Des chasseurs massacrent sadiquement des sangliers à l’arme blanche


Pierre Rigaux est naturaliste, spécialiste des mammifères, et membre de la Société française pour l’étude et la protection des mammifères (SFEPM) et de Cap loup.

Pierre Rigaux.

Des sangliers traversés par des épieux, lacérés par des coups de dagues et autres couteaux, déchiquetés vivants par des chiens et agonisant lentement en hurlant : c’est ce qu’on peut voir dans les images que nous avons pu obtenir grâce à un lanceur d’alerte infiltré dans le milieu de la chasse. Ce sont le plus souvent les chasseurs eux-mêmes qui ont filmé leurs exploits et en ont fait profiter leurs amis. Ces images datent de 2018 à 2020 et proviennent de Nouvelle-Aquitaine, d’Occitanie, de Bourgogne-Franche-Comté, des Hauts-de-France, de Corse… La vidéo de douze minutes que nous diffusons (voir ci-dessous) enchaîne, les uns après les autres, vingt-deux actes de sévices et cruauté pratiqués par des chasseurs différents, de tous âges, montrant qu’il ne s’agit pas de cas isolés mais d’une pratique banale dans le milieu de la chasse aux sangliers.

Les chasseurs qu’on y voit ne se contentent pas de faire souffrir longuement les animaux. Ils s’en amusent. Ils rient, plaisantent, encouragent leurs chiens à infliger des dizaines ou des centaines de morsures aux sangliers en sang. Les épieux, ces lames montées au bout de longs manches métalliques, sont enfoncés de bon cœur. Une vraie corrida. Un sanglier crache du sang, comme un taureau dans l’arène. Ici, un chasseur laisse un couteau planté dans l’animal vivant ; là, un autre fait une blague douteuse sur le sanglier « aussi coriace que [sa] belle-mère », car l’agonie de l’animal sous la dague fut, comme presque toujours, très longue.

Avant que le chasseur dégaine sa lame, le sanglier n’a déjà plus aucune chance de s’en sortir 

Cette forme de chasse repose sur ce que les chasseurs appellent « le ferme ». Ce terme désigne le moment où l’animal acculé ne peut plus s’enfuir et fait face pour tenter de sauver sa vie. C’est là qu’il y a subtilité réglementaire. L’utilisation des armes blanches n’est pas considérée par la loi comme un acte de chasse — entre parenthèses, elle ne nécessite donc pas de posséder le permis. Il s’agit officiellement d’un moyen d’achever un animal déjà mortellement blessé par un tir ou « aux abois », qui ne peut plus s’enfuir.

Comme à la chasse à courre ? À la différence près que celle-ci se fait sans fusil avant l’hallali — le nom folklorique du « ferme ». Dans la chasse ordinaire, l’animal peut recevoir des balles tout au long de la partie. Les chasseurs n’étant pas des tireurs d’élite, car la très succincte formation au permis de chasse ne leur apporte pas de compétence en la matière, nombreux sont les animaux seulement blessés. Alors le législateur prévoit qu’on puisse utiliser des armes blanches en dernier recours si les malheureux sont rattrapés, pour qu’ils ne souffrent pas trop longtemps.

Dans les faits, l’utilisation des épieux, dagues et couteaux est recherchée par une partie des chasseurs, amateurs de meutes de chiens spécialisés, de sensations fortes et de corps à corps avec la bête. Un rapprochement sans trop de risque pour l’homme, dans la mesure où la proie est le plus souvent déjà blessée et très affaiblie par une longue poursuite, par un ou plusieurs tirs et par les crocs d’une dizaine de chiens. Avant que le chasseur dégaine sa lame, le sanglier n’a déjà plus aucune chance de s’en sortir. Les pratiquants organisent leurs parties pour aboutir à ce moment considéré de bravoure pour les héros d’un jour, félicités par leurs camarades pour avoir terrassé l’animal.

Les scènes d’horreur absolue sont l’ordinaire de la chasse en France

Interrogé par France Inter en réaction à ces images, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, considère que les pratiques en question sont « dans l’éthique normale de la chasse et du respect du vivant ». Il veut dire par là que, dans leur grandeur d’âme, les chasseurs abrègent les souffrances d’animaux blessés. Sans se demander pourquoi ils sont si nombreux. La réponse lui serait déplaisante : parce que les chasseurs sont incompétents et qu’en autorisant un million d’amateurs très mal formés à pratiquer un jeu basé sur la mise à mort dans la nature avec une arme à feu, les dommages collatéraux sont nécessairement gigantesques. Et l’autorisation des armes blanches dans les sous-bois, en toute discrétion, là où aucun agent de l’État n’ira vérifier pourquoi untel sort son épieu, permet la satisfaction de tous les sadismes ailleurs réprimés.

En reconnaissant la normalité des images que nous diffusons, le président des chasseurs confirme surtout que les scènes d’horreur absolue sont l’ordinaire de la chasse en France — c’est mon seul point d’accord avec lui ; pour le respect du vivant, on repassera… quand respecter ne sera plus confondu avec torturer, quand notre société n’acceptera plus qu’on puisse infliger des sévices à des animaux. Elle ne l’accepte théoriquement pas, s’agissant de certains d’entre eux. L’article 521-1 du Code pénal punit en effet de deux ans de prison et 30.000 € d’amende le fait d’exercer des sévices graves ou des actes de cruauté, mais ceci ne concerne que les « animaux domestiques ou apprivoisés ou tenus en captivité ». Nous proposons que ce délit soit élargi à l’ensemble des animaux dits sentients, qu’ils soient sauvages ou domestiques, libres ou non. Tous ressentent également la souffrance et rien n’impose de leur infliger gratuitement des sévices, en plus de les tuer.


Lire aussi : « L’être humain ne devrait pas être l’alpha et l’oméga de la réflexion sur l’avenir de la planète »

Source : Courriel à Reporterre

Photos :
. portrait : © Mathieu Génon/Hans Lucas/Reporterre

- Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
- Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.