« Voilà, je devais le dire un jour : je suis raciste »


Aldo Brina. Photo: Greg Clément.

Aldo Brina est Chargé d’information sur l’asile au CSP Genève et s’engage depuis 2007 au cœur du réseau de défense des réfugiés. Dans la réflexion ci-dessous que nous publions dans son intégralité, Aldo Brina s’interroge sur ce qu’est le racisme, puis sur la manière de le combattre, y compris dans ses formes les plus sournoises.

«Voilà, je devais le dire un jour : je suis raciste.

Je sais, ça risque de surprendre pas mal de monde. Quinze ans à défendre le droit d’asile, plusieurs années à présider la coordination contre la xénophobie. Mais il fallait que je le dise.

Il fallait que je le dise parce qu’en fait, en Suisse, je me sens très seul, parce qu’il n’y a pas de racistes. Dans la conception dominante, raciste, tu l’es ou tu l’es pas. Et l’immense majorité a décidé qu’elle ne l’était pas. Les racistes, ce sont seulement ces types qui ont un drapeau du troisième Reich, ou qui affirment que les noirs sont des singes, et plus personne, ou presque, n’a ça ou ne dit ça. Donc il n’y a plus de raciste, et la lutte contre le racisme, c’est une exagération.

Ben moi je ne suis pas de cet avis. Alors je le dis haut et fort : je suis raciste. Le racisme ce n’est pas qu’une opinion qu’on clame, c’est aussi des pensées fluides qui pénètrent les esprits les mieux intentionnés, des cimetières indiens (et africains) sur lesquels on a construit notre présent, des institutions qui font partie de l’état de droit tout en étant, dans des mesures variables, racistes.
Une émission de télévision très regardée titrait : la Suisse est-elle raciste ? Ça n’a aucun sens. La question n’est pas de l’être ou de ne pas l’être. La question c’est qu’est-ce qu’on fait de ces réflexes, de ces pensées, de ces comportements, de cette histoire que nous partageons toutes et tous. Comment les combattre comme on a vaincu le féodalisme, la peine de mort ou le tabagisme ?

Moi, j’avoue, quand je croise une personne noire en bas de mon boulot, mon premier réflexe c’est de penser qu’elle vient consulter une de nos permanences juridiques on sociales. Pas qu’elle est peut-être la patronne de la société informatique qui vient réparer notre réseau ou une journaliste qui vient couvrir une conférence de presse.

Le parlement qui me représente comprend 0% de femmes ou d’hommes noir-e-s. C’est pas le même pourcentage quand je prends le bus.

Chaque jour, pour appliquer les lois de mon pays, des équipes de police arrêtent au petit matin des familles, le plus souvent noires ou racialisées, les mettent dans un avion de force. Des décisions de justice ont reconnu des insultes racistes dans ce cadre mais moi, je dors pareil la nuit. Je vois des personnes noires se faire contrôler dans la rue et je ne me pose pas trop de questions. La police s’occupe des délinquants, non?

Donc comprenez, je ne me sentais pas complètement à ma place parmi tous ces gens, bien-pensants, qui ne sont pas du tout racistes, jamais. Donc cet aveu, ça m’enlève un poids.

Je force le trait et j’entends d’ici les cris d’orfraie : s’infliger une telle culpabilité, blabli blabla. Une responsabilité, pas une culpabilité. Pas se lamenter, pas se flageller, mais se rappeler que y aura toujours du boulot. On ne vous demande pas d’être jugé-e-s avec le policier qui a assassiné George Floyd, on aimerait juste que vous vous demandiez que faire pour que cela soit impossible en Suisse.

Je suis raciste et, d’ailleurs, j’ai très peu d’ami-e-s noir-e-s. Trop peu.
Une prochaine fois, je vous expliquerai que je suis aussi sexiste…»