title: Démographie et climat url: https://medium.com/enquetes-ecosophiques/d%C3%A9mographie-et-climat-5a6ef5be37ed hash_url: b3cc2d11841a4042ce64d51e5eb1a687
Pour “sauver la planète” faut-il d’abord réduire la population ? On entend souvent que la démographie est une priorité pour l’écologie, de nombreuses associations ont même été créées sur le sujet, et le débat s’enflamme régulièrement dans la communauté. Selon certaines études, avoir un enfant est de loin la pire chose qu’on puisse faire envers le climat. En tant qu’individu “écolo”, faut-il renoncer à avoir des enfants, et se culpabiliser pour ceux qu’on a déjà ? Comment éclaircir le sujet et apporter une réponse rationnelle ? C’est parti pour une enquête pleine de surprises sur le climat¹ et la démographie² ³.
On peut avoir l’impression qu’elle augmente de plus en plus vite, et même qu’elle suit une courbe exponentielle en regardant d’assez loin ou en plissant les yeux. C’est pourtant une illusion d’optique, ou plus souvent une présentation trompeuse. Le taux de croissance⁴ de la population mondiale décroît régulièrement depuis 1970 et les projections de l’ONU estiment une stabilisation de la population autour de 2100 :
La population mondiale augmente ou diminue par la différence entre mortalité et natalité. Elle se stabilise car tous les pays (sans exception jusqu’ici) passent par ce qu’on appelle une “transition démographique”. Si les taux de natalité commencent élevés, c’est une norme culturelle qui assure la stabilité de la population dans un monde à forte mortalité. La mortalité commence à baisser grâce à l’augmentation du niveau de vie, les progrès de l’hygiène et de la médecine. A ce moment la population augmente rapidement, car la natalité baisse plus tard et plus lentement.
La baisse de la mortalité faisant politiquement et philosophiquement l’unanimité, la marge de manœuvre que tout le monde regarde est la natalité. Son meilleur indicateur est le taux de fécondité (pour être exact, l’indicateur conjoncturel de fécondité) :
Taux de fécondité = nombre moyen d'enfants par femme en âge de procréer
Dans le cadre de la transition démographique la fécondité diminue progressivement pour atterrir autour d’un taux où les naissances compensent les morts, donc qui assure la stabilité de la population. Ce taux, appelé “seuil de renouvellement des générations” est autour de 2,1 enfant par femme dans les pays développés, de 2,3 en moyenne dans le monde, et peut monter jusqu’à 3,4 : il dépend de la répartition de la population entre hommes et femmes, et de la mortalité avant l’âge d’avoir des enfants. Aujourd’hui la plupart des pays ont un taux de fécondité en dessous de 2,1, donc leur population baisserait à long terme si elle n’était pas complétée par les migrations.
Quelques grands pays sont en fin de transition démographique avec une fécondité proche de 2,1, en particulier l’Inde avec 2,28 en 2018 (probablement déjà en dessous de son seuil de renouvellement en raison de la mortalité infantile et du déséquilibre entre les sexes). D’ailleurs l’Inde, c’est plus d’un milliard d’habitants, lorsqu’on la décompose par état on se rend compte qu’elle n’est pas du tout homogène : la moitié des états sont sous 2,1, pour la moitié de la population. On reviendra aussi plus tard sur la différence entre population rurale et urbaine. En revanche atteindre 2,1 ne signifie pas que la population va se stabiliser immédiatement : les générations récentes plus nombreuses auront aussi des enfants, qui ne seront pas “annulés” par les morts de générations anciennes moins nombreuses. La stabilisation est nettement plus lente, ce qu’on appelle “l’inertie démographique”. Ainsi la population chinoise augmente encore doucement malgré un taux de fécondité très bas de 1,6 enfants par femme.
Il reste deux grands groupes de pays moins avancés dans leur transition démographique, en vert sur la carte : l’Afrique intertropicale et les pays moyen-orientaux moins développés (principalement Irak, Yémen, Afghanistan, Pakistan). Rappelons que cela correspond aussi à une mortalité, notamment infantile, beaucoup plus élevée que dans les pays plus riches. La plupart de ces pays en transition ont un taux de fécondité en baisse régulière, comme on le voit sur l’historique des 8 pays les plus peuplés au dessus de 2,1 … sauf rare accident de parcours comme la crise économique en Égypte :
La transition démographique est favorisée par de nombreux éléments : développement économique, santé, éducation (principalement des filles), travail des femmes, normes sociales, incitations et interdictions, contraception, retraites, système de santé … Il est difficile de séparer ces différents facteurs, et leur importance relative semble varier fortement selon les pays : j’ai pu trouver toutes sortes d’estimations différentes et de cas particuliers. En tout cas leur combinaison est importante, même s’ils en font partie il ne suffit pas de distribuer des contraceptifs pour engager la transition démographique.
La transition démographique peut-elle “reculer” en cas de crise, comme on l’a vu en Égypte ? Lorsqu’on regarde un échantillon de pays en difficulté ils restent tous sur une pente nettement décroissante, seuls l’Irak et le Zimbabwe ont connu un plateau temporaire de fécondité. En regardant sur 40 ans il y a seulement quelques augmentations temporaires (Somalie, Yémen, Congo, Haïti, Algérie). J’avoue avoir été très surpris de ne trouver aucune rupture brusque : les guerres ou les famines n’ont pas d’effet notable sur la fécondité, dans un sens ou dans l’autre.
L’ONU produit régulièrement des projections qui font autorité, et vient de publier (juin 2019) sa dernière version :
La nouveauté de ce rapport est que la fécondité semble rester durablement et nettement sous le seuil de 2,1 dans les pays développés, qui se dirigent donc vers une décroissance démographique en douceur. L’ONU estime maintenant une convergence des taux de fécondité vers 1,9, alors que les versions précédentes visaient 2,1.
Par contre attention au piège⁵ ! Les scénarios présentés généralement comme “haut” et “bas”, les pointillés bleus, sont en fait construits par une différence arbitraire de fécondité de plus ou moins 0,5 enfants par rapport au scénario moyen. Cela est intéressant pour analyser la sensibilité d’autres variables face à la fécondité, mais a peu de sens pratique : une variation aussi forte partout dans le monde est extrêmement improbable, cela doublerait l’évolution du scénario moyen. Il faut donc l’utiliser avec précaution, nous y reviendrons. Les scénarios haut et bas les plus pertinents pour une analyse générale, ce sont plutôt les petits pointillés rouges (intervalle de confiance à 95%).
Comment calcule-t-on ces projections ? En prolongeant par pays l’évolution des taux de fécondité, de mortalité et les migrations. Les démographes calculent “toutes choses égales par ailleurs” : ils n’ont pas de boule de cristal et ne peuvent pas prévoir le reste de l’évolution du monde (politique, guerres, famines, crises, etc). C’est ce qu’on peut faire de mieux en restant rigoureux, mais cela pose un problème particulièrement gênant dans le cadre de l’écologie : on ne peut pas penser en même temps que le monde subira des crises écologiques majeures dans le futur proche et que la population va continuer à évoluer comme si de rien n’était. Certains estiment qu’un monde à 4°C de réchauffement pourrait ne pas soutenir plus de 4 milliard d’habitants. C’est probablement une vision pessimiste mais elle relativise fortement les projections de 11 milliards d’habitants en 2100. Prenons pour exemple le Niger, pays à la plus haute fécondité mondiale (7 enfants par femme), pour 20 millions d’habitants aujourd’hui. C’est aussi un des pays les plus pauvres du monde, à 90% désertique, qui souffre régulièrement de famines touchant la majorité de la population. Qui croit vraiment qu’avec la désertification, le manque d’eau et l’instabilité politique dans la région le pays pourra multiplier sa population par 8 pour atteindre 160 millions d’habitants en 2100, soit une fois et demie la densité actuelle de la France ? Dans le cas du Niger, même la projection de 60 millions en 2050 laisse dubitatif. Ce n’est pas vrai pour tous les pays, en particulier un certain nombre de pays africains peuvent accueillir une population nettement plus élevée, mais il faut s’interroger selon chaque contexte local.
Alors, les démographes de l’ONU sont-ils idiots ? Absolument pas, ils font leur travail de démographes, qui est d’estimer les évolutions de population à partir des tendances démographiques actuelles. C’est bien pour cela qu’on parle de projections et non de prévisions, et la distinction est importante. Les ̶i̶d̶i̶o̶t̶s̶ imprudents sont ceux qui reprennent ces chiffres dans le débat public sans aucun recul. C’est tout aussi peu pertinent que les calculs de réduction du PIB de 10% pour 6°C de réchauffement en 2100. Les projections ne sont pas non plus entièrement inutiles, il faut avoir une idée d’où on va.
Pour la suite je me limiterai aux projections pour 2050, assez proches pour rester dans le domaine du raisonnable. C’est aussi une échéance importante pour l’écologie : pour limiter le réchauffement à 1.5°C il faudra être neutre en carbone à cette date, quel que soit le nombre d’humains. Miraculeusement cet objectif commence à faire l’unanimité dans le monde politique et économique en France. Le gouvernement l’a prévu dans une loi, et les présidents de Renault et BNP ont présenté une étude sur cet objectif financée par la moitié des entreprises du CAC40. C’est du sérieux, au moins pour l’instant comme objectif affiché et partagé, en attendant les mesures correspondantes… C’est à l’aune de cet objectif qu’on pourra mesurer l’importance de la démographie pour le climat.
Je ne m’intéresserai pas aux projections pour 2100 : le monde aura très profondément changé, que ce soit par une transition vers une société plus soutenable, ou contraint par des catastrophes écologiques, auquel cas nous ferons face à des problèmes bien plus graves que la population. Aujourd’hui ce qui nous menace en 2100 c’est l’épuisement de la plupart des ressources, un réchauffement d’au moins 4°C, une chute violente de la productivité agricole et une partie importante de la planète inhabitable. Qu’on le veuille ou non, nous serons très loin du “toutes choses égales par ailleurs”. Enfin la plupart des systèmes écologiques, notamment le climat, ont une inertie importante : en 2100 il sera trop tard pour éviter ces catastrophes, c’est aujourd’hui qu’il faut agir. L’autre problème pour 2100, c’est qu’on risque dans tous les cas de ne plus avoir beaucoup de combustibles à brûler !
En fait, même sur la démographie il y a débat : la transition démographique est beaucoup plus rapide dans les villes que dans les campagnes, et le monde s’urbanise plus vite que prévu (ce qui n’est pas vraiment une bonne nouvelle pour l’environnement). Ces projections verraient la population mondiale atteindre son maximum en 2050 plutôt qu’en 2100, entre 8 et 9 milliards. Je n’ai pas d’avis sur ce point, et cela ne change pas notablement le chiffre en 2050.
Il faut bien compter l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre. Dans les pays riches on brûle beaucoup de combustibles fossiles (émissions de CO2), mais dans les pays pauvres c’est le protoxyde d’azote des engrais et surtout le méthane du bétail qui sont largement majoritaires :
Malheureusement les données sur l’ensemble des gaz à effet de serre ne sont pas disponibles largement, notamment sur les outils de graphiques (si quelqu’un en connaît un ayant à la fois les données démographiques et climatiques à ce niveau, je suis preneur !). Sauf indication contraire je ferai les calculs sur l’ensemble mais les graphiques portent uniquement sur les émissions de CO2. On peut constater que celles-ci varient très fortement entre les pays, et de manière à peu près proportionnelle au niveau de vie, c’est-à-dire au PIB par habitant :
On obtient un résultat similaire avec l’empreinte écologique, indicateur qui agrège plusieurs mesures de pollution, avec un peu moins d’écarts.
Soyons fous un instant et oublions les frontières pour nous intéresser aux individus réels. Cela n’a pas été étudié partout, mais les résultats en Allemagne, Canada, Hongrie et à l’échelle mondiale indiquent que la même relation de proportionnalité entre revenu et empreinte écologique s’applique bien à l’échelle individuelle. Lorsqu’on compte par individu, les 10% des habitants les plus riches du monde sont responsables d’autant d’émissions que les 90% les plus pauvres. Pour être exact, la courbe des émissions par niveau de revenu s’aplatit à partir d’un certain niveau, les riches consommant en proportion moins de leurs revenus :
A garder en mémoire pour relativiser les arguments fallacieux comme “fin du monde contre fin du mois” ou “la décroissance va empêcher les pays pauvres de se développer” : aujourd’hui ce sont les “riches” (ce qui inclut, à l’échelle mondiale, le Français moyen) qui sont de très loin les responsables. C’est aussi une des grandes difficultés de l’écologie des petits gestes individuels, le niveau de revenu reste de très loin le meilleur prédicteur de l’empreinte écologique, la conscience écologique ou la plupart des actions individuelles n’ont qu’un impact mineur aujourd’hui. Par contre l’individualisation du calcul des émissions ou de l’empreinte écologique a aussi des limites : une grande partie dépend d’un système économique et politique sur lequel l’individu n’a qu’un pouvoir très limité, notamment les grandes entreprises et l’énergie. Et attention à ne pas l’utiliser pour dépolitiser le problème.
Maintenant passons aux émissions de CO2 en fonction de la fécondité :
On aurait pu s’en douter, mais la plupart des pays les plus émetteurs, à la fois en valeur absolue et par personne, sont des pays riches qui ont déjà terminé leurs transition démographique. Si on les sépare en trois groupes, en calculant bien sur l’ensemble des gaz à effet de serre :
Pour mettre ces chiffres en perspective, le voyage aérien c’est autour de 5% des émissions de l’humanité (attention à bien compter tous les effets et pas seulement le kérosène brulé), alors que 90% des humains n’ont jamais pris l’avion. Les émissions des pays pauvres en forte croissance démographique sont négligeables aujourd’hui par rapport à celles des pays riches. C’est tout aussi vrai pour l’historique des émissions passées, celles qui ont déjà réchauffé le climat et continuent à le transformer aujourd’hui : la grande majorité est due aux pays développés.
Décomposer ainsi est indispensable pour ne pas tomber dans des contresens complets. On lit souvent des raisonnements comme “Entre 1990 et 2014, les émissions de CO2 dans le monde ont crû de 58 %, mais seulement de 15 % par tête d’habitant. L’augmentation de la population y a donc contribué environ pour les trois-quarts.” C’est numériquement vrai, mais c’est une incompréhension totale ou plus probablement une manipulation : ce calcul mélange l’augmentation des émissions dans certains pays et de la population dans d’autres. Le problème classique des moyennes trop larges : “quand Bill Gates entre dans un bar, en moyenne tous les clients sont milliardaires”. L’illusion disparaît dès qu’on décompose un peu plus finement, par exemple comme je l’ai fait plus haut (c’est un peu moins faux sur les émissions passées, où la population peut avoir fortement augmenté même si le taux de fécondité est faible aujourd’hui).
Le GIEC même ne fait pas mieux, en calculant de manière globale (WGIII 1.3.1) les facteurs d’évolution des émissions, et met en avant le graphique du résultat en l’incluant dans la synthèse :
C’est d’autant plus regrettable que les auteurs insistent juste après (WGIII 1.3.1 p129, mais pas dans la synthèse) sur les limites de l’analyse globale et les différences locales importantes, et alors que le reste du rapport (notamment WGIII 5) propose des décompositions beaucoup plus fines. J’aimerais voir le résultat du calcul par pays, puis additionné à l’échelle mondiale. Voici celui du GIEC par grande région, où l’on voit déjà une baisse importante du facteur population :
Il faudrait décomposer plus finement l’Asie : entre 2000 et 2015, 60% de l’augmentation mondiale des émissions a été en Chine. Les émissions chinoises ont augmenté de 151%, la population de seulement 9%.
Il vaut mieux être très prudent avec le concept de “population mondiale”, qui amalgame des situations extrêmement différentes . Même au niveau des pays c’est souvent discutable, par exemple en Inde on va mélanger la famille rurale pauvre à forte natalité avec la famille de classe moyenne urbaine qui consomme de plus en plus mais avec une fécondité inférieure à la moyenne européenne.
Nous venons de voir qu’il est très délicat de mesurer la “part de responsabilité” de la population dans les émissions, on ne peut donc pas se contenter de raisonnements simplistes comme “la population est un problème donc il faut la réduire”. Oui, la population mondiale a explosé au XXè siècle, c’est un fait et on ne changera pas le passé. La question pertinente est : aujourd’hui (plutôt qu’il y a 50 ans), que peut-on faire et pour quel résultat ? Il faut définir des mesures applicables et les évaluer.
Commençons par ce qui semble une évidence : si nous étions deux fois moins nombreux, toutes choses égales par ailleurs, l’humanité émettrait deux fois moins de gaz à effet de serre, et produirait deux fois moins de pollution de manière générale. Ce raisonnement est tellement courant qu’il a pu devenir le scénario d’un film grand public. Cette “évidence” n’est pourtant pas forcément pertinente. L’effet rebond peut être très important, ce sera peut-être un monde où tout le monde ira en week-end à Ibiza, alors que les émissions par personne aux Etats-Unis sont deux fois la moyenne en Europe, pour un niveau de vie très proche. Au rythme actuel de croissance des émissions, on atteindrait rapidement le même niveau. On peut douter de la capacité de l’humanité à agir avant d’être au pied du mur. Il suffirait de “supprimer” les 10% les plus riches pour arriver au même résultat sur les émissions, comme nous l’avons vu plus tôt. Et évidemment, on ne peut pas rayer d’un trait de crayon des êtres humains. Il faut se poser la question des moyens à la fois réalistes et éthiques pour agir sur la démographie et les émissions.
Comment aller plus loin et lier numériquement les émissions et la population ? Nous allons partir d’une équation toute simple, l’équation de Kaya, qui décompose les émissions en fonction des individus⁶ :
Émissions = nombre de personnes x émissions par personne
C’est une identité, c’est forcément vrai, mais pas forcément pertinent non plus. On peut par exemple décomposer en fonction de la production de tomates, ce sera tout aussi vrai mais sans aucun intérêt. Sur la population et le climat, si le Qatar est en haut du classement des émissions par habitant, ce n’est pas à cause du style de vie décadent de ses habitants (qui sont à 85% des immigrés précaires de pays pauvres), mais de son importante industrie gazière.
Une conclusion évidente de cette équation est que réduire la population de 10% et les émissions par personne de 10% ont le même effet global (c’est en fait une approximation, les variables ne sont pas indépendantes). On peut donc s’en servir pour comparer⁷, en mettant de côté les complications éthiques de comparer une vie et un voyage à Bali sur leurs bilans carbone respectifs.
Alors, à quel point réduire la population serait-il utile pour le climat ? Pour le savoir il faut simuler les évolutions respectives de la population et des émissions par personne. Je n’ai trouvé qu’une seule étude récente (2010) sur le sujet : “Global demographic trends and future carbon emissions”. C’est l’étude qui est citée partout sur le sujet, mais souvent au 2è ou 3è degré.
Cette étude utilise les scénarios d’émissions de l’IIASA, un modèle économique complexe, et la différence entre les scénarios démographiques haut et moyen de l’ONU. Par contre elle ne compte que le CO2 et pas l’ensemble des gaz à effet de serre, ce qui sous-estime la part des pays à forte natalité (2% au lieu de 3,5%). Après calculs, le résultat de l’étude est une différence de 16% des émissions en 2050 dans un scénario “business as usual”⁸ :
Que nous dit exactement ce résultat, et pourquoi la Chine a-t-elle autant de poids, et l’Afrique subsaharienne si peu ? Rappelez-vous le scénario haut de l’ONU, celui qui est obtenu par augmentation générale du taux de fécondité de 0,5. Ce scénario ne correspond directement à aucune projection plausible ou politique applicable, mais a effectivement beaucoup plus d’effet dans les pays à faible natalité et émissions élevées, comme la Chine, que dans ceux à natalité forte et émissions faibles. Cette étude ne dit donc absolument rien sur la transition démographique ou les marges de manœuvre réelles pour réduire les émissions en agissant sur la population, contrairement à ce que laisse entendre le résumé : “we show that slowing population growth could provide 16–29% of the emissions reductions suggested to be necessary by 2050 to avoid dangerous climate change”. Il faut comprendre “si la fécondité baisse de 0,5 partout dans le monde”, ce qui est donc purement théorique. Personne ne propose de baisser la fécondité en Chine de 0,5, alors qu’elle n’est qu’à 1,6 enfants par femme, et cela n’aurait absolument rien à voir avec la transition démographique. C’est peut-être clair pour les spécialistes du domaine, mais pas pour le reste du monde. C’est malheureusement la source originale de cet appel de milliers de scientifiques à, entre autres mesures, limiter la population. Voici la chaîne de citations :
Il ne faut pas y voir de complot ou de plan diabolique de Brian O’Neill, plutôt un jeu de “téléphone arabe” qui surinterprète de plus en plus un résultat scientifique initial limité. Ironiquement l’article grand public a le pire titre mais est plus juste sur le fond, en appelant à une réduction générale de population sans mentionner la transition démographique. L’appel qui ne l’écrit pas explicitement non plus évoque des moyens d’action qui sont exactement ceux de la transition démographique. L’article le plus fallacieux de cette chaîne est probablement celui de Science, qui s’emploie à ne pas utiliser une seule fois le terme “transition démographique”⁹ alors qu’il ne décrit que des pays à forte fécondité, et fait comme si ces pays étaient concernés par les réductions d’émissions évoquées (l’auteur est le même et devrait connaître cette limite de son résultat précédent). Cet article reconnaît pourtant, sans aller plus loin, que les émissions par personne sont faibles là où des mesures démographiques classiques peuvent baisser la natalité. Il y a une autre occasion manquée dans l’article de 2012, qui note que certaines mesures sur la transition démographique résulteraient en une baisse de la fécondité proche du 0,5 de variation des scénarios de l’ONU. Pourquoi alors ne pas reprendre le calcul de 2010 en l’appliquant uniquement aux pays concernés ? Je vais donc le faire très approximativement (le tableau de données n’étant plus disponible il faut mesurer les pixels sur le graphique et extrapoler l’Afrique) : ce sera autour de 1% de réduction des émissions totales. Ce n’est pas nul, mais ça ne mérite probablement pas d’être en tête des priorités¹⁰.
Drawdown est tout aussi mauvais sur le sujet : il prend de même la différence entre les scénarios haut et moyen (tout en reconnaissant cette construction comme arbitraire sur le site). Il divise ensuite en deux l’effet entre le planning familial et l’éducation des filles (alors qu’il existe une littérature abondante sur les nombreux facteurs de la transition démographique). Le total arrive second dans la “liste des solutions”, alimentant l’illusion que la transition démographique est un enjeu prioritaire pour le climat. Non, la fécondité dans les pays riches, qui sont les principaux émetteurs, ne sera pas réduite de 0,5 en augmentant l’éducation des filles et le planning familial.
Nous avons calculé précédemment que les pays en cours de transition démographique représentent autour de 3,5% de l’ensemble des émissions mondiales. Les scénarios de l’IIASA utilisés dans l’étude précédente prévoient une croissance économique forte pour ces pays, mais ne rattrapant pas du tout les pays développés, qui continuent aussi leur croissance. Les chiffres ne sont pas détaillés par pays, mais l’Afrique dans son ensemble passe de 6% des émissions de CO2 mondiales (dont 1% pour l’Afrique intertropicale, celle à forte natalité aujourd’hui) à 8% en 2050. Quelle que soit la marge de manœuvre sur la transition démographique, la différence en termes d’émissions sera faible. Nous avons beau avoir peur du rattrapage de notre niveau de vie non soutenable par les pays moins développés, il est beaucoup trop lent aujourd’hui, et probablement dans le futur proche. C’est d’ailleurs l’explication principale à la lenteur de sa transition démographique : l’Afrique intertropicale ne se développe pas assez vite.
Nous venons de voir que la transition démographique des “pays pauvres” est en fait un problème très secondaire pour les émissions de gaz à effet de serre, cela veut-il dire qu’il ne faut rien faire ? Pas forcément, car ce maigre résultat peut être obtenu de manière très efficace, par exemple il suffirait de 6 Md$ par an pour rendre la contraception largement disponible partout dans le monde, pour environ 20 millions de naissances en moins chaque année. Si l’on estime le résultat à 1% de réduction des émissions en 2050, comme calculé par l’étude précédente, c’est probablement une des mesures les plus efficaces qui soit. Malheureusement il existe très peu de “low hanging fruits” de cet ordre.
Par contre le fait climatique principal pour ces pays est qu’ils seront aussi les plus fragiles face au réchauffement climatique, et une population plus élevée amplifiera les difficultés. C’est particulièrement le cas au Sahel, qui souffre déjà particulièrement de la combinaison du réchauffement climatique et de la pression démographique.
La population reste un facteur critique quand on élargit le problème à l’ensemble de l’environnement, notamment l’eau, les sols, la déforestation, la biodiversité, les déchets … En particulier on trouve dans ces domaines des écarts moins grands entre “riches” et “pauvres” que pour les émissions¹¹ :
On a beau calculer que l’Afrique est en moyenne nettement moins dense que l’Europe, si l’on enlève les déserts, la densité des espaces habités n’en est pas si loin, et l’expansion humaine se fera au détriment d’espaces naturels, notamment des forêts. Beaucoup de pays en cours de transition démographique manquent déjà d’eau, de production agricole, et dégradent rapidement leurs écosystèmes :
Il faut donc bien aider les pays pauvres à réaliser leur transition démographique, mais d’abord pour eux et leurs environnements, pas pour réduire le réchauffement climatique. On évite au passage les relents néocolonialistes du discours tristement courant “il faut d’abord limiter les naissances dans les pays pauvres plutôt que réduire notre train de vie”¹². C’est d’autant plus intéressant que dans ces pays la réduction de la croissance démographique devrait aussi se traduire par un enrichissement, contrairement à la plupart des mesures écologiques dans les pays riches.
Nous avons vu que les pays riches sont responsables de la grande majorité des émissions de gaz à effet de serre, donc y réduire la population aurait un effet important, d’autant plus si la réduction touche des individus riches. La grande difficulté est de savoir comment, pour quelle acceptabilité politique, quel résultat, et quelle échéance.
Pour les pays en début de transition démographique on connaît les principales politiques, mais elles font l’unanimité et sont déjà appliquées dans la majorité des cas (dans la limite des moyens souvent réduits des états concernés). Il est possible de les amplifier mais il n’y aura pas de miracle : le développement prend du temps. Quelques rares mesures à court terme peuvent être efficaces mais non suffisantes, par exemple en Afrique 1/4 des femmes souhaitent des moyens de contraception mais n’y ont pas accès. La limitation autoritaire du nombre d’enfants n’a été adoptée que par deux pays dans le monde, la Chine et le Vietnam. Le débat reste d’ailleurs ouvert sur l’efficacité réelle de la politique de l’enfant unique en Chine, la fécondité ayant surtout baissé avant.
Pour les pays en fin de transition ou après, la grande majorité, c’est beaucoup plus compliqué : les mesures à la fois consensuelles et efficaces sont épuisées. Le niveau d’éducation est déjà élevé, les femmes plutôt bien intégrées au marché du travail, les retraites sont assurées, les moyens de contraception largement disponibles … d’ailleurs le taux de fécondité continue toujours à diminuer dans la plupart de ces pays, souvent nettement sous le seuil de renouvellement des générations. Pour diminuer encore la fécondité il ne reste que les changements culturels et les mesures autoritaires. Les premiers sont très lents et inégalement répartis, la dernière mesure du désir d’enfant en France (2013) donne une moyenne de 2,3 enfants par couple. Les seconds semblent très loin d’être acceptables politiquement aujourd’hui¹³. La transition démographique a été très rapide dans certains pays (par ex l’Iran) mais il semble beaucoup plus facile de convaincre les gens de passer de 6 à 2 enfants que de 2 à 1 ou 0.
Quel serait l’effet d’une limitation des naissances, qu’elle arrive volontairement ou autoritairement ? Je n’ai trouvé qu’un calcul au niveau mondial, mais on peut calculer rapidement un ordre de grandeur pour la France. Le nombre d’enfants par famille est disponible sur le site de l’INSEE (il faut extrapoler le détail des familles de 4 enfants et plus). Interdire les enfants au dessus de 2 reviendrait à diminuer de 13% le nombre total d’enfants dans les familles. Ce chiffre est en baisse rapide, le recensement précédent donnait 15%, j’estime donc que cela reviendrait à baisser les naissances autour de 10% aujourd’hui. Ce faible chiffre n’est pas surprenant, avec un taux de fécondité moyen de 1,9 il n’y a pas beaucoup d’enfants au dessus de 2. Il ne reste plus qu’à comparer ce scénario sur le simulateur de l’INED (en mode simulation libre) avec celui sans modification.
Résultat : -5% de population en 2050. Cela ne nous amène pas bien loin, et encore le calcul a été large. Le taux de fécondité étant en baisse le nombre d’enfants au dessus de 2 continuera à baisser, et on a oublié tous les détails embêtants comme les jumeaux et autres naissances multiples, les familles séparées ou recomposées, ou les enfants des viols, sujet explosif au Royaume-Uni qui a réduit les allocations au dessus de 2 enfants.
Quid donc des réductions d’allocations promues par certains ? Ce sera en tout cas moins de 5%. Le gouvernement britannique n’a pas donné d’estimation des effets prévus sur la démographie, mais cite une étude sur la forte augmentation des allocations en 1999. On mesure une augmentation de la fécondité de 15%, mais qui concerne uniquement les 20% les plus pauvres de la population, soit une augmentation du taux de fécondité total de 3%. En simulant une réduction équivalente on arrive à un ordre de grandeur de 2% de population en moins en 2050.
Pour obtenir un effet non négligeable il faut passer à la politique de l’enfant unique, en sachant que la réduction des allocations au Royaume-Uni est déjà extrêmement impopulaire. Dans ce cas on arrive à une réduction de la population d’environ 19% en 2050, par contre bienvenue dans un monde sans jeunesse¹⁴ :
Et par curiosité, que se passerait-il si tout le monde renonçait à avoir des enfants ? Une réduction de 36% de la population en 2050.
Bref, je doute fortement de la possibilité politique de réduire nettement et rapidement la population en agissant sur la natalité en France, et plus largement dans les pays riches ayant fini leur transition démographique.
L’autre “possibilité” reste une augmentation forte de la mortalité par guerres, famines et maladies, que personne ne souhaite. Rappelons que ces événements ne sont pas simplement une “réduction numérique” de la population, mais détruisent profondément la société. C’est d’ailleurs ce qui risque d’arriver dans cette Afrique dont l’explosion démographique annoncée fait trembler dans les chaumières, mais qui reste le continent le plus fragile économiquement, politiquement et écologiquement.
Attention, si on applique directement le résultat de ces calculs à l’équation de Kaya on fait comme si tous les individus avaient la même empreinte carbone, alors qu’en pratique elle varie très fortement par revenu et par âge, et se révèle notamment beaucoup plus faible pour les enfants et jeunes :
Nos chiffres estimés surestiment donc nettement la réduction des émissions, car d’ici 2050 ce sont principalement des enfants qu’on aurait évité.
Nous allons les calculer en France pour essayer d’atteindre l’objectif de neutralité en carbone en 2050, ce qui nécessite de diviser nos émissions totales environ par 7 (l’objectif du gouvernement français est entre 6 et 8). On arrive au chiffre facile à retenir d’une tonne équivalent CO2 par habitant et par an, soit le niveau aujourd’hui du Bangladesh ou de Madagascar¹⁵. Diviser par 7 en 30 ans c’est réduire d’un peu plus de 6% par an, et encore on ne compte pas les importations, qui augmentent de 50% le bilan carbone du français moyen (soit une division par 12 pour atteindre la neutralité carbone).
Faut-il regarder plus tard que 2050, quand les mesures démographiques auront plus d’effet¹⁶ ? Il n’y a pas de “vérité scientifique” sur la question mais je ne pense pas, pour plusieurs raisons:
On l’a vu, il n’y aura pas de mesure consensuelle sur la démographie, et des politiques impopulaires comme les allocations dégressives ou même la limite à deux enfants auront un effet très réduit (-5% en 2050). Même la mesure la plus radicale qui soit, interdire entièrement les enfants, ne réduit la population française que de 36% en 2050. Je ne vois pas comment faire plus sans tuer des gens, et il resterait à diviser les émissions individuelles par 4,5 (-78%) après cette mesure si on considère (généreusement) que cela réduit d’autant les émissions. Ne nous voilons pas la face : l’immense majorité de l’effort doit porter sur les émissions par personne, quelle que soit l’évolution de la population et ce, même si l’humanité renonce demain aux enfants. Et pour diviser ces émissions par 4, 7 ou 12 pas de miracle, les petites améliorations sont très loin de faire le compte, il faudra des changements profonds de notre mode de vie, de notre système économique et de notre culture. Rappelons qu’une tonne de CO2 par personne et par an c’est le Bangladesh ou Madagascar.
Il n’y a pas non plus de “vérité scientifique” sur la facilité à mettre en place telle ou telle mesure, mais je vous laisse juger en comparant mes estimations en France avec les mesures proposées par le Shift Project pour l’Europe, que j’ai recalculées par rapport aux émissions totales²² :
Aujourd’hui il me semble plus facile politiquement de fermer les centrales à charbon que mettre en place l’enfant unique, qui semble très loin d’être acceptable. L’interdiction totale des enfants ne le sera probablement jamais. Convaincre les gens semble très lent, mais je suis preneur de plus de sources sur la question. La seule mesure mise en place dans des pays riches, la suppression des allocations au dessus de 2 enfants, est déjà extrêmement impopulaire alors qu’elle n’est pas coercitive.
Est-ce que les mesures pour arriver à la neutralité carbone sont si radicales qu’elles nous feraient revenir au Moyen-âge, ce qui pourrait laisser préférer une limitation des enfants pour l’atténuer ? Pas vraiment. Cela va seulement augmenter fortement un certain nombre de coûts (notamment énergie et transport), ce qui devrait provoquer une décroissance générale du PIB et en particulier des secteurs les plus polluants. Il y a eu peu de réduction des émissions aujourd’hui, par contre en élargissant à l’empreinte écologique il y a déjà des pays soutenables avec un indice de développement humain élevé. Les stars de ces classements sont des pays inattendus comme le Costa Rica ou Cuba:
A titre personnel, faut-il renoncer aux enfants pour réduire son empreinte carbone ? Vous avez sans-doute entendu parler de l’héritage carbone sans connaître son nom , par exemple dans ce graphique de l’AFP :
Avoir un enfant semble de très loin la pire chose qu’on puisse faire pour le climat. Ce chiffre est tiré d’une publication scientifique de 2017 particulièrement populaire ? En plus en lisant l’étude on s’aperçoit que le chiffre est divisé par l’espérance de vie, et qu’il correspond à un seul parent. Ainsi un enfant compte pour environ 10 000t de CO2, 1000 ans d’émissions avec une moyenne annuelle de 10t. Comment est calculé ce chiffre gigantesque ? Il vient d’une autre étude, datant de 2008, dont nous allons présenter et analyser ici le raisonnement.
Les auteurs ont choisi de considérer qu’un individu est responsable de la moitié des émissions de son enfant (estimées sur toute sa vie), 1/4 de son petit enfant, 1/8 de la génération suivante, 1/16, 1/32 … Si chacun a deux enfants :
Ces émissions sont additionnées jusqu’à la fin des temps, à partir d’évolutions estimées des taux de fécondité et des émissions de gaz à effet de serre. Le total est appelé “héritage carbone”, et correspond à la part d’émissions futures dont le parent est “responsable”.
Ce principe pose déjà plusieurs problèmes fondamentaux :
Vous vous êtes sans doute rendu compte que dans le schéma plus haut chaque génération a un total d’émissions d’une personne. Si votre descendance continue à se reproduire en assurant le renouvellement, on additionne une vie d’émissions pour chaque génération jusqu’à la fin de l’humanité … Pour éviter d’obtenir un total infini ou ridiculement grand (jusqu’à la fin du soleil ? Des atomes ?), ce qui ne serait pas très crédible, il faut soit que les émissions deviennent nulles, soit que l’humanité s’éteigne progressivement.
Les auteurs choisissent une hypothèse d’un des modèles démographiques de l’ONU : la fécondité va converger à 1,85 enfants par femme dans tous les pays en 2050, et ils considèrent qu’elle restera à ce niveau jusqu’à la fin des temps. Problème : ce chiffre n’est qu’une hypothèse pour réaliser des projections à court terme, et n’a aucun sens à long terme, pour lequel personne n’a de boule de cristal. Ce taux a aussi l’avantage de faire diminuer la population à chaque génération et donc d’obtenir un résultat fini … c’est-à-dire l’extinction de l’humanité. Qui peut vraiment croire qu’en l’an 3000 l’humanité va s’éteindre progressivement par manque d’enfants ?
Pour les émissions par personne ils évaluent trois scénarios :
Seul le premier scénario semble envisageable. C’est pourtant le second scénario, celui des émissions constantes jusqu’à la fin des temps, qui est mis en avant et présenté dans le résumé comme “scénario moyen”.
Voici le résultat du calcul pour les pays étudiés :
L’échelle est logarithmique et le chiffre par femme, à diviser par deux pour obtenir le résultat par parent. La barre horizontale au milieu est le scénario “émissions constantes”, soit 9 441 tonnes de CO2 par enfant et par parent aux États-Unis. Pour comparaison l’empreinte carbone de l’Américain moyen est autour de 19t par an. Le scénario aux émissions décroissantes aboutit à 562 tonnes, soit 17 fois moins.
Reprenons : le principe du calcul souffre de défauts fondamentaux rédhibitoires et ses hypothèses sont des estimations absurdes de population et d’émissions jusqu’à la fin des temps. Tout cela nous donne le résultat gigantesque de 9 441t, qui n’a rien à voir avec les chiffres de bilans carbone que nous utilisons d’habitude. Il est donc absurde de les comparer, comme l’étude initiale sur l’impact carbone des choix de vie le fait. Bref, il vaut mieux oublier ce concept d’héritage carbone qui n’a aucune valeur pratique et n’aurait jamais dû sortir tel quel du monde de la recherche. J’avoue être consterné que ce calcul semble l’inspiration principale pour un certain nombre de gens qui renoncent aux enfants.
Par ailleurs il n’y a pas d’“enfant moyen”. Si je nourris mes enfants de steaks et les emmène tous les week-ends en avion, “leur” impact sera beaucoup plus élevé que si je transitionne en famille vers un mode de vie plus soutenable. Un parent est directement responsable de l’impact écologique de ses enfants pendant environ 20 ans, et d’une bonne partie de ses habitudes et valeurs pour la suite.
Quelle serait l’empreinte carbone des 20 premières années d’un enfant né demain, en partant de la même répartition par âge qu’aujourd’hui et en considérant que les émissions diminueront de 6% par an (ce qui n’est évidemment pas le cas globalement aujourd’hui, mais n’est pas trop loin de la portée d’un parent motivé) ? Autour de 51t, 26t par parent, à comparer aux 9441t de l’étude initiale. En utilisant le même mode de calcul que l’étude initiale (divisé par 80 ans car u̶n̶ ̶c̶h̶i̶f̶f̶r̶e̶ ̶t̶r̶o̶p̶ ̶é̶l̶e̶v̶é̶ ̶s̶e̶r̶a̶i̶t̶ ̶p̶e̶u̶ ̶c̶r̶é̶d̶i̶b̶l̶e̶ avoir un enfant est une décision sur l’ensemble de la vie), je vous propose donc ce graphique corrigé (qui est évidemment indicatif, il n’y aura pas de vérité scientifique sur le concept de responsabilité, ni de boule de cristal pour les émissions futures) :
Nous nous sommes penchés sur les pays “pauvres” et “riches”, raccourci pour désigner les pays en cours de transition démographique (fécondité > 3,4, 2% des émissions mondiales) et ceux ayant fini leur transition (fécondité ≤ 2,1, 80% des émissions mondiales). Qu’en est-il de tous les autres, cela change-t-il la donne ? En particulier l’Inde, pour 7% des émissions mondiales ? Lorsqu’on la regarde plus en détail, il y a en fait une Inde urbaine (“riche”) qui concentre la majorité des émissions mais avec un taux de fécondité bas, et une Inde rurale (“pauvre”) avec peu d’émissions et une fécondité plus élevée :
Notre dichotomie un peu simpliste s’applique donc toujours dans ce cas. Je n’ai pas trouvé de données récentes aussi précises pour les autres grands pays concernés mais il est probable qu’on aura des situations similaires. En tout cas il n’y a pas de grand pays avec à la fois une fécondité élevée (où des mesures pour la transition démographique seront efficaces) et de fortes émissions (où la réduction de population aura un effet important sur les émissions mondiales).
Augmente-t-on les émissions en “transformant” un habitant d’un pays pauvre peu polluant en habitant d’un pays riche plus polluant ? Le sujet sent le soufre car c’est principalement l’extrême droite qui s’en inquiète (mais pas seulement). Je n’ai pas trouvé d’étude sur le sujet et beaucoup de chiffres manquent, mais un certain nombre d’éléments peuvent nous éclairer.
Déjà, seuls 1/3 des migrants quittent un pays pauvre pour un pays riche, notamment car migrer loin coûte cher. Pas de chiffres sur le niveau de vie, mais un tiers des migrants dans les pays riches a un niveau d’études élevé, un tiers faible. Un migrant peut aussi être riche dans son pays d’origine (au dessus de la moyenne des émissions) et pauvre dans son pays d’arrivée (en dessous de la moyenne). Aujourd’hui le solde migratoire en France est modeste, +58 000 en 2018, contre +144 000 de solde naturel (différence entre naissances et décès), soit 0,1% de la population chaque année¹⁷. Dans l’ensemble des pays développés le total de migrants présents augmente au rythme de 2 millions par an, sans déduire les émigrants. C’est, là aussi, peu par rapport à leur population (plus d’un milliard, soit moins de 0,2% par an). Tous ces indices laissent penser que le problème est marginal aujourd’hui, et concordent avec les conclusions des démographes sur la faible importance des “migrations de la misère vers la richesse”. Les chiffres sont encore plus clairs pour les réfugiés, qui vont dans leur immense majorité dans les pays voisins.
“Et l‘avenir’ ?” me répondrez-vous, avec ses centaines de millions de réfugiés climatiques ? Peut-être (plus probablement ils vont rester dans le même pays ou les pays voisins) … sauf si les pays riches font ce qu’ils devraient faire de toute façon : nettement baisser leurs émissions par personne ! Dans ce cas la différence d’émissions sera beaucoup plus faible, ou même nulle. Répétons une dernière fois que la neutralité carbone en 2050 cela correspond aux émissions par personne (une tonne équivalent CO2) du Bangladesh, source future probable de nombreux réfugiés climatiques. Le bengali qui émigre dans la future France neutre en carbone n’augmente pas ses émissions. Rappelons aussi que les 10% les plus riches sont responsables de 50% du réchauffement climatique et me semblent donc avoir une responsabilité morale d’accueillir les victimes de leurs émissions, en particulier les plus pauvres, qui sont à la fois les moins responsables et ceux qui en souffrent le plus.
Je ne me prononcerai pas ici sur une raison éthique valable pour ne pas vouloir d’enfants : penser que nos existences vont nettement empirer, peut-être même que le monde va s’effondrer dans d’atroces souffrances et vouloir leur éviter ce destin désagréable. Je comprends cette inquiétude mais ne la partage pas : même si nous vivions une situation horrible je ne pourrais pas reprocher à mes parents de m’avoir mis au monde. Le sujet éthique est très délicat : toute vie “mérite”-t-elle d’être vécue, même dans des conditions difficiles ? Jusqu’où ? A titre personnel aujourd’hui je ne crois pas à l’inéluctabilité d’un effondrement, et encore moins à ce qu’il soit général et brutal, mais le risque n’est pas nul. Par contre dans ce cas, si par exemple 75% de l’humanité meurent d’ici 2060, la démographie ou l’empreinte carbone individuelle aujourd’hui n’ont aucune importance, tout sera balayé par l’effondrement¹⁸.
On peut trouver des estimations variant entre 1 et 1000 milliards selon les hypothèses, qui sont très prospectives et donc difficiles à évaluer. Dans son étude de ces estimations, qui fait référence, le démographe Joel Cohen constate qu’aucun auteur ne prend la peine de détailler le niveau de vie que cela impliquerait, la technologie, le système politique, les valeurs, et tous les autres critères nécessaires à ce dimensionnement. Il en conclut qu’aucun de ces auteurs ne cherche sérieusement à répondre à la question, mais préfère à la place mettre en avant ses préférences politiques. Les réflexions sur une “population optimale” sont encore plus discutables.
Le concept de “capacité de charge”, fréquemment utilisé en écologie, n’a que peu de sens pour les humains. L’humanité est consciente des mécanismes impliqués, et dispose d’une grande latitude pour déterminer ce qu’elle produit et consomme. Il est possible de nourrir sainement 10 milliards d’humains, de manière soutenable avec la technologie actuelle. Ce ne sera pas simple, il s’agit de transformer profondément la majorité de l’agriculture mondiale, réduire nettement la consommation de viande, le gaspillage et l’utilisation de combustibles fossiles, mais c’est possible et on sait le faire. Les études citées semblent même prendre en compte les premiers effets prévus de la dégradation actuelle de l’environnement sur les rendements agricoles, mais évidemment plus on continue à le détruire plus cela devient difficile (comme dit précédemment, nous devons agir rapidement).
On peut probablement aller beaucoup plus haut avec plus d’efforts. Ce n’est pas forcément une perspective réjouissante, mais elle permet de relativiser cette question très théorique. En pratique, les questions de répartition à l’intérieur de l’humanité et de trajectoire pour arriver à une situation soutenable sont beaucoup plus pertinentes. Le monde est déjà très inégalitaire et rappelez-vous : “le niveau de vie américain n’est pas négociable”.
Quand beaucoup de gens mentionnent la démographie et l’environnement ils sous-entendent “si ces braves gens en Afrique ou en Inde pouvaient rester dans la misère et arrêter de se multiplier, nous pourrions continuer à polluer comme si de rien n’était”. C’est en tout cas ce que laissent penser la plupart des illustrations sur le sujet, comme vous avez pu le constater si vous avez suivi les nombreux liens de cet article. Nous avons pu voir à quel point ce sentiment est faux.
La grande majorité du poids écologique de l’humanité provient des pays riches à faible fécondité, l’évolution de la population dans les pays pauvres n’y changera pas grand chose, même s’ils ont à gagner à accélérer leur transition. La démographie a de toute façon trop d’inertie pour pouvoir être infléchie fortement et assez vite pour faire une différence assez rapidement : l’urgence, c’est 2050. Nous avons calculé que la marge de manœuvre principale ne pourra être que le mode de vie et le système économique, qui devront de toute façon changer profondément quelle que soit la population. A titre individuel avoir des enfants n’est pas neutre mais peut représenter un poids écologique limité s’ils vivent de manière soutenable.
J’espère que cet article contribuera à éliminer les nombreux contresens qu’on lit régulièrement sur le sujet. Les chiffres “mentent” parfois, des calculs justes numériquement peuvent dire l’inverse de la réalité, en particulier les moyennes qui regroupent des situations très différentes. Même “la science” peut être trompeuse, nous avons croisé plusieurs publications scientifiques dont le résumé, sans être à proprement parler faux, masque les limites importantes des conclusions. Malheureusement ces conclusions ont été reprises et amplifiées dans le débat public. Il faut se pencher sur les détails des articles, en général payant, ce qui demande des compétences rares et beaucoup de temps¹⁹, et ne pas se limiter aux sources qui soutiennent son propos. Quant aux publications grand public, je me suis infligé un certain nombre d’articles et livres anti natalistes lors de mes recherches : pas un seul ne s’interroge sur les moyens réalistes de réduire la population dans les pays riches, ni sur le poids relatif de cette réduction par rapport aux objectifs climatiques …
Notez que je n’ai jamais nié l’intérêt climatique d’avoir moins d’enfants, qui n’est pas négligeable … si l’on est prêt au moins à instaurer l’enfant unique dans les pays riches. Je l’ai juste fortement relativisé par rapport à la situation actuelle, des limites éthiques raisonnables, et mon estimation de la faisabilité politique de ces mesures. Je n’ai pas non plus répondu directement aux questions pièges “la démographie est-elle un problème” ou “sommes-nous trop ?”, car elles sont peu rigoureuses et emmènent sur une pente séduisante mais extrêmement glissante : il suffirait de réduire suffisamment la population (“les autres”) pour pouvoir garder notre niveau de vie comme si de rien n’était. Il est évident que nous sommes “trop” si l’on considère notre mode de vie et notre économie comme non négociables, mais la bonne question est plutôt “comment, à partir de la situation actuelle et en restant dans un cadre éthique, arriver à une situation soutenable écologiquement pour l’humanité ?” Je ne pense pas que le monde à 1 milliard d’habitants où l’on en a tué 7 milliards (car il n’y a pas d’autre moyen pour réduire rapidement la population) est meilleur que le monde à 8 ou 10 milliards d’habitants qui se serrent la ceinture, mais c’est une position d’ordre éthique et chacun est libre de ne pas la partager.
Mon sentiment est que le débat sur la démographie nous détourne de l’injustice criante du réchauffement climatique : les pays à forte natalité sont aussi ceux qui en souffriront le plus alors que leur responsabilité est minime. Il fait facilement oublier les vrais problèmes, comment réduire notre empreinte écologique et comment partager de manière juste la capacité écologique de notre planète entre tous ses habitants. Pire, il nous fait oublier notre échec collectif à agir et laisse espérer une solution “en réduisant les autres” qui nous épargnerait tout sacrifice de notre confort ou de notre niveau de vie. On sait où cela nous amène, et cela ne se termine pas bien. La similitude avec les scénarios les plus convaincants d’effondrement écologique et social est troublante.
Enfin l’écologie n’est pas qu’un sujet technique, c’est aussi un dilemme politique de solidarité intergénérationnelle²⁰ : à quel point sommes-nous prêts à sacrifier notre niveau de vie aujourd’hui pour éviter une catastrophe très probable aux générations jeunes et futures ? Dans ce cadre, avoir des enfants peut être une bonne motivation pour ce sacrifice²¹, quel que soit leur nombre. Nos enfants sont un des rares moyens d’avoir de l’espoir, de nous projeter vraiment dans le long terme, de souhaiter et construire un monde meilleur. On peut être irresponsable ou résigné pour soi même, on n’a pas le droit de l’être pour ses enfants.
Merci pour sa relecture à Jacques Véron, directeur de recherche en démographie à l’INED et auteur du Repère Démographie et Ecologie.
J’ai donné une longue interview sur le sujet (1h40), qui apporte quelques précisions et nouvelles perspectives par rapport à l’article. Vous pouvez la retrouver sur https://www.youtube.com/watch?v=ku0t12EfuIc
[1] Pourquoi se limiter au climat ? Plusieurs raisons :
[2] Je ne rentre pas dans l’historique du sujet, tout a déjà été écrit. Nous allons essayer de l’analyser sur ses mérites propres plutôt que son historique (qui commence en général, selon l’opinion de l’auteur, par “Malthus avertissait déjà du risque …” ou “les réacs’ comme Malthus et Ehrlich se sont toujours trompés”). Les arguments sur les risques de la population ne sont pas vrais ou faux dans l’absolu, ils ne peuvent être jugés que par rapport à un contexte démographique et écologique. Je n’ai d’ailleurs pas utilisé le terme malthusien, trop connoté, et très discutable : Malthus n’était pas vraiment malthusien au sens actuel !
[3] Cet article est la deuxième version, revue en mai 2020, et de manière légère en avril 2021. La version initiale, publiée en juillet 2019, est disponible sur archive.org.
[4] Pourquoi est-ce plus pertinent de regarder le taux de croissance que le nombre ? Car biologiquement les enfants sont nés de parents, plutôt que “livrés” en quantité totale. Aussi parce qu’en prolongeant l’évolution du taux de croissance on a une meilleure vision de l’avenir qu’en prolongeant le nombre d’humains ajoutés (légèrement décroissant ces dernières années), ce qui n’a pas été toujours vrai (le taux de croissance a eu son pic dans les années 60). C’est le cas aujourd’hui car l’humanité est globalement en fin de transition démographique.
[5] Ce calcul des scénarios apparait aujourd’hui clairement sur le graphique, mais dans les versions précédentes il fallait fouiller les 300 pages de méthodologie pour s’en rendre compte. C’est peut-être évident pour les spécialistes du sujet, mais ça ne l’est manifestement pas pour la majorité des auteurs non démographes qui ont écrit dessus.
[6] Vous avez peut-être aussi déjà croisé son frère IPAT. J’ai depuis écrit plus un détail sur les intérêts et limites de ces équations.
[7] Les études sur la question trouvent en fait des rapports très variables en fonction du pays, du contexte, ou du sens de la variation. La plupart de ces résultats sont cités ici.
[8] Le scénario “business as usual” prolonge l’augmentation actuelle des émissions. Les pourcentages d’évolution sont similaires avec un scénario de réduction forte des émissions.
[9] Je ne pense pas que la vulgarisation soit un bon argument pour l’éviter. On ne peut pas discuter de démographie sans savoir dans les grandes lignes ce qu’est la transition démographique, pas plus qu’on ne peut pas discuter de réchauffement climatique sans connaître l’effet de serre.
[10] En quoi est-ce différent de l’argument fallacieux habituel “la France ne représente que 1% des émissions et donc pas prioritaire” ? La France c’est 1% de la population mondiale, les pays en transition démographique 25%. La France devra donc dans tous les cas se serrer la ceinture comme tout le monde. Le 1% de réduction par transition démographique est une mesure spécifique pas particulièrement chère ni complexe, qui du coup est intéressante.
[11] Toutes les données sont par personne et par an. Liste des sources :
- Emissions Database for Global Atmospheric Research
- The Footprint Network
- Quantifying Biodiversity Losses Due to Human Consumption: A Global-Scale Footprint Analysis. Harry C. Wilting, Aafke M. Schipper, Michel Bakkenes, Johan R. Meijer, and Mark A. J. Huijbregts. Environmental Science & Technology 2017 51 (6), 3298–3306
- The water footprint of humanity. Arjen Y. Hoekstra and Mesfin M. Mekonnen. PNAS February 28, 2012 109 (9) 3232–3237 (pourquoi le Niger consomme-t-il autant d’eau ? Pays chaud et agriculture peu productive ! Ce n’est pas toujours le cas dans les autres pays pauvres. Probablement la même raison avec le bétail pour les émissions élevées de méthane par personne.)
[12] Beaucoup d’”antinatalistes” se plaignent d’un tabou sur le sujet. Je vois plusieurs raisons possibles :
Beaucoup de personnalités publiques en écologie ont fait part de leur amusement qu’à chaque conférence quelqu’un pose la question en insistant sur le “tabou”. Pour ma part je pense que c’est d’abord une question de pédagogie : tant qu’un sujet compliqué n’est pas compris dans son ensemble on le considère comme obscur, et donc potentiellement tabou. D’où cet article.
[13] Je n’ai pas trouvé de sondage sur la question de l’acceptation d’une limite autoritaire du nombre d’enfants pour raison écologique, par contre la plupart des gens semblent (peu de sources) très attachés à la liberté de reproduction. Ils semblent aussi dans les pays riches souhaiter un peu plus d’enfants qu’ils n’en ont en moyenne, et ce nombre semble stable. Par contre il y a une majorité variable dans les pays ayant terminé leur transition pour limiter la croissance de la population par des traités internationaux, c’est-à-dire chez les autres.
[14] ce qui n’est pas vraiment problématique pour le ratio de dépendance, la baisse du nombre d’enfants compensant le vieillissement
[15] Pays tropicaux qui n’ont pas besoin de chauffage, lequel émet aujourd’hui en France en moyenne une tonne de CO2 par personne et par an.
[16] Une manière de garder un calcul rigoureux sans considérer uniquement l’année 2050 serait de calculer les émissions cumulées de scénarios de mesures à la fois écologiques et démographiques par rapport aux budgets carbone, mais c’est beaucoup plus complexe. Les “shared socieoeconomic pathways” le font partiellement, mais en mélangeant la démographie à beaucoup d’autres variables.
[17] C’est moins vrai pour le reste de l’Europe, dont le taux de fécondité est beaucoup plus bas, à 1,6.
[18] Ainsi je ne comprends pas la position d’Yves Cochet, qui à la fois prédit un effondrement général et violent dans le futur proche et soutient la natalité raisonnable (2 enfants) au nom de l’héritage carbone
[19] Les articles que nous avons vus ont des limites de raisonnement général décelables simplement, mais les détails techniques ne sont accessibles qu’à des spécialistes, ce que je ne suis pas. Impossible de réaliser une lecture critique de la plupart des publications scientifiques sans connaître déjà très bien le sujet. Les limites des articles sont aussi souvent mentionnées dans le corps par leurs auteurs, mais il faut lire le texte complet et ses notes avec attention.
[20] Ce dernier paragraphe a fait l’objet de plusieurs débats et interprétations douteuses. Évidemment, il ne veut pas dire “faites autant d’enfant que vous pouvez”. Je pense que même si ce n’est pas l’objet principal de l’article, la question politique (pourquoi faire quelque chose pour l’environnement et comment y arriver) est tout aussi importante que la question technique, et en est indissociable. “On est trop, donc arrêtez de faire des enfants” est vrai techniquement (toutes choses égales par ailleurs cela réduit les émissions) mais très discutable politiquement. C’est une solution de jeu vidéo, ou de dictature, malvenue et probablement contre-productive dans un monde démocratique rempli de vrais êtres humains qui doivent pouvoir choisir leur voie pour atteindre un monde soutenable.
[21] C’est aujourd’hui une hypothèse (“legacy motivation”) très discutée dans le monde de la recherche et seulement partiellement mesurée. En particulier, elle se révèle fausse à court terme : les parents ont des préoccupations plus pratiques pendant les premières années qui augmentent légèrement leur impact environnemental. Les premiers paragraphes de “Does having children increase environmental concern?” en font une bonne synthèse, ou ce thread twitter. L’effet de motivation est positif mais léger sur les parents étant déjà enclins à l’écologie. Il faut probablement relativiser la portée de ces résultats uniquement à court terme, dans un monde où presque personne ne fait d’effort significatif (ce qui n’a pas forcément de sens, la majorité du chemin est collectif). J’attends des études à plus long terme, et je garde cet appel en conclusion, qui reste un moyen efficace d’éveiller la conscience écologique.
[22] On peut proposer une comparaison similaire pour l’espace utilisé, premier facteur de perte de biodiversité (le second étant le réchauffement climatique). Il y a 150Mkm² émergés, environ 38% sont utilisés par l’agriculture, 2% pour les autres activités humaines, et 60% sont principalement sauvages. En rendant l’humanité végétarienne on réduirait de ~75% l’utilisation des terres agricoles, soit une libération de 30% de la surface totale. Maintenant de combien faudrait-il réduire la population pour arriver au même résultat, en gardant le même ratio de terres agricoles ? De 3/4 aussi. Je vous laisse réfléchir aux difficultés et vitesses relatives de changer le régime de l’humanité par rapport à tuer 6 milliards de personnes, ou faire évoluer la natalité assez fort et assez longtemps pour que la population diminue d’autant (même calcul que pour le climat).