Conspiration et fantasmagorie à l'ère de Trump et du Covid [1/2]


"Des amis qui soutenaient Black Lives Matter et qui manifestaient dans la rue, des gens qui s’inquiétaient du changement climatique, même une collègue infirmière qui travaillait avec moi en réanimation pendant un pic de la pandémie de COVID-19… Soudain, tous se sont mis à partager les conneries de QAnon, surtout des trucs sur la pédophilie, l’adrénochrome et les milieux pédophiles satanistes. Pour autant que je sache, ce sont des gens qui se déclarent libéraux, progressistes ou de gauche et je ne comprends vraiment pas comment ils ont pu être happés si rapidement. Je parle de personnes entre vingt et trente ans qui soutenaient Bernie Sanders et qui republient aujourd’hui les remugles des QAnon. C’est quoi ce bordel ?"

Ce message est apparu en août sur le forum QAnonCasualties de Reddit [2], un lieu d’information et de soutien mutuel pour les personnes qui ont perdu des amis ou des proches, tombés dans le « terrier de lapin » et qui n’ont pas encore refait surface.

Rabbit hole, comme dans Alice au pays des merveilles : c’est ainsi que s’appelle l’entrée dans le monde des QAnon. Où l’on ne trouve pas de merveilles mais des histoires d’enfants captifs, violés, saignés pour obtenir un élixir de vie. Une longue vie pour qui ? Pour les ennemis maléfiques de Donald Trump, le héros qui va libérer ces enfants – en fait, il les libère déjà – et sauver le monde.

2020 est une année de pandémie, de récits toxiques et de cercles vicieux où la première alimente les seconds. C’est l’année au cours de laquelle QAnon s’est développé de manière démesurée avant que finalement nous ne prenions conscience du danger. En Europe aussi on a tiré la sonnette d’alarme, avant tout en Allemagne et en France, puis en Italie avec un retard de deux ans, [3].

QAnon, qui était probablement une blague au départ, joue désormais un rôle important dans la campagne électorale américaine. Il met en difficulté les administrateurs des grands réseaux sociaux et il est devenu un réseau mondial à part entière, voire même une secte, comme il est de plus en plus définit.

J’ai abordé cette question à plusieurs reprises. En particulier, en octobre 2018, j’ai écrit une enquête en deux parties dans laquelle je signalais les étranges résonances entre QAnon, les contre-enquêtes sur les « abus rituels sataniques » menées par le projet Luther Blissett dans les années 1990 et Q, un roman paru en Italie en 1999 et publié aux États-Unis cinq ans plus tard, dont je suis l’un des auteurs [4]. En 2019, le phénomène a paru baisser d’intensité alors qu’en réalité, il a continué à se répandre et à prospérer. Puis sont arrivés le coronavirus et le confinement. Et la situation a encore évolué et s’est aggravée : il nous faut donc refaire le point.

Dans le premier volet de cette nouvelle enquête, je vais vous dire ce qu’est QAnon, ce qu’il affirme et comment il se répand aujourd’hui. J’expliquerai également pourquoi je pense qu’il est inadéquat de parler de « théorie du complot ». Dans le second épisode, je clarifierai certains points concernant les complots, à droite comme à gauche, puis j’explorerai ce que j’ai appelé les « cinq dimensions de QAnon ». Je dirai alors comment la pandémie, l’infodémie [5]et l’isolement physique ont créé le contexte parfait pour la nouvelle phase de QAnon et sa croissance tumultueuse. Je passerai ensuite à un aperçu de la situation en Italie et dans d’autres pays européens. Je vais surtout aborder une question qui me semble cruciale : celle du noyau de vérité que l’on trouve au cœur de toute fantasmagorie de conspiration. Quelles sont les vérités que QAnon déforme et pervertit ?

La Cabale et ceux qui en font partie

QAnon vénère Donald Trump, qu’il appelle souvent par le nom de code Q+. Dans le monde vu du terrier de lapin, Trump a répondu à un appel du Pentagone par amour pour son pays et a accepté de devenir président pour mener une lutte acharnée – secrète, bien qu’elle soit commentée par des millions de personnes sur Facebook – contre un gouvernement mondial occulte de pédophiles satanistes : la ainsi dénommée « Cabale ». Qui se prononce en accentuant le second a.

La Cabale a pris le pouvoir aux États-Unis après l’assassinat de John F. Kennedy et contrôle depuis lors l’État profond, à l’exception des forces armées. On devrait s’interroger sur ce que signifie « contrôler l’Etat profond », mais passons. La Cabale a placé tous les présidents avant Trump y compris Ronald Reagan et les deux Bush. La Cabale inclut tous les opposants politiques de Trump, de Barack Obama et sa femme Michelle — qui selon QAnon est un transgenre, c’est-à-dire « un homme », ce qui fait d’Obama « une pédale » — aux mouvements Black Lives Matter et Antifa, en passant par les figures honnies de Nancy Pelosi et Hillary Clinton — qui selon QAnon dévorent littéralement les nouveaux-nés, se filmant même en train de le faire.

La Cabale comprend également des célébrités telles que Tom Hanks, Céline Dion, Oprah Winfrey, Marina Abramović et Beyoncé, ainsi que les incontournables George Soros [6] et Bill Gates. Pour être précis, selon QAnon Obama et Clinton ont déjà été arrêtés, enfermés à Guantanamo et exécutés. Ceux que nous voyons sont des clones. Cela n’explique cependant pas pourquoi ces clones continuent à dire et à faire ce qu’ils faisaient auparavant, y compris attaquer Trump lors de la convention nationale du parti démocrate. Pourquoi ne pas avoir gardé, dans ce cas, les originaux ? Tom Hanks a plutôt essayé d’échapper à la justice en prenant la citoyenneté grecque car, selon QAnon, « la loi grecque considère la pédophilie comme un simple handicap ». Le plan a échoué : l’acteur a été arrêté par les agents de Trump et enfermé dans un hôtel australien avec un bracelet électronique à la cheville [7].

Si tout cela ne semble être qu’un tissu d’idioties tout juste bonnes à faire rire, sous l’impulsion de ces idioties, la haine — même raciale — s’est largement répandue. Des attaques et des incendies ont été commis aux États-Unis et plus près de chez nous, en Allemagne, un massacre a perpétré [8] Et ce n’est pas tout : lors des élections américaines du 3 novembre prochain, nous pourrions voir des partisans de QAnon remporter des sièges au Congrès.

Un acharnement particulier est réservé à une pizzeria de Washington DC, le Comet Ping Pong, déjà au cœur d’un enchevêtrement de calomnies appelé Pizzagate et dont j’ai reconstitué la genèse dans l’enquête de 2018. Le Comet Ping Pong — très populaire dans la ville et point de repère de la culture LGBTQ+ — est décrit par QAnon comme un repaire de satanistes dans lequel seraient emprisonnés des enfants. Il a donc subi un raid armé en décembre 2016 [9],une tentative d’incendie en janvier 2019 [10]et son propriétaire James Alefantis, homosexuel, reçoit constamment des menaces de mort.

Récemment, ces histoires mensongères d’enfants enfermés et torturés dans le cadre du Comet Ping Pong ont même reçu le soutien du chanteur britannique Robbie Wiliams [11].

Des deux côtés de l’Atlantique, des célébrités font la promotion d’une ou plusieurs histoires issues du monde des QAnon. Il s’agit pour la plupart de has-been, d’artistes sur le déclin qui, grâce à des altercations sur les réseaux sociaux ou des déclarations choquantes, peuvent encore faire parler d’eux : l’acteur James Woods, qui est l’un des partisans les plus agressifs de Trump ; la comédienne Roseanne Barr, dont la sitcom a été supprimée du réseau ABC en raison de ses sorties racistes ; l’ancienne star du porno Jenna Jameson…

Voilà une question à garder à l’esprit pour le prochain épisode : pourquoi QAnon ne désigne-t-il pas comme membres de la Cabale Mark Zuckerberg, qui possède et contrôle la plus grande machine de communication de la planète et Jeff Bezos, fondateur et dirigeant d’Amazon et homme le plus riche du monde ?

Le gourou virtuel et ses sectateurs

La communauté des croyants obtient des informations en faisant de la « recherche », c’est-à-dire en interprétant les nouvelles du jour à la lumière des messages cryptiques envoyés par un certain Q, parfois appelé Qcrumbs (miettes de Q), plus souvent Qdrops (gouttes de Q).

Q passe pour un officier de renseignement ou un haut fonctionnaire du gouvernement, chargé par Trump et le Pentagone d’alerter le monde sur ce qui est sur le point d’arriver : la Tempête, c’est-à-dire l’arrestation et l’exécution massive de tous les membres de la Cabale.

Selon de nombreux adeptes des QAnon, derrière la signature Q se cache John Fitzgerald Kennedy Jr, également surnommé John-John. Officiellement mort dans un accident d’avion en 1999, il serait en réalité bien vivant et — pour des raisons non précisées — un ennemi de ce parti démocrate pour lequel il fut un symbole important autant qu’une figure de « dauphin ». John-John se révélera bientôt publiquement en déclarant son soutien à Trump. Selon certains, il deviendra même vice-président à la place de Mike Pence.

Les messages de Q sont apparus pour la première fois en 2017 sur le forum 4chan, le célèbre site d’incubation de l’alt-right et des autres courants d’extrême droite américains. En 2018, le prétendu lanceur d’alerte a déménagé dans un site encore plus extrême, 8chan. Entre avril et août 2019, 8chan a été utilisé pour annoncer, diffuser et revendiquer trois massacres racistes : celui de la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande [12] , celui de la synagogue de Poway en Californie et celui de l’hypermarché Walmart à El Paso au Texas. Au total, 74 morts et 76 blessés. Sous la pression, le site a fermé en août 2019 et est réapparu en septembre sous le nom de 8kun. C’est toujours là que Q publie ses « prophéties » en exclusivité. Le propriétaire de 8kun est un entrepreneur d’extrême droite, Jim Watkins, propriétaire d’un élevage de porcs aux Philippines, où il réside. L’administrateur de 8kun est son fils Ron.

De nombreuses personnes sont convaincues que, depuis 2018 au moins, l’un ou l’autre Watkins, ou les deux, sont derrière le personnage de Q. Il existe des indices de nature technique [13] et il y a aussi le témoignage d’un « repenti », Fredrick Brennan, fondateur de 8chan et ancien collaborateur de Jim. En avoir la confirmation pourrait être utile, mais ce n’est plus déterminant : voilà longtemps que le phénomène des QAnon est autonome des Watkins et de quiconque lui a fait prendre de l’ampleur pour en tirer des avantages et des profits. La plupart des croyants n’ont jamais été sur 8kun : ils sont tombés dans le Rabbit hole sur les réseaux sociaux, entraînés par les suggestions automatiques de Facebook [14] et YouTube [15], le plus souvent après avoir partagé des documents apparemment neutres, sans savoir qu’ils étaient « immatriculés » QAnon. De plus, les divagations et les calomnies les plus haineuses ne viennent pas directement de Q. Ils sont le résultat des « recherches » effectuées par une armée d’agitateurs dispersés sur le net.

« The Great Awakening » : Trump maître du monde

Quand la Tempête éclatera, Trump brouillera tous les médias traditionnels — télévision, radio, sites de journaux — et s’adressera à la nation par le biais du système de diffusion d’urgence (EBS), conçu pour atteindre les citoyens en cas de guerre, de catastrophe ou d’autres événements extraordinaires. Et que dira-t-il aux Américains ? Il annoncera le Grand Réveil, l’édification d’une nouvelle société commandée par lui et les militaires.

« Ayez foi dans le plan », dit l’un des slogans les plus connus de QAnon. Ayez confiance en Trump et dans les « chapeaux blancs », c’est-à-dire les gentils, par opposition aux « chapeaux noirs » de l’État profond. Ayez confiance, la Tempête est imminente. Et elle frappera également en dehors des frontières. Les croyants européens espèrent une invasion américaine de leur pays. Curieux espoir, car beaucoup viennent de milieux saturés par l’anti-américanisme.

Berlin, le 29 août 2020.

La justification est que l’impérialisme yankee est une expression de la Cabale. C’est à cause de cela que les États-Unis seraient mauvais. Trump obtiendra leur rachat, et, après la tempête, ils seront bons. Il faut donc en déduire qu’avant la mort de JFK — lorsque les satanistes pédophiles ont pris le pouvoir — les États-Unis n’étaient pas impérialistes. C’est une conclusion raisonnable, si l’on laisse de côté la doctrine Monroe sur l’Amérique latine (définie comme l’« arrière-cour » de l’Amérique [16], la politique du« Big Stick » de Teddy Roosevelt, la guerre de Corée, le coup d’État au Guatemala en 1954 et nombre d’autres pages de l’histoire mondiale.

Dans le monde « réveillé », disent les croyants, Trump fournira de l’énergie gratuite à tous, grâce à une technologie ultramoderne encore secrète, mais dont des millions de commentateurs sur les réseaux sociaux connaissent l’existence. Dans le monde réel, en revanche, Trump est lié à l’industrie du charbon et du pétrole, dont les intérêts sont protégés jusqu’au cercle polaire arctique [17].

Enfants-taupes et adrénochrome

Le 14 février 2020, un Allemand de 43 ans, Tobias Rathjen, met en ligne sur YouTube une vidéo dans laquelle il s’adresse aux citoyens américains, dénonçant l’existence sous leurs pieds de « bases militaires souterraines où l’on vénère le diable et où l’on tue des enfants », appelant à l’action pour libérer les petits. Rathjen est un homme solitaire qui vit avec sa mère à Hanau, une ville de près de cent mille habitants non loin de Francfort. Il a des sympathies d’extrême droite mais n’appartient à aucune organisation. Il passe ses journées en ligne, à s’instruire sur QAnon et d’autres fantasmagories de conspiration planétaire. Il n’est pas exactement un membre du « Qulte », car il n’adore pas Trump, au contraire, il l’accuse d’être un plagiaire, d’avoir « volé ses idées ». Cependant, il croit en certains éléments centraux du récit des QAnon.

Le soir du 19 février, Rathjen quitte son domicile et se rend dans deux bars à narguilé où il ouvre le feu avec un pistolet semi-automatique, tuant neuf personnes et en blessant cinq autres, puis revient, tue sa mère et se suicide.

« Deep underground military bases » (« Des bases militaires souterraines profondes »). L’acronyme est Dumb, que les croyants en QAnon écrivent toujours avec des points abréviatifs : D.u.m.b. Dans son usage le plus courant, l’adjectif signifie « stupide », mais ici il semble avoir l’autre sens, le plus ancien : « Incapable de parler ». Comme dans « muet de peur » (« struck dumb by fear »), étouffé par la peur.

Les adeptes de QAnon croient que l’Etat profond — ici la métaphore devient littérale — retient prisonniers au D.u.m.b. des millions d’enfants, après les avoir kidnappés ou les avoir fait naître directement sous terre pour les violer, les torturer et boire leur sang afin d’en extraire une substance à la fois psychotrope et rajeunissante : l’adrénochrome. Ce sont les soi-disant mole children (les « enfants-taupes »).

L’entrée de l’adrénochrome dans la culture de masse est due à une digression satirique de Hunter S. Thompson, contenu dans l’un de ses livres les plus célèbres Fear and Loathing in Las Vegas (1971) que mit en scène Terry Gilliam dans un film éponyme (1998). Dans le roman, le Dr Gonzo montre à son ami Raoul Duke une bouteille d’adrénochrome et dit qu’en comparaison la mescaline « ressemble à du soda au gingembre ». Dans la conversation suivante, nous apprenons que l’adrénochrome « ne s’achète pas », et qu’il ne peut être extrait que « de la glande surrénale d’un corps humain vivant ». C’est « un de ces freaks satanistes » qui l’a donné au Dr Gonzo qui a aussi reçu du « sang humain ».

Ici, comme dans d’autres passages du livre, Thompson se moque de la panique collective qui a suivi les crimes de la famille de Charles Manson et des légendes macabres qui, aux États-Unis au début des années 1970, ont entouré le déclin du rêve hippie.

En réalité, l’adrénochrome est une substance beaucoup plus banale et accessible. Tout d’abord, il faut préciser que l’adrénaline peut être synthétisée en laboratoire. Ce n’est pas nouveau : l’encyclopédie Treccani l’expliquait déjà en 1929. De l’oxydation de l’adrénaline on obtient l’adrénochrome, dont un dérivé, le carbazochrome, est utilisé comme médicament pour l’épilepsie, mais aussi pour arrêter les hémorragies et guérir les hémorroïdes. Les médicaments à base de carbazochromes sont produits dans de nombreux pays, dont l’Italie, et sont vendus sous différents noms — Adona, Phleboside, Anaroxyl, Medostyp — sans qu’il soit nécessaire de maltraiter et de saigner des enfants. Ils sont prescrits par les médecins généralistes.

L’adrénochrome est un exemple parfait de ces éléments narratifs qui n’apparaissent pas dans les communications de Q. Elle provient du « travail d’investigation » de la communauté des croyants. Cette « enquête », à bien y regarder, consiste uniquement à récupérer de vieux déchets en les présentant comme des nouveautés. Au fond, il y a l’éternelle « accusation du sang », qui circule depuis près de deux mille ans, d’abord lancée par les Romains contre les chrétiens, puis par l’Église contre les « juifs perfides ». Les catholiques les plus intégristes vénèrent toujours Saint Simon de Trente [18], un enfant dont ils croient qu’il aurait été tué – et saigné à des fins rituelles – par les juifs de Trente en 1475.

Mais revenons aux bases souterraines. Au printemps 2020, sous couvert du confinement, Trump s’apprêtait à lancer des opérations militaires pour libérer les enfants-taupes. En fait, Trump s’est activement opposé au confinement et a fomenté des manifestations contre les gouverneurs qui les avaient décidés [19]. Pour QAnon, tout cela n’était qu’une diversion, une partie du brillant « jeu d’échecs en quatre dimensions » que le président joue depuis 2016.

La plus grande opération, appelée la Q-force, aurait eu lieu en avril dernier dans Central Park à New York. L’hôpital de campagne installé dans le parc aurait en fait été un avant-poste militaire [20]. Cachée sous les tentes, l’armée – ou, selon d’autres versions, les forces spéciales de la marine – a construit un tunnel, atteint un D.u.m.b. et l’a pris d’assaut, libérant des milliers d’enfants, immédiatement emmenés sur des navires-hôpitaux secrets. Certains d’entre eux souffriraient de graves difformités car ils n’auraient jamais vu la lumière du jour. Finalement, les héroïques chapeaux blancs ont fait sauter la base, la faisant s’effondrer sur les chapeaux noirs laissés à l’intérieur.

Central park. Ce nom évoque l’un des lieux les plus importants et les plus emblématiques de l’une des villes les plus peuplées du monde. Un hôpital de campagne visible depuis des centaines de fenêtres sur la Cinquième Avenue. Des tentes d’où sortent des milliers d’enfants, escortés par des soldats et chargés, vraisemblablement, sur des dizaines de véhicules. Une opération qui aurait certainement duré de nombreuses heures, avec un grand déploiement d’hommes et de véhicules, et qui aurait culminé avec une grande explosion souterraine. Pourtant, personne n’a rien vu, rien entendu.

Peu importe : partout dans le monde, les croyants ont célébré le succès de la mission. Jusqu’à certains sites italiens, où des gens comme Alessandro Meluzzi [21] ont relayé cette histoire.

Le Trump de QAnon et le Trump véritable

Est-il possible que Trump mène la plus grande et la plus noble bataille du siècle en secret, sans s’en vanter tous les jours ? Si cette histoire était vraie, nous aurions des centaines de photos de Trump posant avec les pouces levés à côté des enfants-taupes. Tout du moins à côté des enfants non-déformés : le président n’a pas la réputation de quelqu’un qui aime les handicapés [22].

Disons-le : si quelqu’un a emprisonné des enfants, c’est bien Trump. Au printemps 2018, afin de montrer une poigne de fer contre l’immigration clandestine, son administration a séparé des milliers d’enfants de leurs parents et les a enfermés dans des centres de détention fédéraux, les abandonnant souvent à eux-mêmes, dans des conditions que les organisations des droits de l’homme ont dénoncées à plusieurs reprises [23]. À ce jour, il n’y a pas de certitude quant au nombre d’enfants enfermés, et il n’y a donc pas non plus de certitude quant au nombre d’enfants qui ont été rendus à leur famille. Selon les données obtenues auprès de l’Union américaine des libertés civiles, en octobre 2019, au moins 120 enfants devaient encore être réunis avec leurs parents [24].

Une inversion similaire de la réalité s’est produite avec le cas du milliardaire Jeffrey Epstein, dont l’arrestation pour de nombreuses agressions sexuelles, notamment sur des mineurs, a été intégrée dans le récit de QAnon comme confirmation indiscutable de l’existence de la Cabale. L’histoire d’Epstein a été utilisée comme une arme contre les ennemis de Trump. Et les croyants se gardent bien de pointer du doigt Trump lui-même, qui se disait aussi le grand ami d’Epstein. Trump a beaucoup fréquenté Epstein, à l’époque où l’on parlait déjà de son penchant pour les très jeunes adolescentes. Après l’arrestation du magnat et à la veille de son suicide en prison, une déclaration de Trump de 2002 a refait surface.

« Je connais Jeffrey depuis 15 ans. Un type génial. C’est très amusant d’être avec lui. On dit même qu’il aime les belles femmes au moins autant que moi, et beaucoup d’entre elles sont très jeunes. Il n’y a pas de doute, Jeffrey profite de sa vie mondaine. »

La dissonance cognitive entre Trump, tel que QAnon le décrit, et Trump tel qu’il est réellement est compensée par divers expédients narratifs. Dans le cas de son amitié avec un prédateur en série, la vocation du « héros » est anticipée de plusieurs années : bien avant de devenir président, Trump agissait déjà « sous couverture », infiltré dans certains milieux pour enquêter sur la Cabale.

Comme l’a écrit Meagan Day, Trump « est fasciné par toute histoire dont il est le protagoniste. » [25]. D’emblée, il est apparu flatté par le portrait que QAnon faisait de lui. Non seulement il n’a jamais pris ses distances avec ce récit, mais depuis des années, il fait des clins d’œil à ses auteurs, sans tenir compte du fait que le FBI a qualifié QAnon de « menace terroriste intérieure » [26]. Il a retweeté des centaines de messages d’adeptes, accueilli un propagandiste bien connu comme Lionel Lebron dans le Bureau ovale et félicité une croyante des QAnons qui a remporté les primaires républicaines en Géorgie, Marjorie Taylor Greene, non content de quoi, il l’a invitée à la Maison Blanche.

Le 19 août, lors d’une conférence de presse, M. Trump a qualifié les croyants en QAnon de « gens qui aiment leur pays » [27]. Un journaliste lui a fait remarquer que QAnon le décrivait comme luttant contre une clique de satanistes pédophiles. « Est-ce que ce serait une mauvaise chose ? » a-t-il répondu. « Si je peux aider à sauver le monde, je suis prêt à le faire. Et nous le faisons. Nous sauvons le monde d’une gauche radicale qui veut détruire ce pays ».

QAnon se fout des enfants

La Wayfair hysteria est un parfait exemple de la façon dont QAnon voit des pédophiles et du trafic d’enfants pour en extraire de l’adrénochrome absolument partout. En juillet 2020, l’entreprise de meubles Wayfair, basée à Boston, s’est retrouvée la cible d’incroyables accusations. En regardant le catalogue en ligne, certaines personnes trouvent étrange que certaines armoires portent un nom. Et des noms inhabituels : Aanya, Anabel, Samiyah. De plus, certains articles paraissent beaucoup trop chers, 10 000 $ ou plus. Il y avait quelque chose de louche. Peut-être que ces publicités… servaient de réclame pour vendre des enfants !

Pendant la « recherche » — deux minutes sur Google — des nouvelles d’enfants disparus avec ces noms apparaissent. Bingo ! Le prix indiqué est le prix d’un enfant. Par exemple, le placard Samiyah, qui coûte douze mille dollars, est en fait Samiyah Mumin, une adolescente qui a disparu dans l’Ohio en mai 2019. Seulement, Samiyah n’a pas du tout disparu, elle n’avait quitté son domicile que quatre jours. Furieuse, l’intéressée poste une vidéo ridiculisant les découvertes des pseudo-détectives. Quant au mystère du prix élevé, un porte-parole de Wayfair a déclaré à l’agence Reuters qu’il s’agissait de placards de rangement, des grands articles conçus pour les entreprises, plus chers que le mobilier familial ordinaire.

Évoquer des monstres qui violent, torturent et tuent des enfants fonctionne toujours. Quelle que soit la manière dont vous le faites, vous obtenez un résultat. Accuser votre adversaire de pédophilie change son image, même aux yeux de ceux qui ne croient pas à l’accusation. Après avoir imaginé une scène, on ne peut pas revenir en arrière et la "désimaginer". La scène de quelqu’un violant des enfants reste dans la tête même si, rationnellement, elle est considérée comme une calomnie. Un cadre a été activé, un cadre narratif dans lequel ce quelqu’un est réduit à un monstre, déshumanisé.

Si, en revanche, ce thème est agité aussi bruyamment qu’imprécisément, sans jamais donner l’identité des accusés mais en criant des exhortations telles que « Sauvons les enfants ! », on peut faire du prosélytisme, en entraînant des gens qui sont moins sur leurs gardes. Qui ne voudrait pas « sauver les enfants » ? C’est ce qui s’est passé en août 2020 avec les manifestations #savethechildren et #saveourchildren dans différentes régions des États-Unis.

À cette période, Twitter, Facebook et d’autres plateformes avaient commencé à prendre des mesures contre la propagation de QAnon, en bloquant des milliers de profils, en supprimant des pages et en masquant les hashtags. Les croyants ont réagi en « édulcorant » leur message et en reprenant un hashtag existant. Lorsque l’organisation humanitaire Save the Children a pris ses distances [28], le hashtag était déjà viral et a donné son nom à des mobilisations apparemment innocentes. En renonçant provisoirement au jargon habituel, fait de sous-entendus baroques et de détails horrifiants, la secte a réussi à la fois à contourner les interdictions et à attirer de nouveaux adeptes, qui en quelques jours ont commencé à partager des nouvelles inventées sur D.u.m.b., Guantanamo, les clones et l’adrénochrome.

QAnon fait continuellement référence aux « 800 000 enfants « qui disparaitraient chaque année rien qu’aux États-Unis. Le pays compte 73 millions de mineurs (chiffre de 2017), on parlerait donc de la disparition d’environ un enfant sur cent. Le nombre moyen d’élèves dans une école primaire américaine est de 446 [29]. Donc chaque année scolaire, environ quatre élèves devraient disparaître dans chaque école du pays. Au fil d’une scolarisation à l’école primaire qui dure cinq ou six ans selon les États, un écolier verrait au moins une vingtaine d’élèves disparaître dans la nature.

Ce chiffre peu probable provient de la lecture hâtive ou malhonnête d’un rapport qui mentionnait 797 000 signalements de disparitions. Ce chiffre comprend également les cas, heureusement très majoritaires, d’enfants qui n’ont pas disparu mais qui sont revenus tard chez eux (les parents très inquiets appellent immédiatement la police) et les fugues, que l’enfant ait été retrouvé ou qu’il soit rentré chez lui de lui-même, comme c’était le cas de Samiyah Munin. A cela s’ajoutent les "enlèvements" réels ou présumés par un parent qui n’a pas la garde légale de l’enfant. Une nuit supplémentaire chez l’un des parents peut déclencher la dénonciation par l’autre, si les relations sont tendues.

Ernie Allen, président du Centre national pour les enfants disparus et exploités (NCMEC) a déclaré à Reuters que plus de 99 % des enfants portés disparus rentrent chez eux sains et saufs. Le problème est plutôt de savoir dans quelle maison ils retournent, dans quelles conditions ils vivent, ce qui les a poussés à fuir. QAnon ne s’intéresse pas à cela : dans son récit, la famille est toujours un lieu idéal et les abus – comme les enlèvements – ne sont perpétrés que par des étrangers monstrueux.

Aux États-Unis, le nombre moyen d’enfants kidnappés par des étrangers chaque année est de 155. Parmi ceux-ci, 49 ne sont pas retrouvés. Attention, s’il n’y en avait qu’un seul cela serait déjà trop. Il n’en reste pas moins que nous sommes loin des 800 000 dont parle QAnon.

La traite des enfants est un véritable problème. Selon l’Organisation internationale du travail, onze millions d’enfants sont victimes de la traite des êtres humains chaque année dans le monde. Les abus sexuels sur les enfants constituent également un réel problème. Mais QAnon, avec ses croque-mitaines et ses diversions, discrédite ces questions et met des bâtons dans les roues de ceux qui travaillent sur ces questions. La fondation KidSafe le clame haut et fort : « Les promoteurs de QAnon sont des parasites. Pour élargir leur empreinte, gagner en crédibilité et diffuser des informations erronées, ils associent leur message de haine et de fanatisme aux noms d’organisations connues et respectées, en particulier celles qui luttent contre les abus sexuels et la traite des enfants. Cette stratégie menace de déprécier nos identités, de ternir nos réputations et de nuire à notre travail. » [30]

Selon l’historienne Margaret Peacock, « dans l’univers de la propagande, les vrais enfants n’ont jamais d’importance. Ce qui compte, c’est ce que les enfants représentent… Si vous voulez inciter des gens à l’action violente, la façon de le faire est par la haine et la peur. Une fois que vous avez ciblé un groupe de personnes et que vous les avez étiquetées comme pédophiles, vous pouvez leur faire ce que vous voulez. » [31]

QAnon n’est pas un mouvement contre la violence envers les mineurs, mais un récit fantasmatique sur l’établissement d’un régime totalitaire et l’extermination d’ennemis dont le nombre est appelé à augmenter de plus en plus, pour finir par inclure tous ceux qui doutent de QAnon.

L’expression « Théorie du complot » ne rend pas compte de ce qu’il se passe

Ce que j’ai proposé est un résumé très simplifié. Les écritures saintes de QAnon forment un corpus énorme que la communauté continue de mettre à jour en engloutissant et en interprétant les informations quotidiennes. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder les cartes du Q-Web réalisées par le graphiste Dylan Louis Monroe.

Appeler QAnon une « théorie du complot » ne rend pas compte de l’enjeu. Même « théorie du complot d’extrême droite », comme le qualifie Wikipedia, n’est pas une définition adéquate. Il s’agit sans aucun doute d’un récit réactionnaire, aux traits parfois nazifiant, mais son emprise ne se limite pas à une zone idéologique précise, et elle atteint même des champs très éloignés. En général, si l’expression conspiracy theory paraît limitée, sa version italienne (« teoria del complotto ») fait encore pire : elle génère des équivoques.

Dans le contexte dont nous parlons, le terme theory n’est pas utilisé de manière évaluative. Dans la culture anglo-saxonne, l’acte de théoriser n’est pas entouré de respect a priori ; au contraire, dans l’usage courant, théorie signifie conjecture ou inférence : « Come on, that’s just theory » (« Allez, c’est juste de la théorie »). L’entrée dans le dictionnaire Merriam-Webster en donne un bon exemple.

En italien, cette connotation est absente. Dans notre culture imprégnée d’idéalisme philosophique, une théorie est toujours quelque chose d’important, avant même toute vérification de sa validité. Le fait de parler de théorie plutôt que d’opinion ou d’avis – « J’ai ma théorie à ce sujet » – lui confère immédiatement une plus grande autorité qu’à une simple idée. La « théorie du complot » n’a donc pas forcément une connotation négative, elle n’apparaît donc pas à tout le monde comme quelque chose à rejeter a priori. Après tout, les complots ont existé et existent encore. À tout moment, quelque part, quelqu’un complote. Et c’est grâce à des théories devenues des enquêtes que certaines conspirations – comme en Italie, la stratégie de la tension ou les plans de la loge P2 – ont été découvertes.

Plus problématique encore est le qualificatif de « complotiste ». Né pour désigner le propagandiste, le profiteur, celui qui tire un avantage idéologique ou qui profite économiquement des récits qu’il propage, le terme a désormais remplacé le désormais daté « diétrologue », devenant une massue qui clôt toute discussion. Est appelée complotiste toute personne qui ne se satisfait pas des récits officiels, des apparences, des autojustifications du pouvoir. De plus, le terme de complotiste met sur le même plan le propagandiste à plein temps et l’amateur occasionnel de la propagande, celui qui prépare la concoction et celui qui la boit, le manipulateur et le manipulé.

Je termine la rédaction d’un livre – La Q di Qomplotto (Le Q dans Qomplot) – sur le phénomène des QAnon et la généalogie du conspirationnisme actuel sur les réseaux sociaux. Dans mon analyse, j’ai remplacé « théorie du complot » par « fantasmagorie de complot », qui en anglais se traduirait par conspiracy fantasy. Pour les théories sur des complots fondés et vérifiables, j’utilise plutôt l’expression « hypothèse de complot ».

Les hypothèses de complot servent à enquêter sur des complots spécifiques et localisés, orientés vers un but précis, qui cessent généralement après avoir été découverts, ou qui ont déjà cessé au moment de leur découverte. Les fantasmagories de complot, au contraire, concernent toujours une conspiration universelle, qui aurait pour but la conquête ou la destruction du monde entier par des sociétés secrètes, des confréries occultes, des « races perfides », des individus décrits comme des marionnettistes omnipotents, des conquérants extraterrestres… ou une alliance de tous ces groupes. Un complot sans cesse dénoncé et pourtant toujours en cours depuis des siècles.

Dans la première catégorie, nous trouvons : le scandale du Watergate et les manœuvres de Nixon pour le dissimuler ; le programme Cointelpro du FBI pour infiltrer les Black Panthers et d’autres groupes radicaux ; les tentatives de la CIA d’assassiner Fidel Castro ; la désinformation sur les massacres des années de plomb à partir de Piazza Fontana ; la production de fausses preuves contre le régime de Saddam Hussein pour justifier l’invasion de l’Irak ; les complots du crime organisé, etc.

Dans la deuxième catégorie, on trouve les récits cauchemardesques sur les Illuminati, les tentacules de la pieuvre juive, le plan Kalergi, le « grand remplacement », George Soros qui tire les ficelles du monde, Bill Gates qui nous contrôle avec les nanopuces dans des vaccins, les Reptiliens, la théorie des chemtrails et la Cabale des satanistes pédophiles. On pourrait appeler QAnon une hyper-fantasmagorie du complot, car il relie et regroupe tous les éléments qui viennent d’être énumérés.

Même lorsqu’une fantasmagorie de complot semble concerner un seul événement, il l’intègre dans une très vaste conspiration, si bien menée depuis les centres du pouvoir mondial et avec un tel nombre de complices qu’elle est nécessairement la conspiration universelle. Aux États-Unis, c’est le cas des massacres perpétrés par des extrémistes de droite ou des personnes souffrant de problèmes de santé mentale dans les écoles, les supermarchés, les églises et les synagogues. Ces carnages sont immédiatement qualifiés de faux nez, mis en scène par l’État profond pour pousser l’opinion publique à exiger des lois contre les armes à feu. Les victimes ? Des gens fictifs, qui n’ont jamais existé. Leurs parents et amis, les témoins survivants ? Tous sont des crisis actors, des agents engagés spécialement pour l’occasion. Le meurtrier de masse ? Un crisis actor lui-même, ou une pauvre victime d’un coup monté : amené sur les lieux, tué et accusé du massacre.

Jusqu’à présent, j’ai réfléchi aux manières de qualifier ces récits. En ce qui concerne les narrateurs, je m’efforce d’éviter le terme de complotiste et je recours à chaque fois à des périphrases, en essayant de distinguer entre 1) les partisans à plein temps des fantasmagories de conspiration et 2) ceux qui, pour diverses raisons, se retrouvent à les consommer même occasionnellement, à les considérer comme totalement ou partiellement plausibles, et à les partager sur les réseaux sociaux.

Concernant le point 1, nous trouvons à la fois des individus qui écrivent sous leur propre identité — l’Américain Alex Jones, l’Anglais David Icke ou les correspondants italiens que nous rencontrons sur des sites comme Byoblu et Luogo Comune — et des trolls anonymes, mais aussi des organismes d’État opérant à des fins géopolitiques ou dans le but de faire du contrôle social. Les protocoles des sages de Sion ont été fabriqués par l’Okhrana, la police secrète tsariste. Pendant les années de la guerre froide, les États-Unis ont encouragé et subventionné la paranoïa anticommuniste. Au cours de la dernière décennie, la Russie de Poutine a financé les droites identitaires de la moitié de l’Europe, alimentant une propagande incessante contre le grand remplacement et Soros « organisateur » des migrations du sud.

Quant au point 2, comme l’a écrit le psychologue Rob Brotherton, il nous inclut potentiellement tous. Les théories de la conspiration, écrit l’auteur de Suspicious minds (2015), entrent « en résonance avec certaines des idées préconçues ancrées dans notre cerveau et certains raccourcis que notre pensée tend à prendre, et elles puisent dans le puits de nos désirs les plus profonds, de nos peurs, de nos suppositions sur le monde et les personnes qui y vivent ». Nous croyons, avons cru ou pourrions tous croire à une quelconque fantasmagorie de conspiration.

C’est de cette prise de conscience qu’il nous faut repartir.

La seconde partie de cette enquête est accessible ici.