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<title>Science ouverte : la révolution nécessaire (archive) — David Larlet</title>
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<article>
<header>
<h1>Science ouverte : la révolution nécessaire</h1>
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<a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/science-ouverte-la-revolution-necessaire" title="Lien vers le contenu original">Source originale</a>
</p>
</nav>
<hr>
<main>
<p class="article-chapo">

Accéder à la connaissance peut coûter cher... même lorsque celle-ci est produite grâce à des financements publics. Afin de contrer le monopole imposé par certains éditeurs spécialisés, acteurs de la recherche et pouvoirs publics travaillent ensemble pour rendre accessible à tous, gratuitement, l’intégralité des publications scientifiques.
</p>

<pre><code> &lt;div class="article-contenu"&gt;
</code></pre>
<p><p><em>Cet article a été publié dans le numéro 298 de <a href="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/numeros_papier/jdc298_complet_bd3.pdf" target="_blank">CNRS le Journal</a>. </em><br/>
 </p>
<p>Payer pour accéder à la connaissance, au savoir universel constitué au fil des ans par la recherche publique. Ce n’est pas une dystopie. C’est ce que scientifiques et citoyens doivent massivement concéder : au moins quatre articles scientifiques sur cinq sont publiés dans des revues payantes selon le dernier <a href="https://www.stm-assoc.org/2018_10_04_STM_Report_2018.pdf" target="_blank">rapport</a> du syndicat professionnel des éditeurs scientifiques, la STM (Association of Scientific, Technical and Medical Publishers). Les idées et les résultats obtenus dans les laboratoires du monde entier, financés en grande partie par l’argent public, se retrouvent ainsi confinés derrière une imposante barrière de péage. Pire encore : les éditeurs s’accaparant les droits d’auteur, les scientifiques ne peuvent même pas diffuser librement leurs propres productions !</p>
<h2>Un modèle à réinventer</h2>
<p>Mais la barrière se fissure. En octobre dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation se félicitait que 41 % des 133 000 publications scientifiques françaises publiées en 2017 soient désormais en libre accès : scientifiques comme citoyens peuvent en lire le contenu sans avoir à débourser un centime. « <em>Le libre accès au savoir scientifique est un enjeu primordial</em> », réaffirme Marin Dacos, en charge de coordonner les efforts dans cette voie entre les différents acteurs de la recherche publique en France. «<em> C’est même un enjeu démocratique fondamental </em>», insiste-t-il. <span>« Ouvrir la science », c’est en effet le souhait du </span><a href="https://www.ouvrirlascience.fr/plan-national-pour-la-science-ouverte/" target="_blank">Plan national pour la science ouverte</a><span>, lancé à l’été 2018 par le gouvernement français. « <em>La France s’engage pour que les résultats de la recherche scientifique soient ouverts à tous, chercheurs, entreprises et citoyens, sans entrave, sans délai, sans paiement</em> », peut-on lire en préambule. </span></p>
<div class="wrapper-citation clearfix">
<p class="citation left">La France s’engage pour que les résultats de la recherche scientifique soient ouverts à tous, chercheurs, entreprises et citoyens, sans entrave, sans délai, sans paiement.</p>
<div class="texte-colle right">
<p><span>Cette volonté des pouvoirs publics français s’inscrit plus largement dans une dynamique internationale, initiée au tournant des années 2000. « <em>De nouveaux modes de diffusion de la connaissance, non seulement sous des formes classiques, mais aussi, et de plus en plus, en s’appuyant sur le paradigme du libre accès via l’internet, doivent être mis en place</em> », affirmait dès 2003 la </span><a href="https://openaccess.mpg.de/Berlin-Declaration" target="_blank">Déclaration de Berlin</a><span> sur le libre accès à la connaissance, signée depuis par plus de 360 organismes internationaux de recherche.</span></p>
</div>
</div>
<p>Mais tous les pays n’ont pas avancé au même rythme. En 2016, l’<a href="https://openarchiv.hypotheses.org/files/2016/06/amsterdam-call-for-action-on-open-science.pdf" target="_blank">Appel d’Amsterdam</a> de l’Union européenne demandait à chaque pays de se doter d’un plan national pour la science ouverte. Les Pays-Bas, suivis de la Finlande, de l’Irlande et de la France sont à ce jour les seuls à s’être dotés d’un tel plan, montrant la dynamique engagée par l’Europe, même si l’Allemagne, par exemple, choisit de se concentrer sur les négociations avec les éditeurs. L’approche européenne se distingue par sa globalité de pays tels que les États-Unis, qui ont commencé dès 2008, mais uniquement sur l’accès ouvert dans le domaine de la santé.</p>
<p/></p>
<p>
Si le principe d’une science ouverte à tous peut sembler presque une évidence, sa mise en œuvre relève de la gageure. C’est tout un système séculaire d’édition et de diffusion des savoirs scientifiques qu’il faut modifier en profondeur. « <em>C’est une révolution</em> », atteste le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit. Et il souhaite que le <a href="http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-objectif-100-de-publications-en-libre-acces" target="_blank">CNRS s’emploie pleinement dans cette voie</a>. « <em>Toutes les publications scientifiques auxquelles contribuent les membres du CNRS devront être à très court terme en libre accès</em> », s’engage pour sa part Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, en charge de mener la première institution scientifique française vers ce nouvel horizon.</p>

<h2>Un oligopole détient 40 % du marché</h2>

<p>Ce n’est pas qu’une question de principe. C’est aussi un enjeu économique de taille. Car le système d’édition scientifique est devenu de surcroît « ubuesque ». En confisquant le droit d’auteur aux chercheurs, les éditeurs scientifiques ont alors toute latitude pour dicter leur loi économique.</p>

<div class="wrapper-citation clearfix">
<p class="citation left">Si un institut de recherche ou une bibliothèque universitaire ne parvient pas à s’abonner à l’un des quatre grands groupes, c’est tout un pan du savoir scientifique qui disparaît.</p>
<div class="texte-colle right">
<p><span>Pour avoir accès aux savoirs scientifiques, chaque institution de recherche ou bibliothèque universitaire doit en effet débourser des sommes considérables sous la forme d’abonnements annuels. Les universités européennes ont dû régler en 2018 une facture avoisinant le milliard d’euros ! « </span><em>Les plus grands éditeurs sont en position de force et de monopole sur des revues considérées comme incontournables</em><span> », explique Marin Dacos. Et même d’oligopole.</span></p>
</div>
</div>

<p>En face de la multitude de demandes mondiales pour accéder aux savoirs, trônent quatre grands groupes d’éditeurs : RELX Group (à qui appartient Elsevier), Springer-Nature, Taylor &amp; Francis et Wiley-Blackwell. À eux seuls, ils détiennent 40 % du marché de l’édition scientifique ! Ces mastodontes sont de fait incontournables : « <em>Si un institut de recherche ou une bibliothèque universitaire ne parvient pas à s’abonner à l’un de ces quatre groupes, c’est tout un pan du savoir scientifique qui disparaît </em>», déplore Marin Dacos.</p>

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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/editeurs_anglophones_72dpi.jpg?itok=KG17OgOP" alt="" title=" ©Source: rapport STM, 5ème édition, octobre 2018"/>
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Les 10 plus grands éditeurs scientifiques anglophones, par nombre de titres publiés. </p>
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Source: rapport STM, 5ème édition, octobre 2018 </p>
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<p><span>Le chantage à l’abonnement permet à ces groupes de multiplier leurs profits. Le coût cumulé des abonnements de tous les acteurs de la recherche publique en France atteint désormais 100 millions d’euros par an. Au point que cet oligopole est devenu l’un des plus rentables au monde, avec un taux de profit supérieur à 30 % pour un chiffre d’affaires en milliards d’euros – avec un marché mondial de l’édition scientifique évalué à près de 26 milliards de dollars par la STM ! Ce taux de profit exorbitant place même ces groupes devant des entreprises comme Google ou Apple : « </span><em>Ce n’est pas normal de financer de telles marges avec de l’argent public</em><span> », s’insurge Olivier Fruchart, chercheur au laboratoire Spintronique et technologie des composants</span><span>.</span></p>
<p>En plus d’accaparer une partie des financements de la recherche publique, ce système a favorisé l’accroissement des inégalités d’accès au savoir. Chaque institution doit en effet négocier sous le sceau du secret le montant de ses abonnements. En conséquence, seuls les organismes les plus riches parviennent à peser dans les négociations. Les inégalités économiques renforcent de fait les inégalités épistémologiques. À titre d’exemple, la plus fortunée des institutions académiques indiennes n’avait accès en 2008 qu’à 12 % des revues auxquelles l’université américaine de Harvard était abonnée. En réponse, une jeune scientifique kazakhe, Alexandra Elbakyan, crée en 2011 un site pirate, Sci-Hub, permettant de lever illégalement la barrière de péage et d’accéder aux publications scientifiques. Le site a connu un rapide succès dans le monde. Mais les procès intentés par les grands éditeurs se sont succédé. Début mars 2019, en France, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès à Sci-Hub.<br/>
 </p>
<h2><strong>Du modèle historique au « <em>publish or perish</em> »</strong></h2>
<p>L’illégalité et la clandestinité ne sont heureusement pas la seule réponse possible. Plusieurs initiatives, à l’image du Plan national français pour la science ouverte, ont vu le jour un peu partout dans le monde afin de sortir de cette situation intenable. Pour mieux comprendre les leviers dont les chercheurs et les pouvoirs publics disposent pour y parvenir, il convient dès lors de remonter à l’origine de cette dérive. Ces géants de la presse scientifique ont su capter le désir des communautés scientifiques de disposer d’une ressource partagée au sein de laquelle ils puissent consulter les connaissances et les avancées dans leur domaine. Et bien sûr, sous le contrôle de leurs pairs, y déposer leurs propres contributions. Ce « pot commun » a pris historiquement la forme de revues scientifiques – la plus ancienne est le <em>Journal des sçavans</em> créé en janvier 1665 à Paris.</p>
<p>Ces premières revues, qui se présentent sous la forme de liasses de correspondance échangée directement entre savants, sont alors adossées aux Académies des sciences nationales ou aux sociétés savantes. Leur parution, au gré des contributions spontanées, est irrégulière. Mais un tournant va s’opérer au XIX<sup>e</sup> siècle : « <em>Face au coût de fabrication et de diffusion de ces revues, les scientifiques vont s’allier à des éditeurs professionnels – à l’époque ce sont surtout des libraires. Le processus éditorial demeure le même</em>, rappelle l’historienne Valérie Tesnière, directrice d’études de l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste des pratiques et politiques éditoriales scientifiques contemporaines. <em>Les articles sont soumis aux rédactions scientifiques des revues qui évaluent entre pairs le contenu des communications à publier. Sauf dans certaines sociétés savantes, les rédactions scientifiques délèguent aux libraires la gestion des relations avec l’imprimeur, la mise en forme des textes et la gestion des abonnements. En échange de ces services, le libraire touche une part des bénéfices</em>. »<br/>
 <br/>
Le modèle séduit et devient le « pot commun » de référence dans le monde entier – la revue <em>Nature</em>, l’une des plus célèbres aujourd’hui, est fondée en 1869 par l’astronome britannique Joseph Norman Lockyer en lien avec l’éditeur Alexander MacMillan. Puis à mesure que la science s’institutionnalise au cours du XX<sup>e</sup> siècle et se ramifie en de nouvelles disciplines, le nombre de revues scientifiques explose. Selon la STM, ce ne sont pas moins de 33 100 revues en 2018 qui publient jusqu’à 3 millions d’articles par an ! Dans le même temps, l’anglais est devenu la « <em>lingua franca</em> » de la science – seuls 0,7 % de ces publications sont aujourd’hui écrites en français. « <em>Ce modèle historique n’est pas en soi défavorable</em> », souligne Marin Dacos. Chacun y jouait en effet pleinement son rôle et les abonnements ont longtemps été inévitables, dans des niveaux de prix tout à fait raisonnables. Comment alors ce modèle de l’édition scientifique a-t-il progressivement dérivé ?</p>
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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/nature_cover_november_4_1869_72dpi.jpg?itok=3RylBEdN" alt="" title=" ©Wikimedia commons"/>
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<p class="image-legende">
Page extraite du premier numéro de la revue scientifique « Nature », publié le 4 novembre 1869. </p>
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<p>
Deux facteurs ont ici contribué à ce déséquilibre, qui vont avoir un rôle important pour envisager une « sortie de crise ». D’une part, après la Seconde Guerre mondiale, l’évaluation des scientifiques par leurs tutelles académiques ou gouvernementales érige la publication scientifique au rang de critère incontestable. La bibliométrie naissante, autrement dit la « science des publications », fournit malgré elle des indicateurs de la performance des scientifiques : nombre de publications annuelles par chercheur, de citations par d’autres scientifiques, etc. Publier devient l’alpha et l’oméga afin de s’assurer une carrière et gagner en prestige. Au risque que la quantité l’emporte sur la qualité. Dès les années 1960, des scientifiques critiquent cette logique dévoyée du « <em>publish or perish</em> » (« publie ou péris »). Côté éditeurs, c’est une aubaine. L’injonction à publier leur garantit un rôle incontournable.</p>
<p>D’autre part, l’arrivée d’Internet dans les années 1990 va favoriser la concentration des éditeurs. Seules les maisons d’édition disposant d’un important capital vont être en mesure d’investir massivement dans le développement de grandes plateformes numériques regroupant des centaines et des centaines de revues. Quelques décennies auparavant, de grandes « bases de données » facilitant la recherche dans la grande masse des revues papier préfiguraient déjà l’apparition de cet oligopole.</p>
<h2><strong>Les chercheurs contre-attaquent</strong></h2>
<p>Si le développement d’Internet a décuplé l’emprise et la manne de cet oligopole, il a aussi ouvert des brèches. Discipline par discipline, des sciences humaines aux sciences naturelles jusqu’aux mathématiques, des initiatives individuelles ou collectives lancées par des chercheurs eux-mêmes vont esquisser de nouvelles voies. Dès 1991, un physicien américain, Paul Ginsparg, crée à Los Alamos un site internet pionnier : hep-th (pour High Energy Physics – Theory), rebaptisé en 1999 <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a> (prononcer ar-K-iv). Ce site permet aux physiciens de déposer gratuitement des projets d’articles au format électronique et en libre consultation avant même leur soumission à des revues payantes. On parle alors d’archives ouvertes de prépublication, ou « <em>pre-print </em>» en anglais. Elles ne se substituent pas aux éditeurs historiques mais permettent d’accéder au contenu d’un article qui sera éventuellement publié par la suite dans une revue à comité de lecture.<br/>
 </p>
<p/>

<p>
L’initiative est suivie par d’autres disciplines avec la création dans les années 1990 des archives ouvertes CogPrints en sciences cognitives et RePEc en économie. Le physicien français, Franck Laloë, inspiré par la démarche de son confrère Paul Ginsparg, crée avec le soutien du CNRS la première archive ouverte française, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a>, lancée officiellement en 2001 (voir encadré plus bas).</p>
<h2><strong>Plus de 4 000 archives ouvertes dans le monde</strong></h2>
<p>Aujourd’hui, selon le répertoire international OpenDOAR (Directory of Open Access Repositories), il existe 4 150 archives ouvertes dans le monde. Mais le modèle fait débat. L’absence de relecture par les pairs des articles déposés dans ces archives ouvertes ne peut leur conférer le même statut que des revues à comité de lecture, seules habilitées à « labelliser » la qualité du travail scientifique. Les scientifiques eux-mêmes restent très attachés à ce processus d’évaluation qui distingue les publications scientifiques de simples articles d’opinion. Pour les défenseurs du modèle, ces archives n’ont pas vocation à s’y substituer mais à faciliter la libre diffusion des savoirs et à stimuler les discussions entre confrères.<br/>
 <br/>
C’est d’ailleurs dans cet esprit, en France, que la <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000031589829&amp;type=general&amp;legislature=14" target="_blank">loi pour une République numérique</a> (ou loi Lemaire) promulguée en 2016, offre la possibilité légale aux chercheurs de déposer dans une archive ouverte, après une période de 6 à 12 mois, leurs résultats de recherche – à condition qu’ils aient été financés à plus de 50 % par des fonds publics.<br/>
 <br/>
En parallèle de ces archives ouvertes, des chercheurs vont se mobiliser pour lancer de nouvelles revues 100 % numériques dont l’intégralité des publications sera accessible à tout un chacun. C’est ainsi que naît, par exemple, en 2001, la Public Library of Science (PloS), éditeur américain à but non lucratif. Pour que l’éditeur puisse toutefois rémunérer son travail, le coût des abonnements est transféré aux auteurs, qui doivent parfois payer plusieurs milliers d’euros pour publier leur article. Avec le risque que les éditeurs qui adoptent ce modèle cherchent avant tout à privilégier davantage la quantité – plus il y a d’articles publiés, plus l’argent rentre – que la qualité. Risque d’autant plus grand que les groupes de l’oligopole, sentant le vent tourner, lancent leurs propres plateformes d’édition en libre accès, à l’instar de BioMed Central (BMC), propriété du puissant éditeur Springer Nature. Mais cela ne veut pas dire qu’il est impossible de concilier accès ouvert et qualité éditoriale sur le modèle des revues à comité de lecture.<br/>
 <br/>
C’est dans ce sens que Marin Dacos, en France, initie dès 1999 une plateforme d’édition numérique en accès libre, sous la bannière du site revues.org – qui deviendra <a href="https://www.openedition.org/" target="_blank">OpenEdition</a> en 2011. Bref, les solutions techniques et les modèles économiques alternatifs ne manquent pas. Pourquoi alors la majorité des publications n’est-elle pas encore en accès libre en 2019 ?</p>
<h2><strong>L’évaluation des chercheurs reste un obstacle</strong></h2>
<p>Le premier obstacle est lié à l’un des facteurs historiques que nous venons d’évoquer : l’évaluation des chercheurs. Les critères donnent encore la part belle aux articles publiés dans les grandes revues généralistes et prestigieuses telles <em>Nature</em>, <em>Science</em>, <em>The Lancet</em>, etc. Au point d’ailleurs de créer un malaise au sein des nouveaux arrivants dans le monde de la recherche : « <em>Les jeunes chercheurs, davantage sensibilisés que leurs aînés à ces problématiques de libre accès, ont le sentiment d’être face à une injonction contradictoire </em>», pointe Cherifa Boukacem-Zeghmouri, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lyon, qui a mené une étude de trois ans auprès de jeunes scientifiques du monde entier. « <em>Ces précaires de la recherche</em>, poursuit-elle, <em>savent que s’ils n’ont pas de publications dans les grandes revues scientifiques, ils ne pourront pas entrer dans le système de la recherche publique. L’adhésion au libre accès n’est possible que si on change le système d’évaluation de la recherche.</em> »<br/>
 </p>
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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/publi_scientif_72dpi.jpg?itok=K1Px1F7-" alt="" title=" ©Source: WoS et unpaywall, collaboration CNRS-INIST, BSO-MESRI"/>
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Publications scientifiques dans les unités du CNRS en 2017*. </p>
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Source: WoS et unpaywall, collaboration CNRS-INIST, BSO-MESRI </p>
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<p class="wrapper-citation clearfix"><span>Pour tenter de remédier à cette situation paradoxale, des scientifiques, soutenus par des éditeurs de journaux en accès libre, ont rédigé en 2013 la </span><a href="http://sfdora.org/read/fr" target="_blank">Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche</a><span> (Dora). Ils y contestent l’usage de la bibliométrie et appellent à faire primer la qualité des travaux scientifiques sur la notoriété des revues. Elle est désormais signée par les principaux instituts de recherche, dont le CNRS en 2018.</span></p>
<p>« <em>Il faut faire évoluer les critères d’évaluation et aller vers plus de qualitatif</em> », reconnaît Pierre Glaudes, directeur du département d’évaluation de la recherche au Haut Conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. « <em>Cela existe déjà. En Italie et en Angleterre, par exemple, les instances d’évaluation de la recherche proposent aux chercheurs de leur fournir uniquement une sélection de quelques publications de leur choix plutôt qu’une liste exhaustive</em> », évoque-t-il. « <em>C’est aussi avec ce souci d’accorder plus d’importance à la qualité qu’à la quantité que s’oriente la réflexion des évaluations individuelles des chercheurs au sein du CNRS</em> », confie Alain Schuhl.</p>
<h2><strong>Reprendre le contrôle du système éditorial</strong></h2>
<p>Un second obstacle doit être levé : le manque de revues en libre accès. « <em>Certains domaines scientifiques n’ont actuellement aucune revue de ce type</em> », déplore un collectif de scientifiques dans une <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/09/publications-scientifiques-les-pieges-du-plan-s_5366576_1650684.html">tribune</a> publiée en 2018 dans le journal <em>Le Monde</em>. Tribune écrite en réponse au « plan S », lancé de concert en Europe par des agences nationales de financement de la recherche (dont l’ANR) et des instituts académiques, avec le soutien du Conseil européen de la recherche. Avec l’objectif que tous les travaux scientifiques cofinancés par ces agences soient publiés en libre accès dès 2020 – délai repoussé depuis à 2021.<br/>
 </p>
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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/taux_publi_72dpi.jpg?itok=HfoiRpKQ" alt="" title=" ©Source: Unpaywall, traitement MESRI 2018"/>
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<p class="image-legende">
Taux de publications en accès ouvert en France par discipline en 2017*. </p>
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<p class="image-copyright">
Source: Unpaywall, traitement MESRI 2018 </p>
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</div>

<p class="wrapper-citation clearfix"><span>Les chercheurs craignent aussi que cette politique volontariste favorise des revues dites « prédatrices », profitant de l’essor de l’accès ouvert pour proposer des publications de piètre qualité moyennant finance. « </span><em>Il faut aller au-delà du plan S</em><span>, reconnaît Marin Dacos. </span><em>C’est tout le sens du plan national en France où nous cherchons à favoriser les meilleures stratégies de diffusion en libre accès en fonction des contraintes de chaque discipline</em><span>. » La solution avancée par le CNRS – rendre accessible </span><em>a posteriori via</em><span> HAL 100 % des articles de ses chercheurs – en est une première réponse concrète. « </span><em>D’une façon générale, la communauté scientifique doit reprendre le contrôle du système éditorial, dans l’esprit de</em><span> </span><em>l’<a href="https://jussieucall.org/" target="_blank">Appel de Jussieu</a> pour la science ouverte et la bibliodiversité </em><span>», espère Marin Dacos.</span><span> </span></p>
<p>Cette reprise en main peut déjà s’appuyer sur les piliers français du domaine : « <em>En plus de HAL qui pourrait permettre à terme la création de nouvelles revues en libre accès tels les “épijournaux”, nous disposons également de plateformes d’édition originales telles que OpenEdition pour les sciences humaines et le <a href="https://www.centre-mersenne.org/" target="_blank">centre Mersenne</a> pour les sciences exactes</em> », souligne Sylvie Rousset, directrice de l’information scientifique et technique au CNRS. Le CNRS souhaite d’ailleurs financer d’autres projets de ce type à l’avenir. Chercheurs et acteurs de cette nouvelle politique le savent : disposer des outils est une chose, changer les pratiques en est une autre. Les sociétés devront attendre encore quelques années avant que l’esprit de la science ouverte parvienne à lever toutes les barrières de péage. Mais, assurément, une étape importante vient d’être franchie. <span>♦</span><br/>
------------------------------------------------------------------------------</p>
<h2>HAL, l’archive ouverte <em>made in France</em></h2>
<p>Avec plus de 1,9 million de documents référencés, l’« Hyper articles en ligne » – plus connue sous son acronyme <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a> – est devenue l’archive ouverte de référence en France. Experts comme citoyens peuvent sans entrave et à leur guise fouiller et consulter ce vaste corpus de publications scientifiques. « <em>À ses débuts, à la fin des années 1990, les questions portées par la science ouverte n’avaient pas encore autant d’écho qu’aujourd’hui</em> », se rappelle Serge Bauin, expert à la direction scientifique et technique du CNRS, qui suit le projet depuis sa création. Son développement débuta en 1999, à l’initiative du physicien Franck Laloë, déjà fervent utilisateur de l’archive ouverte américaine hep-th, alias <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a>, lancée dès 1991 par le physicien américain Paul Ginsparg. « <em>À l’époque, la pérennité d’arXiv n’était pas garantie. Le lancement du programme de HAL offrait alors davantage de garanties dans le temps</em> », souligne Serge Bauin. Le Centre pour la communication scientifi que directe a été créé pour développer la plateforme HAL qui n’a depuis cessé de s’ouvrir aux autres communautés scientifiques, au sein du CNRS comme à l’extérieur : « <em>La convention de 2013 signée à l’Académie des sciences par la quasi-totalité des institutions de recherche publique a permis de faire de HAL la référence nationale</em> », se réjouit-il.<br/>
 <br/>
Aujourd’hui, les 137 portails institutionnels de HAL facilitent l’accès à autant de documents scientifiques produits chaque année par les chercheuses et chercheurs de ces institutions (organismes de recherche, universités, grandes écoles, etc.). C’est d’ailleurs l’une des spécificités de HAL en regard de sa grande sœur arXiv : la richesse des descriptions rattachées à chaque publication en facilite grandement la recherche et l’indexation. En contrepartie, le dépôt des documents nécessite plus de temps : « <em>Il est indispensable de faciliter ce dépôt dans HAL</em> », pointe la biophysicienne Cécile Sykes, du laboratoire Physico-Chimie Curie.<br/>
 <br/>
À l’heure actuelle, environ la moitié des articles scientifiques produits au CNRS, et publiés dans des revues à comité de lecture, y sont néanmoins référencés : « <em>Nous visons 100 % à très court terme</em> », indique Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. « <em>On voit déjà se développer de nouvelles revues qui s’appuient directement sur HAL avec le service <a href="https://episciences.org/" target="_blank">episciences.org</a></em> », renchérit Serge Bauin. Ce dernier était sûrement loin de se douter, il y a vingt ans, que HAL puisse devenir la figure de proue de l’archive ouverte en France. <span>♦</span></p>
<p>------------------------------------------------------------------------------</p>
<h2>La science ouverte en 5 dates</h2>
<p><strong>1991</strong><br/>
Lancement de l’archive ouverte <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a> aux États-Unis.<br/><strong><span>2001</span></strong><br/><span>- </span><a href="http://openaccess.inist.fr/?Initiative-de-Budapest-pour-l" target="_blank">Déclaration de Budapest</a><span> : projet qui vise à faciliter l’échange et la valorisation d’archives numériques.</span><br/><span>- Création de l’archive ouverte </span><a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a><span> par le CNRS.</span><br/><strong><span>2003</span></strong><br/><a href="http://openaccess.inist.fr/?Declaration-de-Berlin-sur-le-Libre" target="_blank">Déclaration de Berlin</a><span> : demande de la mise à disposition en libre accès de la littérature scientifique mondiale et de l’ensemble des données et logiciels ayant permis de produire cette connaissance.</span><br/><strong><span>2016</span></strong><br/><span>- </span><a href="https://openarchiv.hypotheses.org/files/2016/06/amsterdam-call-for-action-on-open-science.pdf" target="_blank">Amsterdam call for action</a><span> : pour un accès ouvert des publications issues de la recherche financée pour plus de 50 % par des fonds publics.</span><br/><span>- En octobre, promulgation de la </span><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000031589829&amp;type=general&amp;legislature=14" target="_blank">loi pour une République numérique</a><span> en France (ou loi Lemaire) : l’exception du droit d’auteur favorise le libre accès aux résultats des travaux de recherche publique (financée à plus de 50 % par des fonds publics) et l’autorisation de la fouille de textes et de données issues de cette même recherche.</span><br/><strong><span>2018</span></strong><br/><span>- Signature du « </span><a href="https://www.coalition-s.org/" target="_blank">Plan S</a><span> » par 11 agences européennes de financement dont l’ANR.</span><br/><span>- En juillet, le </span><a href="https://www.ouvrirlascience.fr/wp-content/uploads/2018/08/PLAN_NATIONAL_SCIENCE_OUVERTE_978672.pdf" target="_blank">Plan national pour la science ouverte</a><span> est annoncé par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal.</span><br/><span>- Le CNRS est signataire de la </span><a href="https://sfdora.org/read/fr/" target="_blank">Déclaration de San Francisco</a><span> (Dora) qui vise à améliorer l’évaluation de la recherche. Ce texte remet en cause l’utilisation abusive de l’indicateur de notoriété Journal Impact Factor. </span><span>♦</span></p>

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<p class="article-chapo">
Accéder à la connaissance peut coûter cher... même lorsque celle-ci est produite grâce à des financements publics. Afin de contrer le monopole imposé par certains éditeurs spécialisés, acteurs de la recherche et pouvoirs publics travaillent ensemble pour rendre accessible à tous, gratuitement, l’intégralité des publications scientifiques.
</p>
<div class="article-contenu">
<p><em>Cet article a été publié dans le numéro 298 de <a href="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/numeros_papier/jdc298_complet_bd3.pdf" target="_blank">CNRS le Journal</a>. </em><br/>
 </p>
<p>Payer pour accéder à la connaissance, au savoir universel constitué au fil des ans par la recherche publique. Ce n’est pas une dystopie. C’est ce que scientifiques et citoyens doivent massivement concéder : au moins quatre articles scientifiques sur cinq sont publiés dans des revues payantes selon le dernier <a href="https://www.stm-assoc.org/2018_10_04_STM_Report_2018.pdf" target="_blank">rapport</a> du syndicat professionnel des éditeurs scientifiques, la STM (Association of Scientific, Technical and Medical Publishers). Les idées et les résultats obtenus dans les laboratoires du monde entier, financés en grande partie par l’argent public, se retrouvent ainsi confinés derrière une imposante barrière de péage. Pire encore : les éditeurs s’accaparant les droits d’auteur, les scientifiques ne peuvent même pas diffuser librement leurs propres productions !</p>
<h2>Un modèle à réinventer</h2>
<p>Mais la barrière se fissure. En octobre dernier, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation se félicitait que 41 % des 133 000 publications scientifiques françaises publiées en 2017 soient désormais en libre accès : scientifiques comme citoyens peuvent en lire le contenu sans avoir à débourser un centime. « <em>Le libre accès au savoir scientifique est un enjeu primordial</em> », réaffirme Marin Dacos, en charge de coordonner les efforts dans cette voie entre les différents acteurs de la recherche publique en France. «<em> C’est même un enjeu démocratique fondamental </em>», insiste-t-il. <span>« Ouvrir la science », c’est en effet le souhait du </span><a href="https://www.ouvrirlascience.fr/plan-national-pour-la-science-ouverte/" target="_blank">Plan national pour la science ouverte</a><span>, lancé à l’été 2018 par le gouvernement français. « <em>La France s’engage pour que les résultats de la recherche scientifique soient ouverts à tous, chercheurs, entreprises et citoyens, sans entrave, sans délai, sans paiement</em> », peut-on lire en préambule. </span></p>
<div class="wrapper-citation clearfix">
<p class="citation left">La France s’engage pour que les résultats de la recherche scientifique soient ouverts à tous, chercheurs, entreprises et citoyens, sans entrave, sans délai, sans paiement.</p>
<div class="texte-colle right">
<p><span>Cette volonté des pouvoirs publics français s’inscrit plus largement dans une dynamique internationale, initiée au tournant des années 2000. « <em>De nouveaux modes de diffusion de la connaissance, non seulement sous des formes classiques, mais aussi, et de plus en plus, en s’appuyant sur le paradigme du libre accès via l’internet, doivent être mis en place</em> », affirmait dès 2003 la </span><a href="https://openaccess.mpg.de/Berlin-Declaration" target="_blank">Déclaration de Berlin</a><span> sur le libre accès à la connaissance, signée depuis par plus de 360 organismes internationaux de recherche.</span></p>
</div>
</div>
<p>Mais tous les pays n’ont pas avancé au même rythme. En 2016, l’<a href="https://openarchiv.hypotheses.org/files/2016/06/amsterdam-call-for-action-on-open-science.pdf" target="_blank">Appel d’Amsterdam</a> de l’Union européenne demandait à chaque pays de se doter d’un plan national pour la science ouverte. Les Pays-Bas, suivis de la Finlande, de l’Irlande et de la France sont à ce jour les seuls à s’être dotés d’un tel plan, montrant la dynamique engagée par l’Europe, même si l’Allemagne, par exemple, choisit de se concentrer sur les négociations avec les éditeurs. L’approche européenne se distingue par sa globalité de pays tels que les États-Unis, qui ont commencé dès 2008, mais uniquement sur l’accès ouvert dans le domaine de la santé.</p>
<p/>

<p>
Si le principe d’une science ouverte à tous peut sembler presque une évidence, sa mise en œuvre relève de la gageure. C’est tout un système séculaire d’édition et de diffusion des savoirs scientifiques qu’il faut modifier en profondeur. « <em>C’est une révolution</em> », atteste le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit. Et il souhaite que le <a href="http://www.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/notre-objectif-100-de-publications-en-libre-acces" target="_blank">CNRS s’emploie pleinement dans cette voie</a>. « <em>Toutes les publications scientifiques auxquelles contribuent les membres du CNRS devront être à très court terme en libre accès</em> », s’engage pour sa part Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, en charge de mener la première institution scientifique française vers ce nouvel horizon.</p>
<h2>Un oligopole détient 40 % du marché</h2>
<p>Ce n’est pas qu’une question de principe. C’est aussi un enjeu économique de taille. Car le système d’édition scientifique est devenu de surcroît « ubuesque ». En confisquant le droit d’auteur aux chercheurs, les éditeurs scientifiques ont alors toute latitude pour dicter leur loi économique.</p>
<div class="wrapper-citation clearfix">
<p class="citation left">Si un institut de recherche ou une bibliothèque universitaire ne parvient pas à s’abonner à l’un des quatre grands groupes, c’est tout un pan du savoir scientifique qui disparaît.</p>
<div class="texte-colle right">
<p><span>Pour avoir accès aux savoirs scientifiques, chaque institution de recherche ou bibliothèque universitaire doit en effet débourser des sommes considérables sous la forme d’abonnements annuels. Les universités européennes ont dû régler en 2018 une facture avoisinant le milliard d’euros ! « </span><em>Les plus grands éditeurs sont en position de force et de monopole sur des revues considérées comme incontournables</em><span> », explique Marin Dacos. Et même d’oligopole.</span></p>
</div>
</div>
<p>En face de la multitude de demandes mondiales pour accéder aux savoirs, trônent quatre grands groupes d’éditeurs : RELX Group (à qui appartient Elsevier), Springer-Nature, Taylor &amp; Francis et Wiley-Blackwell. À eux seuls, ils détiennent 40 % du marché de l’édition scientifique ! Ces mastodontes sont de fait incontournables : « <em>Si un institut de recherche ou une bibliothèque universitaire ne parvient pas à s’abonner à l’un de ces quatre groupes, c’est tout un pan du savoir scientifique qui disparaît </em>», déplore Marin Dacos.</p>
<p/><div class="asset-wrapper asset aid-5394 asset-image">

<div class="content asset-image-full">
<div class="image">
<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/editeurs_anglophones_72dpi.jpg?itok=KG17OgOP" alt="" title=" ©Source: rapport STM, 5ème édition, octobre 2018"/>
<div class="wrapper-legende">
<p class="image-legende">
Les 10 plus grands éditeurs scientifiques anglophones, par nombre de titres publiés. </p>
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<div class="copyright-share-wrapper clearfix">
<div class="left">
<div class="wrapper-copyright">
<p class="image-copyright">
Source: rapport STM, 5ème édition, octobre 2018 </p>
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</div>

<p><span>Le chantage à l’abonnement permet à ces groupes de multiplier leurs profits. Le coût cumulé des abonnements de tous les acteurs de la recherche publique en France atteint désormais 100 millions d’euros par an. Au point que cet oligopole est devenu l’un des plus rentables au monde, avec un taux de profit supérieur à 30 % pour un chiffre d’affaires en milliards d’euros – avec un marché mondial de l’édition scientifique évalué à près de 26 milliards de dollars par la STM ! Ce taux de profit exorbitant place même ces groupes devant des entreprises comme Google ou Apple : « </span><em>Ce n’est pas normal de financer de telles marges avec de l’argent public</em><span> », s’insurge Olivier Fruchart, chercheur au laboratoire Spintronique et technologie des composants</span><span>.</span></p>
<p>En plus d’accaparer une partie des financements de la recherche publique, ce système a favorisé l’accroissement des inégalités d’accès au savoir. Chaque institution doit en effet négocier sous le sceau du secret le montant de ses abonnements. En conséquence, seuls les organismes les plus riches parviennent à peser dans les négociations. Les inégalités économiques renforcent de fait les inégalités épistémologiques. À titre d’exemple, la plus fortunée des institutions académiques indiennes n’avait accès en 2008 qu’à 12 % des revues auxquelles l’université américaine de Harvard était abonnée. En réponse, une jeune scientifique kazakhe, Alexandra Elbakyan, crée en 2011 un site pirate, Sci-Hub, permettant de lever illégalement la barrière de péage et d’accéder aux publications scientifiques. Le site a connu un rapide succès dans le monde. Mais les procès intentés par les grands éditeurs se sont succédé. Début mars 2019, en France, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné aux fournisseurs d’accès à Internet de bloquer l’accès à Sci-Hub.<br/>
 </p>
<h2><strong>Du modèle historique au « <em>publish or perish</em> »</strong></h2>
<p>L’illégalité et la clandestinité ne sont heureusement pas la seule réponse possible. Plusieurs initiatives, à l’image du Plan national français pour la science ouverte, ont vu le jour un peu partout dans le monde afin de sortir de cette situation intenable. Pour mieux comprendre les leviers dont les chercheurs et les pouvoirs publics disposent pour y parvenir, il convient dès lors de remonter à l’origine de cette dérive. Ces géants de la presse scientifique ont su capter le désir des communautés scientifiques de disposer d’une ressource partagée au sein de laquelle ils puissent consulter les connaissances et les avancées dans leur domaine. Et bien sûr, sous le contrôle de leurs pairs, y déposer leurs propres contributions. Ce « pot commun » a pris historiquement la forme de revues scientifiques – la plus ancienne est le <em>Journal des sçavans</em> créé en janvier 1665 à Paris.</p>
<p>Ces premières revues, qui se présentent sous la forme de liasses de correspondance échangée directement entre savants, sont alors adossées aux Académies des sciences nationales ou aux sociétés savantes. Leur parution, au gré des contributions spontanées, est irrégulière. Mais un tournant va s’opérer au XIX<sup>e</sup> siècle : « <em>Face au coût de fabrication et de diffusion de ces revues, les scientifiques vont s’allier à des éditeurs professionnels – à l’époque ce sont surtout des libraires. Le processus éditorial demeure le même</em>, rappelle l’historienne Valérie Tesnière, directrice d’études de l’École des hautes études en sciences sociales et spécialiste des pratiques et politiques éditoriales scientifiques contemporaines. <em>Les articles sont soumis aux rédactions scientifiques des revues qui évaluent entre pairs le contenu des communications à publier. Sauf dans certaines sociétés savantes, les rédactions scientifiques délèguent aux libraires la gestion des relations avec l’imprimeur, la mise en forme des textes et la gestion des abonnements. En échange de ces services, le libraire touche une part des bénéfices</em>. »<br/>
 <br/>
Le modèle séduit et devient le « pot commun » de référence dans le monde entier – la revue <em>Nature</em>, l’une des plus célèbres aujourd’hui, est fondée en 1869 par l’astronome britannique Joseph Norman Lockyer en lien avec l’éditeur Alexander MacMillan. Puis à mesure que la science s’institutionnalise au cours du XX<sup>e</sup> siècle et se ramifie en de nouvelles disciplines, le nombre de revues scientifiques explose. Selon la STM, ce ne sont pas moins de 33 100 revues en 2018 qui publient jusqu’à 3 millions d’articles par an ! Dans le même temps, l’anglais est devenu la « <em>lingua franca</em> » de la science – seuls 0,7 % de ces publications sont aujourd’hui écrites en français. « <em>Ce modèle historique n’est pas en soi défavorable</em> », souligne Marin Dacos. Chacun y jouait en effet pleinement son rôle et les abonnements ont longtemps été inévitables, dans des niveaux de prix tout à fait raisonnables. Comment alors ce modèle de l’édition scientifique a-t-il progressivement dérivé ?</p>
<p/><div class="asset-wrapper asset aid-5406 asset-image">

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<div class="image">
<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/nature_cover_november_4_1869_72dpi.jpg?itok=3RylBEdN" alt="" title=" ©Wikimedia commons"/>
<div class="wrapper-legende">
<p class="image-legende">
Page extraite du premier numéro de la revue scientifique « Nature », publié le 4 novembre 1869. </p>
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</div>

<p>
Deux facteurs ont ici contribué à ce déséquilibre, qui vont avoir un rôle important pour envisager une « sortie de crise ». D’une part, après la Seconde Guerre mondiale, l’évaluation des scientifiques par leurs tutelles académiques ou gouvernementales érige la publication scientifique au rang de critère incontestable. La bibliométrie naissante, autrement dit la « science des publications », fournit malgré elle des indicateurs de la performance des scientifiques : nombre de publications annuelles par chercheur, de citations par d’autres scientifiques, etc. Publier devient l’alpha et l’oméga afin de s’assurer une carrière et gagner en prestige. Au risque que la quantité l’emporte sur la qualité. Dès les années 1960, des scientifiques critiquent cette logique dévoyée du « <em>publish or perish</em> » (« publie ou péris »). Côté éditeurs, c’est une aubaine. L’injonction à publier leur garantit un rôle incontournable.</p>
<p>D’autre part, l’arrivée d’Internet dans les années 1990 va favoriser la concentration des éditeurs. Seules les maisons d’édition disposant d’un important capital vont être en mesure d’investir massivement dans le développement de grandes plateformes numériques regroupant des centaines et des centaines de revues. Quelques décennies auparavant, de grandes « bases de données » facilitant la recherche dans la grande masse des revues papier préfiguraient déjà l’apparition de cet oligopole.</p>
<h2><strong>Les chercheurs contre-attaquent</strong></h2>
<p>Si le développement d’Internet a décuplé l’emprise et la manne de cet oligopole, il a aussi ouvert des brèches. Discipline par discipline, des sciences humaines aux sciences naturelles jusqu’aux mathématiques, des initiatives individuelles ou collectives lancées par des chercheurs eux-mêmes vont esquisser de nouvelles voies. Dès 1991, un physicien américain, Paul Ginsparg, crée à Los Alamos un site internet pionnier : hep-th (pour High Energy Physics – Theory), rebaptisé en 1999 <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a> (prononcer ar-K-iv). Ce site permet aux physiciens de déposer gratuitement des projets d’articles au format électronique et en libre consultation avant même leur soumission à des revues payantes. On parle alors d’archives ouvertes de prépublication, ou « <em>pre-print </em>» en anglais. Elles ne se substituent pas aux éditeurs historiques mais permettent d’accéder au contenu d’un article qui sera éventuellement publié par la suite dans une revue à comité de lecture.<br/>
 </p>
<p/>

<p>
L’initiative est suivie par d’autres disciplines avec la création dans les années 1990 des archives ouvertes CogPrints en sciences cognitives et RePEc en économie. Le physicien français, Franck Laloë, inspiré par la démarche de son confrère Paul Ginsparg, crée avec le soutien du CNRS la première archive ouverte française, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a>, lancée officiellement en 2001 (voir encadré plus bas).</p>
<h2><strong>Plus de 4 000 archives ouvertes dans le monde</strong></h2>
<p>Aujourd’hui, selon le répertoire international OpenDOAR (Directory of Open Access Repositories), il existe 4 150 archives ouvertes dans le monde. Mais le modèle fait débat. L’absence de relecture par les pairs des articles déposés dans ces archives ouvertes ne peut leur conférer le même statut que des revues à comité de lecture, seules habilitées à « labelliser » la qualité du travail scientifique. Les scientifiques eux-mêmes restent très attachés à ce processus d’évaluation qui distingue les publications scientifiques de simples articles d’opinion. Pour les défenseurs du modèle, ces archives n’ont pas vocation à s’y substituer mais à faciliter la libre diffusion des savoirs et à stimuler les discussions entre confrères.<br/>
 <br/>
C’est d’ailleurs dans cet esprit, en France, que la <a href="http://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000031589829&amp;type=general&amp;legislature=14" target="_blank">loi pour une République numérique</a> (ou loi Lemaire) promulguée en 2016, offre la possibilité légale aux chercheurs de déposer dans une archive ouverte, après une période de 6 à 12 mois, leurs résultats de recherche – à condition qu’ils aient été financés à plus de 50 % par des fonds publics.<br/>
 <br/>
En parallèle de ces archives ouvertes, des chercheurs vont se mobiliser pour lancer de nouvelles revues 100 % numériques dont l’intégralité des publications sera accessible à tout un chacun. C’est ainsi que naît, par exemple, en 2001, la Public Library of Science (PloS), éditeur américain à but non lucratif. Pour que l’éditeur puisse toutefois rémunérer son travail, le coût des abonnements est transféré aux auteurs, qui doivent parfois payer plusieurs milliers d’euros pour publier leur article. Avec le risque que les éditeurs qui adoptent ce modèle cherchent avant tout à privilégier davantage la quantité – plus il y a d’articles publiés, plus l’argent rentre – que la qualité. Risque d’autant plus grand que les groupes de l’oligopole, sentant le vent tourner, lancent leurs propres plateformes d’édition en libre accès, à l’instar de BioMed Central (BMC), propriété du puissant éditeur Springer Nature. Mais cela ne veut pas dire qu’il est impossible de concilier accès ouvert et qualité éditoriale sur le modèle des revues à comité de lecture.<br/>
 <br/>
C’est dans ce sens que Marin Dacos, en France, initie dès 1999 une plateforme d’édition numérique en accès libre, sous la bannière du site revues.org – qui deviendra <a href="https://www.openedition.org/" target="_blank">OpenEdition</a> en 2011. Bref, les solutions techniques et les modèles économiques alternatifs ne manquent pas. Pourquoi alors la majorité des publications n’est-elle pas encore en accès libre en 2019 ?</p>
<h2><strong>L’évaluation des chercheurs reste un obstacle</strong></h2>
<p>Le premier obstacle est lié à l’un des facteurs historiques que nous venons d’évoquer : l’évaluation des chercheurs. Les critères donnent encore la part belle aux articles publiés dans les grandes revues généralistes et prestigieuses telles <em>Nature</em>, <em>Science</em>, <em>The Lancet</em>, etc. Au point d’ailleurs de créer un malaise au sein des nouveaux arrivants dans le monde de la recherche : « <em>Les jeunes chercheurs, davantage sensibilisés que leurs aînés à ces problématiques de libre accès, ont le sentiment d’être face à une injonction contradictoire </em>», pointe Cherifa Boukacem-Zeghmouri, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lyon, qui a mené une étude de trois ans auprès de jeunes scientifiques du monde entier. « <em>Ces précaires de la recherche</em>, poursuit-elle, <em>savent que s’ils n’ont pas de publications dans les grandes revues scientifiques, ils ne pourront pas entrer dans le système de la recherche publique. L’adhésion au libre accès n’est possible que si on change le système d’évaluation de la recherche.</em> »<br/>
 </p>
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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/publi_scientif_72dpi.jpg?itok=K1Px1F7-" alt="" title=" ©Source: WoS et unpaywall, collaboration CNRS-INIST, BSO-MESRI"/>
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Publications scientifiques dans les unités du CNRS en 2017*. </p>
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Source: WoS et unpaywall, collaboration CNRS-INIST, BSO-MESRI </p>
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<p class="wrapper-citation clearfix"><span>Pour tenter de remédier à cette situation paradoxale, des scientifiques, soutenus par des éditeurs de journaux en accès libre, ont rédigé en 2013 la </span><a href="http://sfdora.org/read/fr" target="_blank">Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche</a><span> (Dora). Ils y contestent l’usage de la bibliométrie et appellent à faire primer la qualité des travaux scientifiques sur la notoriété des revues. Elle est désormais signée par les principaux instituts de recherche, dont le CNRS en 2018.</span></p>
<p>« <em>Il faut faire évoluer les critères d’évaluation et aller vers plus de qualitatif</em> », reconnaît Pierre Glaudes, directeur du département d’évaluation de la recherche au Haut Conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. « <em>Cela existe déjà. En Italie et en Angleterre, par exemple, les instances d’évaluation de la recherche proposent aux chercheurs de leur fournir uniquement une sélection de quelques publications de leur choix plutôt qu’une liste exhaustive</em> », évoque-t-il. « <em>C’est aussi avec ce souci d’accorder plus d’importance à la qualité qu’à la quantité que s’oriente la réflexion des évaluations individuelles des chercheurs au sein du CNRS</em> », confie Alain Schuhl.</p>
<h2><strong>Reprendre le contrôle du système éditorial</strong></h2>
<p>Un second obstacle doit être levé : le manque de revues en libre accès. « <em>Certains domaines scientifiques n’ont actuellement aucune revue de ce type</em> », déplore un collectif de scientifiques dans une <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/09/publications-scientifiques-les-pieges-du-plan-s_5366576_1650684.html">tribune</a> publiée en 2018 dans le journal <em>Le Monde</em>. Tribune écrite en réponse au « plan S », lancé de concert en Europe par des agences nationales de financement de la recherche (dont l’ANR) et des instituts académiques, avec le soutien du Conseil européen de la recherche. Avec l’objectif que tous les travaux scientifiques cofinancés par ces agences soient publiés en libre accès dès 2020 – délai repoussé depuis à 2021.<br/>
 </p>
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<img src="https://lejournal.cnrs.fr/sites/default/files/styles/asset_image_full/public/assets/images/taux_publi_72dpi.jpg?itok=HfoiRpKQ" alt="" title=" ©Source: Unpaywall, traitement MESRI 2018"/>
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Taux de publications en accès ouvert en France par discipline en 2017*. </p>
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Source: Unpaywall, traitement MESRI 2018 </p>
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<p class="wrapper-citation clearfix"><span>Les chercheurs craignent aussi que cette politique volontariste favorise des revues dites « prédatrices », profitant de l’essor de l’accès ouvert pour proposer des publications de piètre qualité moyennant finance. « </span><em>Il faut aller au-delà du plan S</em><span>, reconnaît Marin Dacos. </span><em>C’est tout le sens du plan national en France où nous cherchons à favoriser les meilleures stratégies de diffusion en libre accès en fonction des contraintes de chaque discipline</em><span>. » La solution avancée par le CNRS – rendre accessible </span><em>a posteriori via</em><span> HAL 100 % des articles de ses chercheurs – en est une première réponse concrète. « </span><em>D’une façon générale, la communauté scientifique doit reprendre le contrôle du système éditorial, dans l’esprit de</em><span> </span><em>l’<a href="https://jussieucall.org/" target="_blank">Appel de Jussieu</a> pour la science ouverte et la bibliodiversité </em><span>», espère Marin Dacos.</span><span> </span></p>
<p>Cette reprise en main peut déjà s’appuyer sur les piliers français du domaine : « <em>En plus de HAL qui pourrait permettre à terme la création de nouvelles revues en libre accès tels les “épijournaux”, nous disposons également de plateformes d’édition originales telles que OpenEdition pour les sciences humaines et le <a href="https://www.centre-mersenne.org/" target="_blank">centre Mersenne</a> pour les sciences exactes</em> », souligne Sylvie Rousset, directrice de l’information scientifique et technique au CNRS. Le CNRS souhaite d’ailleurs financer d’autres projets de ce type à l’avenir. Chercheurs et acteurs de cette nouvelle politique le savent : disposer des outils est une chose, changer les pratiques en est une autre. Les sociétés devront attendre encore quelques années avant que l’esprit de la science ouverte parvienne à lever toutes les barrières de péage. Mais, assurément, une étape importante vient d’être franchie. <span>♦</span><br/>
------------------------------------------------------------------------------</p>
<h2>HAL, l’archive ouverte <em>made in France</em></h2>
<p>Avec plus de 1,9 million de documents référencés, l’« Hyper articles en ligne » – plus connue sous son acronyme <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a> – est devenue l’archive ouverte de référence en France. Experts comme citoyens peuvent sans entrave et à leur guise fouiller et consulter ce vaste corpus de publications scientifiques. « <em>À ses débuts, à la fin des années 1990, les questions portées par la science ouverte n’avaient pas encore autant d’écho qu’aujourd’hui</em> », se rappelle Serge Bauin, expert à la direction scientifique et technique du CNRS, qui suit le projet depuis sa création. Son développement débuta en 1999, à l’initiative du physicien Franck Laloë, déjà fervent utilisateur de l’archive ouverte américaine hep-th, alias <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a>, lancée dès 1991 par le physicien américain Paul Ginsparg. « <em>À l’époque, la pérennité d’arXiv n’était pas garantie. Le lancement du programme de HAL offrait alors davantage de garanties dans le temps</em> », souligne Serge Bauin. Le Centre pour la communication scientifi que directe a été créé pour développer la plateforme HAL qui n’a depuis cessé de s’ouvrir aux autres communautés scientifiques, au sein du CNRS comme à l’extérieur : « <em>La convention de 2013 signée à l’Académie des sciences par la quasi-totalité des institutions de recherche publique a permis de faire de HAL la référence nationale</em> », se réjouit-il.<br/>
 <br/>
Aujourd’hui, les 137 portails institutionnels de HAL facilitent l’accès à autant de documents scientifiques produits chaque année par les chercheuses et chercheurs de ces institutions (organismes de recherche, universités, grandes écoles, etc.). C’est d’ailleurs l’une des spécificités de HAL en regard de sa grande sœur arXiv : la richesse des descriptions rattachées à chaque publication en facilite grandement la recherche et l’indexation. En contrepartie, le dépôt des documents nécessite plus de temps : « <em>Il est indispensable de faciliter ce dépôt dans HAL</em> », pointe la biophysicienne Cécile Sykes, du laboratoire Physico-Chimie Curie.<br/>
 <br/>
À l’heure actuelle, environ la moitié des articles scientifiques produits au CNRS, et publiés dans des revues à comité de lecture, y sont néanmoins référencés : « <em>Nous visons 100 % à très court terme</em> », indique Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. « <em>On voit déjà se développer de nouvelles revues qui s’appuient directement sur HAL avec le service <a href="https://episciences.org/" target="_blank">episciences.org</a></em> », renchérit Serge Bauin. Ce dernier était sûrement loin de se douter, il y a vingt ans, que HAL puisse devenir la figure de proue de l’archive ouverte en France. <span>♦</span></p>
<p>------------------------------------------------------------------------------</p>
<h2>La science ouverte en 5 dates</h2>
<p><strong>1991</strong><br/>
Lancement de l’archive ouverte <a href="https://arxiv.org/" target="_blank">arXiv</a> aux États-Unis.<br/><strong><span>2001</span></strong><br/><span>- </span><a href="http://openaccess.inist.fr/?Initiative-de-Budapest-pour-l" target="_blank">Déclaration de Budapest</a><span> : projet qui vise à faciliter l’échange et la valorisation d’archives numériques.</span><br/><span>- Création de l’archive ouverte </span><a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/" target="_blank">HAL</a><span> par le CNRS.</span><br/><strong><span>2003</span></strong><br/><a href="http://openaccess.inist.fr/?Declaration-de-Berlin-sur-le-Libre" target="_blank">Déclaration de Berlin</a><span> : demande de la mise à disposition en libre accès de la littérature scientifique mondiale et de l’ensemble des données et logiciels ayant permis de produire cette connaissance.</span><br/><strong><span>2016</span></strong><br/><span>- </span><a href="https://openarchiv.hypotheses.org/files/2016/06/amsterdam-call-for-action-on-open-science.pdf" target="_blank">Amsterdam call for action</a><span> : pour un accès ouvert des publications issues de la recherche financée pour plus de 50 % par des fonds publics.</span><br/><span>- En octobre, promulgation de la </span><a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPubliee.do?idDocument=JORFDOLE000031589829&amp;type=general&amp;legislature=14" target="_blank">loi pour une République numérique</a><span> en France (ou loi Lemaire) : l’exception du droit d’auteur favorise le libre accès aux résultats des travaux de recherche publique (financée à plus de 50 % par des fonds publics) et l’autorisation de la fouille de textes et de données issues de cette même recherche.</span><br/><strong><span>2018</span></strong><br/><span>- Signature du « </span><a href="https://www.coalition-s.org/" target="_blank">Plan S</a><span> » par 11 agences européennes de financement dont l’ANR.</span><br/><span>- En juillet, le </span><a href="https://www.ouvrirlascience.fr/wp-content/uploads/2018/08/PLAN_NATIONAL_SCIENCE_OUVERTE_978672.pdf" target="_blank">Plan national pour la science ouverte</a><span> est annoncé par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal.</span><br/><span>- Le CNRS est signataire de la </span><a href="https://sfdora.org/read/fr/" target="_blank">Déclaration de San Francisco</a><span> (Dora) qui vise à améliorer l’évaluation de la recherche. Ce texte remet en cause l’utilisation abusive de l’indicateur de notoriété Journal Impact Factor. </span><span>♦</span></p>

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<title>« D’une aspiration utopique à un programme réalisable » : Entretien avec Kristian Williams sur l’abolition de la police (archive) — David Larlet</title>
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<article>
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<h1>« D’une aspiration utopique à un programme réalisable » : Entretien avec Kristian Williams sur l’abolition de la police</h1>
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<a href="/david/" title="Aller à l’accueil">🏠</a> •
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</p>
</nav>
<hr>
<main>
<p>Kristian Williams est un auteur et militant anarchiste qui vit à Portland. Il est l’auteur de nombreux livres, dont certains portent sur la police dans une perspective abolitionniste. Son premier livre, <em>Our Enemies in Blue,</em> est paru en 2003. Il a inspiré de nombreuses réflexions sur l’abolition de la police et il a été réédité plusieurs fois depuis. Son plus récent livre sur la police s’intitule <em>Fire the Cops! : Essays, Lectures, and Journalism </em>(2014). Récemment le journal <em>CQFD</em> a traduit une <a href="http://cqfd-journal.org/Intimer-une-limite-au-pouvoir">interview</a> de Kristian Williams, mais celui-ci reste encore peu connu des francophones, même si en septembre dernier, il a été <a href="https://parisabc.noblogs.org/post/2019/09/13/our-enemies-in-blue-lecture-et-discussion-avec-kristian-williams/">invité à Paris</a> par l’<a href="https://parisabc.noblogs.org/">Anarchist Black Cross – Paris</a>.</p>

<p>Cette interview a été réalisée courant août, dans un contexte politique états-unien marqué par les fortes mobilisations qui ont suivi le meurtre de George Floyd et la visibilité des mouvements abolitionnistes. Par ailleurs, début juillet, Trump a envoyé les Feds à Portland, ce qui a suscité un mois de manifestations massives, jusqu’à leur départ à la fin du mois et renouvelé les réflexions sur le rôle de la police dans la répression des mouvements sociaux.</p>

<p><em>Joël Charbit, Shaïn Morisse et Gwenola Ricordeau</em></p>

<p><strong>Nous voudrions d’abord évoquer avec vous quelques caractéristiques de la police et de son histoire aux États-Unis et qui sont au cœur de votre premier livre<em>, Our Enemies in Blue</em>. Pourriez-vous nous expliquer les liens entre l’esclavage et la police et comment ceux-ci ont façonné la naissance de l’institution policière…</strong></p>

<p>Dans <em>Our Enemies in Blue</em>, je soutiens que les premières forces de police modernes aux États-Unis émanent du système sudiste des patrouilles esclavagistes. C’était des groupes de type « milice » qui faisaient appliquer les lois, fouillaient les quartiers des esclaves et réprimaient les révoltes. Très progressivement, généralement en réaction à des révoltes d’esclaves réelles ou supposées, leurs caractéristiques se sont rapprochées de celles de la police moderne. Ils se sont professionnalisés, ont adopté des patrouilles de 24 heures, etc., mais surtout, cette évolution a laissé une empreinte raciste non seulement sur la façon dont le maintien de l’ordre est effectué, mais sur la manière dont la fonction est définie.</p>

<p><strong>Dans ce livre et dans des écrits ultérieurs, vous portez une attention particulière aux syndicats de policiers et aux contrats qu’ils passent avec les villes (et d’autres institutions), et, d’une manière plus générale, au « <em>blue power</em> »</strong><strong>. Pouvez-vous nous en dire plus ?</strong></p>

<p>L’un des éléments de la réaction contre le mouvement des droits civiques a été un renouveau militant et corporatiste parmi les policiers. Ils ont commencé à se penser comme des acteurs politiques, comme un groupe avec des intérêts distincts, et donc aussi comme des électeurs dont les politiciens devaient obtenir les faveurs, et dont la loyauté devait d’une manière ou d’une autre être récompensée. Cela a coïncidé avec une forte augmentation de la syndicalisation des policiers et, ce qui est tout aussi important, les syndicats ont commencé à faire porter leurs revendications sur des questions autres que les salaires et les conditions de travail. Parfois, il semble que la tâche principale des syndicats de policiers consiste à éviter aux flics d’avoir à rendre des comptes. Ce sentiment d’impunité traverse l’organisation et contribue à préserver l’autonomie de l’ensemble de l’institution. Cela crée une sorte de solidarité verticale au sein de la police et les négociations contractuelles se rapprochent de la collusion. Sur le plan politique, les syndicats de policiers se sont avérés être le plus grand obstacle à la fois à la responsabilité individuelle des policiers et à tout changement institutionnel significatif.</p>

<p><strong>Comment le maintien de l’ordre a-t-il été transformé par des formes de privatisation (par exemple, le recours à des contractuels par les organismes fédéraux) ? Quelles en sont les conséquences ?</strong></p>

<p>Les polices privées ont connu des hauts et des bas au cours de l’histoire. En général, quand les riches estiment que forces de police gouvernementales ne sont pas fiables – parfois pour des raisons politiques, comme en cas de soutien aux travailleurs en grève, mais plus souvent en raison de limites légales à l’action policière ou d’une incompétence pure et simple – ils se mettent à créer des forces de police qu’ils peuvent contrôler directement. Mais, tôt ou tard, la crise à l’origine de ce besoin d’une nouvelle police passe et le coût du maintien d’une armée privée apparaît comme un mauvais investissement. À ce moment-là, la responsabilité première du maintien de l’ordre retourne aux autorités locales – même si, parfois, ces dernières se contentent de reprendre le contrôle de l’organisation que les acteurs privés avaient créée dans le but de protéger leurs propres intérêts.</p>

<p><strong>Dans votre livre, vous évoquez la police comme « l’ennemi naturel de la classe des travailleurs ». Quel est le rôle de la police aux USA dans la répression des mouvements sociaux ?</strong></p>

<p>Je paraphrasais George Orwell, qui a lui-même envisagé le problème sous deux angles : d’abord en tant que membre de la police impériale en Birmanie, puis en tant que simple ouvrier, clochard et milicien dans l’Espagne révolutionnaire.</p>

<p>Il est intéressant de noter que James Baldwin – qui apparaît de plus en plus comme l’écrivain américain le plus important – a également décrit la police comme l’ennemi de la population noire, et ce, pour des raisons similaires à celles d’Orwell. Baldwin se préoccupait principalement de la race, et Orwell de la classe, mais ils virent tous deux la police œuvrer contre les aspirations des opprimés et des exploités.</p>

<p>Dans l’histoire des États-Unis, cela remonte aux patrouilles d’esclaves, puis ça s’est développé simultanément selon des logiques de race et de classe. On le perçoit ainsi dans la répression du mouvement ouvrier, la police jouant les briseurs de grève, espionnant les syndicats, assassinant les responsables syndicaux. Et on observe sensiblement la même chose dans la répression policière du mouvement des droits civiques, puis du mouvement Black Power, et aujourd’hui du mouvement Black Lives Matter.</p>

<p>Compte tenu de cette histoire, je soutiens que c’est à cela que servent véritablement les forces de police. Leur origine et leur développement ont beaucoup moins à voir avec la criminalité qu’avec la préservation de la répartition des pouvoirs existante – c’est-à-dire la perpétuation des inégalités. Si elles peuvent y parvenir en appliquant la loi, elles le feront ; mais elles le feront tout aussi volontiers en l’enfreignant.</p>

<p><strong>Vous avez aussi dans votre livre cette formule « <em>Community policing + militarization = counterinsurgensy</em> » (police de proximité + militarisation = contre-insurrection). Pouvez-vous l’expliquer et développer ?</strong></p>

<p>On pense souvent qu’il faut que la police choisisse entre une approche aimable, éclairée et de proximité, ou une approche militaire plus dure et redoutable. Je pense que c’est une erreur. J’ai constaté dans mes recherches que ces deux tendances se sont toutes deux développées dans les années 60 et 70 en réponse au mouvement social de l’époque, en particulier au mouvement des droits civiques, et qu’elles ont été observées au sein des mêmes services. En creusant, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de deux aspects d’une même stratégie, en réalité d’une transposition de la contre-insurrection sur le plan intérieur.</p>

<p>La contre-insurrection, qui est véritablement la science de la guerre contre-révolutionnaire, admet l’utilisation d’une puissance de feu supérieure [à celle des ennemis], mais elle prend en considération que celle-ci ne sera jamais suffisante pour pacifier une société inégalitaire. La dimension politique est plus importante que la dimension militaire, et les gouvernements doivent par conséquent gagner la légitimité et le soutien de la population, s’ils veulent assurer leur capacité à gouverner.</p>

<p>C’est pourquoi, à l’étranger, on voit coexister les campagnes visant à gagner « les cœurs et les esprits » et les zones de tir libre, ou encore les escadrons de la mort et l’aide au développement. Sur le plan intérieur, ça a mené à la création des unités d’intervention SWAT (<em>Special Weapons And Tactics</em>, c’est-à-dire « armes et tactiques spéciales »), ainsi qu’à la surveillance de voisinage, aux flics dans des véhicules blindés et aux flics dans les écoles.</p>

<p>Lorsque j’ai présenté cet argument pour la première fois en 2004, je n’en étais pas vraiment certain. Mais à mesure que les guerres en Afghanistan et en Irak s’éternisaient, l’armée états-unienne a manifesté un regain d’intérêt pour la contre-insurrection. Et, parmi les endroits où ils ont cherché à réapprendre cette théorie et ses techniques figuraient les services de police américains. Les Marines ont ainsi d’abord observé l’équipe anti-gang du LAPD (<em>Los Angeles Police Department</em>) avant de se déployer en Irak, et les stratèges militaires ont d’abord testé leurs théories en conseillant les flics locaux. Hypothèse confirmée, donc.</p>

<p><strong>Si l’on compare les histoires politiques françaises et états-uniennes, le mouvement en faveur de l’abolition de la police est bien plus avancé aux USA. Qu’est ce qui a permis aux USA de faire advenir ce mouvement ?</strong></p>

<p>Le mouvement pour l’abolition de la police est issu, d’une part, du mouvement pour la responsabilisation de la police (qui visait simplement à placer la police sous une sorte de contrôle public), et d’autre part, du mouvement pour l’abolition des prisons. Le mouvement pour l’abolition des prisons remonte aux années 60 et aux luttes pour la libération des prisonniers politiques, puis au soulèvement d’Attica. Il a pris sa forme actuelle avec la fondation de <em>Critical Resistance</em> (CR) à la fin des années 90. Le travail de CR – son insistance à considérer la fin du système carcéral comme un véritable objectif, puis sa collaboration avec <em>Incite!</em> pour traiter le problème des violences intracommunautaires – a vraiment réorienté le mouvement de responsabilisation de la police aux États-Unis, en élargissant son programme, qui est alors passé de la responsabilisation et de la réforme à l’abolition.</p>

<p>Auparavant, il y avait toujours eu une sorte de prudence parmi les personnes qui critiquaient les flics, un besoin de paraître réaliste, et donc jamais trop radical. Cela a changé aujourd’hui, en partie grâce au travail des militant·e·s anticarcéraux/anticarcérales qui ont élargi notre champ des possibles, mais aussi parce que les tentatives de réforme ont tout simplement échoué. Le XXe siècle a été un siècle de réformes, et qu’est-ce que cela nous a apporté ? Les flics sont mieux formé·e·s, mieux équipé·e·s, mieux organisé·e·s – et ils/elles se comportent encore comme des voyous racistes. L’abolition s’avère être l’approche la plus réaliste.</p>

<p><strong>Pensez-vous que l’abolition de la police soit envisageable sans l’abolition du système pénal ? En fin de compte, devrait-on parler d’« abolition de la police » ou d’« abolition du maintien de l’ordre » ?</strong></p>

<p>Il est tout à fait possible de supprimer l’institution actuelle du maintien de l’ordre, puis d’essayer de combler le vide par quelque chose d’autre – mais dans ce cas, ce « quelque chose d’autre » remplira la même fonction que le maintien de l’ordre.</p>

<p>Si nous voulons faire les choses correctement – et encore une fois, c’est une idée empruntée au mouvement pour l’abolition des prisons – nous ne pouvons pas simplement éliminer une partie du système pénal et chercher ensuite quelque chose pour la remplacer. Nous devons abolir tout le système pénal tel qu’il existe actuellement, et réimaginer de façon radicale ce que recouvrent les notions de justice et de sécurité publique. Et puisque (à mon avis) la véritable fonction du système pénal n’est pas la justice ou la sécurité publique, mais la perpétuation des inégalités, pour se débarrasser de ces institutions, nous devons en fin de compte restructurer notre société sur des bases plus égalitaires.</p>

<p>C’est un défi de taille, quel que soit le nom qu’on lui donne. Mais rien d’autre ne nous apportera la justice.</p>

<p><strong>Comment répondez-vous aux personnes qui prédisent ou craignent que, dans un monde sans police, le chaos et la vengeance personnelle deviennent la norme ?</strong></p>

<p>Cette inquiétude n’est pas insensée. Je veux dire par là que je doute que nous souhaitions vivre dans un monde où absolument <em>personne</em> ne protégerait les personnes faibles et pacifiques des personnes fortes et prédatrices, ou dans lequel la seule manière de répondre aux torts et aux injustices consisterait à recourir à une sorte de vendetta ou un bain de sang. Mais, au bout du compte, la police n’est pas très efficace en matière de lutte contre la criminalité, et il est possible de démontrer que d’autres institutions existantes – les écoles et les services sociaux – ont globalement plus d’effets que la police sur la criminalité.</p>

<p>Le programme abolitionniste ne peut se contenter de supprimer l’institution à laquelle nous nous opposons. Il doit également offrir des alternatives pour résoudre les différends, limiter les conflits, garantir la paix et répondre à la criminalité. À vrai dire, il n’y a pas de solution miracle, et il est peu probable qu’il y ait une réponse uniforme à ce problème, mais il existe une histoire riche en expériences de justice communautaire, dont on peut sans aucun doute tirer des leçons, ainsi que des possibilités qui restent inexplorées.</p>

<p><strong><em>Fire the Cops</em> (2010) commence par une « brève rétrospective » depuis que vous avez commencé à militer et à écrire sur la police à la fin des années 1990. Dans la préface de l’édition révisée de <em>Our Enemies in Blue</em> (2015), vous écrivez, comme vous le dites, « en plein cœur d’une crise », caractérisée par une vague exceptionnelle de manifestations et d’émeutes, déclenchée par un incident « malheureusement typique » : le meurtre de Michael Brown en août 2014. Vous dites que cette crise a fait resurgir bon nombre de thématiques déjà soulevées dix ans auparavant dans la première édition de votre livre (« la race, la classe, la violence, les normes de l’ordre public, les émeutes, la gestion des foules, la militarisation des polices locales, le pouvoir des syndicats de police, la collaboration avec les groupes paramilitaires racistes, la récupération des leaders des mouvements sociaux, les promesses et les dangers de la réforme, et les alternatives au maintien de l’ordre »). Pouvez-vous faire le point sur ce qui a changé – ou non – entre la fin des années 1990 et aujourd’hui ?</strong></p>

<p>Il y a trois types de changements à prendre en compte : les changements concernant le maintien de l’ordre, les changements relatifs à la recherche sur le maintien de l’ordre et les changements portant sur la politique de maintien de l’ordre.</p>

<p>Pour ce qui est du maintien de l’ordre en lui-même, les polices locales sont beaucoup plus engagées dans la lutte contre l’immigration, les fonctions de la police politique n’ont cessé de s’étendre au cours des deux dernières décennies et, plus récemment, on a vu la police fédérale, notamment les <em>Marshals</em>, les patrouilles frontalières et le Service fédéral de protection, s’immiscer dans ce qui relève normalement des affaires locales, en particulier le maintien de l’ordre des manifestations politiques. Ces phénomènes ne sont évidemment pas nouveaux, mais combinés, ils témoignent d’une implication plus profonde et inédite du gouvernement fédéral dans le maintien de l’ordre aux États-Unis, et les deux premiers phénomènes en particulier ont pris une telle ampleur qu’ils ont eu des effets néfastes sur la responsabilisation de la police, mais également des incidences sur son travail ordinaire.</p>

<p>Pour ce qui est de la recherche sur le maintien de l’ordre, plusieurs affirmations controversées que j’ai mises en avant dans <em>Our Enemies in Blue</em> ont depuis lors été bien plus largement admises – par exemple : l’idée que les forces de police tirent leurs origines des patrouilles esclavagistes du Sud plutôt que des rondes de nuit [<em>night watch</em>] de la Nouvelle-Angleterre, et que la police de proximité représente une déclinaison de la guerre contre-insurrectionnelle sur le plan intérieur. De manière tout aussi importante – et cela a même dépassé l’argument que j’avais présenté dans ce livre – les recherches ont fait une place grandissante au genre dans l’analyse du maintien de l’ordre, en examinant comment le genre a façonné le travail policier et la façon dont les forces de police ont oeuvré à maintenir la binarité et la hiérarchie des genres.</p>

<p>Mais la plus grande avancée intellectuelle réside peut-être dans le fait que nous connaissons désormais le nombre de personnes tuées par la police. D’après un décompte tenu par le <em>Washington Post</em>, la police tue environ 1 000 personnes chaque année (999 par balles en 2019). Cela représente environ trois fois les estimations précédentes les plus élevées : une étude du ministère de la Justice a recensé 1 095 personnes tuées par la police sur une période de trois ans allant de 2003 à 2005, soit une moyenne de 365 par an. Ce nouveau chiffre est remarquable pour deux raisons. Premièrement, il établit un nouveau point de comparaison bien différent. Deuxièmement, dans la mesure où les décès sont les indicateurs de la violence policière les plus fiables, le fait que l’estimation précédente était <em>si</em> erronée montre à quel point, d’une manière générale, nous en savons en réalité peu sur l’utilisation de la force par la police. Si nous n’avons appris que récemment, et avec beaucoup de difficultés, combien de personnes la police tue, il faut partir du principe que les statistiques dont nous disposons concernant les autres formes de violence policière sont aussi terriblement inexactes. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est que l’usage de la force par la police est systématiquement sous-déclaré et que les victimes font l’objet d’une sous-estimation flagrante.</p>

<p>Sur le plan politique, au cours des deux dernières décennies, on a assisté à une forte radicalisation du mouvement de contestation du maintien de l’ordre, notamment avec le passage d’une perspective centrée sur la responsabilisation de la police à une perspective abolitionniste. Et l’idée de l’abolition de la police est ainsi passée d’une aspiration utopique à un programme réalisable, tout récemment avec des efforts visant à arrêter de financer la police [<em>defund police</em>], et avant cela avec des expériences menées dans le cadre de projets communautaires de justice réparatrice ou transformatrice – c’est-à-dire des tentatives de justice qui ne dépendent pas de l’État et qui ne reproduisent pas la même logique punitive.</p>

<p><strong>Dans la préface de <em>Our Enemies in Blue</em>, vous avez également exprimé l’espoir que cet épisode (le mouvement Black Lives Matter qui a suivi le meurtre de Michael Brown) ne soit pas </strong>« <strong>simplement un nouveau chapitre de l’histoire du maintien de l’ordre, mais une rupture décisive avec le passé </strong>»<strong>. Rétrospectivement, quel bilan tirez-vous de ces manifestations et mouvements en faveur de l’abolition de la police ?</strong></p>

<p>Ils se sont révélés plus importants que ce que j’imaginais à l’époque. Ils ont d’abord contribué à faire de l’abolition une position légitime dans le champ politique. Jusqu’alors, la notion d’abolition de la police était à peine prise au sérieux en dehors des cercles les plus radicaux. Mais les manifestations de Ferguson ont permis de la faire connaître au grand public, même si elles ont engendré quelques réformes substantielles – quoique limitées. Les limites de ces réformes sont précisément devenues criantes et la stratégie de réforme en a été largement discréditée. Dans la vague actuelle de manifestations – surtout au début – il n’y a presque pas eu de revendications émises, si ce n’est de cesser de financer la police. En d’autres termes, le mouvement s’est positionné dès l’origine, non pas comme une action visant à améliorer la police, mais comme une entreprise destinée à s’en débarrasser. La seule question qui se posait alors était de savoir jusqu’où il fallait aller pour diminuer le nombre de flics plutôt que de chercher à les améliorer.</p>

<p><strong>L’appel à l’arrêt du financement de la police a largement circulé, au point que certain·e·s politicien·ne·s ont repris cette revendication à leur compte. Quelles sont les limites de ce type de revendication ?</strong></p>

<p>De mon point de vue, elle a deux faiblesses principales. D’une part, elle peut être acceptée à peu de frais par les politicien·ne·s, simplement en introduisant des coupures budgétaires mineures, voire même en se contentant de promouvoir une certaine rigueur fiscale. Bien sûr, ceci reste une victoire après un demi-siècle d’explosion des budgets de la police, mais c’est une victoire plus modeste que d’autres scénarios possibles. La seconde faiblesse vient du fait qu’en soi, réduire les budgets de la police n’affecte en rien le reste du système pénal. Par exemple, ca ne change rien pour les deux millions de personnes qui sont en prison. Dans les deux cas, le problème est le même : la revendication ne va pas assez loin.</p>

<p><strong>La « récupération [<em>cooptation</em>] de l’abolitionnisme » – sa « mainstreamisation » – est une préoccupation grandissante pour les abolitionnistes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Peut-on imaginer une abolition de la police qui n’abolirait pas vraiment le maintien de l’ordre ?</strong></p>

<p>Le problème vient du fait que la rhétorique abolitionniste, voire certaines idées abolitionnistes, peuvent être reprises par certain·e·s représentant·e·s politiques et législateurs·rices et dévoyées en réformes réductionnistes qui, loin de rompre avec le système pénal, se contentent en fait de déplacer ses aspects coercitifs, répressifs et disciplinaires vers d’autres sortes institutions, qu’il s’agisse des sociétés de sécurité privées ou des services sociaux, aussi utilisés comme des systèmes de contrôle social. Pour le dire brièvement, l’inquiétude porte sur les implications, et elles sont radicales, d’un abolitionnisme dilué qui se rapprocherait d’une approche néolibérale du maintien de l’ordre.</p>

<p><strong>Pensez-vous que la police – ou le maintien de l’ordre – pourraient être abolis sans que ne le soit également le système capitaliste et raciste ?</strong></p>

<p>Oui et non. La police, en tant qu’institution, est un appareil coercitif qui vise au contrôle des populations identifiées comme problématiques du point de vue de la hiérarchie sociale, afin de préserver cette hiérarchie. Tant que notre société continuera d’être stratifiée racialement et en classes, il y aura des mécanismes pour préserver cette stratification, même s’ils diffèrent de l’institution policière que nous connaissons actuellement et de ses manières d’agir. Cependant, la promesse radicale de l’abolition, ce n’est pas seulement de se débarrasser de telle ou telle institution, mais aussi de rendre l’État incapable de remplir cette fonction de quelque manière que ce soit. Ce serait alors la disparition de l’un des plus grand mécanismes de préservation des inégalités. Ce mécanisme disparu, si la société devait survivre, ce ne pourrait être qu’en se réinventant sur des bases plus égalitaires.</p>

<p><strong>Comme vous l’avez montré dans</strong> <strong><em>Fire the cops!</em>, vous avez depuis longtemps pris position contre l’inclusion des syndicats policiers dans le mouvement ouvrier. Récemment, la volonté d’expulser ces syndicats policiers des fédérations syndicales a gagné en popularité. Quels sont les principaux obstacles à cette revendication ? Que pensez-vous des contre-arguments qui défendent l’idée d’une « pente glissante » (c’est-à-dire qu’expulser les syndicats de policiers affaiblirait à terme les mouvements syndicaux et le droit de se syndiquer) ?</strong></p>

<p>La relation entre les flics et le mouvement syndical est assez compliquée. D’un point de vue historique, bien sûr, les flics n’ont cessé d’espionner les syndicats, de casser les piquets de grève ou de persécuter les leaders syndicaux. Les syndicats de policiers ont le plus souvent évolué à l’extérieur des principales composantes du mouvement syndical. Dans de nombreux cas, les autorités municipales n’ont accepté de reconnaître ces syndicats de policiers qu’à la condition qu’ils ne s’affilient pas à un autre syndicat. Cette exigence visait clairement à préserver « l’impartialité » à la police, c’est-à-dire sa disposition à briser les grèves. Comme les syndicats sont devenus moins militants, ce type de conflit direct a été moins fréquent (et les syndicats se sont affaiblis). Mais en même temps, il est très rare que la police fasse preuve d’une quelconque solidarité au-delà de ses propres rangs, même avec d’autres employé·e·s du secteur public. Les policier·e·s se perçoivent comme à part. Leurs syndicats s’adressent aux flics <em>comme flics</em>, bien plus que <em>comme travailleurs/travailleuses, </em>et leurs discours et buts s’inspirent bien plus d’une perspective de maintien de l’ordre que d’une perspective de classe. Les autorités locales tendent également à leur réserver un traitement de faveur, avec des salaires plus généreux et moins de comptes à rendre.</p>

<p>Néanmoins, les responsables syndicaux sont généralement frileux lorsqu’il s’agit de critiquer ouvertement la police, et s’opposent souvent à des mesures qui affaibliraient leurs organisations. Cette réticence s’explique en partie par une mauvaise analyse de classe, qui voit sincèrement la police comme un groupe de travailleurs qui fait simplement son travail, comme tout le monde. Bien sûr, ils oublient qu’une partie de leur travail consiste à exercer un contrôle violent sur la classe ouvrière (ainsi que d’autres parties de la population potentiellement rebelles), et en particulier à briser occasionnellement des grèves. L’autre raison de leur position, il me semble, c’est en effet l’argument plus profond de la « pente glissante » que vous mentionniez. Selon cet argument, l’attaque des syndicats policiers serait une perspective court-termiste, dans la mesure où elle créerait un précédent, et qu’à partir de là, il serait possible d’attaquer ensuite les syndicats d’enseignants ou d’éboueurs. Il y a une part de vérité dans tout cela. Il ne fait pas de doute que les forces anti-syndicales profiteront de cette opportunité pour affirmer que si les policier·e·s ne peuvent pas se syndiquer, les enseignant·e·s ne devraient pas pouvoir le faire non plus.</p>

<p>Mais je crois que soutenir les syndicats de policier·e·s est encore plus court-termiste. Premièrement, ce soutien n’a pas apporté grand-chose à la protection du mouvement syndical. Au lieu de cela, les attaques contre les syndicats d’employés du secteur public se poursuivent en se contentant de faire une exception pour la police. Deuxièmement, puisque la principale fonction des syndicats policiers est d’éviter d’avoir des comptes à rendre, se ranger de leur côté, c’est rendre tout le mouvement syndical complice du racisme et de la violence quotidienne qui caractérise le maintien de l’ordre aux États-Unis. Cela ne pourra déboucher que sur une chose : accroître la suspicion des personnes non-blanches envers le monde syndical et exclure de fait ces personnes du syndicalisme. Dans une campagne syndicale à laquelle j’ai participé, un employé de bibliothèque noir a refusé par principe d’adhérer à un syndicat – l’<em>American Federation of State, County, and Municipal Employees</em> (Fédération Américaine des Employé·e·s d’État, de Comtés et de Municipalités) – parce que cette organisation syndiquait également des gardien·ne·s de prison.</p>

<p>Au final, je pense que c’est à nous, les militant·e·s syndicaux/syndicales, de virer les gardien·ne·s de prison et de diriger nos efforts vers les personnes non-blanches. S’organiser sur la base de critères de classe signifie nécessairement lutter contre le racisme au sein de nos organisations. Et cela doit se faire au niveau structurel ; ça ne peut pas se limiter à des actions symboliques de commémoration de la fin de l’esclavage le 19 juin ou à des formations de sensibilisation. Les syndicats doivent se détourner du système pénal. Ce n’est pas juste une question morale, c’est une question essentielle de survie pour le mouvement syndical.</p>
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<p>Kristian Williams est un auteur et militant anarchiste qui vit à Portland. Il est l’auteur de nombreux livres, dont certains portent sur la police dans une perspective abolitionniste. Son premier livre, <em>Our Enemies in Blue,</em> est paru en 2003. Il a inspiré de nombreuses réflexions sur l’abolition de la police et il a été réédité plusieurs fois depuis. Son plus récent livre sur la police s’intitule <em>Fire the Cops! : Essays, Lectures, and Journalism </em>(2014). Récemment le journal <em>CQFD</em> a traduit une <a href="http://cqfd-journal.org/Intimer-une-limite-au-pouvoir">interview</a> de Kristian Williams, mais celui-ci reste encore peu connu des francophones, même si en septembre dernier, il a été <a href="https://parisabc.noblogs.org/post/2019/09/13/our-enemies-in-blue-lecture-et-discussion-avec-kristian-williams/">invité à Paris</a> par l’<a href="https://parisabc.noblogs.org/">Anarchist Black Cross – Paris</a>.</p>

<p>Cette interview a été réalisée courant août, dans un contexte politique états-unien marqué par les fortes mobilisations qui ont suivi le meurtre de George Floyd et la visibilité des mouvements abolitionnistes. Par ailleurs, début juillet, Trump a envoyé les Feds à Portland, ce qui a suscité un mois de manifestations massives, jusqu’à leur départ à la fin du mois et renouvelé les réflexions sur le rôle de la police dans la répression des mouvements sociaux.</p>
<p><em>Joël Charbit, Shaïn Morisse et Gwenola Ricordeau</em></p>

<p><strong>Nous voudrions d’abord évoquer avec vous quelques caractéristiques de la police et de son histoire aux États-Unis et qui sont au cœur de votre premier livre<em>, Our Enemies in Blue</em>. Pourriez-vous nous expliquer les liens entre l’esclavage et la police et comment ceux-ci ont façonné la naissance de l’institution policière…</strong></p>

<p>Dans <em>Our Enemies in Blue</em>, je soutiens que les premières forces de police modernes aux États-Unis émanent du système sudiste des patrouilles esclavagistes. C’était des groupes de type « milice » qui faisaient appliquer les lois, fouillaient les quartiers des esclaves et réprimaient les révoltes. Très progressivement, généralement en réaction à des révoltes d’esclaves réelles ou supposées, leurs caractéristiques se sont rapprochées de celles de la police moderne. Ils se sont professionnalisés, ont adopté des patrouilles de 24 heures, etc., mais surtout, cette évolution a laissé une empreinte raciste non seulement sur la façon dont le maintien de l’ordre est effectué, mais sur la manière dont la fonction est définie.</p>
<p><strong>Dans ce livre et dans des écrits ultérieurs, vous portez une attention particulière aux syndicats de policiers et aux contrats qu’ils passent avec les villes (et d’autres institutions), et, d’une manière plus générale, au « <em>blue power</em> »</strong><strong>. Pouvez-vous nous en dire plus ?</strong></p>
<p>L’un des éléments de la réaction contre le mouvement des droits civiques a été un renouveau militant et corporatiste parmi les policiers. Ils ont commencé à se penser comme des acteurs politiques, comme un groupe avec des intérêts distincts, et donc aussi comme des électeurs dont les politiciens devaient obtenir les faveurs, et dont la loyauté devait d’une manière ou d’une autre être récompensée. Cela a coïncidé avec une forte augmentation de la syndicalisation des policiers et, ce qui est tout aussi important, les syndicats ont commencé à faire porter leurs revendications sur des questions autres que les salaires et les conditions de travail. Parfois, il semble que la tâche principale des syndicats de policiers consiste à éviter aux flics d’avoir à rendre des comptes. Ce sentiment d’impunité traverse l’organisation et contribue à préserver l’autonomie de l’ensemble de l’institution. Cela crée une sorte de solidarité verticale au sein de la police et les négociations contractuelles se rapprochent de la collusion. Sur le plan politique, les syndicats de policiers se sont avérés être le plus grand obstacle à la fois à la responsabilité individuelle des policiers et à tout changement institutionnel significatif.</p>
<p><strong>Comment le maintien de l’ordre a-t-il été transformé par des formes de privatisation (par exemple, le recours à des contractuels par les organismes fédéraux) ? Quelles en sont les conséquences ?</strong></p>
<p>Les polices privées ont connu des hauts et des bas au cours de l’histoire. En général, quand les riches estiment que forces de police gouvernementales ne sont pas fiables – parfois pour des raisons politiques, comme en cas de soutien aux travailleurs en grève, mais plus souvent en raison de limites légales à l’action policière ou d’une incompétence pure et simple – ils se mettent à créer des forces de police qu’ils peuvent contrôler directement. Mais, tôt ou tard, la crise à l’origine de ce besoin d’une nouvelle police passe et le coût du maintien d’une armée privée apparaît comme un mauvais investissement. À ce moment-là, la responsabilité première du maintien de l’ordre retourne aux autorités locales – même si, parfois, ces dernières se contentent de reprendre le contrôle de l’organisation que les acteurs privés avaient créée dans le but de protéger leurs propres intérêts.</p>
<p><strong>Dans votre livre, vous évoquez la police comme « l’ennemi naturel de la classe des travailleurs ». Quel est le rôle de la police aux USA dans la répression des mouvements sociaux ?</strong></p>
<p>Je paraphrasais George Orwell, qui a lui-même envisagé le problème sous deux angles : d’abord en tant que membre de la police impériale en Birmanie, puis en tant que simple ouvrier, clochard et milicien dans l’Espagne révolutionnaire.</p>
<p>Il est intéressant de noter que James Baldwin – qui apparaît de plus en plus comme l’écrivain américain le plus important – a également décrit la police comme l’ennemi de la population noire, et ce, pour des raisons similaires à celles d’Orwell. Baldwin se préoccupait principalement de la race, et Orwell de la classe, mais ils virent tous deux la police œuvrer contre les aspirations des opprimés et des exploités.</p>
<p>Dans l’histoire des États-Unis, cela remonte aux patrouilles d’esclaves, puis ça s’est développé simultanément selon des logiques de race et de classe. On le perçoit ainsi dans la répression du mouvement ouvrier, la police jouant les briseurs de grève, espionnant les syndicats, assassinant les responsables syndicaux. Et on observe sensiblement la même chose dans la répression policière du mouvement des droits civiques, puis du mouvement Black Power, et aujourd’hui du mouvement Black Lives Matter.</p>
<p>Compte tenu de cette histoire, je soutiens que c’est à cela que servent véritablement les forces de police. Leur origine et leur développement ont beaucoup moins à voir avec la criminalité qu’avec la préservation de la répartition des pouvoirs existante – c’est-à-dire la perpétuation des inégalités. Si elles peuvent y parvenir en appliquant la loi, elles le feront ; mais elles le feront tout aussi volontiers en l’enfreignant.</p>
<p><strong>Vous avez aussi dans votre livre cette formule « <em>Community policing + militarization = counterinsurgensy</em> » (police de proximité + militarisation = contre-insurrection). Pouvez-vous l’expliquer et développer ?</strong></p>
<p>On pense souvent qu’il faut que la police choisisse entre une approche aimable, éclairée et de proximité, ou une approche militaire plus dure et redoutable. Je pense que c’est une erreur. J’ai constaté dans mes recherches que ces deux tendances se sont toutes deux développées dans les années 60 et 70 en réponse au mouvement social de l’époque, en particulier au mouvement des droits civiques, et qu’elles ont été observées au sein des mêmes services. En creusant, je me suis rendu compte qu’il s’agissait de deux aspects d’une même stratégie, en réalité d’une transposition de la contre-insurrection sur le plan intérieur.</p>
<p>La contre-insurrection, qui est véritablement la science de la guerre contre-révolutionnaire, admet l’utilisation d’une puissance de feu supérieure [à celle des ennemis], mais elle prend en considération que celle-ci ne sera jamais suffisante pour pacifier une société inégalitaire. La dimension politique est plus importante que la dimension militaire, et les gouvernements doivent par conséquent gagner la légitimité et le soutien de la population, s’ils veulent assurer leur capacité à gouverner.</p>
<p>C’est pourquoi, à l’étranger, on voit coexister les campagnes visant à gagner « les cœurs et les esprits » et les zones de tir libre, ou encore les escadrons de la mort et l’aide au développement. Sur le plan intérieur, ça a mené à la création des unités d’intervention SWAT (<em>Special Weapons And Tactics</em>, c’est-à-dire « armes et tactiques spéciales »), ainsi qu’à la surveillance de voisinage, aux flics dans des véhicules blindés et aux flics dans les écoles.</p>
<p>Lorsque j’ai présenté cet argument pour la première fois en 2004, je n’en étais pas vraiment certain. Mais à mesure que les guerres en Afghanistan et en Irak s’éternisaient, l’armée états-unienne a manifesté un regain d’intérêt pour la contre-insurrection. Et, parmi les endroits où ils ont cherché à réapprendre cette théorie et ses techniques figuraient les services de police américains. Les Marines ont ainsi d’abord observé l’équipe anti-gang du LAPD (<em>Los Angeles Police Department</em>) avant de se déployer en Irak, et les stratèges militaires ont d’abord testé leurs théories en conseillant les flics locaux. Hypothèse confirmée, donc.</p>
<p><strong>Si l’on compare les histoires politiques françaises et états-uniennes, le mouvement en faveur de l’abolition de la police est bien plus avancé aux USA. Qu’est ce qui a permis aux USA de faire advenir ce mouvement ?</strong></p>
<p>Le mouvement pour l’abolition de la police est issu, d’une part, du mouvement pour la responsabilisation de la police (qui visait simplement à placer la police sous une sorte de contrôle public), et d’autre part, du mouvement pour l’abolition des prisons. Le mouvement pour l’abolition des prisons remonte aux années 60 et aux luttes pour la libération des prisonniers politiques, puis au soulèvement d’Attica. Il a pris sa forme actuelle avec la fondation de <em>Critical Resistance</em> (CR) à la fin des années 90. Le travail de CR – son insistance à considérer la fin du système carcéral comme un véritable objectif, puis sa collaboration avec <em>Incite!</em> pour traiter le problème des violences intracommunautaires – a vraiment réorienté le mouvement de responsabilisation de la police aux États-Unis, en élargissant son programme, qui est alors passé de la responsabilisation et de la réforme à l’abolition.</p>
<p>Auparavant, il y avait toujours eu une sorte de prudence parmi les personnes qui critiquaient les flics, un besoin de paraître réaliste, et donc jamais trop radical. Cela a changé aujourd’hui, en partie grâce au travail des militant·e·s anticarcéraux/anticarcérales qui ont élargi notre champ des possibles, mais aussi parce que les tentatives de réforme ont tout simplement échoué. Le XXe siècle a été un siècle de réformes, et qu’est-ce que cela nous a apporté ? Les flics sont mieux formé·e·s, mieux équipé·e·s, mieux organisé·e·s – et ils/elles se comportent encore comme des voyous racistes. L’abolition s’avère être l’approche la plus réaliste.</p>
<p><strong>Pensez-vous que l’abolition de la police soit envisageable sans l’abolition du système pénal ? En fin de compte, devrait-on parler d’« abolition de la police » ou d’« abolition du maintien de l’ordre » ?</strong></p>
<p>Il est tout à fait possible de supprimer l’institution actuelle du maintien de l’ordre, puis d’essayer de combler le vide par quelque chose d’autre – mais dans ce cas, ce « quelque chose d’autre » remplira la même fonction que le maintien de l’ordre.</p>
<p>Si nous voulons faire les choses correctement – et encore une fois, c’est une idée empruntée au mouvement pour l’abolition des prisons – nous ne pouvons pas simplement éliminer une partie du système pénal et chercher ensuite quelque chose pour la remplacer. Nous devons abolir tout le système pénal tel qu’il existe actuellement, et réimaginer de façon radicale ce que recouvrent les notions de justice et de sécurité publique. Et puisque (à mon avis) la véritable fonction du système pénal n’est pas la justice ou la sécurité publique, mais la perpétuation des inégalités, pour se débarrasser de ces institutions, nous devons en fin de compte restructurer notre société sur des bases plus égalitaires.</p>
<p>C’est un défi de taille, quel que soit le nom qu’on lui donne. Mais rien d’autre ne nous apportera la justice.</p>
<p><strong>Comment répondez-vous aux personnes qui prédisent ou craignent que, dans un monde sans police, le chaos et la vengeance personnelle deviennent la norme ?</strong></p>
<p>Cette inquiétude n’est pas insensée. Je veux dire par là que je doute que nous souhaitions vivre dans un monde où absolument <em>personne</em> ne protégerait les personnes faibles et pacifiques des personnes fortes et prédatrices, ou dans lequel la seule manière de répondre aux torts et aux injustices consisterait à recourir à une sorte de vendetta ou un bain de sang. Mais, au bout du compte, la police n’est pas très efficace en matière de lutte contre la criminalité, et il est possible de démontrer que d’autres institutions existantes – les écoles et les services sociaux – ont globalement plus d’effets que la police sur la criminalité.</p>
<p>Le programme abolitionniste ne peut se contenter de supprimer l’institution à laquelle nous nous opposons. Il doit également offrir des alternatives pour résoudre les différends, limiter les conflits, garantir la paix et répondre à la criminalité. À vrai dire, il n’y a pas de solution miracle, et il est peu probable qu’il y ait une réponse uniforme à ce problème, mais il existe une histoire riche en expériences de justice communautaire, dont on peut sans aucun doute tirer des leçons, ainsi que des possibilités qui restent inexplorées.</p>
<p><strong><em>Fire the Cops</em> (2010) commence par une « brève rétrospective » depuis que vous avez commencé à militer et à écrire sur la police à la fin des années 1990. Dans la préface de l’édition révisée de <em>Our Enemies in Blue</em> (2015), vous écrivez, comme vous le dites, « en plein cœur d’une crise », caractérisée par une vague exceptionnelle de manifestations et d’émeutes, déclenchée par un incident « malheureusement typique » : le meurtre de Michael Brown en août 2014. Vous dites que cette crise a fait resurgir bon nombre de thématiques déjà soulevées dix ans auparavant dans la première édition de votre livre (« la race, la classe, la violence, les normes de l’ordre public, les émeutes, la gestion des foules, la militarisation des polices locales, le pouvoir des syndicats de police, la collaboration avec les groupes paramilitaires racistes, la récupération des leaders des mouvements sociaux, les promesses et les dangers de la réforme, et les alternatives au maintien de l’ordre »). Pouvez-vous faire le point sur ce qui a changé – ou non – entre la fin des années 1990 et aujourd’hui ?</strong></p>
<p>Il y a trois types de changements à prendre en compte : les changements concernant le maintien de l’ordre, les changements relatifs à la recherche sur le maintien de l’ordre et les changements portant sur la politique de maintien de l’ordre.</p>
<p>Pour ce qui est du maintien de l’ordre en lui-même, les polices locales sont beaucoup plus engagées dans la lutte contre l’immigration, les fonctions de la police politique n’ont cessé de s’étendre au cours des deux dernières décennies et, plus récemment, on a vu la police fédérale, notamment les <em>Marshals</em>, les patrouilles frontalières et le Service fédéral de protection, s’immiscer dans ce qui relève normalement des affaires locales, en particulier le maintien de l’ordre des manifestations politiques. Ces phénomènes ne sont évidemment pas nouveaux, mais combinés, ils témoignent d’une implication plus profonde et inédite du gouvernement fédéral dans le maintien de l’ordre aux États-Unis, et les deux premiers phénomènes en particulier ont pris une telle ampleur qu’ils ont eu des effets néfastes sur la responsabilisation de la police, mais également des incidences sur son travail ordinaire.</p>
<p>Pour ce qui est de la recherche sur le maintien de l’ordre, plusieurs affirmations controversées que j’ai mises en avant dans <em>Our Enemies in Blue</em> ont depuis lors été bien plus largement admises – par exemple : l’idée que les forces de police tirent leurs origines des patrouilles esclavagistes du Sud plutôt que des rondes de nuit [<em>night watch</em>] de la Nouvelle-Angleterre, et que la police de proximité représente une déclinaison de la guerre contre-insurrectionnelle sur le plan intérieur. De manière tout aussi importante – et cela a même dépassé l’argument que j’avais présenté dans ce livre – les recherches ont fait une place grandissante au genre dans l’analyse du maintien de l’ordre, en examinant comment le genre a façonné le travail policier et la façon dont les forces de police ont oeuvré à maintenir la binarité et la hiérarchie des genres.</p>
<p>Mais la plus grande avancée intellectuelle réside peut-être dans le fait que nous connaissons désormais le nombre de personnes tuées par la police. D’après un décompte tenu par le <em>Washington Post</em>, la police tue environ 1 000 personnes chaque année (999 par balles en 2019). Cela représente environ trois fois les estimations précédentes les plus élevées : une étude du ministère de la Justice a recensé 1 095 personnes tuées par la police sur une période de trois ans allant de 2003 à 2005, soit une moyenne de 365 par an. Ce nouveau chiffre est remarquable pour deux raisons. Premièrement, il établit un nouveau point de comparaison bien différent. Deuxièmement, dans la mesure où les décès sont les indicateurs de la violence policière les plus fiables, le fait que l’estimation précédente était <em>si</em> erronée montre à quel point, d’une manière générale, nous en savons en réalité peu sur l’utilisation de la force par la police. Si nous n’avons appris que récemment, et avec beaucoup de difficultés, combien de personnes la police tue, il faut partir du principe que les statistiques dont nous disposons concernant les autres formes de violence policière sont aussi terriblement inexactes. La seule chose dont nous soyons sûrs, c’est que l’usage de la force par la police est systématiquement sous-déclaré et que les victimes font l’objet d’une sous-estimation flagrante.</p>
<p>Sur le plan politique, au cours des deux dernières décennies, on a assisté à une forte radicalisation du mouvement de contestation du maintien de l’ordre, notamment avec le passage d’une perspective centrée sur la responsabilisation de la police à une perspective abolitionniste. Et l’idée de l’abolition de la police est ainsi passée d’une aspiration utopique à un programme réalisable, tout récemment avec des efforts visant à arrêter de financer la police [<em>defund police</em>], et avant cela avec des expériences menées dans le cadre de projets communautaires de justice réparatrice ou transformatrice – c’est-à-dire des tentatives de justice qui ne dépendent pas de l’État et qui ne reproduisent pas la même logique punitive.</p>
<p><strong>Dans la préface de <em>Our Enemies in Blue</em>, vous avez également exprimé l’espoir que cet épisode (le mouvement Black Lives Matter qui a suivi le meurtre de Michael Brown) ne soit pas </strong>« <strong>simplement un nouveau chapitre de l’histoire du maintien de l’ordre, mais une rupture décisive avec le passé </strong>»<strong>. Rétrospectivement, quel bilan tirez-vous de ces manifestations et mouvements en faveur de l’abolition de la police ?</strong></p>
<p>Ils se sont révélés plus importants que ce que j’imaginais à l’époque. Ils ont d’abord contribué à faire de l’abolition une position légitime dans le champ politique. Jusqu’alors, la notion d’abolition de la police était à peine prise au sérieux en dehors des cercles les plus radicaux. Mais les manifestations de Ferguson ont permis de la faire connaître au grand public, même si elles ont engendré quelques réformes substantielles – quoique limitées. Les limites de ces réformes sont précisément devenues criantes et la stratégie de réforme en a été largement discréditée. Dans la vague actuelle de manifestations – surtout au début – il n’y a presque pas eu de revendications émises, si ce n’est de cesser de financer la police. En d’autres termes, le mouvement s’est positionné dès l’origine, non pas comme une action visant à améliorer la police, mais comme une entreprise destinée à s’en débarrasser. La seule question qui se posait alors était de savoir jusqu’où il fallait aller pour diminuer le nombre de flics plutôt que de chercher à les améliorer.</p>
<p><strong>L’appel à l’arrêt du financement de la police a largement circulé, au point que certain·e·s politicien·ne·s ont repris cette revendication à leur compte. Quelles sont les limites de ce type de revendication ?</strong></p>
<p>De mon point de vue, elle a deux faiblesses principales. D’une part, elle peut être acceptée à peu de frais par les politicien·ne·s, simplement en introduisant des coupures budgétaires mineures, voire même en se contentant de promouvoir une certaine rigueur fiscale. Bien sûr, ceci reste une victoire après un demi-siècle d’explosion des budgets de la police, mais c’est une victoire plus modeste que d’autres scénarios possibles. La seconde faiblesse vient du fait qu’en soi, réduire les budgets de la police n’affecte en rien le reste du système pénal. Par exemple, ca ne change rien pour les deux millions de personnes qui sont en prison. Dans les deux cas, le problème est le même : la revendication ne va pas assez loin.</p>
<p><strong>La « récupération [<em>cooptation</em>] de l’abolitionnisme » – sa « mainstreamisation » – est une préoccupation grandissante pour les abolitionnistes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Peut-on imaginer une abolition de la police qui n’abolirait pas vraiment le maintien de l’ordre ?</strong></p>
<p>Le problème vient du fait que la rhétorique abolitionniste, voire certaines idées abolitionnistes, peuvent être reprises par certain·e·s représentant·e·s politiques et législateurs·rices et dévoyées en réformes réductionnistes qui, loin de rompre avec le système pénal, se contentent en fait de déplacer ses aspects coercitifs, répressifs et disciplinaires vers d’autres sortes institutions, qu’il s’agisse des sociétés de sécurité privées ou des services sociaux, aussi utilisés comme des systèmes de contrôle social. Pour le dire brièvement, l’inquiétude porte sur les implications, et elles sont radicales, d’un abolitionnisme dilué qui se rapprocherait d’une approche néolibérale du maintien de l’ordre.</p>
<p><strong>Pensez-vous que la police – ou le maintien de l’ordre – pourraient être abolis sans que ne le soit également le système capitaliste et raciste ?</strong></p>
<p>Oui et non. La police, en tant qu’institution, est un appareil coercitif qui vise au contrôle des populations identifiées comme problématiques du point de vue de la hiérarchie sociale, afin de préserver cette hiérarchie. Tant que notre société continuera d’être stratifiée racialement et en classes, il y aura des mécanismes pour préserver cette stratification, même s’ils diffèrent de l’institution policière que nous connaissons actuellement et de ses manières d’agir. Cependant, la promesse radicale de l’abolition, ce n’est pas seulement de se débarrasser de telle ou telle institution, mais aussi de rendre l’État incapable de remplir cette fonction de quelque manière que ce soit. Ce serait alors la disparition de l’un des plus grand mécanismes de préservation des inégalités. Ce mécanisme disparu, si la société devait survivre, ce ne pourrait être qu’en se réinventant sur des bases plus égalitaires.</p>
<p><strong>Comme vous l’avez montré dans</strong> <strong><em>Fire the cops!</em>, vous avez depuis longtemps pris position contre l’inclusion des syndicats policiers dans le mouvement ouvrier. Récemment, la volonté d’expulser ces syndicats policiers des fédérations syndicales a gagné en popularité. Quels sont les principaux obstacles à cette revendication ? Que pensez-vous des contre-arguments qui défendent l’idée d’une « pente glissante » (c’est-à-dire qu’expulser les syndicats de policiers affaiblirait à terme les mouvements syndicaux et le droit de se syndiquer) ?</strong></p>
<p>La relation entre les flics et le mouvement syndical est assez compliquée. D’un point de vue historique, bien sûr, les flics n’ont cessé d’espionner les syndicats, de casser les piquets de grève ou de persécuter les leaders syndicaux. Les syndicats de policiers ont le plus souvent évolué à l’extérieur des principales composantes du mouvement syndical. Dans de nombreux cas, les autorités municipales n’ont accepté de reconnaître ces syndicats de policiers qu’à la condition qu’ils ne s’affilient pas à un autre syndicat. Cette exigence visait clairement à préserver « l’impartialité » à la police, c’est-à-dire sa disposition à briser les grèves. Comme les syndicats sont devenus moins militants, ce type de conflit direct a été moins fréquent (et les syndicats se sont affaiblis). Mais en même temps, il est très rare que la police fasse preuve d’une quelconque solidarité au-delà de ses propres rangs, même avec d’autres employé·e·s du secteur public. Les policier·e·s se perçoivent comme à part. Leurs syndicats s’adressent aux flics <em>comme flics</em>, bien plus que <em>comme travailleurs/travailleuses, </em>et leurs discours et buts s’inspirent bien plus d’une perspective de maintien de l’ordre que d’une perspective de classe. Les autorités locales tendent également à leur réserver un traitement de faveur, avec des salaires plus généreux et moins de comptes à rendre.</p>
<p>Néanmoins, les responsables syndicaux sont généralement frileux lorsqu’il s’agit de critiquer ouvertement la police, et s’opposent souvent à des mesures qui affaibliraient leurs organisations. Cette réticence s’explique en partie par une mauvaise analyse de classe, qui voit sincèrement la police comme un groupe de travailleurs qui fait simplement son travail, comme tout le monde. Bien sûr, ils oublient qu’une partie de leur travail consiste à exercer un contrôle violent sur la classe ouvrière (ainsi que d’autres parties de la population potentiellement rebelles), et en particulier à briser occasionnellement des grèves. L’autre raison de leur position, il me semble, c’est en effet l’argument plus profond de la « pente glissante » que vous mentionniez. Selon cet argument, l’attaque des syndicats policiers serait une perspective court-termiste, dans la mesure où elle créerait un précédent, et qu’à partir de là, il serait possible d’attaquer ensuite les syndicats d’enseignants ou d’éboueurs. Il y a une part de vérité dans tout cela. Il ne fait pas de doute que les forces anti-syndicales profiteront de cette opportunité pour affirmer que si les policier·e·s ne peuvent pas se syndiquer, les enseignant·e·s ne devraient pas pouvoir le faire non plus.</p>
<p>Mais je crois que soutenir les syndicats de policier·e·s est encore plus court-termiste. Premièrement, ce soutien n’a pas apporté grand-chose à la protection du mouvement syndical. Au lieu de cela, les attaques contre les syndicats d’employés du secteur public se poursuivent en se contentant de faire une exception pour la police. Deuxièmement, puisque la principale fonction des syndicats policiers est d’éviter d’avoir des comptes à rendre, se ranger de leur côté, c’est rendre tout le mouvement syndical complice du racisme et de la violence quotidienne qui caractérise le maintien de l’ordre aux États-Unis. Cela ne pourra déboucher que sur une chose : accroître la suspicion des personnes non-blanches envers le monde syndical et exclure de fait ces personnes du syndicalisme. Dans une campagne syndicale à laquelle j’ai participé, un employé de bibliothèque noir a refusé par principe d’adhérer à un syndicat – l’<em>American Federation of State, County, and Municipal Employees</em> (Fédération Américaine des Employé·e·s d’État, de Comtés et de Municipalités) – parce que cette organisation syndiquait également des gardien·ne·s de prison.</p>

<p>Au final, je pense que c’est à nous, les militant·e·s syndicaux/syndicales, de virer les gardien·ne·s de prison et de diriger nos efforts vers les personnes non-blanches. S’organiser sur la base de critères de classe signifie nécessairement lutter contre le racisme au sein de nos organisations. Et cela doit se faire au niveau structurel ; ça ne peut pas se limiter à des actions symboliques de commémoration de la fin de l’esclavage le 19 juin ou à des formations de sensibilisation. Les syndicats doivent se détourner du système pénal. Ce n’est pas juste une question morale, c’est une question essentielle de survie pour le mouvement syndical.</p>

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<main>
<p>In any organization, there will be people who behave inappropriately, sometimes grievously so. Here’s the paradox: the more senior the role you’re in, and the more power you have to help coworkers who are facing awful behavior like harassment or bullying, the less likely you are to see those things.</p>

<p>Simply put, if you’re in a position of power at work, you’re unlikely to see workplace harassment in front of you. That’s because harassment and bullying are attempts to exert power over people with less of it. People who behave improperly don’t tend to do so with people they perceive as having power already. </p>

<p>When I was younger and in more junior roles, I dealt with harassment all the time. It was a defining characteristic of several jobs I had. What stands out in my memory from those roles isn’t what I learned or how I grew, but how hard I worked to avoid the men (it was always men) who made me feel meek and small. But over time, as I’ve moved up in my career, harassment has become steadily less prevalent in my work life. </p>

<p>A few years ago, when I was on the executive team of an org that employed around 250 people, nearly all of whom seemed very lovely to me, I wondered if perhaps I had found a group of people that simply didn’t include any bad apples. Spoiler alert: I had not.</p>

<p>Some months into the job, somebody made an offhand comment in front of me about a mid-level designer – a man in his 30s who was, apparently, well known for making young women in the organization feel uncomfortable. Let’s call this man Peter. Peter was also the first person to invite me out for coffee on my first day on the job. I had thought it a little curious at the time, since our work wasn’t going to overlap much. But he had been very friendly, sharing almost too much information about past problems at the org. I hadn’t thought too much of it. </p>

<p>It wasn’t until months later that I heard Peter described by a junior employee in a tone of voice that suggested everyone knew he was a problem. It was as if I’d stepped out of the Matrix and could now see reality. Suddenly, I understood why he had sought to establish a relationship with me early on. I was going to have power in the org, and he wanted that power to view him favorably. I also realized that most or all of the other people at my level – the very people who could do the most to address Peter’s behavior – likely didn’t know what everyone else thought was common knowledge. </p>

<p>Imagine it: a majority of people at the company know or have a feeling that something is wrong. Everyone they talk to regularly knows it, too. Nobody among them thinks to discuss it with the most senior people, because as far as they can tell, everyone knows. And if the senior team isn’t doing anything, they must not care. Indeed, it probably isn’t safe to raise the issue with them because they all seem friendly with Peter. </p>

<p>At that point in my career, I had spent a lot of time working on diversity, equity and inclusion. I had an undergrad degree in gender studies, and I was quite aware of organizational dynamics and structural oppression; I was on the path that I remain on to understand and use my advantages as a White person to change the workplace. And yet, I was stunned to realize that I had passively become a reinforcing part of the very type of harassment that I had struggled with for years. That was not the last surprise.</p>

<p>In my current job, I recently posted about this dynamic in a public Slack channel. Two of my colleagues – cis, White, middle-aged men who manage managers – reached out to me individually to say that they were glad I was talking about this, because they didn’t know what harassment looked like, and they wanted to learn so they could watch out for it. One of them said simply, ‘I’ve been a straight white guy my whole life. Nobody harasses me.’</p>

<p>I was pushed through the Matrix again. Not only was it possible that people in senior leadership positions at work had never been harassed, it was also possible that they didn’t even know what it looked or felt like. </p>

<h2>So what does harassment look and feel like? </h2>

<p>Harassment is, unfortunately, a big category (and some of this discussion might be triggering). You are probably aware of the legal guidelines here, which prohibit quid pro quo (e.g. ‘I’ll give you a raise if you sleep with me’) and create a hostile environment (e.g. bullying people or teasing them in a demeaning way). Often, though, harassment and bullying fall somewhere in between these things. To people experiencing these things, they might look like, among many other things:</p>

<ul><li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted invitations.</strong> Asking a coworker to join you for drinks, dinner, or even lunch, especially after they’ve already said no.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted attention.</strong> Commenting on a coworker’s appearance i.e., clothing, hair, makeup, or body. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted touching. </strong>Slightly prolonged taps, feeling somebody’s hair, hugging. Even a few years ago, hugging at work was common in some workplaces. That’s less the case now, both because it can shade into harassment and also because it’s more widely understood that some neurotypes find any kind of touching uncomfortable.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted online interactions.</strong> Sliding into somebody’s DMs with suggestive emojis or sending flirtatious emails. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><a data-gc-link="https://en.wikipedia.org/wiki/Microaggression#:~:text=Microaggression%20is%20a%20term%20used,group%2C%20particularly%20culturally%20marginalized%20groups." href="https://en.wikipedia.org/wiki/Microaggression#:~:text=Microaggression%20is%20a%20term%20used,group%2C%20particularly%20culturally%20marginalized%20groups."><strong>Microaggressions of all types</strong></a><strong>.</strong> Although I’m using it broadly here, the term was originally coined in 1970 to describe racist comments, specifically. Notably, in his recent book, <em>How to Be an Antiracist</em>, Ibram X. Kendi rejects the term, in part because, ‘A persistent daily hum of racist abuse is not minor…I use the term “abuse” because that describes the action and its effects on people.’</li>
</ul>

<p>Again, it’s critical to understand that harassment and bullying are expressions of power, so the perpetrator has status over the person they’re targeting: either from the org chart or from social systems like patriarchy and White supremacy. In other words, a White peer can abuse a Black coworker, an able-bodied peer can harass a disabled coworker, and so forth. It doesn’t require a senior title, though that almost always increases the impact. </p>

<p>That impact is significant. If you’re in a position of societal or organizational power, these behaviors may seem small; if you’re lower in power, they can be devastating, causing people to question their own actions and worth. People who have to field these behaviors in a workplace are, at a very minimum, distracted and drained. Depression is common, and even suicide is a possible result. The fact that the patterns may be hidden from you does not make them less significant. </p>

<h1>How can you become aware of it?</h1>

<p>Having shared that glimpse of what harassment is, I’m going to talk about what we – the leaders in our organizations – can do to become aware of it, and how we can tell if our actions are effective. Because we can’t take action if we don’t realize bad behavior surrounds us, I’m going to focus on creating the conditions for awareness, not on actually addressing harassment or bullying. Once you become aware, you can work with other leaders to address it. </p>

<p>Here are five things I’ve done to make it easier for people to talk with me about behavior that’s hidden from me. </p>

<ul><li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">A few times a year, I post a public message in Slack about how I used to experience harassment all the time, but now I rarely see it at all because of my title. So even though I’m more likely in a position to help, I need other people’s help to understand what’s happening. I post infrequently enough that people pay attention, but often enough that new people get the message.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I’m unsurprised when I hear that somebody with social power who is very friendly to me has been causing problems for other people. In other words, I believe the stories of marginalized and underrepresented people over my own experience. (This is hard!)</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I hold skip-level meetings at least quarterly, so that everyone who reports up to me knows who I am and that my door is open. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I welcome and cultivate professional 1:1 relationships with younger people who don’t report to me. They’re often aware of problems in the organization and need support outside their reporting chain to figure out how to speak up.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I talk often about inequity. Being vocal about it is a signal to people throughout the organization about the values I hold and the culture I’m aiming to help create. </li>
</ul>

<h2>How do you know if any of this is working? </h2>

<p>There are a few signs I look for. </p>

<p>Are junior people in the organization seeking me out to talk about uncomfortable things? For example, are they coming to me because they think they’re being underpaid but don’t know how to ask their manager for a raise? Are they coming to me because they’re worried that their work is suffering due to a recent breakup and they don’t know if they should tell their team lead? When these conversations come up, it’s likely that I’ve built some trust with people who don’t report directly to me or aren’t in my reporting chain at all.</p>

<p>Are junior people in the organization coming to me because they’ve heard I’m good to talk with? That’s often a sign that I’m developing a reputation for having perspective beyond my own experience. (It’s worth noting that I’m not universally helpful. None of us can be good for everyone to talk with.)  </p>

<p>Are the people who report to me bringing up power dynamics on their teams so that we can talk through potential issues? That suggests they know that I care about power dynamics. </p>

<p>Ultimately, we have to ask ourselves: are people talking to me about harassment or bullying they see or experience? And we have to understand that if they are not, that doesn’t mean it isn’t happening. Instead, it means you don’t know about something very vital that is almost certainly happening around you all the time. If you aren’t hearing about it, it’s time to take action to ensure that you do.</p>
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// WARNING: do not try to insert a Rule to a styleSheet you are
// currently iterating on, otherwise the browser will be stuck
// in a infinite loop…
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title: Harassers are nice to me, and probably to you
url: https://leaddev.com/harassers-are-nice-me-and-probably-you
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<p>In any organization, there will be people who behave inappropriately, sometimes grievously so. Here’s the paradox: the more senior the role you’re in, and the more power you have to help coworkers who are facing awful behavior like harassment or bullying, the less likely you are to see those things.</p>
<p>Simply put, if you’re in a position of power at work, you’re unlikely to see workplace harassment in front of you. That’s because harassment and bullying are attempts to exert power over people with less of it. People who behave improperly don’t tend to do so with people they perceive as having power already. </p>
<p>When I was younger and in more junior roles, I dealt with harassment all the time. It was a defining characteristic of several jobs I had. What stands out in my memory from those roles isn’t what I learned or how I grew, but how hard I worked to avoid the men (it was always men) who made me feel meek and small. But over time, as I’ve moved up in my career, harassment has become steadily less prevalent in my work life. </p>
<p>A few years ago, when I was on the executive team of an org that employed around 250 people, nearly all of whom seemed very lovely to me, I wondered if perhaps I had found a group of people that simply didn’t include any bad apples. Spoiler alert: I had not.</p>
<p>Some months into the job, somebody made an offhand comment in front of me about a mid-level designer – a man in his 30s who was, apparently, well known for making young women in the organization feel uncomfortable. Let’s call this man Peter. Peter was also the first person to invite me out for coffee on my first day on the job. I had thought it a little curious at the time, since our work wasn’t going to overlap much. But he had been very friendly, sharing almost too much information about past problems at the org. I hadn’t thought too much of it. </p>
<p>It wasn’t until months later that I heard Peter described by a junior employee in a tone of voice that suggested everyone knew he was a problem. It was as if I’d stepped out of the Matrix and could now see reality. Suddenly, I understood why he had sought to establish a relationship with me early on. I was going to have power in the org, and he wanted that power to view him favorably. I also realized that most or all of the other people at my level – the very people who could do the most to address Peter’s behavior – likely didn’t know what everyone else thought was common knowledge. </p>
<p>Imagine it: a majority of people at the company know or have a feeling that something is wrong. Everyone they talk to regularly knows it, too. Nobody among them thinks to discuss it with the most senior people, because as far as they can tell, everyone knows. And if the senior team isn’t doing anything, they must not care. Indeed, it probably isn’t safe to raise the issue with them because they all seem friendly with Peter. </p>
<p>At that point in my career, I had spent a lot of time working on diversity, equity and inclusion. I had an undergrad degree in gender studies, and I was quite aware of organizational dynamics and structural oppression; I was on the path that I remain on to understand and use my advantages as a White person to change the workplace. And yet, I was stunned to realize that I had passively become a reinforcing part of the very type of harassment that I had struggled with for years. That was not the last surprise.</p>
<p>In my current job, I recently posted about this dynamic in a public Slack channel. Two of my colleagues – cis, White, middle-aged men who manage managers – reached out to me individually to say that they were glad I was talking about this, because they didn’t know what harassment looked like, and they wanted to learn so they could watch out for it. One of them said simply, ‘I’ve been a straight white guy my whole life. Nobody harasses me.’</p>
<p>I was pushed through the Matrix again. Not only was it possible that people in senior leadership positions at work had never been harassed, it was also possible that they didn’t even know what it looked or felt like. </p>
<h2>So what does harassment look and feel like? </h2>
<p>Harassment is, unfortunately, a big category (and some of this discussion might be triggering). You are probably aware of the legal guidelines here, which prohibit quid pro quo (e.g. ‘I’ll give you a raise if you sleep with me’) and create a hostile environment (e.g. bullying people or teasing them in a demeaning way). Often, though, harassment and bullying fall somewhere in between these things. To people experiencing these things, they might look like, among many other things:</p>
<ul><li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted invitations.</strong> Asking a coworker to join you for drinks, dinner, or even lunch, especially after they’ve already said no.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted attention.</strong> Commenting on a coworker’s appearance i.e., clothing, hair, makeup, or body. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted touching. </strong>Slightly prolonged taps, feeling somebody’s hair, hugging. Even a few years ago, hugging at work was common in some workplaces. That’s less the case now, both because it can shade into harassment and also because it’s more widely understood that some neurotypes find any kind of touching uncomfortable.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><strong>Unwanted online interactions.</strong> Sliding into somebody’s DMs with suggestive emojis or sending flirtatious emails. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet"><a data-gc-link="https://en.wikipedia.org/wiki/Microaggression#:~:text=Microaggression%20is%20a%20term%20used,group%2C%20particularly%20culturally%20marginalized%20groups." href="https://en.wikipedia.org/wiki/Microaggression#:~:text=Microaggression%20is%20a%20term%20used,group%2C%20particularly%20culturally%20marginalized%20groups."><strong>Microaggressions of all types</strong></a><strong>.</strong> Although I’m using it broadly here, the term was originally coined in 1970 to describe racist comments, specifically. Notably, in his recent book, <em>How to Be an Antiracist</em>, Ibram X. Kendi rejects the term, in part because, ‘A persistent daily hum of racist abuse is not minor…I use the term “abuse” because that describes the action and its effects on people.’</li>
</ul><p>Again, it’s critical to understand that harassment and bullying are expressions of power, so the perpetrator has status over the person they’re targeting: either from the org chart or from social systems like patriarchy and White supremacy. In other words, a White peer can abuse a Black coworker, an able-bodied peer can harass a disabled coworker, and so forth. It doesn’t require a senior title, though that almost always increases the impact. </p>
<p>That impact is significant. If you’re in a position of societal or organizational power, these behaviors may seem small; if you’re lower in power, they can be devastating, causing people to question their own actions and worth. People who have to field these behaviors in a workplace are, at a very minimum, distracted and drained. Depression is common, and even suicide is a possible result. The fact that the patterns may be hidden from you does not make them less significant. </p>
<h1>How can you become aware of it?</h1>
<p>Having shared that glimpse of what harassment is, I’m going to talk about what we – the leaders in our organizations – can do to become aware of it, and how we can tell if our actions are effective. Because we can’t take action if we don’t realize bad behavior surrounds us, I’m going to focus on creating the conditions for awareness, not on actually addressing harassment or bullying. Once you become aware, you can work with other leaders to address it. </p>
<p>Here are five things I’ve done to make it easier for people to talk with me about behavior that’s hidden from me. </p>
<ul><li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">A few times a year, I post a public message in Slack about how I used to experience harassment all the time, but now I rarely see it at all because of my title. So even though I’m more likely in a position to help, I need other people’s help to understand what’s happening. I post infrequently enough that people pay attention, but often enough that new people get the message.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I’m unsurprised when I hear that somebody with social power who is very friendly to me has been causing problems for other people. In other words, I believe the stories of marginalized and underrepresented people over my own experience. (This is hard!)</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I hold skip-level meetings at least quarterly, so that everyone who reports up to me knows who I am and that my door is open. </li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I welcome and cultivate professional 1:1 relationships with younger people who don’t report to me. They’re often aware of problems in the organization and need support outside their reporting chain to figure out how to speak up.</li>
<li data-gc-list-depth="1" data-gc-list-style="bullet">I talk often about inequity. Being vocal about it is a signal to people throughout the organization about the values I hold and the culture I’m aiming to help create. </li>
</ul><h2>How do you know if any of this is working? </h2>
<p>There are a few signs I look for. </p>
<p>Are junior people in the organization seeking me out to talk about uncomfortable things? For example, are they coming to me because they think they’re being underpaid but don’t know how to ask their manager for a raise? Are they coming to me because they’re worried that their work is suffering due to a recent breakup and they don’t know if they should tell their team lead? When these conversations come up, it’s likely that I’ve built some trust with people who don’t report directly to me or aren’t in my reporting chain at all.</p>
<p>Are junior people in the organization coming to me because they’ve heard I’m good to talk with? That’s often a sign that I’m developing a reputation for having perspective beyond my own experience. (It’s worth noting that I’m not universally helpful. None of us can be good for everyone to talk with.)  </p>
<p>Are the people who report to me bringing up power dynamics on their teams so that we can talk through potential issues? That suggests they know that I care about power dynamics. </p>
<p>Ultimately, we have to ask ourselves: are people talking to me about harassment or bullying they see or experience? And we have to understand that if they are not, that doesn’t mean it isn’t happening. Instead, it means you don’t know about something very vital that is almost certainly happening around you all the time. If you aren’t hearing about it, it’s time to take action to ensure that you do.</p>

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<meta charset="utf-8">
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<title>Pourquoi tu milites ? (archive) — David Larlet</title>
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<header>
<h1>Pourquoi tu milites ?</h1>
</header>
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</p>
</nav>
<hr>
<main>
<p> Je suis en train de me rendre compte que ce n'est pas si simple pour moi de fréquenter un réseau social comme Mastodon. Entre les "pros" et les "antis" de tous poils, pour toutes sortes de causes, je me sens mal. </p>

<p> Je ne dis pas que les causes défendues ne sont pas justes. Je ne dis pas que les victimes n'ont pas toute légitimité à vouloir se défendre. Je dis que je n'ai pas (ou plus) ce tempérament de militante et que je me sens de plus en plus perdue au milieu de tous ces clivages et de cette rhétorique guerrière. </p>

<p> En fait, toutes les fois où je me suis engagée dans une action militante, j'ai été profondément déçue. </p>

<ul><li>En 6e, j'ai mis tout mon cœur à collecter du riz pour l’Éthiopie. Et puis plus tard j'ai appris que ce riz avait été confisqué par les classes dirigeantes corrompues.</li><li>Durant ma scolarité, j'ai souvent été déléguée de classe et constaté qu'au final, cette place flattait plus mon ego qu'elle n'aidait véritablement mes camarades.</li><li>Je me suis fait virer de la Fédération Française de Go parce que j'étais "trop honnête" au niveau de la comptabilité et que, "<em>tu comprends</em>", il fallait bien s’accommoder de quelques irrégularités en place depuis tellement longtemps "<em>pour le bien de tous</em>".</li><li>Plus tard, j'ai milité pour défendre le titre de <a href="http://maiadereva.net/psychotherapeutes-chronique-dune-desillusion/" data-type="post" data-id="34">psychothérapeute</a> en train d'être détourné par un député véreux… jusqu'à ce que je m'aperçoive, entre autres, que les dirigeants de la plus grosse fédération étaient une petite famille de gens qui se couvraient les uns les autres lors de cas litigieux.</li><li>J'ai ouvert une boutique de commerce équitable pour "enfin changer le monde à mon échelle", et me suis aperçue au fur et à mesure du temps que si je conjuguais tous les critères (écologiques, éthiques, géographiques, sociaux, économiques,...) exigés par les clients, les étagères étaient forcément vides...</li><li>J'ai co-créé un <a rel="noreferrer noopener" href="https://semeoz.initiative.place/" target="_blank">annuaire des alternatives</a> pour retrouver le moral après avoir bouffé trop de vidéos sur l'effondrement de notre monde. Et puis petit à petit je n'ai plus su comment sélectionner une initiative plutôt qu'une autre, chacune ayant ses failles, et ses ambiguïtés.</li><li>J'ai donné des conférences sur les <a href="http://maiadereva.net/category/communs/">communs</a> jusqu'à ce que je comprenne que le terme ne recouvre <a href="http://maiadereva.net/le-commun-est-une-cellule/" data-type="post" data-id="1648">rien de précis</a> et que chacun y va de sa propre projection personnelle, souvent incohérente avec ses propres actes, un peu comme le drapeau de "la démocratie" permet de perpétrer les pires exactions.</li><li>Aujourd'hui j'observe avec tristesse les bonnes intentions de militant⋅es féministes, pro-LGBT ou anti-racistes se transformer en paroles et en actes violents contre des personnes, sous couvert de la théorie devenue dogme de l'<em>oppression systémique</em> qui gomme toutes les histoires individuelles et peut faire d'un "homme blanc cishet de plus de 50 ans" une cible à abattre sans procès, et sans se demander s'il n'a pas été lui-même victime de rejet, de harcèlement, de viol ou de toute autre souffrance au cours de sa vie.</li><li>Et à la racine de tout ça, il y a sans doute un père militant écologiste gauchiste dont les paroles humiliantes et les actes violents au sein de la famille étaient totalement incompatibles avec les valeurs défendues à l'extérieur, une fois que le costume de preux chevalier avait été revêtu.</li></ul>

<p> Alors voilà, je dis bravo à toutes celles et ceux qui ont encore la foi de changer les choses, mais moi je l'ai perdue. Ou plutôt, j'ai la conviction que la seule chose que je peux changer, c'est moi, pas les autres. </p>

<p> Selon moi, la plupart du temps, les militant⋅es cherchent à guérir leurs propres blessures personnelles en les projetant aveuglément sur la scène sociale. C'est aussi très valorisant d'opter pour une place de "justicier⋅e", très porteur de sens de s'accrocher à son vécu de victime. </p>

<p> Ce n'est pas "mal" en soit, mais ça provoque souvent une contradiction marquée entre les objectifs et les moyens employés, jusqu'à utiliser les mêmes armes que celles que l'on dénonce pour atteindre son but. On en devient aveugle à la diversité, intolérant⋅e à l'imperfection, manichéen⋅ne dans ses raisonnements. Et l'on finit par incarner la violence que l'on croyait combattre. </p>

<p> Le constat n'est pas nouveau. J'ai longuement documenté une de mes <a href="http://maiadereva.net/psychotherapeutes-chronique-dune-desillusion/" data-type="post" data-id="34">désillusions</a> il y a dix ans, et j'en appelais déjà à un "<a href="http://maiadereva.net/vers-un-militantisme-joyeux/" data-type="post" data-id="59">militantisme joyeux</a>" il y a cinq ans. Je n'en conclue rien. Je me sens juste fatiguée. Je cherche toujours ma place au milieu de tout ça, et je me dis que la première chose dont je devrais peut-être me débarrasser, c'est le sentiment de <em>culpabilité</em> de ne <strong>PAS</strong> être militante dans un monde autant polarisé où je suis souvent interpellée parce que j'ai un vagin ou que je contribue à des projets jugés socialement vertueux. </p>
</main>
</article>


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title: Pourquoi tu milites ?
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<p> Je suis en train de me rendre compte que ce n'est pas si simple pour moi de fréquenter un réseau social comme Mastodon. Entre les "pros" et les "antis" de tous poils, pour toutes sortes de causes, je me sens mal. </p>



<p> Je ne dis pas que les causes défendues ne sont pas justes. Je ne dis pas que les victimes n'ont pas toute légitimité à vouloir se défendre. Je dis que je n'ai pas (ou plus) ce tempérament de militante et que je me sens de plus en plus perdue au milieu de tous ces clivages et de cette rhétorique guerrière. </p>



<p> En fait, toutes les fois où je me suis engagée dans une action militante, j'ai été profondément déçue. </p>



<ul><li>En 6e, j'ai mis tout mon cœur à collecter du riz pour l’Éthiopie. Et puis plus tard j'ai appris que ce riz avait été confisqué par les classes dirigeantes corrompues.</li><li>Durant ma scolarité, j'ai souvent été déléguée de classe et constaté qu'au final, cette place flattait plus mon ego qu'elle n'aidait véritablement mes camarades.</li><li>Je me suis fait virer de la Fédération Française de Go parce que j'étais "trop honnête" au niveau de la comptabilité et que, "<em>tu comprends</em>", il fallait bien s’accommoder de quelques irrégularités en place depuis tellement longtemps "<em>pour le bien de tous</em>".</li><li>Plus tard, j'ai milité pour défendre le titre de <a href="http://maiadereva.net/psychotherapeutes-chronique-dune-desillusion/" data-type="post" data-id="34">psychothérapeute</a> en train d'être détourné par un député véreux… jusqu'à ce que je m'aperçoive, entre autres, que les dirigeants de la plus grosse fédération étaient une petite famille de gens qui se couvraient les uns les autres lors de cas litigieux.</li><li>J'ai ouvert une boutique de commerce équitable pour "enfin changer le monde à mon échelle", et me suis aperçue au fur et à mesure du temps que si je conjuguais tous les critères (écologiques, éthiques, géographiques, sociaux, économiques,...) exigés par les clients, les étagères étaient forcément vides...</li><li>J'ai co-créé un <a rel="noreferrer noopener" href="https://semeoz.initiative.place/" target="_blank">annuaire des alternatives</a> pour retrouver le moral après avoir bouffé trop de vidéos sur l'effondrement de notre monde. Et puis petit à petit je n'ai plus su comment sélectionner une initiative plutôt qu'une autre, chacune ayant ses failles, et ses ambiguïtés.</li><li>J'ai donné des conférences sur les <a href="http://maiadereva.net/category/communs/">communs</a> jusqu'à ce que je comprenne que le terme ne recouvre <a href="http://maiadereva.net/le-commun-est-une-cellule/" data-type="post" data-id="1648">rien de précis</a> et que chacun y va de sa propre projection personnelle, souvent incohérente avec ses propres actes, un peu comme le drapeau de "la démocratie" permet de perpétrer les pires exactions.</li><li>Aujourd'hui j'observe avec tristesse les bonnes intentions de militant⋅es féministes, pro-LGBT ou anti-racistes se transformer en paroles et en actes violents contre des personnes, sous couvert de la théorie devenue dogme de l'<em>oppression systémique</em> qui gomme toutes les histoires individuelles et peut faire d'un "homme blanc cishet de plus de 50 ans" une cible à abattre sans procès, et sans se demander s'il n'a pas été lui-même victime de rejet, de harcèlement, de viol ou de toute autre souffrance au cours de sa vie.</li><li>Et à la racine de tout ça, il y a sans doute un père militant écologiste gauchiste dont les paroles humiliantes et les actes violents au sein de la famille étaient totalement incompatibles avec les valeurs défendues à l'extérieur, une fois que le costume de preux chevalier avait été revêtu.</li></ul>



<p> Alors voilà, je dis bravo à toutes celles et ceux qui ont encore la foi de changer les choses, mais moi je l'ai perdue. Ou plutôt, j'ai la conviction que la seule chose que je peux changer, c'est moi, pas les autres. </p>



<p> Selon moi, la plupart du temps, les militant⋅es cherchent à guérir leurs propres blessures personnelles en les projetant aveuglément sur la scène sociale. C'est aussi très valorisant d'opter pour une place de "justicier⋅e", très porteur de sens de s'accrocher à son vécu de victime. </p>



<p> Ce n'est pas "mal" en soit, mais ça provoque souvent une contradiction marquée entre les objectifs et les moyens employés, jusqu'à utiliser les mêmes armes que celles que l'on dénonce pour atteindre son but. On en devient aveugle à la diversité, intolérant⋅e à l'imperfection, manichéen⋅ne dans ses raisonnements. Et l'on finit par incarner la violence que l'on croyait combattre. </p>



<p> Le constat n'est pas nouveau. J'ai longuement documenté une de mes <a href="http://maiadereva.net/psychotherapeutes-chronique-dune-desillusion/" data-type="post" data-id="34">désillusions</a> il y a dix ans, et j'en appelais déjà à un "<a href="http://maiadereva.net/vers-un-militantisme-joyeux/" data-type="post" data-id="59">militantisme joyeux</a>" il y a cinq ans. Je n'en conclue rien. Je me sens juste fatiguée. Je cherche toujours ma place au milieu de tout ça, et je me dis que la première chose dont je devrais peut-être me débarrasser, c'est le sentiment de <em>culpabilité</em> de ne <strong>PAS</strong> être militante dans un monde autant polarisé où je suis souvent interpellée parce que j'ai un vagin ou que je contribue à des projets jugés socialement vertueux. </p>

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