une transcendance immanente d’autre part. Dans une première approche, l’idée de reliance sociale, cas particulier de religio, paraît donc fondée sur une anthropologie laïque. Mais elle l’est tout autant si l’on préfère voir dans la religion un cas particulier de reliance (méta-sociale ?) impliquant une référence transcendantale… conception que je suis enclin à adopter aujourd’hui.

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Une anthropologie que l’on pourrait dire nietzschéenne aussi: car loin de faire sien l’idéal de la bergerie fraternelle, de l’affectivité fusionnelle ou de l’empathie consensuelle, elle tient au contraire à se nourrir de lucidité critique, d’analyse dialectique et d’interprétations paradoxales. Et s’il fallait, pour être clair, préciser mon système de valeurs par rapport à ce concept de reliance, je dirais que pour moi, la reliance renverrait à une image qui m’est chère : celle de l’échange des solitudes acceptées (image qui répond, sur le plan du lien social, à celle de la route qui relie deux villes dans le désert sur le plan physique…). Écoutons Nietzsche, tel que l’évoque Raymond Ledrut : le lien social n’existe pas en dehors des rapports sociaux définis (une structure de reliance à analyser en priorité. MBDB.); la pensée critique doit s’exercer à plein sur une sociologie utopiste ou essentialiste (le concept de reliance au sens large doit y aider, s’il est correctement utilisé); il y a interdépendance et réciprocité de l’individuel et du social; l’individu n’est jamais qu’un imaginaire ; dans la société contemporaine, l’illusion de la personnalité et de la liberté est fort répandue (l’individu est un être déliérelié); l’interrogation critique est indispensable pour comprendre les nouvelles formes du lien social et l’apparition de nouveaux types de solidarité (je tenterai de le montrer dans quelques instants); l’individualisme (reliance à soi) et l’atomisation (déliance sociale) ne doivent pas être confondus ; l’individu est à la fois a-social et social (délié et relié, de façon contradictoire et/ou complémentaire). Comment ne pas partager ce projet d’anthropologie critique que nous propose Nietzsche ? Personnellement, je m’y reconnais entièrement. J’y retrouve les principes directeurs qui inspirent ma vision de la reliance et mes raisons de proposer cette grille de lecture. De la discussion entamée, je déduis qu’il me reste un important travail à accomplir pour corriger le tir, pour expliciter l’implicite de mes postulats anthropologiques, la spécificité et l’utilité du concept proposé.

La reliance : spécificité du concept

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D’aucuns, au premier rang desquels Renaud Sainsaulieu, ont émis quelques doutes sur l’utilité et la spécificité du concept : pourquoi créer un mot presque nouveau pour décrire une réalité déjà habillée d’une garde-robe conceptuelle bien fournie ; appartenance, intégration, aliénation, dépendance, dominance, adhésion, participation ne constituent-ils pas une panoplie surabondante de concepts psychosociologiques bien introduits en chaires ?

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Ma conviction est que ce terme est utile, nécessaire, qu’il exprime une réalité émergente, dont l’émergence est liée à l’évolution du système social global et dont aucun des autres concepts ne rend compte de façon réellement satisfaisante, c’est-à-dire avec une précision suffisante.

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Encore convient-il d’étayer cette opinion, de justifier ce jugement, de démontrer la spécificité du concept de reliance par rapport à ses concurrents ayant pignon sur rues académiques.

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J’y ai consacré quelques analyses que, faute de place, je ne peux songer à reprendre ou développer [24][24] Marcel BOLLE DE BAL, Reliance sociale, recherche sociale,....

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J’ai ainsi pu mettre en évidence que la reliance ne pouvait être confondue, entre autres ni avec l’appartenance, ni avec la dominance, ni avec l’affectivité. Avec l’appartenance, tout d’abord. Reliance et appartenance constituent deux réalités – deux états, deux actions ou deux aspirations – qui, tout en possédant une partie commune (la reliance en tant qu’appartenance à un groupe social particulier, l’appartenance en tant qu’impliquant une certaine reliance) se dépassent manuellement, se différencient par des traits spécifiques : la reliance peut exister indépendamment de l’appartenance, l’appartenance exige d’autres ingrédients que la reliance.

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Avec la dominance et l’affectivité, ensuite. Les relations sociales, les liens psychosociaux charrient la plupart du temps des éléments de dominance et d’affectivité, mais ces deux notions ne peuvent être confondues avec celle de reliance [25][25] Michel Crozier souligne avec force que toute relation.... Chronologiquement, dans un échange social, la reliance intervient en premier lieu au moment de la formation de la relation, alors que la dominance et l’affectivité se développent lorsque la relation est nouée. La reliance ne concerne que le fait de relier, d’être relié ou de se relier, non le désir de dominer ou les sentiments affectifs qui peuvent le teinter d’une coloration particulière. La démarcation entre ces deux concepts est indispensable si l’on souhaite conserver à celui de « reliance » son potentiel descriptif et analytique.

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Le terme liens pourrait, lui aussi, paraître adéquat pour décrire la création de liens sociaux. Toutefois, il lui manque, par rapport au concept de reliance, trois dimensions essentielles : sociologiques (la « complémentarité » définie par Eugène Dupréel), philosophique (la reliance cosmique), psychologique (la reliance à soi). D’autres termes, tels « interaction », « alliance », « relation » ou « interpersonnel» (à propos desquels Renaud Sainsaulieu s’est demandé s’ils ne suffisaient pas à rendre compte de la réalité à décrire) ne me paraissent guère exprimer, par eux-mêmes et de façon aussi synthétique, les trois dimensions sociologiques du concept de reliance : la médiatisation, la médiation et le produit. Au lecteur de juger et d’apporter, s’il le veut, sa critique constructive : elle sera très appréciée.

La reliance : utilité du concept

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J’espère avoir laissé entrevoir, dans le peu de place dont je dispose, la spécificité du concept. Reste à prouver son utilité. Je considère que celle-ci se marque dans trois directions : épistémologique (il s’agit d’un concept-charnière), heuristique (il permet de comprendre et d’interpréter les avatars contemporains du lien social), prospective (il traduit une dynamique de créativité potentielle).

La reliance, concept-charnière : liens sociaux et liens scientifiques

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L’intérêt épistémologique du concept de « reliance » et plus particulièrement de celui de « reliance sociale » me paraît résider dans le fait qu’il se situe à l’articulation d’au moins trois approches du lien social: une approche sociologique (la médiatisation du lien social et la création de rapports sociaux complémentaires), une approche psychologique (l’aspiration de nouveaux liens sociaux), une approche philosophique (les liens manifestes ou latents entre reliance et religion). Or, la sociologie existentielle qu’à la suite d’Édouard Tiryakian [26][26] Édouard TIRYAKIAN, « Vers une sociologie de l’existence »,... je souhaite voir s’élaborer progressivement [27][27] Marcel BOLLE DE BAL, « De l’esthétique sociale à la... suppose une ouverture vers des disciplines complémentaires trop souvent ignorées ou négligées : la philosophie et la psychologie notamment.

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Ce que Jean Maisonneuve a écrit [28][28] Jean MAISONNEUVE, Introduction à la psychosociologie,... à propos du concept « groupe de référence » me paraît applicable, mutatis mutandis, au concept de « reliance » : « Il s’agit d’un concept charnière indispensable en psychosociologie, il permet de relier les situations collectives où l’individu est sans cesse immergé (au sein de tel groupe, près de tel compagnon) et les processus psychologiques qui confèrent leur sens à ces situations en fonction d’une dynamique personnelle. »

La reliance, concept interprétatif: lien social et expérience communautaire

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Ce concept-charnière n’a pas qu’un intérêt théorique abstrait. Il permet de rendre compte, et surtout d’éclairer d’un jour nouveau des procès de reliance visant à la création de liens sociaux nouveaux, en rupture avec les structures de reliance instituées. À titre d’illustration, j’évoquerai brièvement le cas d’une communauté contre-culturelle que j’ai pu étudier de façon privilégiée, en lui appliquant une grille d’analyse inspirée du concept de « reliance » [29][29] Marcel BOLLE DE BAL, La tentation communautaire. Les....

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En 1971, quelques jeunes bruxellois, marqués par leur expérience des événements de mai 1968, décident d’affirmer leur rejet de la famille traditionnelle, de fonder une communauté, de mettre en pratique les principes de la contre-culture, bref d’instituer entre eux de nouveaux types de liens sociaux. Toutes leurs tentatives en ce sens débouchent sur des échecs durement ressentis. Les liens sociaux anciens opèrent un spectaculaire rétablissement : une quadruple restauration – des valeurs, de la famille, du pouvoir, des rôles – illustre ce retour de la culture dans la contre-culture, de la société dans la communauté. Retour de la société qui entraîne un retour à la société : après trois ans, les communards décident de mettre fin à leur expérience.

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Comment pouvons-nous interpréter celle-ci en termes de « liens sociaux » et de « reliance » ?

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Ma thèse est que cette communauté, comme la plupart des associations de ce type ayant fleuri dans l’après 68, constitue le symptôme d’une réaction contre l’un des traits essentiels de la société contemporaine, société de « déliance » marquée par la désagrégation des groupes sociaux de base, par des carences de reliance (dans la nature des liens sociaux). Au sein d’un tel système social naissent et se développent des désirs de reliance: les individus isolés souhaitent être reliés, c’est-à-dire liés à nouveau et liés autrement. Ils caressent un rêve communautaire et élaborent un projet de reliance (ou plus exactement un projet de contre-reliance); ils décident de créer une famille communautaire, concrétisation de leur aspiration à la reliance social (stricto sensu: quête utopique d’un monde solitaire, idyllique, signifiant, convivial). La contre-culture, ici, peut être analysée comme une structure de reliance symbolique pour des contestataires en rupture de ban sociétaire. Les manifestations extérieures qu’elle inspire et qui l’expriment – les vêtements « hippies », les cheveux longs, la drogue, la musique, le voyage – témoignent des liens qui « relient » ses adeptes. Mais lorsque le projet prend corps, que l’expérimentation communautaire de nouveaux liens sociaux est lancée, ce procès de reliance met l’utopie à rude épreuve. Les communards découvrent la nature paradoxale du lien social communautaire voulant se relier entre eux, ils se délient du monde extérieur ; voulant se relier à soi, ils découvrent leur solitude existentielle, leur déliance fondamentale. L’utopie mise à l’épreuve devient épreuve initiatique pour ses adeptes, occasion de développer leurs capacités de reliance: de reliance à soi (un Moi renforcé car devenu capable d’affronter et de surmonter l’angoisse de séparation), de reliance aux autres (capacité de partager les solitudes, de négocier, de dialoguer, de s’affronter aux autres), de reliance au système macro-social (prise de conscience des réalités politiques et économiques) et au système micro-social (apprentissage de l’autogestion). Rien à voir donc, bien au contraire, avec d’éventuelles aspirations à des liens fusionnels. Ces capacités aiguisées de la sorte, les communards se sentent mûrs pour dissoudre leur communauté, pour assumer la déliance que cela représente, pour partir, forts de leur maturité acquise, en quête de nouveaux liens sociaux, éventuellement communautaires.

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Point d’échec donc, malgré les apparences et au grand dam d’esprits super-ficiels et/ou chagrins. Certes, l’utopie d’une reliance directe, immédiate, a reculé devant l’exigence d’une reliance instituée. Certes, cette dernière elle-même n’a pas survécu à ses contradictions internes. Mais la rupture de la reliance communautaire n’a pas entraîné la fin de la tentation communautaire, les liens créés et expérimentés au cours de ce procès ont été tissés, de l’avis des intéressés, dans un fil plus solide que ceux qui forment la trame de la reliance commune ; l’aspiration à la reliance communautaire, à un mode communautaire de reliance est sortie renforcée de l’épreuve : elle est cette fois libérée de l’infantile désir de liens sociaux fusionnels. Le concept de reliance, avec ses multiples facettes, permet de comprendre et de relativiser les divers désirs de reliance ainsi que leur dynamique.

La reliance, concept prospectif: notion-source et dialectique transitionnelle

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Atelier initiatique, pour individus en miettes, la communauté – Gemeinschaft – dont il vient d’être question apparaît, d’un point de vue sociologique, comme un îlot de transition, un microcosme, reflet de la société – Gesellschaft – où s’expérimentent des liens sociaux nouveaux marqués – dans un premier temps du moins – par ce caractère éphémère typique de l’air du temps, de l’ère du vide diront certains. Le concept de reliance avec ses trois dimensions permet de saisir la dialectique sociale à l’œuvre, ses tendances à la réification, ses effets pervers et/ ou paradoxaux : il fait saisir le lien social comme réalité essentielle de toute démarche de transition, de créativité interpersonnelle et institutionnelle. En ce sens, il n’est peut-être pas vain de formuler le vœu que la « reliance » devienne un jour ce que Jean Maisonneuve appelle une « notion-source transpécifique »: notion échappant à un seul champ disciplinaire, notion médiatrice élaborée notamment par des psychosociologues et se situant à la jonction du mental et du social, de l’individuel et du collectif, « action-source » en ce qu’elle pourrait être, comme d’autres du même type, à la fois matrice d’une série de notions qui s’y rattachent en la spécifiant et l’axe d’un ensemble d’investigations empiriques et de constructions théoriques à moyenne portée [30][30] Jean MAISONNEUVE, op. cit., p. 45..

De la déliance

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Si le besoin de re-liance se fait aussi sentir dans la société contemporaine, si des aspirations de re-liance se font jour un peu partout, c’est qu’auparavant ont été vécues, sous différentes formes, des situations de «dé-liance». En fait, le système social de la modernité peut être caractérisé comme un système socioscientifique de division et de déliance. Constatation qui mérite que nous lui consacrions quelques instants de réflexion.

La société « raisonnante » : une société de déliances

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Les qualificatifs utilisés pour caractériser la société contemporaine sont légion : société de consommation, société d’organisation, société bureaucratique, technocratique, répressive, développée, industrielle, technicienne, informatisée, programmée, etc. Tous renvoient d’une façon ou d’une autre à un trait qui me paraît fondamental: il s’agit d’une société de raison, qui fonde son développement sur le recours à la raison, à ce qu’elle croit être rationnel et/ou raisonnable. En ce sens, elle peut, me semble-t-il, être qualifiée de société raisonnante, de même que l’on baptise « folie raisonnante » un « délire appuyé de raisonnements » (Robert). Parmi ces « raisonnements » fondamentaux, il en est un qui nous est inculqué depuis notre plus jeune âge, sous forme de norme culturelle prégnante : diviser pour gagner. Qu’il s’agisse d’Horace contre les Curiaces (diviser pour vaincre), de Machiavel contre les féaux de son Prince (diviser pour régner), de Descartes contre les secrets de la Vie (diviser pour comprendre), de Taylor contre les freinages ouvriers (diviser pour produire), toujours est mise en avant par le biais parfois déformant de mythes, de représentations simplifiées, de recettes compartimentales, l’utilité de diviser pour dominer.

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Cette société « raisonnante », fondée sur le principe de division, d’émiettement, de « déliance » peut être analysée par référence à la théorie des systèmes, plus particulièrement à la théorie des systèmes sociotechniques ouverts [31][31] Cf. notamment F.E. EMERY et E.L. TRIST, « Socio-technical....

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Sous cet angle, elle apparaît comme un système socioscientifique, composé de deux sous-systèmes avec leurs dynamiques propres mais étroitement interconnectés : un sous-système scientifique et un sous-système social.

Le sous-système scientifique : la raison simplifiante

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Le paradigme de la science occidentale classique, construction rationaliste issue des œuvres de Descartes, implique l’élimination de la subjectivité, l’exclusion du sujet. Il est fondé sur un mythe, qui domine la plupart des sciences sociales : le mythe de l’homme rationnel et réaliste, sans préjugés, aux conduites appropriées grâce à l’« information objective » [32][32] Jacques BUDE, L’obscurantisme libéral et l’investigation.... La séparation entre le théoricien et le praticien, entre le chercheur et l’homme d’action, trouve sa source dans cette distinction qui inspire le rationalisme et le libéralisme : l’opposition entre les mythes et préjugés d’une part, la représentation réaliste du monde d’autre part. Le sociologue, dans cette perspective, est le produit de la production d’une société où triomphe l’esprit raisonnant.

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Mais ce cloisonnement n’est pas le seul en cause. Le modèle rationaliste des rapports entre recherche et action, inspiré de la pratique des sciences dites exactes, se traduit dans le domaine des sciences humaines en général, de la sociologie en particulier, par quatre clivages cruciaux [33][33] Sur ce point, cf. Max PAGES, La vie affective des groupes,....

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D’abord un clivage entre la recherche fondamentale (dite aussi – ce qui n’est pas un hasard – recherche « pure ») et la recherche appliquée. La première est vouée exclusivement à l’acquisition du savoir ; elle se désintéresse des conséquences pratiques, sociales, de ses investigations : si le « savant » s’en préoccupe, c’est en tant qu’homme privé, en tant que citoyen, non en tant que chercheur. La recherche appliquée, elle, vise des fins pratiques, non directement scientifiques, qui lui sont définies par la société globale ou tel groupe social en particulier : sa tâche scientifique consiste, le plus souvent, à déterminer les moyens adéquats pour atteindre ces fins. Cette distinction, dérivée des sciences exactes, repose sur deux postulats implicites : une conception statique, fixiste de la société, et une perception de celle-ci comme dangereuse pour le chercheur (les finalités sociales menacent la « pureté » des procédures et résultats de recherche). L’illusoire « indépendance » du chercheur fondamental (illusoire car elle s’acquiert en renonçant à étudier une part importante de la réalité sociale) et la soumission non illusoire de l’« applicateur » à ses clients sont deux attitudes qui se nourrissent réciproquement : l’une et l’autre camouflent souvent une commune pratique de conservatisme social, dans la mesure où elles évitent d’aborder les difficiles problèmes du changement social, dans ses contradictions concrètes, quotidiennes, humaines.

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Ensuite, un clivage entre le chercheur et les structures sociales (groupes, organisations, institutions) qu’il étudie. Pour être et « faire » scientifique, il s’agit de « traiter les faits sociaux comme des choses ». Ici, rendons au passage justice à Durkheim : celui-ci n’a jamais prétendu qu’il convenait de transformer ou de réduire les faits à l’état de choses, de les « réifier » comme aiment à dire et faire ses épigones technocrates-en-sociologie. Son intention était essentiellement épistémologique. Sur ce plan, néanmoins, elle est à la base du deuxième clivage signalé. Les manifestations de celui-ci sont multiples et raffinées : vocabulaire ésotérique, langage abstrait, érudition élitiste, laboratoire sophistiqué ; sur le terrain, l’évitement de tout contact trop personnalisé avec le groupe, le recours à des méthodes « non gênantes » pour le groupe étudié (comme s’il pouvait en exister…). L’objectif avoué et valorisé est celui de la distance, garantie soi-disant indispensable de l’objectivité scientifique.

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Puis un clivage entre les concepteurs et les exécutants d’une recherche, reflétant la division taylorienne du travail industriel. Ce clivage est illustré par les titres universitaires stigmatisant cette hiérarchie socioprofessionnelle : docteurs et maîtres de recherche d’une part, assistants et attachés de recherche d’autre part. Très souvent, trop souvent, les « chercheurs » – c’est-à-dire ceux qui procèdent au réel travail de recherche – sont très peu associés à la conception de la recherche, à la formulation des hypothèses, à la négociation des contrats. On a pu les qualifier d’« O.S. de la recherche ».

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Enfin, des clivages psychologiques internes à la personne du chercheur, entre sa personne privée, sa personne professionnelle et sa personne civique, entre ses observations et ses sentiments, entre son esprit et son corps. Ces clivages sont renforcés par une prolifération d’interdits, normes intériorisées reflétant le credo de la vulgate sociologique enseignée dans les institutions dites scientifiques : ne pas se laisser troubler par ses sentiments, ne pas les exprimer, ne pas influencer les sujets, ne pas s’identifier aux fins du groupe, bref ne pas entrer en relation, ni avec les autres, ni avec soi-même… Loin de moi l’idée de prétendre que ces normes sont inutiles ou néfastes. Je souhaite seulement attirer l’attention sur le fait que, suivies au pied de la lettre, avec zèle et sans nuances, elles peuvent entraîner un considérable appauvrissement des hypothèses et des résultats.

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Ce modèle rationaliste tend en effet à produire une connaissance atomisée, parcellaire, réductrice, « dé-liée » en quelque sorte. Ainsi paraît-il en être d’une certaine sociologie de la raison positive et quantitative, analytique, élaborée sur la base d’enquêtes par questionnaires ou interviews, de sondages d’opinions. À cela d’autres « rationalistes » tentent d’opposer une sociologie de la raison négative et critique, plus qualitative et synthétique, à qui ils fixent comme objectif le dévoilement des réalités – fonctionnement ou mouvement – latentes du système social. Mais ce second courant rejoint le premier dans une même définition de leur rapport à l’action. Pour eux, la connaissance sociologique, du seul fait de son existence, porte en elle une transformation potentielle, constitue une action qui se suffit à elle-même. Cette position minimaliste est de plus en plus contestée par nombre de sociologues qui estiment indispensable, sinon de développer ce potentiel d’action, du moins de s’interroger sur la réalité et le sens de cette action, sur les effets – éventuellement pervers – qu’elle peut avoir sur le sous-système social.

Le sous-système social: les rationalisations déliantes

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Les diagnostics concernant notre système social vont tous dans le même sens : nous vivons à l’ère de la foule solitaire pour Reisman, de la fourmilière d’hommes seuls pour Camus, de la solitude collective pour Martin Buber.

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Émiettée, éclatée, désagrégée, morcelée, sérialisée, telle apparaît notre société aux yeux des observateurs les plus avertis. Tous ces épithètes renvoient à un phénomène de base : celui de la désintégration communautaire, de la dislocation des « groupes sociaux primaires » – la famille, la paroisse, le village, l’atelier – au sein desquels se réalisait traditionnellement la socialisation des futurs adultes. À la base de ce mouvement apparemment irréversible : la raison et ses applications dans les domaines les plus divers, sous forme de « rationalisations » scientifiques, techniques, économiques et sociales (industrialisation, urbanisation, production et consommation de masse, organisation « scientifique » du travail, etc.).

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Mais cette raison-là est déraisonnable : elle porte en elle le germe de ce qui peut être perçu comme une nouvelle maladie, la déliance, conséquence de la rupture des liens humains fondamentaux.

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Cette rupture, dont souffrent les êtres de notre temps, est polymorphe.

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Ils ne sont plus reliés aux autres, si ce n’est par des machines : la chaîne pour les producteurs, la télévision pour les consommateurs.

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Ils ne sont plus reliés à eux-mêmes: les frénésies de la carrière, de la consommation, de l’information surabondante ne leur laissent plus le temps de s’interroger sur leur être profond, sur le sens de leur vie.

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Ils ne sont plus reliés à la terre: les espaces verts sont dévorés par le bitume des villes bétonnantes.

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Ils ne sont plus reliés au ciel: Dieu ne semble pas répondre aux appels angoissés qui lui sont adressés.

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Déliés, déconnectés, disjoints, marqués par ces carences de « reliance »[34][34] Il s’agit de carences dans les médiations institutionnelles..., ils apparaissent comme le fruit social de leur propre esprit, de leur propre science. La déliance sociale est l’enfant pervers de la raison scientifique.

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Les nouvelles technologies accentuent dramatiquement ces phénomènes de déliance sociale, culturelle, humaine. Elles sont porteuses d’une double réalité contradictoire, paradoxale : elles développent la reliance technique mais dissolvent la reliance humaine ; elles multiplient les possibilités d’informations et de communications mais aggravent le problème de l’information et de la communication.

88

Cette maladie de déliance – antérieure à l’apparition de nouvelles technologies, mais rendue plus aiguë par leur croissance exponentielle – se développe dans cinq directions : socioéconomique (l’emploi), sociotechnique (le travail), sociopsychologique (les communications), socioorganisationnelle (le pouvoir), socioculturelle (les solidarités sociales).

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Une déliance socioéconomique : l’emploi menacé

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Le travail-emploi constitue, dans notre système socioéconomique, une structure de reliance fondamentale. Le travail, en effet, relie la personne des travailleurs :

  • extérieurement, à l’ensemble du système de production (reliance socioculturelle),

  • intérieurement, à son instinct de création (reliance psychologique).

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Avoir un emploi, c’est avoir un sens socioéconomique, une existence socioculturelle, une identifié socioculturelle. Perdre son emploi, c’est vivre la rupture d’une double reliance, souffrir une double déliance.

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En ce domaine, les prévisions sont très incertaines. L’hypothèse la plus optimiste prévoit une croissance économique à emploi constant et chômage accru : les nouvelles technologies sont donc à l’origine d’un grave problème de déliance socioéconomique.

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Une déliance sociotechnique : le travail « rationalisé »

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À bien des égards, les nouvelles technologies ne constituent qu’une étape dans le profond mouvement de rationalisation du travail sur lequel s’est construit le développement des sociétés industrielles.

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Mais ces nouvelles technologies présentent sous cet angle une dimension originale : la rationalisation qui leur est associée n’est plus seulement d’ordre technique, elle est aussi et surtout sociale, sociotechnique. Les nouvelles machines imposent à l’homme non seulement leur temps, leur rythme, leur cadence, mais aussi leur logique, leur langage, leur code. Elles s’interposent entre lui et sa pensée, sa culture, sa liberté. Elles répandent un langage abstrait ; un langage de signes, un jargon ésotérique. Ainsi l’activité informatisée a-t-elle pu être qualifiée de « hiéroglyphique » ; sa transmission, son traitement, sa destination finale demeurent inconnus.

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Rien d’étonnant, dès lors, à constater ce résultat paradoxal de la rationalisation : la rationalité absorbe et détruit la raison. L’irrésistible progression de la rationalisation peut être résumée dans une image : on est passé de la parcellisation du travail industriel à l’abstraction du travail informationnel. L’informatisation du tertiaire s’accompagne, dans certains cas, d’une « taylorisation » du travail administratif.

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Dans ce contexte se produit une coupure des liens affectifs entre le travailleur et un travail abstrait : la déliance sociotechnique se double d’une déliance sociopsychologique.

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Une déliance sociopsychologique : le travailleur isolé

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Nous touchons ici une dimension essentielle du phénomène de déliance vécu par les travailleurs : la rupture des relations interpersonnelles, la déchirure du tissu social avec pour conséquence la naissance d’un sentiment d’isolement, de solitude.

100

Cet isolement est multiforme : isolement face aux consoles d’ordinateur, dans des cabines de contrôle, même pendant les pauses (il faut se relayer), isolement lié au travail posté (par équipes séparées) ou au travail à domicile (grâce à la téléinformatique).

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Cet isolement de fait est source d’une solitude paradoxale : les hommes sont reliés par des techniques, non par le corps ; ils sont connectés mais n’ont plus de relations (face-à-face). Les techniques de communication tuent la communication. Au fur et à mesure que croissent les reliances techniques, la reliance humaine, elle, décroît (songeons à tous ces répondeurs automatiques qui envahissent notre vie professionnelle et privée, ou encore au développement fulgurant des échanges « virtuels » via le Minitel ou Internet…).

102

Les nouvelles technologies développent les possibilités de communications fonctionnelles (les notes et informations circulant dans le système de production), au moment même où elles freinent les communications existentielles (les plus signifiantes en matière de reliance). Le comment communiquer l’emporte sur le quoi communiquer.

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La rationalisation, une fois de plus, se révèle irrationnelle : le succès des clubs et autres « groupes de rencontre », paradis plus ou moins artificiels d’échanges, de reliance et d’initiation, ne témoigne-t-il pas du refoulement socioculturel imposé par la logique aveugle des nouvelles technologies ?

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Une déliance socioorganisationnelle : le pouvoir éclaté

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Un trait commun aux trois phénomènes de déliance déjà évoqués : le sentiment d’une perte de pouvoir réelle ou potentielle, qu’éprouvent les usagers de nouvelles technologies.

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Cette perte de pouvoir est réelle, dans la mesure où la rationalisation entraîne un déclin de l’autonomie professionnelle non seulement des ouvriers d’entretien, des employés de bureau, des cadres en procès de prolétarisation : tous perdent le pouvoir qu’ils possédaient ou croyaient posséder au sein des structures anciennes.

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La source de toutes ces déliances entre les ouvriers et leurs œuvres, entre les travailleurs, est à rechercher moins dans les innovations technologiques que dans un système d’organisation (système structurant les relations de pouvoir) fondé sur une logique de division, de séparation, de déliance (division du travail, séparation de la pensée et de l’exécution, éparpillement des groupes sociaux, éclatement des structures de pouvoir): en ce sens, nous pouvons parler à juste titre d’une déliance socioorganisationnelle, réalité sous-tendant les phénomènes si souvent évoqués de la crise de l’autorité et de la crise des générations…

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Une déliance socioculturelle : les solidarités disloquées

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Ce type de déliance marque tout particulièrement la classe ouvrière et les organisations syndicales qui souhaitent en canaliser l’énergie.

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Les nouvelles technologies isolent les travailleurs, déchirent le tissu social, diversifient les espaces et temps de travail, multiplient les catégories professionnelles : en cela, elles réduisent les possibilités d’actions collectives, de situations fusionnelles où par contagion se construit l’esprit de corps, de solidarité affective et effective, de prise de conscience des rapports de classe, bref d’initiation aux luttes sociales. La classe ouvrière, dans les représentations dominantes véhiculées par les nouveaux média, cesse d’être une foule en lutte au coude à coude pour devenir une somme de travailleurs individuellement interrogés par sondages.

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Face à cette déliance polymorphe, naissent et croissent des aspirations de re-liance, en particulier ces aspirations de reliance socialeévoquées un peu plus haut : les individus déliés, isolés, séparés, aspirent à être reliés, et à être reliés autrement. Ces aspirations émergentes constituent, me semble-t-il, un enjeu social crucial pour notre société, pour nos politiques sociales… Enjeu actuellement pris en charge par le mouvement écologiste, dont les récents succès électoraux méritent à cet égard d’inciter à la réflexion.

En quête d’une société raisonnable : pour un système socioscientifique d’alliance et de reliance

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Libérés de la nature par l’usage de la raison et de la science, les hommes de notre temps deviennent prisonniers de leur culture rationaliste et scientifique. De plus en plus reliés par leurs techniques – la voiture, la radio, la télévision, le téléphone, la chaîne, l’ordinateur –, ils le sont de moins en moins par les structures sociales. La spécialisation scientifique se prolonge dans le travail en miettes, la famille en lambeaux, le village en ruines. Désintégration atomique et désintégration communautaire ne sont que les deux faces d’un même phénomène. Surgit alors des profondeurs du corps social une aspiration profonde – dont la revendication écologique constitue une manifestation d’avant-garde – à un renouveau de reliance, à de nouvelles alliances entre l’homme et la nature, entre l’homme et les sciences, à une société (réellement) « raisonnable », c’est-à-dire, si nous ouvrons à la fois le dictionnaire et nos oreilles, « douée de (vraie) raison ».

Les mutations du sous-système scientifique : raison complexe et nouvelles alliances

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La science, aujourd’hui, est à un tournant. Une mutation radicale germe en son sein. Cette mutation se prépare tant dans le champ des sciences dites « exactes » que dans celui des sciences dites « humaines ».

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Dans le champ des sciences de la nature, cette « métamorphose de la science » est annoncée par Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, qui ont fait de ce thème le sous-titre de l’ouvrage dans lequel ils plaident en faveur d’une Nouvelle Alliance entre l’homme et la nature, entre l’homme et le monde qu’il décrit, entre système observateur et système observé, entre culture scientifique et culture humaniste, voire entre les diverses cultures scientifiques [35][35] Ilya PRIGOGINE et Isabelle STENGERS, La Nouvelle Alliance..... Dans le même sens se situe l’effort d’Edgar Morin pour échapper à la pensée mutilée et mutilante, pour réintégrer le sujet dans le paradigme de la science, à la fois par le haut (l’observateurconcepteur) et par le bas (l’observé-conçu), ou, en d’autres termes, pour substituer au paradigme de simplification un paradigme de complexité, pour nourrir celui-ci des ambiguïtés, des paradoxes, des contradictions, des incertitudes rejetés par celui-là [36][36] Edgar MORIN, La Méthode, Paris, Seuil, t. 1 : La Nature....

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Dans le champ des sciences de l’homme également, une métamorphose du travail scientifique est en gestation. Pour nous limiter à la sociologie, nous pouvons constater que deux éminents sociologues français, Michel Crozier et Alain Touraine, tous deux élevés dans le sérail de la théorie théorisante, en arrivent dans des perspectives et par des chemins différents à des conclusions convergentes [37][37] Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, L’acteur et le.... Tous deux tentent de se définir par rapport à l’inévitable problématique de l’action dans, sur et avec les systèmes sociaux ; tous deux voient dans le développement des capacités relationnelles et institutionnelles des groupes, organisations et mouvement sociaux, un des objets du travail sociologique. À côté de la sociologie classique à orientation théorique, émerge ainsi peu à peu une socianalyse (même si référence sémantique n’y est point faite), c’est-à-dire une sociologie à orientation clinique, proliférant dans au moins neuf directions [38][38] Cf. Marcel BOLLE DE BAL, Les adieux d’un sociologue... : l’intervention sociotechnique préconisée par l’Institut Tavistock de Londres [39][39] Cf. F.E. EMERY et E.L. TRIST, art. cité., l’intervention sociopsychanalytique imaginée par Gérard Mendel [40][40] Voir notamment Gérard MENDEL, Pour recoloniser l’enfant...., l’intervention psychosociologique inspirée par Kurt Lewin et reprise par Max Pages [41][41] Max PAGES, La vie affective des groupes, Paris, Dunod,..., l’intervention socioanalytique inventée par Elliot Jaques [42][42] Elliot JAQUES, Intervention et changement dans l’entreprise,..., l’intervention sociopédagogique animée par Alain Meignant et René Barbier [43][43] Cf. Alain MEIGNANT, L’intervention sociopédagogique..., l’intervention socioclinique défendue par Eugène Enriquez et Vincent de Gaulejac [44][44] Voir notamment Eugène ENRIQUEZ et al., L’approche clinique..., l’intervention socioorganisationnelle chère à Michel Crozier [45][45] Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, op. cit., l’intervention sociohistorique illustrée par Alain Touraine [46][46] Alain TOURAINE, op. cit., l’intervention socianalytique proprement dite lancée par les époux Van Bockstaele, à qui il convient de reconnaître la paternité de l’expression [47][47] Jacques et Marie VAN BOCKSTAELE, « Quelques conditions....

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La métamorphose de la science implique donc plusieurs nouvelles alliances: non seulement entre l’homme et la nature, entre sciences de l’homme et sciences de la nature, mais aussi entre les diverses sciences de l’homme (sociologie, psychologie, économie, histoire…), entre théorie et pratique, recherche et action [48][48] L’objet sociologique en gestation subit ainsi une mutation..., expérimentation et expérience.

La mutation du sous-système social: aspirations de reliance et aspirations de nouvelles structures de reliance

117

À ces besoins de « nouvelles alliances » dans le champ scientifique correspond le besoin de nouvelles reliances dans le champ social.

118

Les producteurs écrasés par l’anonymat des grandes organisations bureaucratiques, les consommateurs affolés devant les tentatives de la société de l’hyperchoix, les citoyens perdus dans la foule solitaire partent en tâtonnant à la recherche de nouveaux liens sociaux, expérimentent de nouvelles structures de reliance : communautés familiales, comités de quartiers, boutiques de droit, écoles nouvelles, médecine de groupe, alcooliques anonymes, associations et sectes diverses. Les « révolutions minuscules », comme les a qualifiées un jour la revue Autrement. Ainsi, à côté d’un vaste secteur où règne l’hétéronomie, tend à émerger un secteur où l’autonomie s’offre un espace pour prendre racine [49][49] André GORTZ, Adieu au prolétariat. Au-delà du socialisme,... ; en contrepoint de l’irrésistible processus de déliances, se tissent de nouvelles reliances…

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Résumons-nous.

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Notre société comporte deux sous-systèmes avec leurs dynamiques propres, étroitement interconnectées : un sous-système scientifique et un sous-système social.

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Le sous-système scientifique est marqué par le triomphe de la raison simplifiante ou du paradigme de simplification, pour reprendre l’expression d’Edgar Morin : il tend à produire une connaissance atomisée, parcellaire, réductrice, bref de la déliance intellectuelle.

122

Le sous-système social, lui, peut être décrit comme celui des rationalisations déliantes : caractérisé par la désintégration communautaire, par la dislocation des « groupes sociaux primaires – la famille, le village, la paroisse, l’atelier – et par des applications déraisonnables de la raison scientifique, technique, sociale et culturelle : il produit une déliance existentielle aux multiples dimensions (psychologique, sociale, économique, écologique, ontologique, cosmique).

Des aspirations de reliance

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Face à ce double procès de déliance – intellectuelle et existentielle – naissent des aspirations à de nouvelles re-liances, à la fois scientifiques et humaines.

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Des re-liances scientifiques: sont souhaités de divers côtés de nouveaux liens entre théorie et pratique, recherche et action, entre disciplines trop souvent cloisonnées.

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Des re-liances humaines: sont révélateurs d’aspirations de ce type, l’attrait exercé par les sectes, les communautés, les luttes nationales, le mouvement écologiste, les groupes de rencontre, bref cette résurgence d’une sorte de néo-triba-lisme mise en évidence par Michel Maffesoli [50][50] Michel MAFFESOLI, Le temps des tribus, Paris, Méridiens....

La déliance, paradigme de la modernité

126

La modernité, fondée sur l’essor de la raison, s’est construite – nous l’avons vu – sur le principe de séparation, voire de division : diviser pour comprendre (Descartes), diviser pour produire (Taylor), diviser pour régner (Machiavel). Raison abstraite et déraisonnable, elle est devenue source de déliances multiples : culturelles, urbaines, familiales, religieuses, écologiques, etc., bref de cette solitude existentielle dénoncée de divers côtés (Riesman, Camus, Buber…), de cette « dé-solation » stigmatisée par Hannah Arendt. En quelque sorte, le paradigme de déliance gît au cœur de la modernité triomphante, à la fois facteur de son triomphe et générateur de la fragilité de ce dernier.

La reliance, paradigme de la post-modernité ?

127

Michel Maffesoli, lui, défend avec force la thèse suivante : si le paradigme de déliance structure la modernité, la post-modernité, en revanche, devrait être caractérisée par la revitalisation du paradigme de reliance.

128

Cette thèse, il l’a exposée, argumentée, plaidée dans ses nombreux ouvrages [51][51] En particulier dans le Temps des Tribus (T.T.), op..... N’est-ce pas lui qui définit la « reliance » comme l’« étonnante pulsion qui pousse à se rechercher, à s’assembler, à se rendre à l’autre [52][52] T.P., p. 41. » et qui évoque « cette chose “archaïque” qu’est le besoin de reliance [53][53] C.M., p. 151. » ? Pour lui, les manifestations de cette logique de reliance à l’œuvre dans la société post-moderne sont multiples, variées et signifiantes. Il range notamment parmi elles le retour des tribus, l’exacerbation des corps et des sens [54][54] C.A., p. 66., l’idéal communautaire [55][55] C.M., p. 18., l’essor de l’écologie, la vitalité de la socialité, l’idée obsédante de l’être ensemble [56][56] C.A., p. 28., les identifications supplantant les identités, le présentéisme, le carpe diem [57][57] C.A., p. 48 ; T.P., p. 18., l’immoralisme éthique, le lococentré s’élevant face à l’égocentré, la baroquisation du monde, la prégnance des images [58][58] C.M., pp. 21, 131, 165., le rôle du look et de la mode, l’exacerbation de la mystique et de la religion [59][59] C.A., pp. 27, 83, 84, 195, 215 ; T.P., p. 137., le règne de Dionysos le reliant succédant à celui d’Apollon le déliant. S’inscrivant dans la mouvance des idées développées par Gilbert Durand et Edgar Morin, il détecte dans la post-modernité et son effervescence la fin de la séparation entre nature et culture, l’émergence du « divin social» [60][60] C.M., p. 104., l’épanouissement de la reliance comme forme profane de religion, d’une sorte de transcendance immanente [61][61] C.A., p. 27..

Le couple conceptuel déliance/reliance, paradigme « duel» de l’hypermodernité

129

Pour l’essentiel, je partage cette analyse. D’accord pour reconnaître que la reliance se situe au cœur de cette dynamique « post-moderne » chère à Michel Maffesoli et quelques autres. Projets et pratiques de reliance comme réaction dialectique aux excès de la modernité déliante. Mais j’avoue ne guère apprécier cette théorie de la « post-modernité », laquelle semble suggérer – ne fût-ce que sémantiquement – qu’à une modernité déclinante succéderait une « post-moder-nité » reliante. En fait, la logique déliant même si elle génère maintes réactions dialectiques. Aussi suis-je plutôt enclin à parler de la société émergente comme d’un exemple d’«hyper-modernité», terme construit par le même modèle que ceux d’« hypercomplexité » développé par Edgar Morin [62][62] Edgar MORIN, La Méthode. III. La connaissance de la... et d’« entreprise hypermoderne » avancé par Max Pages [63][63] Max PAGES, Michel BONETTI, Vincent de GAULEJAC, Daniel... pour décrire des réalités en gestation au sein même de la modernité, et de sa culture fondée sur une logique de déliance.

130

Au cœur de cette « hyper-modernité », je crois observer l’émergence d’un nouveau paradigme, celui du couple conceptuel indissociable déliance/reliance, synthèse dialectique (ou paradoxe dialogique) de la modernité déliante et de la post-modernité reliante. Déliance et reliance sont ontologiquement inséparables, elles forment un couple « duel» [64][64] Duel: nombre intermédiaire entre le singulier et le... comme le jour et la nuit, le yin et le yang, l’amour et la haine, le moteur et le frein, l’interdit et la transgression, le centre et la périphérie, etc.

131

Mes recherches et réflexions les plus récentes m’ont amené à considérer que plus que le seul concept de reliance, c’était le couple conceptuel déliance/reliance qui pouvait le mieux rendre compte des réalités humaines contemporaines : la reliance ne peut – théoriquement et pratiquement – être dissociée de la déliance, son double antagoniste et complice. La reliance est une réalité « duelle », dialogique [65][65] Dialogique : « association complexe (complémentaire,... et paradoxale : avec la déliance, qui lui est toujours liée, elle forme un couple soumis à des logiques différentes et complémentaires, toutes deux nécessaires à l’existence de la vie psychique, sociale et culturelle.

132

Finalement, compte tenu de ce que je viens de dire à la fois sur la dualité du complexe conceptuel déliance/reliance et sur la notion d’hyper-modernité, j’ai envie de délier les deux parties de cette dernière et d’avancer – de façon un peu caricaturale, j’en conviens – l’idée que, en son sein, un double paradigme est à l’œuvre : celui de la reliance pour l’« hyper », celui de la « déliance » pour la « modernité » toujours active. Le paradigme éthique de l’hyper-modernité serait donc celui de la déliance/reliance.

133

Ce paradigme reflèterait les problématiques particulières des sociétés hypermodernes marquées par l’éphémère, le mobile, le léger, la glisse, le surf, la dilatation de l’espace (chacun potentiellement relié à tous les points du monde) et le rétrécissement du temps (l’intensité de l’instant présent): délier des contraintes dysfonctionnelles, relier ceux qui éprouvent le besoin lucide d’une telle « reliance ».

De la « liance »

134

Demeure alors la question du troisième terme, de la troisième notion sociologique venant compléter notre triangle conceptuel: la «liance».

135

D’où sort-elle, et quelle peut bien être sa signification épistémologique ?

Le secret de la « liance »

136

C’est Jos Tontlinger qui a été le premier à noter [66][66] Jos TONTLINGER, « Du côté de la psychanalyse : reliance,... l’étonnante absence, dans mes premiers écrits, de la notion de «liance», probable ancêtre commun des termes « dé-liance » et « re-liance ». Celui-là constitue logiquement la racine sémantique de ceux-ci. Tant la « dé-liance » que la « re-liance » suggèrent l’existence d’un lien ancien (l’énigmatique «liance»), qui aurait été dé-fait et qu’il s’agirait de retrouver afin de reconquérir la liance perdue (ou fantasmée), des actes de re-liance seraient posés, mus par un désir de re-liance, de surmonter les dé-liances subies…

137

Mais alors quel serait cet état antérieur, cette situation de pré-déliance, cette « liance » originaire ? À cette question, Francine Gillot-de Vries, psychologue spécialiste du développement de l’enfant, apporte un début de réponse et ouvre un champ de réflexion potentiellement fécond lorsqu’elle évoque [67][67] Francine GILLOT- de VRIES, « Du côté de la psychologie :... la « liance » physique et psychique qui unit de façon « cet état de bien-être éprouvé dans le ventre maternel» qui va être interrompu au moment de la naissance, lors de cette première et brutale « dé-liance » physique et psychique, lors de cette sorte de « déception », dialectiquement et dialogiquement liée à l’événement de la conception. La « liance », état du fœtus fusionné et fusionnant avec la mère, croissance d’un être indistinct mais tendant à se distinguer, est donc bien à la fois physique et psychique : physique pour répondre aux lois de la biologie, psychique en ce qu’elle constitue un des traits spécifiques de la maternité. En avançant ainsi l’idée d’un état et d’un processus de « liance », la psychologie n’est-elle pas en mesure d’enrichir la théorie sociologique de la reliance ? Ne pourrions-nous considérer qu’à l’inverse de la reliance définie par la création ou la recréation de liens sociaux médiatisés, la «liance», elle, concernerait essentiellement des liens humains immédiats, non médiatisés (ou médiatisés par l’une des composantes du lien lui-même : le corps de la mère, le cordon ombilical)? En d’autres termes, le corps maternel constituerait une structure de (re)-liance sans tiers médiateur. Sans doute d’aucuns seront-ils tentés de parler de reliance fusionnelle, expression non exempte des contradictions conceptuelles (dans la mesure où la reliance, dans une perspective normative, serait – telle est du moins ma conception – caractérisée par l’acceptation de la séparation, des différences de la solitude… bref d’inévitables déliances): à cet égard, le terme «liance» paraît plus pertinent pour rendre compte de la réalité physique et psychique vécue durant la grossesse par la future mère et le futur enfant. Dans la foulée de cette expérience, la naissance ne peut manquer d’être éprouvée comme un double choc : la fin d’un monde et la création d’un nouveau monde, la sortie de l’existence intra-utérine et l’entrée dans la vie, l’adieu à la liance et l’expérience de la déliance. Double choc qui dès lors va nourrir la nostalgie des temps révolus, les permanentes quêtes de reliance enracinées dans ce vécu de dé-liance et le subséquent besoin de re-liance: toute la vie de l’individu n’est-elle pas marquée par le puissant désir de retrouver le paradis perdu de la liance originelle, par l’utopie de l’éternel retour à cette union symbiotique, par l’insatiable recherche de cette relation privilégiée à jamais enfuie (et enfouie) via une série de démarches conscientes et inconscientes, à travers le sexe, la religion, la nature, l’art, les drogues, la méditation, etc. ? L’union est rêvée comme béatitude, la séparation crainte comme menace. Et pourtant, nous ne cessons de nous éloigner de l’une (la liance) pour affronter l’autre (la déliance). Le besoin de devenir un être distinct (dé-lié), libéré des liens qui ligotent, est aussi prégnant que le désir de fusionner à jamais (désir de liance… et donc de re-liance).

138

L’apparition de cette nouvelle notion de «liance», en particulier sous l’impulsion de psychologues, suscite un fascinant écho lorsque nous écoutons les propos du sociologue et philosophe Edgar Morin [68][68] Edgar MORIN, « Vers une théorie de la reliance généralisée ? »,.... Lui aussi fait spontanément appel à l’idée de «liance». Mais, fidèle à ses options épistémologiques, il est tenté de lui octroyer un sens métaphysico-cosmogonique : pour lui, cette notion évoque le vide primitif, une entité primordiale caractérisée par un état d’indifférenciation. Évoquant la Kabbale, (« le retrait de Dieu amène la rupture des vases de perfection »), il nous rappelle qu’au début de celle-ci, il est écrit : « Au commencement, Elohim sépara la lumière des ténèbres. » Notre monde est donc bien marqué dès l’origine par la rupture et la séparation… atavisme qui génère notre obscure aspiration à la «re-liance», à retrouver quelque chose non point identique, mais similaire à la «liance» originaire car le problème, selon lui, c’est l’union du séparé et de l’inséparable : « Nous espérons retrouver quelque chose dont nous sommes maintenant séparés, mais qui nous rende inséparables… La reliance n’abolira pas la séparation, mais la transformera [69][69] Id., pp. 324-325.. »

139

En cela, les conceptions d’Edgar Morin rejoignent la définition normative de la reliance sociale telle que je l’ai formulée à plusieurs reprises : « le partage des solitudes acceptées, l’échange des différences respectées, la rencontre des valeurs assumées, la synergie des identités affirmées… ».


Repères bibliographiques

Notes

[1]

Roger CLAUSSE, Les Nouvelles, Bruxelles, Éditions de l’Institut de Sociologie, 1963.

[2]

Id., p. 9.

[3]

Id., p. 22.

[4]

Jean STOETZEL, Études de presse, 1951, pp. 35-41.

[5]

Cf. notamment Gabriel THOVERON, Radio et télévision dans la vie quotidienne, Bruxelles, Éd. de l’Institut de Sociologie, 1971, et Colette CAL VANUS, Les mass- media au niveau de la région bordelaise, Bordeaux, Thèse de doctorat, 1975.

[6]

Maurice LAMBILLIOTTE, L’homme relié. L’aventure de la conscience, Bruxelles, Société Générale d’Édition, 1968.

[7]

Id., p. 108.

[8]

Id., p. 109.

[9]

Ibid.

[10]

Dans le langage courant, elles sont même les seules à se voir reconnaître ce droit : les dictionnaires, au verbe « relier », n’envisagent que l’assemblage de choses ou la mise en rapport d’idées.

[11]

Edgar MORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.

[12]

Edgar MORIN, La Méthode. I. La Nature de la Nature, Paris, Seuil, 1977, pp. 55 et 105 ; voir aussi, plus récemment, Id., IV, Les Idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisation, Seuil, 1994.

[13]

En fait, des choses peuvent être reliées sans qu’il s’agisse, au sens strict, d’un moyen de transport ou de communication pour les hommes : les pages d’un livre (mais l’on parle alors de reliure et non de reliance), les douves d’un tonneau, les points d’une figure géométrique. Relier, alors, est pris dans un sens légèrement différent.

[14]

Le terme existe en anglais, où il signifie « confiance, soutien, appui». Rien à voir donc, avec le sens que j’entends lui donner. Au moins directement. Car cet usage anglo-saxon contribue à mettre l’accent sur ce qui peut constituer un facteur impor- tant de reliance : la confiance, le soutien. Attention, néanmoins, à toute assimilation hâtive, abusive, abusée par les apparences de ce faux frère.

[15]

Les équipes responsables de la rédaction de deux dictionnaires en gestation, l’un sur le vocabulaire sociologique, l’autre sur le vocabulaire psychosociologique ont exprimé l’intention d’y faire référence (été 2001).

[16]

Eugène DUPRÉEL, Traité de Morale, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1967, vol.1, p. 300.

[17]

Michel MAFFESOLI, Le temps des tribus, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988, p. 104.

[18]

Au sens que Dupréel accorde à ce terme.

[19]

Dans le cadre d’un vaste programme interuniversitaire de recherches sur les aspira- tions de la population belge, notre équipe a mené, de 1975 à 1981, une étude pluridimensionnelle et pluridisciplinaire sur les aspirations de reliance sociale. Cette étude, la première du genre sur un tel sujet, constitue l’acte de naissance de l’exis- tence socialement et scientifiquement reconnue du concept de « reliance ». Le pre- mier rapport général de recherche, publié sous la responsabilité scientifique de Mar- cel Bolle De Bal et Nicole Delruelle et intitulé Les aspirations de reliance sociale (Bruxelles, Ministère de la Politique Scientifique, 1978) comprend six volumes : – vol. 1 : Reliance sociale, recherche sociale, action sociale (Marcel Bolle De Bal) – vol. 2 : Reliance sociale et grandes organisations (Nicole Delruelle et Robert Geor- ges) – vol. 3 : Reliance sociale et chômage (Anny Poncin) – vol. 4 : Reliance sociale et enseignement (Anne Van Haecht) – vol. 5 : Reliance sociale et médecine (Madeleine Moulin) – vol. 6 : Reliance sociale, reliance psychologique et reliance psychosociale (Armelle Karnas et Martine Van Andruel).

[20]

Cf. Edgar MORIN, Introduction à la pensée complexe, Paris, ESF, 1990.

[21]

Raymond LEDRUT, in Bulletin de l’AISLF, n°4, 1987, p. 135.

[22]

Renaud SAINSAULIEU, in Bulletin de l’AISLF, n°4, 1987, p. 138.

[23]

Raymond LEDRUT, « L’analyse, critique du lien social: Nietzsche et la situation ac- tuelle de l’anthropologie », in Bulletin de l’AISLF, n°4, pp. 35-45.

[24]

Marcel BOLLE DE BAL, Reliance sociale, recherche sociale, action sociale, op. cit., pp. 48-56.

[25]

Michel Crozier souligne avec force que toute relation à l’autre implique des éléments de pouvoir et de dépendance. Cf. notamment Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, L’acteur et le système social, Paris, Seuil, 1977, pp. 178 et ss.

[26]

Édouard TIRYAKIAN, « Vers une sociologie de l’existence », in Perspectives de la sociologie contemporaine. Hommage à Georges Grevitch, Paris, PUF, 1968, pp. 445-465.

[27]

Marcel BOLLE DE BAL, « De l’esthétique sociale à la sociologie existentielle, sous le signe de la reliance », Sociétés, n°36, 1992, pp. 169-178.

[28]

Jean MAISONNEUVE, Introduction à la psychosociologie, Paris, PUF, 1973, p. 155.

[29]

Marcel BOLLE DE BAL, La tentation communautaire. Les paradoxes de la reliance et la contre-culture, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 1985.

[30]

Jean MAISONNEUVE, op. cit., p. 45.

[31]

Cf. notamment F.E. EMERY et E.L. TRIST, « Socio-technical systems », in Systems thinking (Edited by F.E. Emery), London, Penguin Books, 1969.

[32]

Jacques BUDE, L’obscurantisme libéral et l’investigation sociologique, Paris, E. Anthropos, 1973, 221 p.

[33]

Sur ce point, cf. Max PAGES, La vie affective des groupes, Paris, Dunod, 1968, pp. 446-459.

[34]

Il s’agit de carences dans les médiations institutionnelles et structurelles devant assu- rer la création de liens entre l’individu et les systèmes dont il fait partie, liens donnant du sens à son existence. La recherche menée par notre équipe voici une vingtaine d’années a mis en évidence trois catégories de telles carences : des carences liées à la désorganisation des structures socioéconomiques (marché de l’emploi), des carences liées à la surorganisation des structures technobureaucratiques (développement des institutions-choses), des carences liées à l’organisation des structures psychosociolo- giques (crise de l’autorité).

[35]

Ilya PRIGOGINE et Isabelle STENGERS, La Nouvelle Alliance. Métamorphose de la Science, Paris, Gallimard, 1979.

[36]

Edgar MORIN, La Méthode, Paris, Seuil, t. 1 : La Nature de la Nature, 1977 ; t. 2 : La Vie de la Vie, 1980, notamment p. 373 ; t. 3 ; La Connaissance de la Connais- sance, 1986 ; t.4. Les Idées, leur habitat, leur vie, leurs mœurs, leur organisa- tion, 1991.

[37]

Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1977 ; Alain TOURAINE, La voix et le regard, Paris, Seuil, 1978.

[38]

Cf. Marcel BOLLE DE BAL, Les adieux d’un sociologue heureux. Traces d’un passage, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 137.

[39]

Cf. F.E. EMERY et E.L. TRIST, art. cité.

[40]

Voir notamment Gérard MENDEL, Pour recoloniser l’enfant. Sociopsychanalyse de l’autorité, Paris, Payot, 1971.

[41]

Max PAGES, La vie affective des groupes, Paris, Dunod, 1970, pp. 470-494.

[42]

Elliot JAQUES, Intervention et changement dans l’entreprise, Paris, Dunod, 1972. Cf. notamment la préface de Jean DUBOST : « Sur la méthode socioanalytique d’Elliot Jaques ».

[43]

Cf. Alain MEIGNANT, L’intervention sociopédagogique dans les organisations industrielles, Paris-La Haye, Moulin, 1972 ; René BARBIER, La recherche-action dans l’institution éducative, Paris, Gauthier-Villars, 1977.

[44]

Voir notamment Eugène ENRIQUEZ et al., L’approche clinique dans les sciences humaines, Montréal, Éd. Saint-Martin, 1993 ; Vincent de GAULEJAC et Shirley Roy, Sociologies cliniques, Paris, l’Épi, 1993.

[45]

Michel CROZIER et Erhard FRIEDBERG, op. cit.

[46]

Alain TOURAINE, op. cit.

[47]

Jacques et Marie VAN BOCKSTAELE, « Quelques conditions d’une intervention de type analytique en sociologie », Année sociologique, 1963, pp. 238-262 ; « Nouvel- les observations sur la définition de la socianalyse », Année sociologique, 1968, pp. 279-295.

[48]

L’objet sociologique en gestation subit ainsi une mutation comparable à celle qui a marqué le passage de l’objet dynamique à l’objet thermodynamique : pour celui-ci, qui implique un point de vue nouveau sur les transformations physiques, « il ne s’agit plus d’observer une évolution, de la prévoir en calculant l’effet des interactions entre éléments du système. Il s’agit d’agir sur le système, de prévoir ses réactions à une modification imposée». Cf. Ilya PRIGOGINE et Isabelle STENGERS, op. cit., p. 121.

[49]

André GORTZ, Adieu au prolétariat. Au-delà du socialisme, Paris, Galilée, 1980.

[50]

Michel MAFFESOLI, Le temps des tribus, Paris, Méridiens Klincksieck, 1988.

[51]

En particulier dans le Temps des Tribus (T.T.), op. cit. Au Creux des Apparences (C.A.), Paris, Plon, 1990 ; La Transfiguration du Politique (T.P.), Paris, Grasset, 1992 ; La Contemplation du Monde (C.M.), Paris, Grasset, 1993.

[52]

T.P., p. 41.

[53]

C.M., p. 151.

[54]

C.A., p. 66.

[55]

C.M., p. 18.

[56]

C.A., p. 28.

[57]

C.A., p. 48 ; T.P., p. 18.

[58]

C.M., pp. 21, 131, 165.

[59]

C.A., pp. 27, 83, 84, 195, 215 ; T.P., p. 137.

[60]

C.M., p. 104.

[61]

C.A., p. 27.

[62]

Edgar MORIN, La Méthode. III. La connaissance de la connaissance, Paris, Seuil, 1986, pp. 98-99.

[63]

Max PAGES, Michel BONETTI, Vincent de GAULEJAC, Daniel DESCENDRE, L’em- prise de l’organisation, Paris, PUF, 1979.

[64]

Duel: nombre intermédiaire entre le singulier et le pluriel, tel qu’il existe en de nom- breuses langues (grec, slovène, hébreu, etc.). Ce nombre désigne ce qui va par deux et forme néanmoins un ensemble, deux qui forment un tout, une entité en deux parties, les deux yeux, les deux mains, le bonheur et le malheur, l’ombre et la lumière, la vie et la mort, l’ignorance et la connaissance, etc. La pensée « duelle », étrangère à notre culture, est pourtant essentielle pour tout travail d’interprétation et d’interven- tion sociologiques. Pour elle, ce qui oppose unit, ce qui unit oppose, ce qui lie délie, ce qui délie lie.

[65]

Dialogique : « association complexe (complémentaire, concurrente, antagoniste) d’ins- tances nécessaires à l’existence d’un phénomène organisé » (Edgar MORIN, op. cit. 1986, p. 98); « unité symbiotique de deux logiques qui se nourrissent l’une l’autre, se concurrencent, se parasitent mutuellement, s’opposent et se combattent à mort » (Edgar MORIN, op. cit., 1977,p. 80).

[66]

Jos TONTLINGER, « Du côté de la psychanalyse : reliance, déliance, liance, ou la vie secrète d’un concept original et originaire», in Marcel BOLLE DE BAL (ed.), Voya- ges au cœur des sciences humaines, op. cit., t. 1, pp. 189-195.

[67]

Francine GILLOT- de VRIES, « Du côté de la psychologie : reliance et déliance au cœur du processus d’individuation », in Marcel BOLLE DE BAL (ed.), op. cit., tome 1, pp. 181-188.

[68]

Edgar MORIN, « Vers une théorie de la reliance généralisée ? », in Marcel BOLLE DE BAL (ed.), op. cit., tome 1, pp. 315-326.

[69]

Id., pp. 324-325.

Plan de l'article

  1. De la reliance
  2. La reliance : émergence du concept
    1. Origine de la notion
    2. Premier élément de définition
    3. Définition de la reliance
    4. Reliance et reliances
    5. La reliance sociale
  3. La reliance : dimension sociologique du concept
    1. Reliance sociale et système médiateur
    2. La reliance sociale, concept tridimensionnel
    3. Lien social et reliance sociale
    4. Les modèles de reliance sociale
    5. La reliance sociale, concept psychosociologique
  4. La reliance : dimension anthropologique du concept
    1. La reliance, substrat anthropologique
      1. Une anthropologie judéo-chrétienne ?
      2. Le double sens de la reliance sociale
      3. Une anthropologie laïco-nietzchéenne ?
  5. La reliance : spécificité du concept
  6. La reliance : utilité du concept
    1. La reliance, concept-charnière : liens sociaux et liens scientifiques
    2. La reliance, concept interprétatif: lien social et expérience communautaire
    3. La reliance, concept prospectif: notion-source et dialectique transitionnelle
  7. De la déliance
    1. La société « raisonnante » : une société de déliances
      1. Le sous-système scientifique : la raison simplifiante
      2. Le sous-système social: les rationalisations déliantes
  8. En quête d’une société raisonnable : pour un système socioscientifique d’alliance et de reliance
  9. Les mutations du sous-système scientifique : raison complexe et nouvelles alliances
  10. La mutation du sous-système social: aspirations de reliance et aspirations de nouvelles structures de reliance
  11. Des aspirations de reliance
  12. La déliance, paradigme de la modernité
  13. La reliance, paradigme de la post-modernité ?
  14. Le couple conceptuel déliance/reliance, paradigme « duel» de l’hypermodernité
  15. De la « liance »
  16. Le secret de la « liance »