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Mi-avril, des tags contre les résidences secondaires ont recouvert les murs de treize communes bretonnes. Certains habitants sont vent debout contre ces nouveaux voisins qui font grimper les prix de l'immobilier. Reportage sur la presqu'île de Rhuys, dans le Morbihan.
Le dimanche soir, en hiver, Martine et son mari Gérard ont un petit jeu. Quand ils reviennent d'Arzon jusqu'à leur maison de Sarzeau, ils "s'amusent à compter le nombre de maisons allumées". Lotissement après lotissement, villa après villa, un même constat le long de la route qui traverse la presqu'île de Rhuys (Morbihan). "Par endroits, il n'y a pas une maison allumée sur dix", soupire cette ancienne professeure d'anglais de 66 ans. Mais dès que les beaux jours reviennent, "ils arrivent, on a le sentiment d'être envahi". Ils, ce sont les résidents secondaires, qui, telles les marées, vont et viennent sur ce bout de terre situé entre le golfe du Morbihan et l'océan. "Il n'y a pas de lien social. Ces gens viennent, consomment la presqu'île et repartent", regrette son mari, ancien marin reconverti dans le bâtiment.
Martine et Gérard ne sont pas les seuls à pester contre ces résidents intermittents. Le 15 avril, de mystérieux chiffres ont été tagués sur les mairies et agences immobilières de 13 communes de Bretagne, dont quatre sur la presqu'île et ses abords immédiats. "Il y avait un gros 80%, tagué en rose fluo, sur la partie droite de ma vitrine, témoigne Isabelle Rondot, agente immobilière et conseillère municipale indépendante à Arzon. Vu que je suis dans le métier, j'ai tout de suite compris". Le chiffre, légèrement arrondi, correspond au pourcentage de résidences secondaires calculé par l'Insee : 79,7% à Arzon, 74% à Damgan, 73% à Saint-Gildas-de-Rhuys et 59,8% à Sarzeau. "Quand de telles proportions sont atteintes, il y a des réactions de rejet tout à fait compréhensibles, comparables à celles des Barcelonais contre les touristes", estime Jean-Didier Urbain, anthropologue du tourisme et auteur de Paradis verts : désirs de campagne et passions résidentielles (éd. Payot).
Le geste n'a pas été revendiqué. En campagne l'été dernier contre les résidences secondaires, le collectif indépendantiste et anticapitaliste Dispac'h dément être derrière ces dégradations, mais partage les motivations des tagueurs. "Les résidences secondaires bouffent les logements pour les jeunes et la monoactivité touristique ne fournit que des emplois précaires. C'est tout un système qu'on dénonce à travers ces résidences, expose son porte-parole, Ewan Thébaud, 30 ans. On a créé des ghettos de vieux riches sur la côte bretonne en excluant les classes populaires." Les touristes tirent les prix de l'immobilier à la hausse – le prix médian d'une maison à Arzon est de 372 500 euros – et incitent les propriétaires à louer quelques mois l'été plutôt qu'à l'année, obligeant les actifs à s'exiler. "Je peux comprendre leur mécontentement, le littoral est pris d'assaut par les résidents secondaires et c'est un peu compliqué de se loger pour les habitants à l'année", réagit Isabelle Rondot, l'agente immobilière.
Olivier, 47 ans, fait partie de ces exclus de la presqu'île. Derrière ses sacs de sel exposés sur le marché de Port-Navalo, à Arzon, le paludier "cautionne complètement" le discours anti-résidence secondaire. Avec leurs revenus d'environ 2 000 euros et leurs deux enfants, sa femme et lui ont dû s'installer à Sulniac, dans l'intérieur des terres. Loin de ses lieux de vente et de sa saline, située à Sarzeau. "J'aurais préféré être ici, glisse-t-il, entre deux clients. En ce moment, il pleut donc je n'ai qu'un réglage d'eau à faire sur ma saline par jour. Je suis obligé de faire 25 minutes de route pour 5 minutes de travail. Je brûle du gasoil. Avant, je faisais un plein par mois, aujourd'hui, c'est un plein par semaine."
Ces tags, c'est un cri de détresse qui aurait dû être fait il y a bien longtemps.à franceinfo
S'il ne veut pas chasser les touristes de la région – "Ce sont mes clients" –, Olivier trouve que ces derniers "manquent de conscience sociale". "Le paysan bio qui leur vend des légumes, il faut bien le loger", rappelle-t-il, avant d'évoquer la situation de copains ostréiculteurs, contraints d'habiter dans une caravane. Une galère partagée chaque été par les saisonniers qui viennent travailler dans la presqu'île. Favorable aux résidences secondaires, le président de l'Association des commerçants et artisans de Sarzeau, Guy Mariel, reconnaît qu'elle pose un problème à son activité. "Nous n'arrivons plus à trouver du personnel saisonnier. Quand on en trouve, ils nous disent 'on ne peut pas loger chez vous, c'est trop cher'", explique le gérant de l'hôtel-restaurant Lesage.
Jacques* est arrivé à Arzon au début des années 1980 pour s'installer dans l'un des hameaux de la commune, au bord du golfe. "Ça ne ressemblait pas à ça, euphémise ce septuagénaire, en montrant la photo d'un cheval dans un pré. Entre ma maison et le clocher de l'église au centre d'Arzon, il n'y avait que des champs et des bois." De son jardin, on aperçoit désormais un lotissement. Ses concepteurs ont paré le crépi avec de la pierre, pour tenter de se fondre dans le décor de vieilles maisons bretonnes. En ce début juin, tous les volets sont clos. "C'est vide, ce ne sont que des résidences secondaires. Ce lotissement et le village sont morts neuf mois sur douze", constate le septuagénaire, pour qui les tags ont eu le mérite "de mettre le doigt sur une réalité qui a de sacrées conséquences".
Si la solitude de l'hiver ne lui pèse pas trop, Jacques regrette un délitement du lien social, le passage d'un monde de marins bretons où tout le monde se connaît à un environnement de touristes parisiens impersonnel. "A côté, je les connais à peine, ils viennent un ou deux mois par an, confie-t-il, en montrant une maison mitoyenne. Là, ces deux maisons sont louées à la saison. Je résiste de toutes mes forces à la nostalgie, mais c'est tellement facile d'y céder à mon âge."
L'âge est un autre problème. Les derniers habitants à l'année sont souvent d'anciens résidents secondaires, installés définitivement sur la presqu'île après leur départ à la retraite. Associé au coût de l'immobilier prohibitif pour les jeunes, le phénomène fait mécaniquement vieillir les communes. "Je donne des cours de breton dans une association. Le plus jeune de mes élèves a 62 ans", témoigne Martine. "Ici, il n'y a que des vieux et des activités de vieux", résume son mari. Selon l'Insee, les plus de 60 ans pèsent 61,5% de la population de Damgan, 59% de celle d'Arzon, 57,2% de celle de Saint-Gildas-de-Rhuys et 48,9% de celle de Sarzeau. Et la tendance ne semble pas près de s'inverser, comme le montre cette photo de la réunion des nouveaux arrivants d'Arzon, en mars.
Le paysage aussi change. Enfant, Véronique Kedzierski, 55 ans, a passé tous ses étés à Damgan, où habitaient ses grands-parents. Au fil des années, elle a vu "les champs disparaître". "On aimait bien courir partout, jouer dans les champs et l'année d'après, il y avait un lotissement à la place", se souvient-elle. Dans la presqu'île, le boom des maisons secondaires est passé par la transformation des terres agricoles en terrains constructibles, une artificialisation dont les effets néfastes pour l'environnement et la biodiversité sont bien documentés.
A Damgan, "l'imperméabilisation des sols est un vrai problème. Notre commune est plate et l'eau pluviale s'évacue mal", explique l'ancienne adjointe à l'urbanisme et au développement durable. Les plages ne sont pas épargnées par ces résidents "super exigeants". Sur le sable du Govet, Véronique Kedzierski nous montre des algues échouées. "Ça, ça ne plaît pas du tout. Mais à force de ratisser la plage, on enlève le sable et on arrive à la roche", se désole cette militante écologiste, en désignant un rocher qui affleure.
Les résidents secondaires estiment qu'ils payent des impôts locaux et que tout doit être nickel. Pas d'algues sur les plages, pas de coquilles, mais un grand bac à sable avec de l'herbe bien tondue autour.à franceinfo
Si le nettoyage n'est pas effectué, les plaintes pleuvent dans le cahier de doléances installé à la mairie. "Tout cela a un coût environnemental puisque, pour eux, tout doit être artificialisé, aseptisé, bétonné", remarque-t-elle.
Au téléphone, le ton est sec. Cette histoire de tags "enquiquine" Dominique, résidente secondaire à Arzon. "Ce sont des imbéciles, lâche-t-elle. Cela fait 30 ans qu'on vit là-bas, en été ou en hiver, quand on a le temps. Je ne vois pas pourquoi les gens râlent, c'est tout juste si on ne leur prend pas le pain de la bouche." Un pain que des résidents secondaires estiment apporter à leur commune d'adoption. "Les gens du pays ont été très heureux de vendre leur terrain et de s'enrichir", constate Christine, 71 ans, ancienne résidente secondaire installée définitivement à Arzon. "Les personnes pas satisfaites profitent des impôts que payent les résidents secondaires. Sans ça, leurs impôts auraient fortement augmenté", cingle Claude, 72 ans, venu de région parisienne pour s'installer à Sarzeau il y a cinq ans.
Dans la salle des élus d'Arzon, Roland Tabart, le maire, a préparé un petit tableau à notre attention. Il y est écrit noir sur blanc que les résidents secondaires ont apporté en 2018 à la commune 1,33 million d'euros, soit 83,52% des recettes de la taxe d'habitation. Une domination fiscale qui va aller croissant puisque cet impôt sera définitivement supprimé en 2023 pour les résidences principales. "Le résident secondaire est le payeur", assène l'édile de 73 ans, élu en 2014, même si "personne n'est propriétaire d'Arzon". "Sans eux, le développement de la commune et de ses infrastructures ne pourrait pas se faire", juge celui qui préside l'Office de tourisme du golfe du Morbihan.
Un avis partagé par son homologue de Saint-Gildas-de-Rhuys. Ancien de la marine marchande, Alain Layec estime que le tourisme a sauvé son village de l'effondrement de la profession maritime (-45% en 30 ans, selon la Dares) : "S'il n'y avait pas eu les résidents secondaires dans certains villages, ce serait des villages fantômes." Paysagistes, artisans, commerces, nautisme... Les deux élus égrènent toutes les retombées économiques de ces résidents au fort pouvoir d'achat et rappellent que le tourisme date d'avant-guerre dans ces deux stations balnéaires du Morbihan.
Ce discours agace les opposants aux résidences secondaires. "On a un couple d'amis parisiens, ils nous disent 'heureusement qu'on est là pour vous faire vivre' comme si on était là à demander l'aumône. S'il y avait eu un autre développement, j'aurais aussi eu du travail", peste Gérard, qui a construit plusieurs de ces résidences. Ewan Thébaud y voit un "faux discours" : "Cela sous-entend que s'il y avait des personnes à l'année, elles ne paieraient pas d'impôts et ne consommeraient pas. Bien sûr que si." Professeur au Conservatoire national supérieur des arts et métiers (Cnam), l'économiste Laurent Davezies rappelle qu'"entre un actif, un retraité et un résident secondaire, celui qui va le plus stimuler l'économie, c'est l'actif". "L'actif a des enfants, qui vont aller à l'école, où il faudra embaucher des professeurs, développe-t-il. De par sa consommation marchande et non marchande, il injecte des éléments de dynamisme dans une ville".
Cette équation n'échappe pas aux trois maires rencontrés par franceinfo. Tous, à des degrés divers, sont bien conscients des difficultés posées par la forte proportion de résidences secondaires dans leurs communes. "Les jeunes ménages ne peuvent pas s'installer", constate Jean-Marie Labesse, 61 ans, maire de Damgan. Il n'hésite pas à parler d'un "déséquilibre" à "corriger". "En tant que maire, nous avons des outils, il faut les utiliser, comme on le fait depuis cinq ans", expose-t-il. Sur un terrain municipal, il a fait construire un lotissement de 21 lots, dont 11 à prix réduit pour les primo-accédants et quatre à loyer modéré. Des lotissements similaires existent à Arzon et Saint-Gildas. Dans les trois communes, les nouveaux plans locaux d'urbanisme imposent à chaque constructeur privé de proposer 20% à des prix accessibles.
Emilie, 27 ans, a bénéficié d'un tel dispositif. Préparatrice en pharmacie à Sarzeau, avec un revenu mensuel de 1 400 euros, elle ne pouvait pas devenir propriétaire sur le marché privé ou y louer un appartement. "Même un loyer, c'est hors de prix sur la presqu'île. Ici, c'est trop coté, c'est du luxe, constate-t-elle. Ma chance, c'est que j'ai pu trouver un terrain communal, à 120 euros le m2". L'an prochain, elle quittera le domicile de ses parents pour s'installer à Saint-Colombier, un hameau de la commune de Sarzeau situé à l'entrée de la presqu'île, sur un terrain séparé du golfe par la départementale.
Alain Layec veut croire que ces outils permettront d'arriver à 50% de résidences secondaires. "A quelle échéance, je ne sais pas, mais c'est l'objectif", assure le maire de Saint-Gildas. Jean-Marie Labesse est moins optimiste : "Ce n'est pas avec cela que nous allons inverser la tendance, mais nous maintenons de l'activité toute l'année". Les opposants aux résidences secondaires sont dubitatifs. "20% pour les résidents principaux, c'est déjà la proportion que l'on a dans ces communes, observe Ewan Thébaud. On ne va pas bétonner toutes les terres agricoles alors que des maisons vides existent." Le militant propose des outils radicaux : statut du résident, comme le réclament les Corses, et quota de résidences secondaires.
A Arzon, l'histoire d'une maison du lotissement communal du "clos Tumiac" illustre bien la difficulté de faire évoluer les mentalités. Construite en 2006 pour de jeunes ménages primo-accédants, elle était soumise à des clauses anti-spéculatives, qui permettaient à la mairie de la racheter, en priorité, à prix coûtant si elle était mise en vente dans les 15 ans. "Quand on sait sur Arzon la difficulté qu'ont les familles qui viennent s'installer de trouver des maisons en location, je trouve que c'est une belle opportunité pour la commune d'acheter cette maison", commente une conseillère de l'opposition dans l'enregistrement du conseil de décembre 2018. La mairie a finalement refusé de l'acheter pour 213 000 euros. "Un choix financier", selon le maire Roland Tabart. Rien à voir, assure-t-il, avec le fait qu'elle était vendue par l'un de ses adjoints. La maison, qui aurait pu être proposée à un loyer modéré, a finalement été vendue au prix du marché, 310 000 euros. Un prix peu abordable pour un jeune couple.
* Le prénom a été modifié à la demande de l'intéressé.