Il y a quelques semaines, j’ai été approché par une journaliste d’Europe 1 qui cherchait un homme allié du féminisme pour intervenir. J’avais préparé quelques réponses aux questions qu’on allait me poser. Au cas où j’en aurai besoin par la suite, voici ce que j’avais prévu de dire.
Des références
Je n’avais pas le temps de glisser dans mes réponses le nom de toutes les femmes qui m’ont inspiré et continuent à le faire sans que ça soit indigeste ou que ça ne rende pas justice.
Aussi, j’ai préparé une liste que je vais transformer – au fil des mois – en une série de billets sur ce blog, qui s’appellera « Sorcières ».
Vous Boris, vous préférez le terme « allié du féminisme », parce que vous êtes un homme. Vous entendez quoi par ce terme d’allié ?
La question de savoir si un homme peut ou ne peut pas être féministe est une question qui revient souvent, et qui est importante. L’idée est de situer d’où on parle et, n’étant pas une femme, je ne peux pas dénoncer les violences qui leur sont faites de la même manière qu’elles le feraient. Mais je sais aussi que cette explication est une porte ouverte pour une conversation plus longue donc quand une personne me demande si je suis féministe, et que je n’ai pas le temps de tout expliquer, je dis « oui ».
Je préfère cependant le terme « d’allié », car en dépit de toute l’empathie et la compassion dont je suis capable, je reste un homme blanc qui n’a jamais souffert du sexisme, que la société n’incite pas au quotidien à se sentir mal dans sa peau ou dans son travail ou dans son rôle de père… ma vie est très paisible, si on la compare à celle des militantes féministes qui sont harcelées chaque jour.
Cela se traduit comment au quotidien pour vous ?
C’est un peu compliqué comme question. Comme tous les sujets politiques, l’incidence sur le quotidien dépend beaucoup des gens que je croise, des situations.
Au quotidien, ça consiste surtout à écouter, à lire. Les femmes autour de moi, bien sûr, mais aussi, pro-activement, à m’informer parce qu’une fois qu’on a compris qu’on ne vit pas ce que vivent les femmes, le mieux c’est quand même d’aller écouter ce qu’elles ont à dire.
Il y a plein de podcasts, de comptes twitter, de livres à lire… Quand on cherche à s’informer, ce ne sont pas les sources qui manquent et les femmes qui écrivent ces livres ou animent ces podcasts sont souvent très accessibles et n’hésitent pas à référencer leurs travaux respectifs. Quand on commence à s’informer, on trouve donc vite des expertes dans différents domaines, des bases de données de références…
Vous dites que l’une des choses les plus importantes que l’on peut faire quand on est un allié, c’est d’aller contredire les autres hommes. Que voulez-vous dire ?
Il ne s’agit pas de contredire pour le plaisir, bien sûr ! Mais j’ai assisté à pas mal de scènes qui m’ont dérangé, tout au long de ma vie. Des hommes qui parlaient mal à des femmes pour la simple raison qu’elles étaient des femmes. Des « non mais laisse tomber, elle est hystérique, agressive, elle défend ses petits, elle en fait tout un drame » en parlant de collègues qui avaient le malheur d’avoir des convictions. Des blagues douteuses, avec des « mais c’est juste pour rire, hein ? ».
Dans ces moments-là, je crois qu’il est important de manifester son désaccord à la personne responsable, lui signaler que son propos est possiblement sexiste et l’inviter à y réfléchir, à travailler sur elle-même pour, au moins, se poser la question. Attention : c’est loin d’être suffisant. Mais c’est nécessaire.
Pourquoi un homme pour contredire d’autres hommes ? Ça pourrait être aussi des femmes ?
Je crois qu’il faut qu’on prenne nos responsabilités. Cette société dans laquelle les hommes ont le pouvoir et dans laquelle les femmes, où qu’elles soient, luttent, c’est nous – les hommes – qui l’avons créée.
Je ne me vois pas aller demander aux femmes de faire le ménage qu’on devrait faire nous-mêmes. Certaines font un travail remarquable pour informer, corriger, dénoncer, et c’est déjà énorme. Les autres sont suffisamment occupées, dans leur vie quotidienne, par le sexisme, le harcèlement, le plafond de verre, les injonctions à la maternité, la sexualité, la soumission… pour ne pas qu’on leur demande, en plus, de venir nous éduquer.
Vous dites aussi que devenir un allié des féministes passe aussi par l’interrogation de ses propres comportements. Qu’entendez-vous par là ?
Comprendre que le sexisme est systémique, c’est aussi comprendre que ce système nous forme, nous modèle pour que nous – les hommes – soyons sexistes. Nous sommes tout autant soumis à des injonctions, à un certain modèle de virilité, à occuper l’espace physique comme l’espace de parole, à rentrer dans « le moule » de la masculinité. Notamment dans des moments très importants pour notre construction psychologique, comme le lycée.
Alors oui, se rendre compte qu’on souhaite devenir un allié, ça implique de se déconstruire, de se poser des questions, de se rendre compte aussi qu’on n’a pas toujours eu les bonnes réponses ou les bons comportements au bon moment, et de reconnaître qu’on ne les aura pas non plus toujours à l’avenir, du moins pas tout de suite, et peut-être jamais. Mais ça n’empêche pas de continuer d’essayer.
Vous êtes le père de deux enfants de 5 et 8 ans. Comment les éduquez-vous ? Comment vous emparez-vous de la question de l’égalité ?
5 et 8 ans, c’est très jeune mais ils comprennent plein de choses donc on en parle, assez simplement. Je les incite à lire et regarder des programmes intelligents, ce qui n’est pas si compliqué, en fait, parce qu’on trouve pas mal de choses en cherchant un peu. Il faut en revanche avoir un peu de temps, et j’ai aussi le privilège d’en avoir.
Mais je crois que le truc le plus important et concret que je fais, c’est ce que ma mère a fait pour moi aussi : leur apprendre à s’occuper d’eux-mêmes et de leur maison. Aucune égalité n’arrivera jamais tant qu’on n’aura pas une répartition cohérente des tâches ménagères dans les foyers voire même que les hommes en feront plus que les femmes parce que les femmes sont souvent soumises à des injonctions supplémentaires par le reste de la Société, relatives à la beauté, par exemple.
Mon fils de huit ans sait ranger sa chambre, passer l’aspirateur, lancer une machine ou faire cuire des pâtes (sous surveillance, mais quand même). À 5 ans, mon autre fils maitrise déjà le couvert et commence à passer l’éponge. Quand ils ont du temps libre, on regarde d’abord ensemble s’il y a des choses à faire dans la maison avant de se jeter dans un de leurs loisirs.
À la maison, ils aiment parler avec nous de ce qu’ils aiment ou de ce qu’ils auront le droit de faire quand ils seront grands. C’est très libérateur pour eux parce que nous les laissons imaginer ce qu’ils veulent, et on se rend compte très vite que – même à 5 ans – les injonctions sont déjà très fortes.
Si j’avais eu le temps, j’aurais raconté l’histoire des chaussures roses et sa suite.
Que pense votre femme de vos pensées féministes ?
J’espère qu’elle en pense du bien ! J’essaie de faire mon possible pour lui permettre d’avoir du temps pour elle et de vrais loisirs qui lui font plaisir. Professionnellement, elle sait que je n’attends pas d’elle qu’elle pose des jours de congés pour s’occuper des enfants ou faire des concessions pour privilégier ma carrière. C’est pas le bout du monde, mais c’est ce qui est attendu de la plupart des femmes.
Et en même temps, quand j’en parle à certains autres hommes, on a vraiment l’impression que je suis une sorte de hippie, un doux dingue. Moi, en tant qu’homme, j’ai juste l’impression d’avoir été placé deux marches au-dessus d’elle dès la naissance. En faisant ce que je fais, je descends d’une marche et lui permets d’en monter une, et comme ça je m’assure qu’on s’aime d’égale à égal.
Le jour J, je n’ai pas pu dire tout ce que je voulais dire, mais c’était pas mal quand même.
Boris, 35 ans, se définit comme un "allié" des féministes : "Cela consiste surtout à écouter les femmes et à s’informer. Je pense qu’en tant qu’hommes, il faut qu’on prenne nos responsabilités".@OlivDelacroix #Europe1 pic.twitter.com/6DZpco2ZeP
— Europe 1 📻 (@Europe1) March 22, 2019