? Apprendre à apprendre. Leçon 1 : L’art de la mémoire (archive)

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apprendreQuelles sont les meilleures techniques pour apprendre ? Comment s’aider/aider à apprendre une leçon, à consolider un apprentissage, à retenir un nouveau concept ou un ensemble de faits et de procédures qui vont nous être utiles dans le futur ? Comment re-mobiliser une connaissance, en retrouver la trace dans notre mémoire pour résoudre un problème nouveau ? Est-ce que la mémoire a des limites ? Jusqu’à quel point peut-on la charger ? Faut-il désapprendre pour mieux apprendre ? Quelle est la place de l’erreur dans l’apprentissage : vaut-il mieux chercher à apprendre sans erreurs, ou plutôt créer un festival d’erreurs pour se décomplexer face au risque ? Et enfin, est-ce que l’apprentissage doit être perçu comme quelque chose de facile, une activité qui nous viendrait sans effort, ou bien il y aurait un niveau désirable de difficulté à poursuivre pour rendre les apprentissages plus saillants et plus durables ? Mais alors … comment motiver les élèves, et nous motiver nous mêmes à poursuivre cette difficulté ?

41ckcnLp1jL._SX331_BO1,204,203,200_Dans ce billet je m’appuie sur un ouvrage récent, écrit par deux chercheurs en sciences cognitives qui ont dédié leurs carrières à l’étude de la mémoire et de l’apprentissage (Henry Roediger, Mark McDaniel) – avec l’aide d’un « vrai écrivain » (Peter Brown) pour soigner la lisibilité des informations fournies. (Le livre sera disponible en septembre en version française, aux éditions Markus Haller).

Make-It-StickLes auteurs  renvoient à des recherches d’ordre théorique et fondamental sur la mémoire et l’apprentissage, permettant de suggérer des idées et stratégies pour mieux apprendre; mais ils s’appuient aussi, aussi souvent que possible, sur des études expérimentales qui ont permis de valider l’efficacité de certaines stratégies dans des contextes d’apprentissage différents. Ces études sont de plus en plus nombreuses et permettent, finalement, des donner des indications d’ordre pratique et appliqué pour  la classe – et pour les apprenants plus en général. Le livre, et ce billet par conséquent, comportent donc des conseils pour les élèves et des conseils pour les enseignants.

Une mise au point est d’abord nécessaire : nous pouvons avoir l’impression de tenir la « bonne stratégie » pour apprendre, mais le plus souvent…  nos intuitions concernant ce qui constitue une bonne stratégie (voire la bonne stratégie pour nous) ne sont pas correctes. Elles peuvent en effet naître d’illusions et d’autres processus qui nousBeau-Lotto-Cube-Illusion-color-perception cachent la réalité de ce qui se passe effectivement dans notre cerveau.

D’où l’intérêt de se tourner vers les sciences qui étudient l’apprentissage et la mémoire de manière scientifiquement rigoureuse, et notamment vers les recherches qui ont pour but de transférer les connaissances de laboratoire dans les situations réelles d’apprentissage et de mesurer les effets de l’une et de l’autre stratégie.

Dans ce qui suit,  je vous propose de découvrir des stratégies qui ont fait leurs preuves et, par la suite, des idées fausses et illusions concernant l’apprentissage, et comment y remédier…


Bonnes stratégies

1. La récupération en mémoire est une stratégie puissante d’apprentissage.  

keep-calm-and-test-616Les psychologues connaissent depuis longtemps les effets de la récupération en mémoire sur l’apprentissage. En laboratoire ils se manifestent, même si on ne le voudrait pas, sous forme d’un « effet test »: lorsqu’un sujet participe à une expérience, le simple fait de passer un test initial induit un apprentissage des tâches testées ; ceci oblige les chercheurs à mettre en place des groupes de contrôle qui passent les mêmes tests pour s’assurer que l’intervention proposée après le test a un effet réel en plus et en dehors de « l’effet test ». La recherche expérimentale sur l’apprentissage a confirmé que la pratique de la récupération en mémoire des connaissances, des concepts, des compétences étudiés en favorise l’apprentissage, et notamment favorise  la construction d’un apprentissage durable. Cette pratique a été comparée en particulier avec la pratique qui consiste à se ré-exposer au même matériel à apprendre. Elle s’est révélée significativement plus efficace.

L’effet test repose non seulement sur une base empirique solide (les expériences qui en montrent l’efficacité ayant été répétées à plusieurs reprises et dans des situations d’apprentissage différentes, avec des apprenants de différents âges et pour différentes formes de contenu), mais se fonde aussi sur une base théorique permettant de l’expliquer: la récupération en mémoire, notamment lorsqu’elle est pratiquée de façon répétée et espacée (on va voir bientôt ce que cela veut dire) aide à consolider les représentations (renforce les connexions au niveau cérébral qui concernent une certaine représentation) et à multiplier les voies d’accès, et donc de récupération vers ces mêmes représentations. Non seulement la mémoire est consolidée, mais elle augmente la probabilité de retrouver la représentation en mémoire au moment où on en aura besoin.

L’effet test est d’autant plus puissant si :

L’effet test est d’autant plus puissant que :

Donc, quelques recommandations:

2. La pratique espacée et variée aide à consolider les connaissances.  

Il est courant de penser que pratiquer, pratiquer, pratiquer permet de mieux inscrire un concept, une connaissance, une compétence en mémoire; que donc il faudrait rester focalisé sur le même sujet tant que celui-ci n’a pas été maîtrisé pleinement, avant de passer au suivant. Cette idée, bien que répandue, n’est pas nécessairement correcte. Voire, elle est en conflit avec les résultats de la recherche qui montrent que la pratique espacée et variée est plus efficace que la pratique concentrée, du moins sur le long terme.  A court terme, en effet, se focaliser sur un apprentissage spécifique permet d’obtenir des bénéfices rapides – ce qui peut aussi expliquer la popularité de cette technique d’étude.

Si l’apprentissage durable est l’objectif, alors il vaudra mieux suivre les recommandations suivantes:

3. L’effort est bon pour l’apprentissage, mais pas les difficultés inutiles et exagérées. 

Nous entendons de plus en plus le refrain selon lequel l’apprenant devrait arriver à apprendre, dans le meilleur des mondes possibles, sans s’en apercevoir et sans effort. Qu’il faudrait donc enlever toute difficulté des situations d’apprentissage, faire de l’apprentissage une sorte de jeu (mais dans le jeu, ne fait-on pas justement des efforts?). Cette idée contraste avec les résultats de la recherche rapportés ci-dessus, qui montrent au contraire qu’il existe un niveau désirable de difficulté qui rend la compréhension plus profonde et l’apprentissage plus durable.

Et que:

Relire ne demande pas un effort majeur; se tester, se tester à distance, générer des réponses oui. Et ce sont ces dernières les techniques qui se révèlent être les plus efficaces pour un apprentissage durable et pour aider à « retrouver ses mémoires ».  Même des petites difficultés de « lecture » (un texte mal focalisé) ont donné des résultats positifs sur la compréhension et la rétention. Mais plutôt que de créer de fausses difficultés à l’apprentissage, il semble plus raisonnable –  à la lumière des connaissances sur le fonctionnement de l’encodage des connaissances apprises, sur leur consolidation durable en mémoire, sur leur récupération  pour les remobiliser et utiliser – d’adopter les attitudes et stratégies coûteuses (en termes d’effort et donc de difficulté) suivantes:

Et pour cela:

L’idée de base: lorsqu’il faut faire un effort pour comprendre et pour apprendre, l’apprentissage se fait mieux et plus en profondeur. Mais attention: toute difficulté n’est pas la bienvenue! Ajouter du stress émotionnel inutile par exemple constitue une difficulté indésirable, qui nuit à l’apprentissage! Les tests « surprise », la pression mise sur l’élève et sur la performance (plutôt que sur l’effort) sont plutôt du côté obscur de la difficulté…

En général, les difficultés indésirables semblent être celles qui 

Par contre, la difficulté utilisée peut être  contre-intuitive.

Et ceci bien que se tester avant d’apprendre expose de façon tout à fait naturelle à faire des erreurs. Ce qui, d’ailleurs, nous en dit long à propos de l’erreur dans l’apprentissage…

Les auteurs du livre invitent d’ailleurs à accepter que l’erreur est une bonne chose et pas une malediction qui entrave et encombre l’apprentissage. Avoir peur de commettre des erreurs, de perdre la face ou de ruiner l’image de l' »élève intelligent » est un obstacle majeur à la curiosité, aux expérimentations, et aussi un risque avéré pour retrouver la motivation suite à un échec. Les auteurs du livre citent une phrase de Thomas Edison qui me semble à propos ici (à propos de ses supposés 10000 essais pour inventer l’ampoule électrique): « Je n’ai pas échoué ; j’ai juste trouvé 10000 manières dans lesquelles ça ne marche pas. » On peut se rassurer du fait que, même si s’exposer à l’erreur augmente les chances d’apprendre l’erreur, le feedback concernant l’erreur est efficace pour le corriger, et même aide à apprendre et à retenir la « bonne solution ». Par exemple, nous avons vu que le fait de se pré-tester avant d’avoir appris une leçon (de se poser des questions et d’y donner des réponses qui ont des chances d’être erronées) est l’un des systèmes les plus efficaces pour apprendre le contenu ou la solution correcte lorsqu’elle sera présentée.

Recommandations:

4. On peut améliorer ses capacités, même si le cerveau n’est pas un muscle, parce qu’on peut adopter de bonnes stratégies et de bonnes attitudes face à l’apprentissage. 

Il existe de nombreuses techniques de mémorisation – utilisées par exemple par les champions de la mémoire, mais aussi par les « magiciens » et illusionnistes.  Leur rôle est non seulement de permettre d’encoder l’information, mais surtout de créer des indices pour la retrouver facilement. 9782701193632FS-2Certaines de ces techniques consistent à

Ces techniques ont en commun le fait de ne pas constituer de simples entrainements: le cerveau n’en devient pas plus tonique, mais chaque technique permet d’apprendre des contenus en particulier et suite à un effort conscient et durables.

Elles ressemblent donc plus à la pratique délibérée nécessaire pour devenir expert dans un domaine qu’à de la « gym pour le cerveau »! Ce genre de pratique, en raison de l’effort qu’elle coûte et de sa nature souvent contre-intuitive, nécessite dans la plupart des cas d’un coach, maître, guide, capable de soutenir et motiver l’effort nécessaire.


Des idées fausses mais répandues, et leurs bonnes raisons

5. Les meilleures stratégies pour apprendre ne sont pas nécessairement celles qui nous apparaissent comme telles, celles que nous affectionnons ou considérons efficaces pour nous. Elles peuvent au contraire être fortement contre-intuitives.

Des erreurs classiques que nous faisons concernant l’apprentissage sont liées à la sensation immédiate de familiarité que certaines techniques font naître en nous, et aussi aux résultats positifs que nous obtenons grâce à ces techniques… sur le court terme. Malheureusement, il nous est difficile d’évaluer ce qui reste de nos apprentissages à distance de temps.

Exhausted Student Falling Asleep While Cramming --- Image by © Randy Faris/Corbis

Exhausted Student Falling Asleep While Cramming — Image by © Randy Faris/Corbis

Un exemple frappant: qui d’entre nous n’a jamais adopté la technique qui consiste à relire, relire, relire un texte pour l’apprendre? Cette technique est, en effet, parmi les plus fréquemment utilisées par les élèves et les étudiants. Autre exemple: qui n’a jamais pratiqué l’apprentissage massé avant un examen, un contrôle? C’est-à-dire, concentré tous ses efforts sur  un aspect particulier et très limité d’un problème, une liste de concepts, de façon exclusive, s’interdisant de penser ou de passer à autre chose tant que le contenu en question n’est pas maîtrisé et « appris »?  Or, nous venons de voir que relire un texte plusieurs fois et concentrer la pratique d’une nouvelle compétence ou connaissance sur un arc de temps court et sans interruptions ni variations dans les sujets à apprendre (relire, relire, relire; pratiquer, pratiquer, pratiquer) donnent des mauvais résultats en comparaison avec d’autres techniques – comme se tester ou générer des réponses, voire générer des réponses avant même d’apprendre un certain sujet, pratiquer des sujets en alternance, en interposant des pauses entre une séance d’étude et une autre sur le même sujet. Les résultats sont particulièrement mauvais si on regarde l’effet sur la rétention à long terme.  Mais cet effet peut facilement nous échapper…

6.  Lorsqu’on s’expose et on se ré-expose à des connaissances (par exemple, en relisant un texte), on acquiert une sensation de familiarité avec celui-ci. La sensation de familiarité nous induit facilement en erreur en créant une illusion de connaissance. Mais il y a d’autres formes d’illusion de connaissance qu’il faudrait connaitre pour les prévenir et combattre efficacement. Voici quelques illusions de connaissance qui concernent aussi bien les enseignants que les élèves et étudiants:

Une considération d’ordre général s’impose: (se) tester, (s’)évaluer n’est pas juste un moyen de mesurer connaissances et compétences, mais une stratégie puissante pour apprendre.

7. Construire des connaissances est un effort conscient, qui dépasse la préférence pour un style d’apprentissage ou un autre.  

Bien qu’à la mode, les « styles d’apprentissage » (par exemple ceux qu’on appelle VAK: styles visuel, acoustique, kinesthésique; mais il en existe une grande variété, par une diversité d’approches, souvent issus de la formation des adultes en entreprise) ne sont pas des conceptions qui s’appuient sur des preuves empiriques d’efficacité.  Une analyse de la littérature compréhensive, publiée en 2009, a fait le point sur les requis nécessaires pour considérer ces techniques comme étant valides, et a cherché à les identifier dans les recherches publiées à cette date. Sans succès.

La même considération s’applique aux  intelligences dites multiples (introduites par le cognitiviste Howard Gardner) et qui suggèrent l’existence de talents (plus que d’intelligences) variés et spécifiques à chaque individu.

Bien que les différences interindividuelles entre apprenants soient indéniables, rien ne permet de dire qu’il faudrait s’adresser à chacun seulement par une modalité de présentation, ou se limiter à renforcer des talents et des préférences difficiles à déterminer.

Ce qui semble plus utile est, au contraire:

En d’autres termes: varier les présentations et aider la structuration des connaissances.

 


Mises en garde

« it’s wise to be skeptical »: « ‘Il est sage d’être sceptique« , nous avisent les auteurs du livre dès son introduction. « Il est toujours facile de trouver des conseils, ils ne sont qu’à quelques clics de souris. Cependant, ce n’est pas souvent le cas qu’ils soient fondés sur de la vraie recherche – loin de là. Ni  que tout ce qui fait l’objet de recherches soit aussi conforme aux requis de la science: que des contrôles rigoureux assurent que les résultats d’une étude sont objectives et généralisables, par exemple. Les meilleures études sont celles de nature expérimentale: le chercheur développe une hypothèse et puis la teste par le moyen d’une série d’expériences  qui doivent répondre à des critères rigoureux de design et d’objectivité. »

Dans le livre que j’ai présenté par ce billet, les auteurs se réfèrent donc autant que possible à des études expérimentales, qu’ils ont conduites ou que d’autres laboratoires ont développées, et qu’ils détaillent dans les notes. Lorsque ce type de connaissance n’est pas disponible, ils s’appuient sur des connaissances d’ordre théorique permettant de restreindre le champ des possibles concernant les stratégies les plus à même de marcher, compte tenu des mécanismes fondamentaux de fonctionnement du cerveau. Ils ont le réflexe très honnête de déclarer quand ils parlent à partir du premier plutôt que du deuxième point de vue.


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