Ce qui pourrait être autrement : éloge de l’inutilité


L’“utilité” semble être une valeur universelle. Dès que l’on fait quelque chose, on se demande à quoi ça sert, en quoi cela est “utile”. Tout est soumis à ce régime qui est finalement celui de l’impératif universel de productivité: si on dort, c’est utile pour être plus productif le lendemain ; si on regarde un film, c’est utile car cela accroît notre richesse intérieure - notre capital personnel ; si on fait une promenade, cela améliore notre condition physique ; même baiser sert à perdre des calories ou à augmenter notre niveau de sérotonine…

Toute activité, ou mieux, toute action, doit être évaluée sur cette base. J’ai déjà proposé un éloge de l’oisiveté sur ce blog. Là j’aimerais aller plus loin et défendre l’idée d’inutilité.

J’ai envie de pouvoir faire, penser, écrire des choses inutiles, qui ne servent absolument à rien. Des choses gratuites, dont les conséquences ne sont pas importantes ou, de toute manière, ne constituent pas une cause finale. J’ai envie de faire aussi des choses nuisibles, qui nuisent à l’impératif de productivité, qui cassent cet espèce de flux insensé. J’ai envie de perdre du temps, de développer un outil informatique qui ne sert à rien, qui ne fonctionne pas, qui ne fait pas gagner du temps, qui n’est même pas beau - car la beauté aussi est assujettie à l’utilité.

J’ai envie qu’on ne juge et n’évalue pas le monde sur la base de son utilité, mais sur d’autres bases, multiples: le plaisir? le bonheur? le potentiel d’émerveiller? la gratuité?

Je l’affirme: non, la philosophie ne sert à rien. Elle complique la vie, elle casse ce qui marche, elle arrête le flux, elle rend compliquée les choses simples.

Et ce soir j’irai me coucher uniquement pour dormir.