Browse Source

More links

master
David Larlet 2 years ago
parent
commit
084c82b03a

+ 184
- 0
cache/2021/7e777a9c9804873a1a80623828f7003f/index.html View File

@@ -0,0 +1,184 @@
<!doctype html><!-- This is a valid HTML5 document. -->
<!-- Screen readers, SEO, extensions and so on. -->
<html lang="fr">
<!-- Has to be within the first 1024 bytes, hence before the `title` element
See: https://www.w3.org/TR/2012/CR-html5-20121217/document-metadata.html#charset -->
<meta charset="utf-8">
<!-- Why no `X-UA-Compatible` meta: https://stackoverflow.com/a/6771584 -->
<!-- The viewport meta is quite crowded and we are responsible for that.
See: https://codepen.io/tigt/post/meta-viewport-for-2015 -->
<meta name="viewport" content="width=device-width,initial-scale=1">
<!-- Required to make a valid HTML5 document. -->
<title>Installation des lecteurs de CO₂ (archive) — David Larlet</title>
<meta name="description" content="Publication mise en cache pour en conserver une trace.">
<!-- That good ol' feed, subscribe :). -->
<link rel="alternate" type="application/atom+xml" title="Feed" href="/david/log/">
<!-- Generated from https://realfavicongenerator.net/ such a mess. -->
<link rel="apple-touch-icon" sizes="180x180" href="/static/david/icons2/apple-touch-icon.png">
<link rel="icon" type="image/png" sizes="32x32" href="/static/david/icons2/favicon-32x32.png">
<link rel="icon" type="image/png" sizes="16x16" href="/static/david/icons2/favicon-16x16.png">
<link rel="manifest" href="/static/david/icons2/site.webmanifest">
<link rel="mask-icon" href="/static/david/icons2/safari-pinned-tab.svg" color="#07486c">
<link rel="shortcut icon" href="/static/david/icons2/favicon.ico">
<meta name="msapplication-TileColor" content="#f7f7f7">
<meta name="msapplication-config" content="/static/david/icons2/browserconfig.xml">
<meta name="theme-color" content="#f7f7f7" media="(prefers-color-scheme: light)">
<meta name="theme-color" content="#272727" media="(prefers-color-scheme: dark)">
<!-- Documented, feel free to shoot an email. -->
<link rel="stylesheet" href="/static/david/css/style_2021-01-20.css">
<!-- See https://www.zachleat.com/web/comprehensive-webfonts/ for the trade-off. -->
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_regular.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_bold.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_italic.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_regular.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_bold.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_italic.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<script>
function toggleTheme(themeName) {
document.documentElement.classList.toggle(
'forced-dark',
themeName === 'dark'
)
document.documentElement.classList.toggle(
'forced-light',
themeName === 'light'
)
}
const selectedTheme = localStorage.getItem('theme')
if (selectedTheme !== 'undefined') {
toggleTheme(selectedTheme)
}
</script>

<meta name="robots" content="noindex, nofollow">
<meta content="origin-when-cross-origin" name="referrer">
<!-- Canonical URL for SEO purposes -->
<link rel="canonical" href="http://app.dialoginsight.com/T/OFSYS/SM3/365/2/S/F/1936/21070517/ZHsjKgZe.html">

<body class="remarkdown h1-underline h2-underline h3-underline em-underscore hr-center ul-star pre-tick" data-instant-intensity="viewport-all">


<article>
<header>
<h1>Installation des lecteurs de CO₂</h1>
</header>
<nav>
<p class="center">
<a href="/david/" title="Aller à l’accueil"><svg class="icon icon-home">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-home"></use>
</svg> Accueil</a> •
<a href="http://app.dialoginsight.com/T/OFSYS/SM3/365/2/S/F/1936/21070517/ZHsjKgZe.html" title="Lien vers le contenu original">Source originale</a>
</p>
</nav>
<hr>
<p>Chers parents,</p>
<p>La qualité de l’air dans les écoles est une préoccupation du réseau scolaire depuis de nombreuses années, et ce, bien avant la pandémie de COVID-19. Récemment, le ministère de l’Éducation (MEQ) a fait l’acquisition de 90 000 lecteurs de dioxyde de carbone (CO₂).</p>
<p>Ces outils permettront aux directions d’établissement de prendre des actions pour assurer le maintien d’une bonne qualité de l’air dans les classes de leur école.</p>
<p>Les lecteurs de CO₂ seront installés par le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) dans toutes les classes. L’installation se déroulera en 4 phases. L’ordre de priorité a été déterminé à la suite des résultats obtenus lors de l’échantillonnage de CO₂ l’an dernier. Pour connaître la phase dans laquelle l’école de votre enfant se situe et l’état d’avancement des installations, consultez <a href="https://www.cssdm.gouv.qc.ca/citoyens/ventilation-qualite-air/">la page dédiée sur le site du CSSDM</a>.</p>
<p>Les appareils évalueront la concentration de CO₂ et mesureront la température et l’humidité relative. Les données recueillies permettront d’apporter des correctifs lorsque cela s’avèrera nécessaire. Elles permettront aussi d’obtenir un portrait en temps réel de ces paramètres de confort.</p>
<p>Rappelons que le CO₂ est produit naturellement par la respiration humaine. Sa présence dans les locaux scolaires n’occasionne pas d’effets sur la santé des occupants. Le CO₂ représente toutefois un indicateur de la qualité de la ventilation et un indicateur de confort. Le MEQ vise une concentration quotidienne moyenne de CO₂ inférieure à 1 000 parties par million (ppm). Cette cible sera utilisée pour orienter les travaux d’amélioration de la qualité de l’air dans les écoles au courant des années à venir. À noter qu’une concentration moyenne quotidienne de CO₂ inférieure à 1 500 ppm est un indicateur d’une ventilation adéquate.</p>
<p>Pour s’assurer de rencontrer les valeurs moyennes quotidiennes mentionnées ci-dessus, deux types de données sont utilisés pour contrôler la concentration de CO₂ dans une salle de classe :</p>
<ol>
<li>Le personnel dans les écoles devra s’assurer que les concentrations de CO₂ dans les locaux ne dépassent pas 1 500 ppm en se servant de l’affichage des données sur les lecteurs. Le personnel pourra intervenir directement pour optimiser l’ouverture des fenêtres et des portes qui est déjà requise par les politiques en place. Il est à noter que les locaux n’ayant pas accès à des fenêtres ouvrantes sont ventilés par un système mécanique qui assure l’apport d’air frais extérieur dans ceux-ci. Le personnel pourra, alors, ouvrir les portes et signaler toutes problématiques à la direction ou au personnel d’entretien.</li>
<li>Le service des ressources matérielles du CSSDM utilisera les moyennes quotidiennes calculées. Ces données aideront à planifier et prioriser les différents travaux d’amélioration à apporter aux écoles. </li>
</ol>
<p>En terminant, le ministère de l’Éducation a consulté ses collaborateurs de santé publique. Cette démarche est faite en collaboration avec des experts indépendants en ventilation et en qualité de l’air intérieur. Son application est prévue sur un horizon de 10 ans dans le but de maintenir des milieux scolaires bien ventilés à long terme, bien au-delà de la pandémie de COVID-19.</p>
<p>Pour plus d’informations, consultez la page Web sur <a href="https://www.quebec.ca/education/prescolaire-primaire-et-secondaire/qualite-air-ecoles">la qualité de l’air dans les écoles sur Québec.ca.</a></p>
</article>


<hr>

<footer>
<p>
<a href="/david/" title="Aller à l’accueil"><svg class="icon icon-home">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-home"></use>
</svg> Accueil</a> •
<a href="/david/log/" title="Accès au flux RSS"><svg class="icon icon-rss2">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-rss2"></use>
</svg> Suivre</a> •
<a href="http://larlet.com" title="Go to my English profile" data-instant><svg class="icon icon-user-tie">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-user-tie"></use>
</svg> Pro</a> •
<a href="mailto:david%40larlet.fr" title="Envoyer un courriel"><svg class="icon icon-mail">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-mail"></use>
</svg> Email</a> •
<abbr class="nowrap" title="Hébergeur : Alwaysdata, 62 rue Tiquetonne 75002 Paris, +33184162340"><svg class="icon icon-hammer2">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-hammer2"></use>
</svg> Légal</abbr>
</p>
<template id="theme-selector">
<form>
<fieldset>
<legend><svg class="icon icon-brightness-contrast">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-brightness-contrast"></use>
</svg> Thème</legend>
<label>
<input type="radio" value="auto" name="chosen-color-scheme" checked> Auto
</label>
<label>
<input type="radio" value="dark" name="chosen-color-scheme"> Foncé
</label>
<label>
<input type="radio" value="light" name="chosen-color-scheme"> Clair
</label>
</fieldset>
</form>
</template>
</footer>
<script src="/static/david/js/instantpage-5.1.0.min.js" type="module"></script>
<script>
function loadThemeForm(templateName) {
const themeSelectorTemplate = document.querySelector(templateName)
const form = themeSelectorTemplate.content.firstElementChild
themeSelectorTemplate.replaceWith(form)

form.addEventListener('change', (e) => {
const chosenColorScheme = e.target.value
localStorage.setItem('theme', chosenColorScheme)
toggleTheme(chosenColorScheme)
})

const selectedTheme = localStorage.getItem('theme')
if (selectedTheme && selectedTheme !== 'undefined') {
form.querySelector(`[value="${selectedTheme}"]`).checked = true
}
}

const prefersColorSchemeDark = '(prefers-color-scheme: dark)'
window.addEventListener('load', () => {
let hasDarkRules = false
for (const styleSheet of Array.from(document.styleSheets)) {
let mediaRules = []
for (const cssRule of styleSheet.cssRules) {
if (cssRule.type !== CSSRule.MEDIA_RULE) {
continue
}
// WARNING: Safari does not have/supports `conditionText`.
if (cssRule.conditionText) {
if (cssRule.conditionText !== prefersColorSchemeDark) {
continue
}
} else {
if (cssRule.cssText.startsWith(prefersColorSchemeDark)) {
continue
}
}
mediaRules = mediaRules.concat(Array.from(cssRule.cssRules))
}

// WARNING: do not try to insert a Rule to a styleSheet you are
// currently iterating on, otherwise the browser will be stuck
// in a infinite loop…
for (const mediaRule of mediaRules) {
styleSheet.insertRule(mediaRule.cssText)
hasDarkRules = true
}
}
if (hasDarkRules) {
loadThemeForm('#theme-selector')
}
})
</script>
</body>
</html>

+ 24
- 0
cache/2021/7e777a9c9804873a1a80623828f7003f/index.md View File

@@ -0,0 +1,24 @@
title: Installation des lecteurs de CO₂
url: http://app.dialoginsight.com/T/OFSYS/SM3/365/2/S/F/1936/21070517/ZHsjKgZe.html
hash_url: 7e777a9c9804873a1a80623828f7003f

Chers parents,

La qualité de l’air dans les écoles est une préoccupation du réseau scolaire depuis de nombreuses années, et ce, bien avant la pandémie de COVID-19. Récemment, le ministère de l’Éducation (MEQ) a fait l’acquisition de 90 000 lecteurs de dioxyde de carbone (CO₂).

Ces outils permettront aux directions d’établissement de prendre des actions pour assurer le maintien d’une bonne qualité de l’air dans les classes de leur école.

Les lecteurs de CO₂ seront installés par le Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) dans toutes les classes. L’installation se déroulera en 4 phases. L’ordre de priorité a été déterminé à la suite des résultats obtenus lors de l’échantillonnage de CO₂ l’an dernier. Pour connaître la phase dans laquelle l’école de votre enfant se situe et l’état d’avancement des installations, consultez <a href="https://www.cssdm.gouv.qc.ca/citoyens/ventilation-qualite-air/">la page dédiée sur le site du CSSDM</a>.

Les appareils évalueront la concentration de CO₂ et mesureront la température et l’humidité relative. Les données recueillies permettront d’apporter des correctifs lorsque cela s’avèrera nécessaire. Elles permettront aussi d’obtenir un portrait en temps réel de ces paramètres de confort.

Rappelons que le CO₂ est produit naturellement par la respiration humaine. Sa présence dans les locaux scolaires n’occasionne pas d’effets sur la santé des occupants. Le CO₂ représente toutefois un indicateur de la qualité de la ventilation et un indicateur de confort. Le MEQ vise une concentration quotidienne moyenne de CO₂ inférieure à 1 000 parties par million (ppm). Cette cible sera utilisée pour orienter les travaux d’amélioration de la qualité de l’air dans les écoles au courant des années à venir. À noter qu’une concentration moyenne quotidienne de CO₂ inférieure à 1 500 ppm est un indicateur d’une ventilation adéquate.

Pour s’assurer de rencontrer les valeurs moyennes quotidiennes mentionnées ci-dessus, deux types de données sont utilisés pour contrôler la concentration de CO₂ dans une salle de classe :

1. Le personnel dans les écoles devra s’assurer que les concentrations de CO₂ dans les locaux ne dépassent pas 1 500 ppm en se servant de l’affichage des données sur les lecteurs. Le personnel pourra intervenir directement pour optimiser l’ouverture des fenêtres et des portes qui est déjà requise par les politiques en place. Il est à noter que les locaux n’ayant pas accès à des fenêtres ouvrantes sont ventilés par un système mécanique qui assure l’apport d’air frais extérieur dans ceux-ci. Le personnel pourra, alors, ouvrir les portes et signaler toutes problématiques à la direction ou au personnel d’entretien.
2. Le service des ressources matérielles du CSSDM utilisera les moyennes quotidiennes calculées. Ces données aideront à planifier et prioriser les différents travaux d’amélioration à apporter aux écoles. 

En terminant, le ministère de l’Éducation a consulté ses collaborateurs de santé publique. Cette démarche est faite en collaboration avec des experts indépendants en ventilation et en qualité de l’air intérieur. Son application est prévue sur un horizon de 10 ans dans le but de maintenir des milieux scolaires bien ventilés à long terme, bien au-delà de la pandémie de COVID-19.

Pour plus d’informations, consultez la page Web sur <a href="https://www.quebec.ca/education/prescolaire-primaire-et-secondaire/qualite-air-ecoles">la qualité de l’air dans les écoles sur Québec.ca.</a>

+ 246
- 0
cache/2021/83a8fca8b84f0b396b4330924c9387dc/index.html View File

@@ -0,0 +1,246 @@
<!doctype html><!-- This is a valid HTML5 document. -->
<!-- Screen readers, SEO, extensions and so on. -->
<html lang="fr">
<!-- Has to be within the first 1024 bytes, hence before the `title` element
See: https://www.w3.org/TR/2012/CR-html5-20121217/document-metadata.html#charset -->
<meta charset="utf-8">
<!-- Why no `X-UA-Compatible` meta: https://stackoverflow.com/a/6771584 -->
<!-- The viewport meta is quite crowded and we are responsible for that.
See: https://codepen.io/tigt/post/meta-viewport-for-2015 -->
<meta name="viewport" content="width=device-width,initial-scale=1">
<!-- Required to make a valid HTML5 document. -->
<title>« La multitude mobilisée en masse est l’unique solution » (archive) — David Larlet</title>
<meta name="description" content="Publication mise en cache pour en conserver une trace.">
<!-- That good ol' feed, subscribe :). -->
<link rel="alternate" type="application/atom+xml" title="Feed" href="/david/log/">
<!-- Generated from https://realfavicongenerator.net/ such a mess. -->
<link rel="apple-touch-icon" sizes="180x180" href="/static/david/icons2/apple-touch-icon.png">
<link rel="icon" type="image/png" sizes="32x32" href="/static/david/icons2/favicon-32x32.png">
<link rel="icon" type="image/png" sizes="16x16" href="/static/david/icons2/favicon-16x16.png">
<link rel="manifest" href="/static/david/icons2/site.webmanifest">
<link rel="mask-icon" href="/static/david/icons2/safari-pinned-tab.svg" color="#07486c">
<link rel="shortcut icon" href="/static/david/icons2/favicon.ico">
<meta name="msapplication-TileColor" content="#f7f7f7">
<meta name="msapplication-config" content="/static/david/icons2/browserconfig.xml">
<meta name="theme-color" content="#f7f7f7" media="(prefers-color-scheme: light)">
<meta name="theme-color" content="#272727" media="(prefers-color-scheme: dark)">
<!-- Documented, feel free to shoot an email. -->
<link rel="stylesheet" href="/static/david/css/style_2021-01-20.css">
<!-- See https://www.zachleat.com/web/comprehensive-webfonts/ for the trade-off. -->
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_regular.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_bold.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t4_poly_italic.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: light), (prefers-color-scheme: no-preference)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_regular.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_bold.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<link rel="preload" href="/static/david/css/fonts/triplicate_t3_italic.woff2" as="font" type="font/woff2" media="(prefers-color-scheme: dark)" crossorigin>
<script>
function toggleTheme(themeName) {
document.documentElement.classList.toggle(
'forced-dark',
themeName === 'dark'
)
document.documentElement.classList.toggle(
'forced-light',
themeName === 'light'
)
}
const selectedTheme = localStorage.getItem('theme')
if (selectedTheme !== 'undefined') {
toggleTheme(selectedTheme)
}
</script>

<meta name="robots" content="noindex, nofollow">
<meta content="origin-when-cross-origin" name="referrer">
<!-- Canonical URL for SEO purposes -->
<link rel="canonical" href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-la-multitude-mobilisee-en-masse-est-lunique-solution/">

<body class="remarkdown h1-underline h2-underline h3-underline em-underscore hr-center ul-star pre-tick" data-instant-intensity="viewport-all">


<article>
<header>
<h1>« La multitude mobilisée en masse est l’unique solution »</h1>
</header>
<nav>
<p class="center">
<a href="/david/" title="Aller à l’accueil"><svg class="icon icon-home">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-home"></use>
</svg> Accueil</a> •
<a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-la-multitude-mobilisee-en-masse-est-lunique-solution/" title="Lien vers le contenu original">Source originale</a>
</p>
</nav>
<hr>
<p><em><span>Depuis <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-dire-ensemble-la-condition-des-classes-populaires-et-des-migrants-1-3/">notre der­nière ren­contre</a></span>, le phi­lo­sophe et éco­no­miste Frédéric Lordon a publié trois ouvrages : </span></em><span><a href="https://lafabrique.fr/vivre-sans/">Vivre sans ?</a></span><em><span>, </span></em><span><a href="https://lafabrique.fr/figures-du-communisme/">Figures du com­mu­nisme</a> </span><em><span>et </span></em><span><span><a href="https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/">En tra­vail</a></span>. <em>Le pre­mier dis­cu­tait les thèses auto­nomes, liber­taires et loca­listes pour mieux louer une trans­for­ma­tion glo­bale — « </em>macro­sco­pique<em> » — par la force du grand nombre, qu’il n’hé­si­tait pas à qua­li­fier, posi­ti­ve­ment, de « Grand Soir » ; le deuxième enten­dait réha­bi­li­ter l’hy­po­thèse com­mu­niste et la déta­cher entiè­re­ment, par des esquisses d’a­ve­nir concrètes, des crimes com­mis en son nom au <span class="caps">XX</span><sup>e</sup> siècle ; le der­nier, signé aux côtés du socio­logue <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/bernard-friot-christianisme-et-communisme-1-2/">Bernard Friot</a></span>, détaillait son sou­tien au <span class="ILfuVd"><span class="hgKElc">mode d’or­ga­ni­sa­tion socio-éco­no­mique connu <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/revenu-de-base-ou-salaire-a-vie-2-2/">sous le nom de </a></span></span></span><span><a href="https://www.revue-ballast.fr/revenu-de-base-ou-salaire-a-vie-2-2/">« salaire à vie » </a></span> (mais renom­mé, par ses soins, « garan­tie éco­no­mique géné­rale »). Une évo­lu­tion qui s’ac­com­pagne, chez Lordon, d’une pré­oc­cu­pa­tion désor­mais cen­trale pour l’ha­bi­ta­bi­li­té de la pla­nète. C’est donc de révo­lu­tion sociale et d’ur­gence éco­lo­gique dont nous dis­cu­tons avec lui, sur fond de néo-fas­ci­sa­tion grandissante.<br>
</em></span></p>
<hr>
<p><img class="size-full wp-image-41502 alignleft" src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg" alt data-lazy-srcset="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg 300w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-100x100.jpg 100w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-150x150.jpg 150w" data-lazy-sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" data-lazy-src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg"><noscript><img class="size-full wp-image-41502 alignleft" src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg" alt srcset="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg 300w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-100x100.jpg 100w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-150x150.jpg 150w" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px"></noscript></p>
<p><span><strong>Après avoir hési­té à mobi­li­ser le gros mot de « com­mu­nisme », vous avez fran­chi un pas sup­plé­men­taire :<span><a href="https://acta.zone/frederic-lordon-pour-un-neo-leninisme/"> le « néo-léni­nisme »</a></span>. Vous vous empres­sez de dire que ça n’a rien à voir avec ce qu’on ima­gine. Avouez quand même que vous ne vous sim­pli­fiez pas la tâche !</strong></span></p>
<p>Je prends plus au sérieux que vous ne croyez ces pro­blèmes d’appellation. Je mesure quand même assez le poids des bou­lets sym­bo­liques qui sont accro­chés à cer­tains mots, celui de « com­mu­nisme » en pre­mier. Ce mot n’est plus un mot : c’est un tom­be­reau d’images auto­ma­tiques, un arc sti­mu­lus-réflexe. Mais alors pour­quoi y reve­nir ? L’idée pre­mière c’est de nom­mer une posi­ti­vi­té — c’est-à-dire de sor­tir du registre du refus, de la néga­ti­vi­té des alter‑, des anti- et des post‑, de tous ces mots qui disent ce que nous ne vou­lons plus, mais ne disent jamais ce que nous vou­lons. Je gage que vous savez aus­si bien que moi ce que coûtent en perte d’allant les stag­na­tions dans le refus, et tout ce qu’on récu­père de motri­ci­té à l’indication d’une direc­tion posi­tive — c’est-à-dire d’un désir. « Anticapitalisme », oui, ça il faut le dire — et tant de gens en sont encore para­ly­sés. Mais anti­ca­pi­ta­lisme, ça ne suf­fit pas. Il faut nom­mer ce que nous vou­lons. « Communisme » nomme. Pour l’heure, fran­che­ment je ne vois pas de mot plus adé­quat. <a href="https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-daniel-guerin/">Daniel Guérin</a>, dont vous avez <a href="https://www.revue-ballast.fr/contre-le-fascisme-construire-le-socialisme-par-daniel-guerin/">publié un texte il y a peu</a>, nom­mait ain­si son idéal : <a href="https://www.editions-spartacus.fr/Catalogue_par_theme.B/s262601p/Pour_le_communisme_libertaire"><em>Pour le com­mu­nisme liber­taire.</em></a> J’entends ici « Pour » et « com­mu­nisme », et j’aime bien.</p>
<p><span><strong>Et « libertaire » ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« L’idée pre­mière c’est de nom­mer une posi­ti­vi­té — c’est-à-dire de sor­tir du registre du refus, de la néga­ti­vi­té des alter‑, des anti- et des post-. »</p>
</blockquote>
<p>Et spé­cia­le­ment avec « liber­taire » — le croi­rez-vous ? Maintenant, que le concours à la belle nomi­na­tion (à la nomi­na­tion effi­cace) reste ouvert, ça ne me gêne pas du tout. Au contraire. Et ceci sans non plus oublier que les impu­ta­tions de gro­tesque, de ridi­cule ou de causes per­dues font par­tie des com­men­ce­ments (ou des recom­men­ce­ments) mino­ri­taires. Et que ça passe à mesure qu’on sort de la mino­ri­té, qu’on impose et qu’on fait croître ce qui à l’origine sus­ci­tait le rire ou la com­mi­sé­ra­tion. Allez savoir où nous en serons dans dix ou quinze ans de réchauf­fe­ment et d’événements météo­ro­lo­giques extrêmes, qui seront en fait deve­nus des évé­ne­ments moyens ; où en sera l’idée anti­ca­pi­ta­liste qui, pour l’heure, ne passe tou­jours pas les lèvres de la branche déli­cate de la gauche radi­cale ; où en sera le mot « com­mu­nisme », qui sui­vra à dis­tance — à mon avis moins ridi­cule, absurde ou encom­brant qu’aujourd’hui. La poli­tique, spé­cia­le­ment la poli­tique com­mu­niste, ou révo­lu­tion­naire, ou d’émancipation, ici peu importe l’appellation, est une affaire de patience, c’est-à-dire d’anticipations sur des hori­zons tem­po­rels néces­sai­re­ment plus longs que ceux de la poli­tique domi­nante, qui a pour elle les « évi­dences » et les tem­po­ra­li­tés immé­diates. Cependant, les crises orga­niques ont un pou­voir d’accélération qu’il ne faut pas sous-esti­mer non plus. Il y a quinze ou vingt ans, dire « capi­ta­lisme » ou « capi­ta­listes » fai­sait de vous, au choix, un malade men­tal ou un mal décon­ge­lé. Pareil il y a cinq ou dix ans avec le mot « bour­geoi­sie », que les néo­li­bé­raux croyaient sans doute défi­ni­ti­ve­ment ense­ve­li dans les gra­vats des années 1970. Avant de décla­rer un com­bat sym­bo­lique per­du d’avance, atten­dons un peu de voir com­ment les choses tournent — et en ce moment elles tournent de plus en plus vite. Parfait, me direz-vous, mais on n’est pas non plus obli­gés de char­ger la barque jusqu’à craquer…</p>
<p><span><strong>Et nous voi­ci arri­vés à Lénine…</strong></span></p>
<p>Et est-ce qu’on ne pour­rait pas se dis­pen­ser de lui ? Ici je vais plai­der, mais peut-être pas ce que vous croyez. Je plaide l’adresse res­treinte, et même locale : à l’usage de notre dé à coudre (tasse de thé, cabine télé­pho­nique ?) de gauche radi­cale. « Néo-léni­nisme », c’est pour par­ler à la gauche radi­cale. Un orwel­lien qui pas­se­rait par là m’objecterait que le registre indi­gène de l’entre-soi, spé­cia­le­ment quand il est grou­pus­cu­laire, n’est pas une idée bien fameuse. Or, dans le débat public élar­gi, si « com­mu­nisme » = rigo­lo, « Lénine » = fou san­gui­naire. Ça com­mence à faire beau­coup. Heureusement, dans le dé à coudre on ne se laisse pas impres­sion­ner par le révi­sion­nisme et on connaît un peu d’Histoire. Dire « néo-léni­nisme » n’y est donc pas un stig­mate — sim­ple­ment un lieu de contro­verse, si elle est vive. En l’occurrence d’une contro­verse que je crois névral­gique dans la conjonc­ture pré­sente. Poser le signi­fiant « léni­nisme » (en fait néo‑, et le pré­fixe ne compte pas peu) est une manière de contre­dire ce que j’appellerais les « poli­tiques de l’intransitivité ».</p>

<p><span><strong>Qu’entendez-vous par là ?</strong></span></p>
<p>Des poli­tiques qui, de pro­pos déli­bé­ré, renoncent à toute indi­ca­tion de direc­tion pour se sous­traire à l’imputation d’autoritarisme, et cultivent le mou­ve­ment pour le mou­ve­ment. « Le but est dans le che­min » ou « le che­mi­ne­ment est le che­min » sont impli­ci­te­ment ou expli­ci­te­ment ses maximes. Les der­niers qui ont indi­qué une direc­tion révo­lu­tion­naire sont les bol­che­viks, et de ceux-là nous ne vou­lons plus. C’est vrai que, de la manière bol­che­vik et de ce qui s’en est sui­vi, nous ne vou­lons plus — moi com­pris, figu­rez-vous. Pour autant ce dont je ne doute pas non plus, c’est que l’abandon de toute posi­tion de direc­tion nous voue à l’échec. « En face », on sait très bien ce qu’on veut et où on va. Pendant que nous nous pro­po­sons de che­mi­ner dans le che­mi­ne­ment, eux avancent. De fait, ça fait trente ans que nous les regar­dons avan­cer, sans aucune posi­ti­vi­té déter­mi­née à leur oppo­ser, sans aucun des­tin col­lec­tif alter­na­tif à proposer.</p>
<blockquote>
<p>« Une pro­po­si­tion poli­tique majo­ri­taire est une pro­po­si­tion qui dit expli­ci­te­ment où elle veut aller — ce qui, faut-il le dire, n’a rien à voir avec livrer un plan gran­diose, tout armé. »</p>
</blockquote>
<p>J’entends par­fai­te­ment l’objection qui s’inquiète de ce que les indi­ca­tions direc­tion­nelles finissent en confis­ca­tion diri­geante. C’est une inquié­tude des mieux fon­dées, nous devons même l’avoir <i>sans cesse</i> en tête. Mais nous devons la mettre en balance avec l’inquiétude symé­trique, au moins aus­si bien fon­dée, que l’apologie de l’intransitivité n’arrive jamais nulle part. Or main­te­nant il urge d’arriver quelque part, c’est-à-dire de <i>viser</i> quelque part, de dire <i>où</i> est ce « quelque part » (pas n’importe où), et <i>en quoi</i> il consiste. « Néo-léni­nisme » est un nom don­né à la posi­tion direc­tion­nelle : le fait d’assumer de dire quelque chose sur le quelque part, quelque chose de suf­fi­sam­ment défi­ni, même, convain­cu qu’à part les pra­ti­quants d’une éthique de l’intransitivité, on ne fait pas venir à soi grand monde en pro­po­sant sim­ple­ment de che­mi­ner pour che­mi­ner. Une pro­po­si­tion poli­tique majo­ri­taire est une pro­po­si­tion qui dit expli­ci­te­ment où elle veut aller — ce qui, faut-il le dire, n’a rien à voir avec livrer un plan gran­diose, tout armé, tout fice­lé, dont ne res­te­rait plus qu’à recru­ter des troupes d’exécution.</p>
<p>La <a href="https://lundi.am/vers-une-theorie-de-la-puissance-destituante-Par-Giorgio-Agamben">pro­po­si­tion des­ti­tuante</a>, et la pro­po­si­tion « che­mi­nante » qui lui est clai­re­ment appa­ren­tée, sont des pro­po­si­tions para­doxales, où il est pro­po­sé de ne pas pro­po­ser — sinon de « s’en aller ». Les <a href="https://lafabrique.fr/linsurrection-qui-vient/">tra­vaux du Comité invi­sible</a>, par exemple, ont comp­té pour moi, comme pour beau­coup. On peut en dire tout ce qu’on veut mais ça envoyait (ça envoie tou­jours). Mais je crois que la fuite, la défec­tion, étaient des pro­po­si­tions « d’époque », je veux dire de cette époque où déser­ter était la seule chose qu’il nous res­tait quand nous nous voyions dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit du (contre) le capi­ta­lisme sinon le quit­ter — mais en le lais­sant der­rière nous (car je n’ai jamais cru à l’hypothèse de la défec­tion <i>géné­rale</i>, qui aurait lais­sé le capi­ta­lisme entiè­re­ment déser­té et voué à s’effondrer comme une enve­loppe vide). De même que la raré­fac­tion du mot « uto­pie » dans les dis­cours actuels de l’émancipation me semble un excellent signe, le signe que nous n’avons plus pour unique solu­tion de nous réfu­gier (fuir) dans la fan­tai­sie d’un « sans-lieu » ima­gi­naire (et sans aucune chance de jamais deve­nir réel), de même, je pense, les « des­ti­tuants » devraient être heu­reux que se close le moment de la des­ti­tu­tion : car cette clô­ture signi­fie que s’en prendre direc­te­ment au capi­ta­lisme, et mettre quelque chose de défi­ni à la place, est une idée qui com­mence à avoir droit de cité, c’est-à-dire que nous sommes peut-être en train de vaincre la « malé­dic­tion de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fredric_Jameson">Jameson</a> » au terme de laquelle il était «<em> plus facile de conce­voir la fin du monde que la fin du capi­ta­lisme</em> ». Je me demande même si la période qui s’ouvre n’a pas pour prin­cipe impli­cite la mise de cette for­mule cul par-des­sus tête.</p>

<p><span><strong>Quel sens don­nez-vous à ce renversement ?</strong></span></p>
<p>Que, non, nous ne vou­lons pas de la fin du monde ; que, <i>par consé­quent</i>, nous com­men­çons à pen­ser très fort à la fin du capi­ta­lisme — et au com­mu­nisme. Nous voyons ici la puis­sance du levier affec­tif que va consti­tuer le péril cli­ma­tique. Non, l’humanité ne se lais­se­ra pas mou­rir. Elle com­mence à entre­voir qu’elle est en dan­ger, et lorsqu’elle y aura ajou­té une idée claire et dis­tincte des causes réelles de ce dan­ger, il nous rede­vien­dra plus facile de pen­ser la mort du capi­ta­lisme que notre propre mort ! Nous nous apprê­tons à sor­tir de la rési­gna­tion. Voilà en défi­ni­tive ce dont le mot « néo-léni­nisme » est l’anticipation, et aus­si ce dont il est la sté­no­gra­phie : assu­mer, non la défec­tion, mais la <i>confron­ta­tion</i> avec le capi­ta­lisme ; poser une <i>direc­tion</i> ; consi­dé­rer <i>entre autres</i> l’échelle macro­so­ciale et la ques­tion des ins­ti­tu­tions ; pen­ser une stra­té­gie ; la sou­te­nir par une forme ou une autre d’organisation (d’organisations).</p>
<p><span><strong>Restons encore un peu sur la ques­tion des noms. L’écosocialisme s’avance comme une « <i>syn­thèse dia­lec­tique entre le mar­xisme et l’écologie</i> », pour reprendre la for­mule de <span><a href="https://www.letempsdescerises.net/?product=quest-ce-que-lecosocialisme">Michael Löwy</a></span>. Sauf erreur, vous n’employez jamais ce terme. N’est-ce pas pour­tant proche de votre démarche ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« Eh bien oui : un <q>1936 accom­pli</q>. Le seul moyen de dis­sua­der la réac­tion tient dans le spec­tacle impres­sion­nant de la mul­ti­tude mobi­li­sée en masse, c’est-à-dire devant le sen­ti­ment qu’inspirent à la fois le nombre et son degré de détermination. »</p>
</blockquote>
<p>Avec les appel­la­tions, on troque sou­vent un pro­blème pour un autre. « Écosocialisme » est une pos­si­bi­li­té de nomi­na­tion qui n’a pas man­qué de me venir à l’esprit et, sur le papier, je la trouve très inté­res­sante. Elle est assu­ré­ment moins char­gée, et même infi­ni­ment plus aimable que « com­mu­nisme ». Justement, c’est peut-être deve­nu un pro­blème, cette « ama­bi­li­té » : « éco­so­cia­lisme » se retrouve com­mu­né­ment recy­clé dans le dis­cours de for­ma­tions poli­tiques par­le­men­taires, depuis la <span class="caps">FI</span>… jusqu’au <span class="caps">PS</span> — évi­dem­ment ce der­nier cas comme une escro­que­rie patente. Certes, vous pour­riez m’opposer qu’il y a un « Parti <i>com­mu­niste</i> », dans les orien­ta­tions offi­cielles duquel on cher­che­rait en vain la moindre trace de com­mu­nisme, et que ça n’est donc pas une rai­son. Un peu quand même. Au reste, pour ma part, « socia­lisme », je ne sais plus ce que ça veut dire. Bien sûr, <a href="https://www.revue-ballast.fr/vers-la-revolution-ecosocialiste-1-2/">les conte­nus que Michael Löwy </a>donne à l’idée sont, eux, par­fai­te­ment clairs, et j’aurais du mal à ne pas m’y recon­naître. Mais puisqu’on évoque une prag­ma­tique de la récep­tion, je crains juste que « éco­so­cia­lisme » ait par trop les airs d’une caté­go­rie interne à la gram­maire capi­ta­liste et ne sonne que comme la énième pro­po­si­tion de l’« inflé­chir ». On pour­rait dire que c’est habile, que ça per­met d’avancer mas­qué et de trom­per son monde — je n’aurais rien contre ce genre d’habileté. On peut dire aus­si, symé­tri­que­ment, que ça pré­pare à toutes les neu­tra­li­sa­tions. Au total, j’en reviens à un argu­ment assez rus­tique : « com­mu­nisme » est ce qui se déduit <i>dans l’ordre de l’affirmation posi­tive</i> d’une pré­misse sans équi­voque anticapitaliste.</p>
<p><span><strong>Vous répé­tez que vous n’avez pas la moindre idée de <i>com­ment</i> nous pour­rions nous diri­ger vers une socié­té juste. Mais pour s’emparer du pou­voir, il n’y a que deux pos­si­bi­li­tés : les élec­tions ou le ren­ver­se­ment. L’<span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Unit%C3%A9_populaire_(Chili)">Unité popu­laire</a></span> d’<span><a href="https://www.revue-ballast.fr/on-massassine-salvador-allende/">Allende</a> </span>ou Castro, le <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_vers_le_socialisme_(Bolivie)"><span class="caps">MAS</span></a></span> de Morales ou le <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_spartakiste">modèle spar­ta­kiste</a></span>. Vous sem­blez les écar­ter de concert : vous espé­rez que « <i>les fusils n’aient rien à faire dans le pro­ces­sus </i>» tout en affir­mant que rien n’adviendra par la seule «<i> voie par­le­men­taire </i>»<i>. </i>Au fond, ne seriez-vous pas par­ti­san d’un néo-1936 ? Un <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_populaire_(France)#Le_mouvement_de_gr%C3%A8ve_de_mai-juin_1936">1936</a> </span><i>accom­pli</i> — les urnes, une mobi­li­sa­tion de masse qui tienne les élus par le col et, cette fois, la révo­lu­tion sociale.</strong></span></p>
<p>Je ne les écarte pas <i>de concert</i>, en tout cas pas de manière symé­trique. Que le pro­ces­sus élec­to­ral « sec » ne puisse rien engen­drer, ça oui, j’en suis per­sua­dé — je veux dire « rien engen­drer » à la hau­teur de ce qui est requis par des temps éco­ci­daires. Qu’on puisse s’épargner les fusils, ça oui, je le sou­haite — mais sou­hai­ter est la seule chose que nous puis­sions faire. Vous connais­sez aus­si bien que moi l’histoire des expé­riences de gauche et la manière dont la plu­part se sont ter­mi­nées : soit dans l’absorption « par­le­men­taire », soit dans le sang. Je pense que nous devons être assez d’accord sur le fait que le ver­rou réside dans la pro­prié­té pri­vée lucra­tive des moyens de pro­duc­tion et qu’il ne se trouve aucune solu­tion par­le­men­taire à même de le tirer. Alors quoi d’autre sinon les fusils ? Eh bien oui : un « 1936 accom­pli » — j’aime beau­coup votre for­mule. Je pense que le seul moyen de dis­sua­der <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9action_(politique)">la réac­tion</a> tient dans le spec­tacle impres­sion­nant de la mul­ti­tude mobi­li­sée en masse, c’est-à-dire devant le sen­ti­ment qu’inspirent à la fois le nombre et son degré de déter­mi­na­tion. Condition néces­saire seule­ment, en tout cas unique solu­tion, du moins je n’en vois pas d’autre, pour enrayer l’escalade vio­lente d’une bour­geoi­sie qui a déjà assez mon­tré dans l’Histoire qu’elle était prête à <i>tout</i>.</p>

<p><span><strong>Dans <i>Basculements</i>, l’historien <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Baschet">Jérôme Baschet</a> </span>— lié au mou­ve­ment zapa­tiste — vous consacre plu­sieurs pages. Il vous reproche, entre autres choses, de tout miser sur « l’après » révo­lu­tion et d’empêcher « <i>la pos­si­bi­li­té de com­men­cer à construire dès à pré­sent </i>». Vise-t-il dans le mille ou à côté ?</strong></span></p>
<p>Là, vous évo­quez un cas tout à fait sin­gu­lier. J’ai lu ce livre, j’ai lu les pages qui m’y sont consa­crées. Je dois dire que je n’en suis tou­jours pas reve­nu. Quelques mois plus tard j’en suis encore à me deman­der com­ment il se peut qu’on pro­cède à une lec­ture aus­si, com­ment dire, ren­ver­sante — mais lit­té­ra­le­ment : qui met tout à l’envers. C’est assez simple : pas un seul des énon­cés qui me sont consa­crés ne reflète, fût-ce approxi­ma­ti­ve­ment, ma pen­sée. Je dois dire que c’est une expé­rience de la défi­gu­ra­tion dont on se sou­vient. N’étant pas <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%BCrgen_Habermas">haber­mas­sien</a>, je sais que la défor­ma­tion des idées dans la polé­mique est la règle bien plus que l’exception, mais il y a tout de même des stades où l’on en reste sans voix. Je pense par exemple à ce pas­sage où Jérôme Baschet me fait dire l’exact contraire de ce que j’écris, puis s’approprie mes propres thèses pour me les retour­ner comme objec­tions : <i>« </i><em>On</em><i> peut </i><em>bien plu­tôt</em><i> sou­te­nir que le pou­voir d’État orga­nise la cap­ture de la puis­sance de la mul­ti­tude, l’absence de ceux qu’il est cen­sé repré­sen­ter et la trans­mu­ta­tion de la sou­ve­rai­ne­té du peuple en sou­ve­rai­ne­té de l’État </i>». Voilà, sauf que ça n’est pas « on » qui dit ceci, c’est moi, et que, dans ces condi­tions, il me semble dif­fi­cile de me l’opposer. Depuis <a href="https://lafabrique.fr/imperium/"><i>Imperium</i></a>, je ne cesse de me réfé­rer à la lec­ture du <i>Traité poli­tique</i> par<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Matheron"> Alexandre Matheron</a> et d’en répé­ter la for­mule cen­trale que «<em> le pou­voir est la confis­ca­tion par le sou­ve­rain de la puis­sance de ses sujets </em>». Toute ma théo­rie des ins­ti­tu­tions est une théo­rie de la cap­ture ! Ici, on se trouve très dému­ni, au moment où l’on voit s’évanouir la condi­tion élé­men­taire de récep­tion de la lit­té­ra­li­té d’un texte hors de laquelle l’exercice de la dis­cus­sion n’a sim­ple­ment plus aucun sens.</p>
<blockquote>
<p>« Plus nom­breux nous serons à avoir <i>déjà</i> expé­ri­men­té le com­mu­nisme <i>dans la pra­tique</i>, ici pra­tique néces­sai­re­ment <i>locale</i>, plus le com­mu­nisme, comme for­ma­tion sociale <i>glo­bale</i>, trou­ve­ra déjà pré­pa­ré un ter­reau de dis­po­si­tions favorables. »</p>
</blockquote>
<p>Je suis obli­gé de dire que le reproche de « tout miser sur l’après » et « d’empêcher la pos­si­bi­li­té de construire dès à pré­sent » est exac­te­ment du même métal. Tout ça est très étrange, vrai­ment. Depuis <a href="https://lafabrique.fr/vivre-sans/"><i>Vivre sans ?</i></a>, confir­mée dans <a href="https://lafabrique.fr/figures-du-communisme/"><i>Figures du com­mu­nisme</i></a>, répé­tée dans le livre d’entretien avec Bernard Friot, <a href="https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/"><i>En tra­vail</i></a>, et en réa­li­té déjà pré­sente dans <i>Imperium</i> — si on veut sim­ple­ment se don­ner la peine de le lire —, il y a cette idée non seule­ment de la mul­ti­pli­ci­té des échelles, mais de la ver­tu intrin­sèque, de l’absolue néces­si­té même, pour un com­mu­nisme bien conçu, de lais­ser pros­pé­rer toutes les expé­riences locales d’autonomie : parce qu’il y va de sa vita­li­té, et même de sa via­bi­li­té. S’il y a bien un ensei­gne­ment, mais caté­go­rique, que nous pou­vons tirer de l’histoire des « socia­lismes réels », c’est que l’absorption totale, et tota­li­taire, de la socié­té dans l’État, et même dans ce qu’on peut appe­ler un État de caserne, c’est la mort. Seule la vie des asso­cia­tions, ou des « conso­cia­tions » comme dit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Althusius">Althusius</a>, nous en sauve. Comment faut-il que je le dise (répète) ? Avec un mini­mum de logique, on en tire­ra — j’en tire — qu’il y a tout avan­tage à ce que ces expé­riences se déve­loppent dès main­te­nant. C’est d’ailleurs le cas, et elles n’ont atten­du per­sonne pour ça. Le com­mu­nisme n’est pas qu’une orga­ni­sa­tion sociale ou une struc­ture ins­ti­tu­tion­nelle, c’est aus­si un habi­tus, c’est-à-dire un ensemble de dis­po­si­tions indi­vi­duelles for­mées dans la <i>pra­tique</i>. Or cet habi­tus n’est pas qu’un <i>effet</i> de l’entrée dans le com­mu­nisme, il en est aus­si une des <i>condi­tions de pos­si­bi­li­té</i>.</p>
<p>En d’autres termes, plus nom­breux nous serons à avoir <i>déjà</i> expé­ri­men­té le com­mu­nisme <i>dans la pra­tique</i>, ici pra­tique néces­sai­re­ment <i>locale</i>, plus le com­mu­nisme, comme for­ma­tion sociale <i>glo­bale</i>, trou­ve­ra déjà pré­pa­ré un ter­reau de dis­po­si­tions favo­rables à son plein déploie­ment et à sa via­bi­li­té. Ce que je dis en revanche, c’est que, si elle est néces­saire non seule­ment à sa « pré­pa­ra­tion » mais aus­si à sa vita­li­té « en régime », la pra­tique locale du com­mu­nisme ne suf­fit pas à son accom­plis­se­ment, à sa pleine réa­li­sa­tion. Ce que j’entends par com­mu­nisme n’est ni l’homothétie<sup></sup> d’une « com­mune », je veux dire quelque chose comme une com­mune por­tée à l’échelle macro­sco­pique (si cette idée a d’ailleurs un sens — je pense qu’elle est une contra­dic­tion dans les termes), ni même de l’ordre d’un réseau de com­munes, et ceci pour des rai­sons qui tiennent à des néces­si­tés très pro­fondes de la divi­sion du tra­vail, dont le déploie­ment n’est pas sim­ple­ment « addi­tif », comme la somme d’une série de contri­bu­tions locales et sépa­rées, mais « holiste » et sup­pose des formes d’intégration glo­bale à l’échelle d’une for­ma­tion sociale entière — je m’en explique en lon­gueur dans <i>Figures</i> et dans <i>En tra­vail</i>, et il est sans doute plus utile ici de ren­voyer à ces pas­sages. Pourvu qu’on veuille bien les lire confor­mé­ment à ce qu’ils disent…</p>

<p><span><strong>Si, dans <i>Figures du com­mu­nisme</i>, vous avan­cez que « <i>Notre heure fini­ra par venir </i>», vous faites état, dans <i>En tra­vail</i>, de votre pes­si­misme quant à notre ave­nir proche. « <i>[J]e crains que la fas­ci­sa­tion ne soit en marche et que nous ayons pas­sé le point où plus rien ne pour­ra l’arrêter </i>», lit-on. Depuis la paru­tion du livre, le très média­tique Zemmour, par­ti­san du dépla­ce­ment for­cé de popu­la­tions, appa­raît comme une option pos­sible au second tour de la présidentielle…</strong></span></p>
<p>Eh bien oui, nous en sommes là. Je par­lais à l’instant de la crise orga­nique et des ses pro­prié­tés accé­lé­ra­trices. Bien sûr les mûris­se­ments se font dans la moyenne ou longue période, mais tout de même : la liste est inter­mi­nable des choses qui se sont ins­tal­lées, qu’on aurait crues impos­sibles il y a encore cinq ans, et qu’une vue rétros­pec­tive nous fait regar­der avec sidé­ra­tion : police défi­ni­ti­ve­ment dégon­dée, deve­nue bloc de racisme, de vio­lence et de men­songe, chancre auto­nome n’obéissant plus qu’à lui-même ; empire crois­sant d’un énorme groupe mul­ti­mé­dias occu­pé à pro­mou­voir en pleine lumière un can­di­dat ouver­te­ment fas­ciste (avec la béné­dic­tion pas­sive du <span class="caps">CSA</span>) ; groupes néo­na­zis déci­dés à ter­ro­ri­ser la rue quand ça n’est pas à s’armer et à pré­pa­rer des atten­tats ; isla­mo­pho­bie déchaî­née jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État ; mac­car­thysme dans l’université ; stu­pé­fiant triomphe des idéo­logues d’extrême droite à impo­ser leurs thé­ma­tiques déli­rantes (« <em>woke</em> », « isla­mo­gau­chisme », « can­cel culture »). Sans doute pour­rait-on se deman­der à bon droit jusqu’où exac­te­ment cette impo­si­tion est effec­tive, et notam­ment si elle pénètre la socié­té beau­coup plus loin que les limites du champ média­tique et poli­tique. Que ce der­nier ait des effets de loupe aber­rante, c’est cer­tain. Que rien ne filtre ni ne « marque » au-delà, hélas je n’y crois pas.</p>
<blockquote>
<p>« Que <q>Grand rem­pla­ce­ment</q> prenne sa place au centre du débat public nous rap­pelle une fois de plus la vitesse propre aux pro­ces­sus de crise organique. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://blog.mondediplo.net/fury-room">Ce prin­temps</a>, je for­mais de sombres anti­ci­pa­tions avec des images de cor­tèges défi­lant aux cris de « mort aux Arabes » : j’ai peur de ne pas avoir peur pour rien. Que « Grand rem­pla­ce­ment », qui était une idée réser­vée à la macé­ra­tion d’une poi­gnée de para­noïaques racistes, prenne sa place au centre du débat public comme une idée « certes pos­si­ble­ment contro­ver­sée mais méri­tant dis­cus­sion », suf­fit en soi à don­ner une idée de la dégra­da­tion ful­gu­rante de l’ambiance poli­tique géné­rale, et nous rap­pelle une fois de plus la vitesse propre aux pro­ces­sus de crise orga­nique. Le pas­sage inexo­rable des « crans » suc­ces­sifs, la rapi­di­té avec laquelle ils sont fran­chis, sont à mes yeux carac­té­ris­tiques de ces dérè­gle­ments, on pour­rait même dire de ces affo­le­ments col­lec­tifs qui font les dyna­miques de fas­ci­sa­tion. Pour ne pas emprun­ter le lexique tou­jours pro­blé­ma­tique du nor­mal et du patho­lo­gique, je vais le dire en termes spi­no­zistes : les périodes de fas­ci­sa­tion sont des moments où la puis­sance du corps col­lec­tif s’effondre — et vous voyez aus­si­tôt que la puis­sance ne se mesure pas à l’agitation ou aux seules inten­si­tés, qui sont indé­nia­ble­ment très hautes ces jours-ci.</p>
<p>La puis­sance, pour Spinoza, c’est l’aptitude d’un corps à faire ce qui est requis par sa per­sé­vé­rance, non pas au sens sta­tique de l’autoconservation, mais au sens dyna­mique du déve­lop­pe­ment de la vie dans la plus haute connais­sance de soi, de sa situa­tion et des choses. Par exemple, un corps poli­tique puis­sant, aujourd’hui, orga­ni­se­rait <i>toute</i> sa réflexion et toute sa dis­cus­sion col­lec­tives autour d’un livre, celui d’Hélène Tordjmann, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_croissance_verte_contre_la_nature-9782348067990"><i>La Croissance verte contre la nature</i></a>, qui pose <i>la</i> ques­tion, la ques­tion d’importance vitale, celle de savoir ce que vaut la pro­messe capi­ta­liste de nous sau­ver de l’écocide capi­ta­liste — spoi­ler : rien. Les pro­chaines décen­nies sont déjà calées sur cette pro­messe en toc, et l’on sait com­bien « l’innovation » est un pré­texte à la patience (« on ne trouve pas en un jour », « mais on s’y met très fort », « ça va venir », « mais il faut attendre », « encore un peu », « on a déjà bien avan­cé »). Comme le montre le tra­vail d’Hélène Tordjmann, ou dans un autre genre celui de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_Pitron">Guillaume Pitron</a>, l’innovation capi­ta­liste, en matière de « solu­tion envi­ron­ne­men­tale », n’est qu’un gigan­tesque jeu de per­mu­ta­tions où un net­toyage ici se paye imman­qua­ble­ment d’une re-salis­sure ailleurs — dans le meilleur des cas, car il y a de quoi être sai­si d’effroi à cer­taines idées « inno­va­trices » de la géo-ingé­nie­rie. Voilà ce que nous devrions dis­cu­ter sans trêve, voi­là ce qui devrait être à la une de tous les médias — et pas seule­ment la déplo­ra­tion sans suite du chan­ge­ment climatique.</p>

<p><span><strong>Au lieu de quoi…</strong></span></p>
<p>… Au lieu de quoi le corps poli­tique, ayant remis l’organisation de sa conver­sa­tion à des médias capi­ta­listes — dont cer­tains ouver­te­ment fas­ci­sés, et les autres à la remorque par les saines voies de la concur­rence —, s’hystérise sur des objets pro­pre­ment déli­rants, entre <em>woke</em> et Grand rem­pla­ce­ment. De la même manière qu’aujourd’hui on relit, inter­lo­qué, le désastre média­tique et poli­tique des années 1930, gageons que dans cin­quante ans on obser­ve­ra avec le même mélange de conster­na­tion et d’incompréhension les erre­ments des années 2020, avec ce sup­plé­ment de per­plexi­té qu’im­pli­que­ra la deuxième occur­rence, et ce sup­plé­ment d’abattement du fait qu’il n’y a déci­dé­ment aucun pro­ces­sus d’apprentissage dans l’Histoire, pas même lorsque l’humanité se trouve en proie à des ques­tions exis­ten­tielles, vitales.</p>
<p><span><strong>On pour­rait vous objec­ter que <i>tous</i> les médias ne parlent pas <i>que</i> de ça.</strong> </span></p>
<p>C’est vrai. Mais tous ceux qui parlent d’autre chose, et notam­ment d’urgence cli­ma­tique, j’entends par­mi les médias mains­tream, sont abso­lu­ment rivés à la pro­messe capi­ta­liste du salut par « l’innovation ». Et pour cause : la mise en ques­tion du capi­ta­lisme, l’idée qu’il est le « pro­blème » et cer­tai­ne­ment pas la « solu­tion », cette idée fait l’objet d’une for­clu­sion radi­cale dans ces milieux où le capi­ta­lisme est comme une nature, c’est-à-dire une condi­tion essen­tielle dont le pro­jet d’en sor­tir n’a même pas de sens.</p>
<p><span><strong>Dans <a href="https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant"><span>un texte récent et polé­mique</span></a>, vous avez d’ailleurs dénon­cé la célé­bra­tion tous azi­muts du « vivant ». Dans <i>En tra­vail</i>, vous qua­li­fiez tou­te­fois l’idée de « crise du sen­sible » — qui, chez le phi­lo­sophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Baptiste_Morizot"><span>Baptiste Morizot</span></a>, désigne l’appauvrissement de notre rela­tion au monde végé­tal et ani­mal — d’idée « <i>tout à fait juste </i>». Ça alors, Lordon anti-dua­liste</strong></span><sup></sup><span><strong>, ce serait chose possible ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« De la même manière qu’on relit, inter­lo­qué, le désastre média­tique et poli­tique des années 1930, gageons que dans cin­quante ans on obser­ve­ra avec le même mélange de conster­na­tion et d’incompréhension les erre­ments des années 2020. »</p>
</blockquote>
<p>Évidemment, c’est un trait d’humour de votre part ! Je vous rap­pelle que je suis spi­no­ziste, que l’anti-dualisme (au sens où vous l’employez ici) est <i>au cœur</i> de l’ontologie de Spinoza, qui est un natu­ra­lisme inté­gral, une phi­lo­so­phie de l’égalité onto­lo­gique. Le mode fini humain, sim­ple­ment <i>pars natu­rae</i>, par­tie de la nature comme les autres, y est radi­ca­le­ment des­ti­tué de son sta­tut d’exceptionnalité dans l’univers, de ses pré­ten­tions à être <i>« comme un empire dans un empire </i>». Il relève d’une « qua­li­té d’être » exac­te­ment iden­tique à n’importe quelle autre chose de la nature — éga­li­té onto­lo­gique mais dif­fé­rence ontique<sup></sup>, n’est-ce pas ? Égalité d’être mais dif­fé­rences des puis­sances. Différences en tous sens, d’ailleurs, puisque d’un côté Spinoza ne manque pas de rap­pe­ler que «<i> chez les bêtes, on observe plus d’une chose qui dépasse de loin la saga­ci­té humaine</i> », mais que, de l’autre, seuls les humains jouissent des puis­sances de la rai­son. Si la pen­sée de l’écologie se pré­oc­cupe de phi­lo­so­phie, c’est chez Spinoza qu’elle doit aller cher­cher son onto­lo­gie, plus encore si l’on consi­dère qu’elle y trou­ve­ra éga­le­ment une pen­sée de l’interrelation fon­da­men­tale, une pen­sée de ce que les modes finis, pré­ci­sé­ment parce que finis, ne peuvent vivre que dans l’interdépendance. Dois-je en rajou­ter ? Il y a quelques années déjà, un éco­lo­giste radi­cal comme<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arne_N%C3%A6ss"> Arne Næss</a> s’en était aper­çu. Quant à moi, je ne pense donc pas faire par­tie des per­sonnes à convaincre en prio­ri­té de l’anti-dualisme — mais je dois comp­ter avec les effets d’une visi­bi­li­té dis­tor­due où mes inter­ven­tions poli­tiques font sys­té­ma­ti­que­ment oublier mes tra­vaux phi­lo­so­phiques. Au reste, je n’aurais nul besoin de me pré­va­loir de Spinoza pour jus­ti­fier d’être sen­sible au sen­sible — on peut par­fai­te­ment l’être sans lui. Il se trouve que je le suis et <i>qu’en plus</i> je suis spi­no­ziste. Simplement je n’éprouve pas le besoin de racon­ter mes petites aven­tures sensibles.</p>
<p>Donc oui, le spi­no­zisme aide à pen­ser phi­lo­so­phi­que­ment l’écologie. Et oui, l’attrition de nos sen­si­bi­li­tés me pré­oc­cupe autant qu’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Latour">latou­rien</a> qui piste les loutres. Maintenant la ques­tion <i>poli­tique</i>, c’est : qu’est-ce qu’on fait avec tout ça ? Le déli­cieux <a href="https://www.revue-ballast.fr/pierre-charbonnier-lecologie-cest-reinventer-lidee-de-progres-social/">Pierre Charbonnier</a> cite <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Descola">Philippe Descola</a> pour <a href="https://lvsl.fr/pierre-charbonnier-mon-principal-espoir-est-que-le-zadiste-le-jacobin-ecolo-et-le-technocrate-radicalise-pactisent/">rap­pe­ler</a> qu’on ne peut pas « <i>être révo­lu­tion­naire poli­ti­que­ment et conser­va­teur onto­lo­gi­que­ment </i>». Il va pour­tant fal­loir y arri­ver car, dans l’urgence extrême de l’écocide, mettre la révo­lu­tion poli­tique sous condi­tion de la révo­lu­tion onto­lo­gique est la cer­ti­tude de finir grillés, noyés, suf­fo­qués, pan­dé­miés et tout ce que vous vou­lez. La révo­lu­tion onto­lo­gique (désas­treuse) qui a fait émer­ger la méta­phy­sique du sujet et du libre-arbitre, puis l’a conver­tie en un ima­gi­naire com­mun, a pris des siècles. Celle qui l’annulera pour (re)faire les droits de l’égalité onto­lo­gique et de l’interdépendance géné­rale en pren­dra à peu près autant. Or nous n’avons pas des siècles. Donc on va lais­ser les uni­ver­si­taires (je m’y inclus) pré­pa­rer la révo­lu­tion onto­lo­gique, mais on ne va pas non plus se la racon­ter en tech­ni­co­lor sur les pou­voirs de la phi­lo­so­phie pre­mière, et on va plu­tôt tâcher de trou­ver <i>et</i> <i>rapi­dos</i> de quoi lais­ser une chance à l’humanité de conti­nuer à habi­ter cette pla­nète. Or cette chance pas­se­ra par la posi­tion d’un cer­tain nombre d’actes, à com­men­cer par des actes de nomi­na­tion, et en fait de <i>dési­gna­tion</i>.</p>

<p><span><strong>Lesquels, par exemple ?</strong></span></p>
<p>On ne doit plus pou­voir dire que ce qui détruit la pla­nète c’est « le-chan­ge­ment-cli­ma­tique » sans rien ajou­ter der­rière, sans faire obser­ver que le chan­ge­ment cli­ma­tique ne tombe pas du ciel, sans poser la ques­tion de savoir « alors d’où ? », « de quoi ? », et même « de qui ? » — et répondre sans finas­ser. Récemment, sur France Culture, un haut lieu des « concer­nés du vivant », on était très inquiet du chan­ge­ment cli­ma­tique et de ce que « ça n’avance pas assez » sur ce front. <span class="caps">COP</span> 21, 22, … 26, rien qui bouge. Et la jour­na­liste (ou chro­ni­queuse, ou ani­ma­trice de l’émission) de s’interroger à voix haute : « Pourquoi, donc, est-ce que ça n’avance pas assez ? » Eh bien vous le croi­rez si vous vou­drez, mais c’est « à cause du<em> sta­tu quo</em> ». « Ça » reste en l’état parce qu’il y a du «<em> sta­tu quo </em>». Enlevons le lati­nisme : « Ça reste en l’état parce que ça reste en l’état. » Voilà où conduit de ne pas nom­mer, de ne pas dési­gner, de ne pas dire : ça mène à ces choses qui me donnent envie d’attaquer ma radio au pio­let (mais je dois être trop sen­sible). Pour ce qui me concerne, je sais main­te­nant très clai­re­ment à quoi contri­buer (il va fal­loir s’y mettre à beau­coup) : à <i>for­cer</i> le débat public. Le for­cer à dire « capi­ta­lisme », « la cause est le capi­ta­lisme », « l’écocide est capi­ta­liste », « il n’y a pas de solu­tion capi­ta­liste à l’écocide capi­ta­liste », « donc… ». Tant que les Sensibles ne vou­dront pas sor­tir du bois et dire, répé­ter, bas­si­ner, mar­te­ler, sans trêve — et pas une fois de temps en temps plan­qué au détour d’une phrase ou en le réser­vant aux publics favo­rables — que nous n’avons plus le choix que d’être anti­ca­pi­ta­listes, ils ne seront pas à la hau­teur d’une alarme qu’ils sont para­doxa­le­ment par­mi les plus qua­li­fiés à tirer.</p>
<p><span><strong>L’anthropologue <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Latour">Bruno Latour</a> </span>vous <a href="https://www.socialter.fr/article/latour-revolution-anthropocene" target="_blank" rel="noopener"><span>dirait</span></a> cer­tai­ne­ment : « <i>Ce que ne com­prend pas la gauche qui veut repé­rer des camps à l’ancienne — entre, gros­so modo, capi­ta­lisme et anti­ca­pi­ta­lisme —, c’est que la révo­lu­tion a eu lieu et elle s’appelle l’Anthropocène. Nous ne sommes plus devant une révo­lu­tion à faire, mais devant une révo­lu­tion déjà faite </i>». Vous ne pre­nez donc pas acte ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« Tant que les Sensibles ne vou­dront pas sor­tir du bois et dire, répé­ter, bas­si­ner, mar­te­ler, sans trêve que nous n’avons plus le choix que d’être anti­ca­pi­ta­listes, ils ne seront pas à la hau­teur d’une alarme qu’ils sont para­doxa­le­ment par­mi les plus qua­li­fiés à tirer. »</p>
</blockquote>
<p>Tout ce que je viens de dire atteste que je prends acte — mais de quoi ? en quels termes ? C’est ça toute la ques­tion. Oui, je prends acte qu’une révo­lu­tion a eu lieu. Non je ne prends pas acte que le mot adé­quat pour la nom­mer soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropoc%C3%A8ne">« Anthropocène »</a>. « Anthropocène » nous dit que la cause de l’écocide c’est « l’homme » — par­don : « l’Homme ». Ah bon ? On se croi­rait reve­nu avant les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A8ses_sur_Feuerbach"><i>Thèses sur Feuerbach</i></a> : « l’Homme » — cette chose qui n’existe nulle part sinon dans la tête des phi­lo­sophes idéa­listes. Non, ce qui a fou­tu en l’air le cli­mat et détruit la pla­nète, ça n’est pas « l’Homme », ce sont les hommes capi­ta­listes. <a href="https://www.revue-ballast.fr/andreas-malm-lurgence-climatique-rend-caduc-le-reformisme/">Andreas Malm</a> a fait litière de cet absurde « Anthropocène » dont le nom même n’est qu’un évi­te­ment : un de ces stra­ta­gèmes géla­ti­neux typiques de l’idéalisme mora­liste, qui fait tou­jours tout pour igno­rer les forces maté­rielles et les forces sociales, les hégé­mo­nies et les conflits, les rap­ports sociaux et les rap­ports de force, et qui fina­le­ment nous laisse quoi comme pos­si­bi­li­té ? Réformer l’Homme ? On sait déjà com­ment ça se finit : par le tri des déchets et l’apologie des « petits gestes » qui « per­met­tront de tout chan­ger ». Or voi­là : les petits gestes pour tout chan­ger sont pré­ci­sé­ment des béquilles pour tout recon­duire, donc pour ne rien chan­ger. Ou alors on va créer le par­le­ment de la Loire, du bois de Saint-Cucufa ou du Gave de Pau ? Le capi­tal tremble sur ses bases. Je pour­rais dire que tout ce texte un peu éner­vé du blog du <em>Diplo</em> auquel vous faites réfé­rence a été sous la gou­verne d’une image unique : l’hilarité des hommes du Medef. Je pense qu’ils ne doivent pas en croire leurs yeux ni leurs oreilles. Une « gauche radi­cale » pareille, c’est tota­le­ment ines­pé­ré, même dans leurs rêves les plus fous. En ces matières je pense qu’on peut se fier à des cri­tères très rus­tiques mais très sûrs : quand quelque chose contra­rie le capi­tal, il ne rit pas du tout, il fait don­ner ses médias (j’entends : ses médias, conve­na­ble­ment agen­cés par lui, donnent d’eux-mêmes), et la requa­li­fi­ca­tion des contra­riants en fous dan­ge­reux (désor­mais on dit « radi­ca­li­sés », une expres­sion très com­mode qui sert à plein de choses) ne se fait pas attendre.</p>
<p>Reprenons : je prends acte qu’une révo­lu­tion a eu lieu. Elle n’est pas celle de l’« Anthropocène », mais celle du Capitalocène<sup></sup>, c’est-à-dire l’œuvre du capi­ta­lisme et des capi­ta­listes. Je prends acte sur­tout de ce qu’une autre révo­lu­tion doit impé­ra­ti­ve­ment suivre, celle-ci si nous ne vou­lons pas ter­mi­ner cal­ci­nés — en réa­li­té nous ter­mi­ne­rons plu­tôt à nous entre­tuer pour les der­nières flaques d’eau. Quand j’y repense, je trouve la phrase de Latour hal­lu­ci­nante : arrê­tez de pour­suivre la révo­lu­tion, elle a déjà eu lieu ! Oui, seule­ment ça a été la révo­lu­tion des capi­ta­listes, ce qui me sem­ble­rait un puis­sant mobile non pas pour lâcher l’idée de révo­lu­tion mais pour la pour­suivre dere­chef, d’autant plus vigou­reu­se­ment, et dans la direc­tion exac­te­ment opposée.</p>

<p><span><strong>Vous évo­quez Andreas Malm. Nous l’avons<span><a href="https://www.revue-ballast.fr/andreas-malm-lurgence-climatique-rend-caduc-le-reformisme/"> ren­con­tré il y a peu</a></span> et, à la ques­tion de savoir à quoi bon une révo­lu­tion sociale et éco­lo­giste dans un ou deux pays si les États pol­lueurs conti­nuent, par­tout ailleurs, de pol­luer l’air mon­dial, il nous a répon­du qu’il séchait un peu. Ajoutant : « <i>il est effec­ti­ve­ment dif­fi­cile d’imaginer cette tran­si­tion dans des pays iso­lés </i>». Voilà qui nous ramène à vos <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-organiser-la-contagion/">pré­cé­dents tra­vaux sur l’internationalisme</a></span>… On com­mence quand même sans les autres ?</strong></span></p>
<p>Oui, la lec­ture des livres d’Andreas Malm m’a été une puis­sante pro­pul­sion, et c’est peu dire que j’ai trou­vé en lui un cama­rade, spé­cia­le­ment dans le déploie­ment de la <i>consé­quence</i> stra­té­gique. Il devait y avoir des affi­ni­tés pré­cons­ti­tuées parce qu’on m’a fait décou­vrir <i>après</i> le texte du <em>Diplo</em> son livre <a href="https://www.versobooks.com/books/3140-the-progress-of-this-storm"><i>The Progress of This Storm </i></a>[<em>indis­po­nible en fran­çais, ndlr</em>] où visi­ble­ment le par­le­ment des cours d’eau lui fait le même effet qu’à moi. Quant à votre ques­tion, je vais le dire sans détour : je sèche autant que Malm. Et pour­tant je réponds « oui ! », sans hési­ter. Je me per­mets aus­si de rap­pe­ler qu’un cha­pitre de <i>Figures du com­mu­nisme</i> est consa­cré à cette dif­fi­cile ques­tion, qu’à défaut de résoudre j’essaie de repo­ser dans les coor­don­nées qui me semblent adé­quates. C’est-à-dire pas celles de ce que j’ai appe­lé dans le pas­sé « l’internationalisme ima­gi­naire », cet inter­na­tio­na­lisme abs­trait, tout entier pétri de ver­tuisme et qui, entre autres choses, ne répond jamais à la ques­tion de la mor­pho­lo­gie poli­tique : l’internationalisme abs­trait pour­ra-t-il jamais nous pro­po­ser une image de ce qui lui semble la seule com­mu­nau­té poli­tique admis­sible, soit la com­mu­nau­té mon­diale du genre humain uni­fié ? Moi je ne crois pas à ça, et je suis encore moins déci­dé à l’attendre l’arme au pied. Par consé­quent je me plie à l’idée qu’il nous fau­dra comp­ter encore un moment avec des enti­tés poli­tiques dis­tinctes. Si c’est un pro­blème pour le com­mu­nisme ? Évidemment oui ! Car, sauf hypo­thèse héroïque (déli­rante) tablant sur le mou­ve­ment syn­chro­ni­sé de tous les pays, il aura bien à com­men­cer quelque part. Sans doute peut-on espé­rer que des effets d’émulation inter­na­tio­naux se feront connaître, mais je sug­gère de ne pas trop comp­ter des­sus non plus — on se sou­vient que ça n’a pas trop sui­vi après 1917, dans un contexte pour­tant autre­ment favo­rable que le nôtre —, en tout cas de ne pas en faire une condi­tion <em>sine qua non</em>.</p>
<blockquote>
<p>« On attend Godot et la révo­lu­tion pla­né­taire syn­chro­ni­sée ? Non : on com­mence quelque part, et on œuvre à la propagation. »</p>
</blockquote>
<p>Partons donc de la seule hypo­thèse « réa­liste » : quelque part, ça s’est pré­sen­té — la fenêtre his­to­rique pour une révo­lu­tion com­mu­niste. Voilà com­ment pour ma part j’attrape les pro­blèmes du « com­mu­nisme dans un seul pays » : non par la ver­tu inter­na­tio­na­liste mais par la divi­sion du tra­vail — j’admets : c’est moins avan­ta­geux. Même grand, un pays ne peut inter­na­li­ser la tota­li­té de la divi­sion du tra­vail adé­quate à ses réqui­sits maté­riels — quand bien même ceux-ci sont dras­ti­que­ment revus à la baisse, comme le com­mande de parer d’urgence à l’écocide. Il s’ensuit un pro­blème double : le pays com­mu­niste iso­lé conti­nue de devoir s’insérer dans la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail, c’est-à-dire dans un envi­ron­ne­ment capi­ta­liste, adverse, vis-à-vis duquel cette posi­tion de dépen­dance est d’emblée une vul­né­ra­bi­li­té, à plus forte rai­son de ce que, dans cet envi­ron­ne­ment, cer­tains pro­ta­go­nistes sont déter­mi­nés à lui faire la peau. L’hégémon éta­su­nien en tête bien sûr, dont on sait quel trai­te­ment il a réser­vé aux expé­riences qui, sans même rompre avec le capi­ta­lisme, se pro­po­saient d’en inflé­chir signi­fi­ca­ti­ve­ment le cours, sous la ban­nière reven­di­quée du socia­lisme. Devoir s’insérer dans la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail dans un cli­mat d’hostilité presque géné­rale n’est pas une affaire des plus simples. Et encore moins de faire face, iso­lé­ment, aux entre­prises de désta­bi­li­sa­tion de puis­sances pour qui lais­ser faire, et, qui sait, réus­sir une expé­rience hors des clous du capi­ta­lisme, est sim­ple­ment incon­ce­vable. Ici il m’arrive sou­vent de pen­ser à Rousseau et à son pro­jet de consti­tu­tion pour la Corse, dans lequel il don­nait aux insu­laires cet excellent conseil d’en finir avec la « gran­deur natio­nale » et son ima­gi­naire : rape­tis­ser jusqu’à dis­pa­raître de la scène inter­na­tio­nale, s’en faire oublier… et enfin avoir la paix. Oui mais voi­là, plus on rape­tisse, plus l’internalisation de la divi­sion est défi­ciente, et l’insertion dans les échanges inter­na­tio­naux impé­ra­tive. La conclu­sion pénible est qu’on ne se retire pas comme on veut de la scène géoé­co­no­mique — donc géo­po­li­tique. Elle est là qui nous res­sai­sit, d’une manière ou d’une autre, quoi que nous en ayons.</p>
<p>Retour à la case départ : on ne peut pas comp­ter sur la syn­chro­nie spon­ta­née des conjonc­tures révo­lu­tion­naires natio­nales, mais l’effort pour induire des répliques ailleurs, dans d’autres pays, avec les­quels com­men­cer à for­mer un bloc (et, par­tant, un ensemble de divi­sion du tra­vail plus auto­nome) est à l’évidence une prio­ri­té stra­té­gique du com­mu­nisme-tran­si­toi­re­ment-dans-un-seul-pays. Dont, pour ma part, je pense qu’il est un risque à cou­rir inévi­ta­ble­ment, sauf à devoir attendre un évé­ne­ment coor­don­né inter­na­tio­na­le­ment (qui ne se pro­dui­ra jamais). Il ne faut pas se lais­ser mettre en panne par l’argument des exter­na­li­tés de pol­lu­tion : bien sûr, avec un seul pays com­mu­niste à la sur­face du globe, les don­nées d’ensemble de l’écocide ne sont que mar­gi­na­le­ment modi­fiées puisque tout le reste de la pla­nète conti­nue de s’autodétruire joyeu­se­ment (donc de détruire <i>toute</i> la pla­nète). Et alors ? On en tire la conclu­sion que tout est vain ? On attend Godot et la révo­lu­tion pla­né­taire syn­chro­ni­sée ? Non : on com­mence quelque part, et on œuvre à la propagation.</p>
</article>


<hr>

<footer>
<p>
<a href="/david/" title="Aller à l’accueil"><svg class="icon icon-home">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-home"></use>
</svg> Accueil</a> •
<a href="/david/log/" title="Accès au flux RSS"><svg class="icon icon-rss2">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-rss2"></use>
</svg> Suivre</a> •
<a href="http://larlet.com" title="Go to my English profile" data-instant><svg class="icon icon-user-tie">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-user-tie"></use>
</svg> Pro</a> •
<a href="mailto:david%40larlet.fr" title="Envoyer un courriel"><svg class="icon icon-mail">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-mail"></use>
</svg> Email</a> •
<abbr class="nowrap" title="Hébergeur : Alwaysdata, 62 rue Tiquetonne 75002 Paris, +33184162340"><svg class="icon icon-hammer2">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-hammer2"></use>
</svg> Légal</abbr>
</p>
<template id="theme-selector">
<form>
<fieldset>
<legend><svg class="icon icon-brightness-contrast">
<use xlink:href="/static/david/icons2/symbol-defs.svg#icon-brightness-contrast"></use>
</svg> Thème</legend>
<label>
<input type="radio" value="auto" name="chosen-color-scheme" checked> Auto
</label>
<label>
<input type="radio" value="dark" name="chosen-color-scheme"> Foncé
</label>
<label>
<input type="radio" value="light" name="chosen-color-scheme"> Clair
</label>
</fieldset>
</form>
</template>
</footer>
<script src="/static/david/js/instantpage-5.1.0.min.js" type="module"></script>
<script>
function loadThemeForm(templateName) {
const themeSelectorTemplate = document.querySelector(templateName)
const form = themeSelectorTemplate.content.firstElementChild
themeSelectorTemplate.replaceWith(form)

form.addEventListener('change', (e) => {
const chosenColorScheme = e.target.value
localStorage.setItem('theme', chosenColorScheme)
toggleTheme(chosenColorScheme)
})

const selectedTheme = localStorage.getItem('theme')
if (selectedTheme && selectedTheme !== 'undefined') {
form.querySelector(`[value="${selectedTheme}"]`).checked = true
}
}

const prefersColorSchemeDark = '(prefers-color-scheme: dark)'
window.addEventListener('load', () => {
let hasDarkRules = false
for (const styleSheet of Array.from(document.styleSheets)) {
let mediaRules = []
for (const cssRule of styleSheet.cssRules) {
if (cssRule.type !== CSSRule.MEDIA_RULE) {
continue
}
// WARNING: Safari does not have/supports `conditionText`.
if (cssRule.conditionText) {
if (cssRule.conditionText !== prefersColorSchemeDark) {
continue
}
} else {
if (cssRule.cssText.startsWith(prefersColorSchemeDark)) {
continue
}
}
mediaRules = mediaRules.concat(Array.from(cssRule.cssRules))
}

// WARNING: do not try to insert a Rule to a styleSheet you are
// currently iterating on, otherwise the browser will be stuck
// in a infinite loop…
for (const mediaRule of mediaRules) {
styleSheet.insertRule(mediaRule.cssText)
hasDarkRules = true
}
}
if (hasDarkRules) {
loadThemeForm('#theme-selector')
}
})
</script>
</body>
</html>

+ 79
- 0
cache/2021/83a8fca8b84f0b396b4330924c9387dc/index.md View File

@@ -0,0 +1,79 @@
title: « La multitude mobilisée en masse est l’unique solution »
url: https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-la-multitude-mobilisee-en-masse-est-lunique-solution/
hash_url: 83a8fca8b84f0b396b4330924c9387dc

<p><em><span>Depuis <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-dire-ensemble-la-condition-des-classes-populaires-et-des-migrants-1-3/">notre der­nière ren­contre</a></span>, le phi­lo­sophe et éco­no­miste Frédéric Lordon a publié trois ouvrages : </span></em><span><a href="https://lafabrique.fr/vivre-sans/">Vivre sans ?</a></span><em><span>, </span></em><span><a href="https://lafabrique.fr/figures-du-communisme/">Figures du com­mu­nisme</a> </span><em><span>et </span></em><span><span><a href="https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/">En tra­vail</a></span>. <em>Le pre­mier dis­cu­tait les thèses auto­nomes, liber­taires et loca­listes pour mieux louer une trans­for­ma­tion glo­bale — « </em>macro­sco­pique<em> » — par la force du grand nombre, qu’il n’hé­si­tait pas à qua­li­fier, posi­ti­ve­ment, de « Grand Soir » ; le deuxième enten­dait réha­bi­li­ter l’hy­po­thèse com­mu­niste et la déta­cher entiè­re­ment, par des esquisses d’a­ve­nir concrètes, des crimes com­mis en son nom au <span class="caps">XX</span><sup>e</sup> siècle ; le der­nier, signé aux côtés du socio­logue <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/bernard-friot-christianisme-et-communisme-1-2/">Bernard Friot</a></span>, détaillait son sou­tien au <span class="ILfuVd"><span class="hgKElc">mode d’or­ga­ni­sa­tion socio-éco­no­mique connu <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/revenu-de-base-ou-salaire-a-vie-2-2/">sous le nom de </a></span></span></span><span><a href="https://www.revue-ballast.fr/revenu-de-base-ou-salaire-a-vie-2-2/">« salaire à vie » </a></span> (mais renom­mé, par ses soins, « garan­tie éco­no­mique géné­rale »). Une évo­lu­tion qui s’ac­com­pagne, chez Lordon, d’une pré­oc­cu­pa­tion désor­mais cen­trale pour l’ha­bi­ta­bi­li­té de la pla­nète. C’est donc de révo­lu­tion sociale et d’ur­gence éco­lo­gique dont nous dis­cu­tons avec lui, sur fond de néo-fas­ci­sa­tion grandissante.<br>
</em></span></p>
<hr>
<p><img class="size-full wp-image-41502 alignleft" src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg" alt data-lazy-srcset="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg 300w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-100x100.jpg 100w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-150x150.jpg 150w" data-lazy-sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px" data-lazy-src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg"><noscript><img class="size-full wp-image-41502 alignleft" src="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg" alt srcset="https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9.jpg 300w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-100x100.jpg 100w, https://www.revue-ballast.fr/wp-content/uploads/2018/11/lordon9-150x150.jpg 150w" sizes="(max-width: 300px) 100vw, 300px"></noscript></p>
<p><span><strong>Après avoir hési­té à mobi­li­ser le gros mot de « com­mu­nisme », vous avez fran­chi un pas sup­plé­men­taire :<span><a href="https://acta.zone/frederic-lordon-pour-un-neo-leninisme/"> le « néo-léni­nisme »</a></span>. Vous vous empres­sez de dire que ça n’a rien à voir avec ce qu’on ima­gine. Avouez quand même que vous ne vous sim­pli­fiez pas la tâche !</strong></span></p>
<p>Je prends plus au sérieux que vous ne croyez ces pro­blèmes d’appellation. Je mesure quand même assez le poids des bou­lets sym­bo­liques qui sont accro­chés à cer­tains mots, celui de « com­mu­nisme » en pre­mier. Ce mot n’est plus un mot : c’est un tom­be­reau d’images auto­ma­tiques, un arc sti­mu­lus-réflexe. Mais alors pour­quoi y reve­nir ? L’idée pre­mière c’est de nom­mer une posi­ti­vi­té — c’est-à-dire de sor­tir du registre du refus, de la néga­ti­vi­té des alter‑, des anti- et des post‑, de tous ces mots qui disent ce que nous ne vou­lons plus, mais ne disent jamais ce que nous vou­lons. Je gage que vous savez aus­si bien que moi ce que coûtent en perte d’allant les stag­na­tions dans le refus, et tout ce qu’on récu­père de motri­ci­té à l’indication d’une direc­tion posi­tive — c’est-à-dire d’un désir. « Anticapitalisme », oui, ça il faut le dire — et tant de gens en sont encore para­ly­sés. Mais anti­ca­pi­ta­lisme, ça ne suf­fit pas. Il faut nom­mer ce que nous vou­lons. « Communisme » nomme. Pour l’heure, fran­che­ment je ne vois pas de mot plus adé­quat. <a href="https://www.revue-ballast.fr/labecedaire-de-daniel-guerin/">Daniel Guérin</a>, dont vous avez <a href="https://www.revue-ballast.fr/contre-le-fascisme-construire-le-socialisme-par-daniel-guerin/">publié un texte il y a peu</a>, nom­mait ain­si son idéal : <a href="https://www.editions-spartacus.fr/Catalogue_par_theme.B/s262601p/Pour_le_communisme_libertaire"><em>Pour le com­mu­nisme liber­taire.</em></a> J’entends ici « Pour » et « com­mu­nisme », et j’aime bien.</p>
<p><span><strong>Et « libertaire » ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« L’idée pre­mière c’est de nom­mer une posi­ti­vi­té — c’est-à-dire de sor­tir du registre du refus, de la néga­ti­vi­té des alter‑, des anti- et des post-. »</p>
</blockquote>
<p>Et spé­cia­le­ment avec « liber­taire » — le croi­rez-vous ? Maintenant, que le concours à la belle nomi­na­tion (à la nomi­na­tion effi­cace) reste ouvert, ça ne me gêne pas du tout. Au contraire. Et ceci sans non plus oublier que les impu­ta­tions de gro­tesque, de ridi­cule ou de causes per­dues font par­tie des com­men­ce­ments (ou des recom­men­ce­ments) mino­ri­taires. Et que ça passe à mesure qu’on sort de la mino­ri­té, qu’on impose et qu’on fait croître ce qui à l’origine sus­ci­tait le rire ou la com­mi­sé­ra­tion. Allez savoir où nous en serons dans dix ou quinze ans de réchauf­fe­ment et d’événements météo­ro­lo­giques extrêmes, qui seront en fait deve­nus des évé­ne­ments moyens ; où en sera l’idée anti­ca­pi­ta­liste qui, pour l’heure, ne passe tou­jours pas les lèvres de la branche déli­cate de la gauche radi­cale ; où en sera le mot « com­mu­nisme », qui sui­vra à dis­tance — à mon avis moins ridi­cule, absurde ou encom­brant qu’aujourd’hui. La poli­tique, spé­cia­le­ment la poli­tique com­mu­niste, ou révo­lu­tion­naire, ou d’émancipation, ici peu importe l’appellation, est une affaire de patience, c’est-à-dire d’anticipations sur des hori­zons tem­po­rels néces­sai­re­ment plus longs que ceux de la poli­tique domi­nante, qui a pour elle les « évi­dences » et les tem­po­ra­li­tés immé­diates. Cependant, les crises orga­niques ont un pou­voir d’accélération qu’il ne faut pas sous-esti­mer non plus. Il y a quinze ou vingt ans, dire « capi­ta­lisme » ou « capi­ta­listes » fai­sait de vous, au choix, un malade men­tal ou un mal décon­ge­lé. Pareil il y a cinq ou dix ans avec le mot « bour­geoi­sie », que les néo­li­bé­raux croyaient sans doute défi­ni­ti­ve­ment ense­ve­li dans les gra­vats des années 1970. Avant de décla­rer un com­bat sym­bo­lique per­du d’avance, atten­dons un peu de voir com­ment les choses tournent — et en ce moment elles tournent de plus en plus vite. Parfait, me direz-vous, mais on n’est pas non plus obli­gés de char­ger la barque jusqu’à craquer…</p>
<p><span><strong>Et nous voi­ci arri­vés à Lénine…</strong></span></p>
<p>Et est-ce qu’on ne pour­rait pas se dis­pen­ser de lui ? Ici je vais plai­der, mais peut-être pas ce que vous croyez. Je plaide l’adresse res­treinte, et même locale : à l’usage de notre dé à coudre (tasse de thé, cabine télé­pho­nique ?) de gauche radi­cale. « Néo-léni­nisme », c’est pour par­ler à la gauche radi­cale. Un orwel­lien qui pas­se­rait par là m’objecterait que le registre indi­gène de l’entre-soi, spé­cia­le­ment quand il est grou­pus­cu­laire, n’est pas une idée bien fameuse. Or, dans le débat public élar­gi, si « com­mu­nisme » = rigo­lo, « Lénine » = fou san­gui­naire. Ça com­mence à faire beau­coup. Heureusement, dans le dé à coudre on ne se laisse pas impres­sion­ner par le révi­sion­nisme et on connaît un peu d’Histoire. Dire « néo-léni­nisme » n’y est donc pas un stig­mate — sim­ple­ment un lieu de contro­verse, si elle est vive. En l’occurrence d’une contro­verse que je crois névral­gique dans la conjonc­ture pré­sente. Poser le signi­fiant « léni­nisme » (en fait néo‑, et le pré­fixe ne compte pas peu) est une manière de contre­dire ce que j’appellerais les « poli­tiques de l’intransitivité ».</p>

<p><span><strong>Qu’entendez-vous par là ?</strong></span></p>
<p>Des poli­tiques qui, de pro­pos déli­bé­ré, renoncent à toute indi­ca­tion de direc­tion pour se sous­traire à l’imputation d’autoritarisme, et cultivent le mou­ve­ment pour le mou­ve­ment. « Le but est dans le che­min » ou « le che­mi­ne­ment est le che­min » sont impli­ci­te­ment ou expli­ci­te­ment ses maximes. Les der­niers qui ont indi­qué une direc­tion révo­lu­tion­naire sont les bol­che­viks, et de ceux-là nous ne vou­lons plus. C’est vrai que, de la manière bol­che­vik et de ce qui s’en est sui­vi, nous ne vou­lons plus — moi com­pris, figu­rez-vous. Pour autant ce dont je ne doute pas non plus, c’est que l’abandon de toute posi­tion de direc­tion nous voue à l’échec. « En face », on sait très bien ce qu’on veut et où on va. Pendant que nous nous pro­po­sons de che­mi­ner dans le che­mi­ne­ment, eux avancent. De fait, ça fait trente ans que nous les regar­dons avan­cer, sans aucune posi­ti­vi­té déter­mi­née à leur oppo­ser, sans aucun des­tin col­lec­tif alter­na­tif à proposer.</p>
<blockquote>
<p>« Une pro­po­si­tion poli­tique majo­ri­taire est une pro­po­si­tion qui dit expli­ci­te­ment où elle veut aller — ce qui, faut-il le dire, n’a rien à voir avec livrer un plan gran­diose, tout armé. »</p>
</blockquote>
<p>J’entends par­fai­te­ment l’objection qui s’inquiète de ce que les indi­ca­tions direc­tion­nelles finissent en confis­ca­tion diri­geante. C’est une inquié­tude des mieux fon­dées, nous devons même l’avoir <i>sans cesse</i> en tête. Mais nous devons la mettre en balance avec l’inquiétude symé­trique, au moins aus­si bien fon­dée, que l’apologie de l’intransitivité n’arrive jamais nulle part. Or main­te­nant il urge d’arriver quelque part, c’est-à-dire de <i>viser</i> quelque part, de dire <i>où</i> est ce « quelque part » (pas n’importe où), et <i>en quoi</i> il consiste. « Néo-léni­nisme » est un nom don­né à la posi­tion direc­tion­nelle : le fait d’assumer de dire quelque chose sur le quelque part, quelque chose de suf­fi­sam­ment défi­ni, même, convain­cu qu’à part les pra­ti­quants d’une éthique de l’intransitivité, on ne fait pas venir à soi grand monde en pro­po­sant sim­ple­ment de che­mi­ner pour che­mi­ner. Une pro­po­si­tion poli­tique majo­ri­taire est une pro­po­si­tion qui dit expli­ci­te­ment où elle veut aller — ce qui, faut-il le dire, n’a rien à voir avec livrer un plan gran­diose, tout armé, tout fice­lé, dont ne res­te­rait plus qu’à recru­ter des troupes d’exécution.</p>
<p>La <a href="https://lundi.am/vers-une-theorie-de-la-puissance-destituante-Par-Giorgio-Agamben">pro­po­si­tion des­ti­tuante</a>, et la pro­po­si­tion « che­mi­nante » qui lui est clai­re­ment appa­ren­tée, sont des pro­po­si­tions para­doxales, où il est pro­po­sé de ne pas pro­po­ser — sinon de « s’en aller ». Les <a href="https://lafabrique.fr/linsurrection-qui-vient/">tra­vaux du Comité invi­sible</a>, par exemple, ont comp­té pour moi, comme pour beau­coup. On peut en dire tout ce qu’on veut mais ça envoyait (ça envoie tou­jours). Mais je crois que la fuite, la défec­tion, étaient des pro­po­si­tions « d’époque », je veux dire de cette époque où déser­ter était la seule chose qu’il nous res­tait quand nous nous voyions dans l’impossibilité de faire quoi que ce soit du (contre) le capi­ta­lisme sinon le quit­ter — mais en le lais­sant der­rière nous (car je n’ai jamais cru à l’hypothèse de la défec­tion <i>géné­rale</i>, qui aurait lais­sé le capi­ta­lisme entiè­re­ment déser­té et voué à s’effondrer comme une enve­loppe vide). De même que la raré­fac­tion du mot « uto­pie » dans les dis­cours actuels de l’émancipation me semble un excellent signe, le signe que nous n’avons plus pour unique solu­tion de nous réfu­gier (fuir) dans la fan­tai­sie d’un « sans-lieu » ima­gi­naire (et sans aucune chance de jamais deve­nir réel), de même, je pense, les « des­ti­tuants » devraient être heu­reux que se close le moment de la des­ti­tu­tion : car cette clô­ture signi­fie que s’en prendre direc­te­ment au capi­ta­lisme, et mettre quelque chose de défi­ni à la place, est une idée qui com­mence à avoir droit de cité, c’est-à-dire que nous sommes peut-être en train de vaincre la « malé­dic­tion de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fredric_Jameson">Jameson</a> » au terme de laquelle il était «<em> plus facile de conce­voir la fin du monde que la fin du capi­ta­lisme</em> ». Je me demande même si la période qui s’ouvre n’a pas pour prin­cipe impli­cite la mise de cette for­mule cul par-des­sus tête.</p>

<p><span><strong>Quel sens don­nez-vous à ce renversement ?</strong></span></p>
<p>Que, non, nous ne vou­lons pas de la fin du monde ; que, <i>par consé­quent</i>, nous com­men­çons à pen­ser très fort à la fin du capi­ta­lisme — et au com­mu­nisme. Nous voyons ici la puis­sance du levier affec­tif que va consti­tuer le péril cli­ma­tique. Non, l’humanité ne se lais­se­ra pas mou­rir. Elle com­mence à entre­voir qu’elle est en dan­ger, et lorsqu’elle y aura ajou­té une idée claire et dis­tincte des causes réelles de ce dan­ger, il nous rede­vien­dra plus facile de pen­ser la mort du capi­ta­lisme que notre propre mort ! Nous nous apprê­tons à sor­tir de la rési­gna­tion. Voilà en défi­ni­tive ce dont le mot « néo-léni­nisme » est l’anticipation, et aus­si ce dont il est la sté­no­gra­phie : assu­mer, non la défec­tion, mais la <i>confron­ta­tion</i> avec le capi­ta­lisme ; poser une <i>direc­tion</i> ; consi­dé­rer <i>entre autres</i> l’échelle macro­so­ciale et la ques­tion des ins­ti­tu­tions ; pen­ser une stra­té­gie ; la sou­te­nir par une forme ou une autre d’organisation (d’organisations).</p>
<p><span><strong>Restons encore un peu sur la ques­tion des noms. L’écosocialisme s’avance comme une « <i>syn­thèse dia­lec­tique entre le mar­xisme et l’écologie</i> », pour reprendre la for­mule de <span><a href="https://www.letempsdescerises.net/?product=quest-ce-que-lecosocialisme">Michael Löwy</a></span>. Sauf erreur, vous n’employez jamais ce terme. N’est-ce pas pour­tant proche de votre démarche ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« Eh bien oui : un <q>1936 accom­pli</q>. Le seul moyen de dis­sua­der la réac­tion tient dans le spec­tacle impres­sion­nant de la mul­ti­tude mobi­li­sée en masse, c’est-à-dire devant le sen­ti­ment qu’inspirent à la fois le nombre et son degré de détermination. »</p>
</blockquote>
<p>Avec les appel­la­tions, on troque sou­vent un pro­blème pour un autre. « Écosocialisme » est une pos­si­bi­li­té de nomi­na­tion qui n’a pas man­qué de me venir à l’esprit et, sur le papier, je la trouve très inté­res­sante. Elle est assu­ré­ment moins char­gée, et même infi­ni­ment plus aimable que « com­mu­nisme ». Justement, c’est peut-être deve­nu un pro­blème, cette « ama­bi­li­té » : « éco­so­cia­lisme » se retrouve com­mu­né­ment recy­clé dans le dis­cours de for­ma­tions poli­tiques par­le­men­taires, depuis la <span class="caps">FI</span>… jusqu’au <span class="caps">PS</span> — évi­dem­ment ce der­nier cas comme une escro­que­rie patente. Certes, vous pour­riez m’opposer qu’il y a un « Parti <i>com­mu­niste</i> », dans les orien­ta­tions offi­cielles duquel on cher­che­rait en vain la moindre trace de com­mu­nisme, et que ça n’est donc pas une rai­son. Un peu quand même. Au reste, pour ma part, « socia­lisme », je ne sais plus ce que ça veut dire. Bien sûr, <a href="https://www.revue-ballast.fr/vers-la-revolution-ecosocialiste-1-2/">les conte­nus que Michael Löwy </a>donne à l’idée sont, eux, par­fai­te­ment clairs, et j’aurais du mal à ne pas m’y recon­naître. Mais puisqu’on évoque une prag­ma­tique de la récep­tion, je crains juste que « éco­so­cia­lisme » ait par trop les airs d’une caté­go­rie interne à la gram­maire capi­ta­liste et ne sonne que comme la énième pro­po­si­tion de l’« inflé­chir ». On pour­rait dire que c’est habile, que ça per­met d’avancer mas­qué et de trom­per son monde — je n’aurais rien contre ce genre d’habileté. On peut dire aus­si, symé­tri­que­ment, que ça pré­pare à toutes les neu­tra­li­sa­tions. Au total, j’en reviens à un argu­ment assez rus­tique : « com­mu­nisme » est ce qui se déduit <i>dans l’ordre de l’affirmation posi­tive</i> d’une pré­misse sans équi­voque anticapitaliste.</p>
<p><span><strong>Vous répé­tez que vous n’avez pas la moindre idée de <i>com­ment</i> nous pour­rions nous diri­ger vers une socié­té juste. Mais pour s’emparer du pou­voir, il n’y a que deux pos­si­bi­li­tés : les élec­tions ou le ren­ver­se­ment. L’<span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Unit%C3%A9_populaire_(Chili)">Unité popu­laire</a></span> d’<span><a href="https://www.revue-ballast.fr/on-massassine-salvador-allende/">Allende</a> </span>ou Castro, le <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_vers_le_socialisme_(Bolivie)"><span class="caps">MAS</span></a></span> de Morales ou le <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligue_spartakiste">modèle spar­ta­kiste</a></span>. Vous sem­blez les écar­ter de concert : vous espé­rez que « <i>les fusils n’aient rien à faire dans le pro­ces­sus </i>» tout en affir­mant que rien n’adviendra par la seule «<i> voie par­le­men­taire </i>»<i>. </i>Au fond, ne seriez-vous pas par­ti­san d’un néo-1936 ? Un <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Front_populaire_(France)#Le_mouvement_de_gr%C3%A8ve_de_mai-juin_1936">1936</a> </span><i>accom­pli</i> — les urnes, une mobi­li­sa­tion de masse qui tienne les élus par le col et, cette fois, la révo­lu­tion sociale.</strong></span></p>
<p>Je ne les écarte pas <i>de concert</i>, en tout cas pas de manière symé­trique. Que le pro­ces­sus élec­to­ral « sec » ne puisse rien engen­drer, ça oui, j’en suis per­sua­dé — je veux dire « rien engen­drer » à la hau­teur de ce qui est requis par des temps éco­ci­daires. Qu’on puisse s’épargner les fusils, ça oui, je le sou­haite — mais sou­hai­ter est la seule chose que nous puis­sions faire. Vous connais­sez aus­si bien que moi l’histoire des expé­riences de gauche et la manière dont la plu­part se sont ter­mi­nées : soit dans l’absorption « par­le­men­taire », soit dans le sang. Je pense que nous devons être assez d’accord sur le fait que le ver­rou réside dans la pro­prié­té pri­vée lucra­tive des moyens de pro­duc­tion et qu’il ne se trouve aucune solu­tion par­le­men­taire à même de le tirer. Alors quoi d’autre sinon les fusils ? Eh bien oui : un « 1936 accom­pli » — j’aime beau­coup votre for­mule. Je pense que le seul moyen de dis­sua­der <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9action_(politique)">la réac­tion</a> tient dans le spec­tacle impres­sion­nant de la mul­ti­tude mobi­li­sée en masse, c’est-à-dire devant le sen­ti­ment qu’inspirent à la fois le nombre et son degré de déter­mi­na­tion. Condition néces­saire seule­ment, en tout cas unique solu­tion, du moins je n’en vois pas d’autre, pour enrayer l’escalade vio­lente d’une bour­geoi­sie qui a déjà assez mon­tré dans l’Histoire qu’elle était prête à <i>tout</i>.</p>

<p><span><strong>Dans <i>Basculements</i>, l’historien <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%A9r%C3%B4me_Baschet">Jérôme Baschet</a> </span>— lié au mou­ve­ment zapa­tiste — vous consacre plu­sieurs pages. Il vous reproche, entre autres choses, de tout miser sur « l’après » révo­lu­tion et d’empêcher « <i>la pos­si­bi­li­té de com­men­cer à construire dès à pré­sent </i>». Vise-t-il dans le mille ou à côté ?</strong></span></p>
<p>Là, vous évo­quez un cas tout à fait sin­gu­lier. J’ai lu ce livre, j’ai lu les pages qui m’y sont consa­crées. Je dois dire que je n’en suis tou­jours pas reve­nu. Quelques mois plus tard j’en suis encore à me deman­der com­ment il se peut qu’on pro­cède à une lec­ture aus­si, com­ment dire, ren­ver­sante — mais lit­té­ra­le­ment : qui met tout à l’envers. C’est assez simple : pas un seul des énon­cés qui me sont consa­crés ne reflète, fût-ce approxi­ma­ti­ve­ment, ma pen­sée. Je dois dire que c’est une expé­rience de la défi­gu­ra­tion dont on se sou­vient. N’étant pas <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%BCrgen_Habermas">haber­mas­sien</a>, je sais que la défor­ma­tion des idées dans la polé­mique est la règle bien plus que l’exception, mais il y a tout de même des stades où l’on en reste sans voix. Je pense par exemple à ce pas­sage où Jérôme Baschet me fait dire l’exact contraire de ce que j’écris, puis s’approprie mes propres thèses pour me les retour­ner comme objec­tions : <i>« </i><em>On</em><i> peut </i><em>bien plu­tôt</em><i> sou­te­nir que le pou­voir d’État orga­nise la cap­ture de la puis­sance de la mul­ti­tude, l’absence de ceux qu’il est cen­sé repré­sen­ter et la trans­mu­ta­tion de la sou­ve­rai­ne­té du peuple en sou­ve­rai­ne­té de l’État </i>». Voilà, sauf que ça n’est pas « on » qui dit ceci, c’est moi, et que, dans ces condi­tions, il me semble dif­fi­cile de me l’opposer. Depuis <a href="https://lafabrique.fr/imperium/"><i>Imperium</i></a>, je ne cesse de me réfé­rer à la lec­ture du <i>Traité poli­tique</i> par<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Matheron"> Alexandre Matheron</a> et d’en répé­ter la for­mule cen­trale que «<em> le pou­voir est la confis­ca­tion par le sou­ve­rain de la puis­sance de ses sujets </em>». Toute ma théo­rie des ins­ti­tu­tions est une théo­rie de la cap­ture ! Ici, on se trouve très dému­ni, au moment où l’on voit s’évanouir la condi­tion élé­men­taire de récep­tion de la lit­té­ra­li­té d’un texte hors de laquelle l’exercice de la dis­cus­sion n’a sim­ple­ment plus aucun sens.</p>
<blockquote>
<p>« Plus nom­breux nous serons à avoir <i>déjà</i> expé­ri­men­té le com­mu­nisme <i>dans la pra­tique</i>, ici pra­tique néces­sai­re­ment <i>locale</i>, plus le com­mu­nisme, comme for­ma­tion sociale <i>glo­bale</i>, trou­ve­ra déjà pré­pa­ré un ter­reau de dis­po­si­tions favorables. »</p>
</blockquote>
<p>Je suis obli­gé de dire que le reproche de « tout miser sur l’après » et « d’empêcher la pos­si­bi­li­té de construire dès à pré­sent » est exac­te­ment du même métal. Tout ça est très étrange, vrai­ment. Depuis <a href="https://lafabrique.fr/vivre-sans/"><i>Vivre sans ?</i></a>, confir­mée dans <a href="https://lafabrique.fr/figures-du-communisme/"><i>Figures du com­mu­nisme</i></a>, répé­tée dans le livre d’entretien avec Bernard Friot, <a href="https://ladispute.fr/catalogue/en-travail-conversation-sur-le-communisme/"><i>En tra­vail</i></a>, et en réa­li­té déjà pré­sente dans <i>Imperium</i> — si on veut sim­ple­ment se don­ner la peine de le lire —, il y a cette idée non seule­ment de la mul­ti­pli­ci­té des échelles, mais de la ver­tu intrin­sèque, de l’absolue néces­si­té même, pour un com­mu­nisme bien conçu, de lais­ser pros­pé­rer toutes les expé­riences locales d’autonomie : parce qu’il y va de sa vita­li­té, et même de sa via­bi­li­té. S’il y a bien un ensei­gne­ment, mais caté­go­rique, que nous pou­vons tirer de l’histoire des « socia­lismes réels », c’est que l’absorption totale, et tota­li­taire, de la socié­té dans l’État, et même dans ce qu’on peut appe­ler un État de caserne, c’est la mort. Seule la vie des asso­cia­tions, ou des « conso­cia­tions » comme dit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Johannes_Althusius">Althusius</a>, nous en sauve. Comment faut-il que je le dise (répète) ? Avec un mini­mum de logique, on en tire­ra — j’en tire — qu’il y a tout avan­tage à ce que ces expé­riences se déve­loppent dès main­te­nant. C’est d’ailleurs le cas, et elles n’ont atten­du per­sonne pour ça. Le com­mu­nisme n’est pas qu’une orga­ni­sa­tion sociale ou une struc­ture ins­ti­tu­tion­nelle, c’est aus­si un habi­tus, c’est-à-dire un ensemble de dis­po­si­tions indi­vi­duelles for­mées dans la <i>pra­tique</i>. Or cet habi­tus n’est pas qu’un <i>effet</i> de l’entrée dans le com­mu­nisme, il en est aus­si une des <i>condi­tions de pos­si­bi­li­té</i>.</p>
<p>En d’autres termes, plus nom­breux nous serons à avoir <i>déjà</i> expé­ri­men­té le com­mu­nisme <i>dans la pra­tique</i>, ici pra­tique néces­sai­re­ment <i>locale</i>, plus le com­mu­nisme, comme for­ma­tion sociale <i>glo­bale</i>, trou­ve­ra déjà pré­pa­ré un ter­reau de dis­po­si­tions favo­rables à son plein déploie­ment et à sa via­bi­li­té. Ce que je dis en revanche, c’est que, si elle est néces­saire non seule­ment à sa « pré­pa­ra­tion » mais aus­si à sa vita­li­té « en régime », la pra­tique locale du com­mu­nisme ne suf­fit pas à son accom­plis­se­ment, à sa pleine réa­li­sa­tion. Ce que j’entends par com­mu­nisme n’est ni l’homothétie<sup></sup> d’une « com­mune », je veux dire quelque chose comme une com­mune por­tée à l’échelle macro­sco­pique (si cette idée a d’ailleurs un sens — je pense qu’elle est une contra­dic­tion dans les termes), ni même de l’ordre d’un réseau de com­munes, et ceci pour des rai­sons qui tiennent à des néces­si­tés très pro­fondes de la divi­sion du tra­vail, dont le déploie­ment n’est pas sim­ple­ment « addi­tif », comme la somme d’une série de contri­bu­tions locales et sépa­rées, mais « holiste » et sup­pose des formes d’intégration glo­bale à l’échelle d’une for­ma­tion sociale entière — je m’en explique en lon­gueur dans <i>Figures</i> et dans <i>En tra­vail</i>, et il est sans doute plus utile ici de ren­voyer à ces pas­sages. Pourvu qu’on veuille bien les lire confor­mé­ment à ce qu’ils disent…</p>

<p><span><strong>Si, dans <i>Figures du com­mu­nisme</i>, vous avan­cez que « <i>Notre heure fini­ra par venir </i>», vous faites état, dans <i>En tra­vail</i>, de votre pes­si­misme quant à notre ave­nir proche. « <i>[J]e crains que la fas­ci­sa­tion ne soit en marche et que nous ayons pas­sé le point où plus rien ne pour­ra l’arrêter </i>», lit-on. Depuis la paru­tion du livre, le très média­tique Zemmour, par­ti­san du dépla­ce­ment for­cé de popu­la­tions, appa­raît comme une option pos­sible au second tour de la présidentielle…</strong></span></p>
<p>Eh bien oui, nous en sommes là. Je par­lais à l’instant de la crise orga­nique et des ses pro­prié­tés accé­lé­ra­trices. Bien sûr les mûris­se­ments se font dans la moyenne ou longue période, mais tout de même : la liste est inter­mi­nable des choses qui se sont ins­tal­lées, qu’on aurait crues impos­sibles il y a encore cinq ans, et qu’une vue rétros­pec­tive nous fait regar­der avec sidé­ra­tion : police défi­ni­ti­ve­ment dégon­dée, deve­nue bloc de racisme, de vio­lence et de men­songe, chancre auto­nome n’obéissant plus qu’à lui-même ; empire crois­sant d’un énorme groupe mul­ti­mé­dias occu­pé à pro­mou­voir en pleine lumière un can­di­dat ouver­te­ment fas­ciste (avec la béné­dic­tion pas­sive du <span class="caps">CSA</span>) ; groupes néo­na­zis déci­dés à ter­ro­ri­ser la rue quand ça n’est pas à s’armer et à pré­pa­rer des atten­tats ; isla­mo­pho­bie déchaî­née jusqu’aux plus hauts niveaux de l’État ; mac­car­thysme dans l’université ; stu­pé­fiant triomphe des idéo­logues d’extrême droite à impo­ser leurs thé­ma­tiques déli­rantes (« <em>woke</em> », « isla­mo­gau­chisme », « can­cel culture »). Sans doute pour­rait-on se deman­der à bon droit jusqu’où exac­te­ment cette impo­si­tion est effec­tive, et notam­ment si elle pénètre la socié­té beau­coup plus loin que les limites du champ média­tique et poli­tique. Que ce der­nier ait des effets de loupe aber­rante, c’est cer­tain. Que rien ne filtre ni ne « marque » au-delà, hélas je n’y crois pas.</p>
<blockquote>
<p>« Que <q>Grand rem­pla­ce­ment</q> prenne sa place au centre du débat public nous rap­pelle une fois de plus la vitesse propre aux pro­ces­sus de crise organique. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://blog.mondediplo.net/fury-room">Ce prin­temps</a>, je for­mais de sombres anti­ci­pa­tions avec des images de cor­tèges défi­lant aux cris de « mort aux Arabes » : j’ai peur de ne pas avoir peur pour rien. Que « Grand rem­pla­ce­ment », qui était une idée réser­vée à la macé­ra­tion d’une poi­gnée de para­noïaques racistes, prenne sa place au centre du débat public comme une idée « certes pos­si­ble­ment contro­ver­sée mais méri­tant dis­cus­sion », suf­fit en soi à don­ner une idée de la dégra­da­tion ful­gu­rante de l’ambiance poli­tique géné­rale, et nous rap­pelle une fois de plus la vitesse propre aux pro­ces­sus de crise orga­nique. Le pas­sage inexo­rable des « crans » suc­ces­sifs, la rapi­di­té avec laquelle ils sont fran­chis, sont à mes yeux carac­té­ris­tiques de ces dérè­gle­ments, on pour­rait même dire de ces affo­le­ments col­lec­tifs qui font les dyna­miques de fas­ci­sa­tion. Pour ne pas emprun­ter le lexique tou­jours pro­blé­ma­tique du nor­mal et du patho­lo­gique, je vais le dire en termes spi­no­zistes : les périodes de fas­ci­sa­tion sont des moments où la puis­sance du corps col­lec­tif s’effondre — et vous voyez aus­si­tôt que la puis­sance ne se mesure pas à l’agitation ou aux seules inten­si­tés, qui sont indé­nia­ble­ment très hautes ces jours-ci.</p>
<p>La puis­sance, pour Spinoza, c’est l’aptitude d’un corps à faire ce qui est requis par sa per­sé­vé­rance, non pas au sens sta­tique de l’autoconservation, mais au sens dyna­mique du déve­lop­pe­ment de la vie dans la plus haute connais­sance de soi, de sa situa­tion et des choses. Par exemple, un corps poli­tique puis­sant, aujourd’hui, orga­ni­se­rait <i>toute</i> sa réflexion et toute sa dis­cus­sion col­lec­tives autour d’un livre, celui d’Hélène Tordjmann, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_croissance_verte_contre_la_nature-9782348067990"><i>La Croissance verte contre la nature</i></a>, qui pose <i>la</i> ques­tion, la ques­tion d’importance vitale, celle de savoir ce que vaut la pro­messe capi­ta­liste de nous sau­ver de l’écocide capi­ta­liste — spoi­ler : rien. Les pro­chaines décen­nies sont déjà calées sur cette pro­messe en toc, et l’on sait com­bien « l’innovation » est un pré­texte à la patience (« on ne trouve pas en un jour », « mais on s’y met très fort », « ça va venir », « mais il faut attendre », « encore un peu », « on a déjà bien avan­cé »). Comme le montre le tra­vail d’Hélène Tordjmann, ou dans un autre genre celui de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guillaume_Pitron">Guillaume Pitron</a>, l’innovation capi­ta­liste, en matière de « solu­tion envi­ron­ne­men­tale », n’est qu’un gigan­tesque jeu de per­mu­ta­tions où un net­toyage ici se paye imman­qua­ble­ment d’une re-salis­sure ailleurs — dans le meilleur des cas, car il y a de quoi être sai­si d’effroi à cer­taines idées « inno­va­trices » de la géo-ingé­nie­rie. Voilà ce que nous devrions dis­cu­ter sans trêve, voi­là ce qui devrait être à la une de tous les médias — et pas seule­ment la déplo­ra­tion sans suite du chan­ge­ment climatique.</p>

<p><span><strong>Au lieu de quoi…</strong></span></p>
<p>… Au lieu de quoi le corps poli­tique, ayant remis l’organisation de sa conver­sa­tion à des médias capi­ta­listes — dont cer­tains ouver­te­ment fas­ci­sés, et les autres à la remorque par les saines voies de la concur­rence —, s’hystérise sur des objets pro­pre­ment déli­rants, entre <em>woke</em> et Grand rem­pla­ce­ment. De la même manière qu’aujourd’hui on relit, inter­lo­qué, le désastre média­tique et poli­tique des années 1930, gageons que dans cin­quante ans on obser­ve­ra avec le même mélange de conster­na­tion et d’incompréhension les erre­ments des années 2020, avec ce sup­plé­ment de per­plexi­té qu’im­pli­que­ra la deuxième occur­rence, et ce sup­plé­ment d’abattement du fait qu’il n’y a déci­dé­ment aucun pro­ces­sus d’apprentissage dans l’Histoire, pas même lorsque l’humanité se trouve en proie à des ques­tions exis­ten­tielles, vitales.</p>
<p><span><strong>On pour­rait vous objec­ter que <i>tous</i> les médias ne parlent pas <i>que</i> de ça.</strong> </span></p>
<p>C’est vrai. Mais tous ceux qui parlent d’autre chose, et notam­ment d’urgence cli­ma­tique, j’entends par­mi les médias mains­tream, sont abso­lu­ment rivés à la pro­messe capi­ta­liste du salut par « l’innovation ». Et pour cause : la mise en ques­tion du capi­ta­lisme, l’idée qu’il est le « pro­blème » et cer­tai­ne­ment pas la « solu­tion », cette idée fait l’objet d’une for­clu­sion radi­cale dans ces milieux où le capi­ta­lisme est comme une nature, c’est-à-dire une condi­tion essen­tielle dont le pro­jet d’en sor­tir n’a même pas de sens.</p>
<p><span><strong>Dans <a href="https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant"><span>un texte récent et polé­mique</span></a>, vous avez d’ailleurs dénon­cé la célé­bra­tion tous azi­muts du « vivant ». Dans <i>En tra­vail</i>, vous qua­li­fiez tou­te­fois l’idée de « crise du sen­sible » — qui, chez le phi­lo­sophe <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Baptiste_Morizot"><span>Baptiste Morizot</span></a>, désigne l’appauvrissement de notre rela­tion au monde végé­tal et ani­mal — d’idée « <i>tout à fait juste </i>». Ça alors, Lordon anti-dua­liste</strong></span><sup></sup><span><strong>, ce serait chose possible ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« De la même manière qu’on relit, inter­lo­qué, le désastre média­tique et poli­tique des années 1930, gageons que dans cin­quante ans on obser­ve­ra avec le même mélange de conster­na­tion et d’incompréhension les erre­ments des années 2020. »</p>
</blockquote>
<p>Évidemment, c’est un trait d’humour de votre part ! Je vous rap­pelle que je suis spi­no­ziste, que l’anti-dualisme (au sens où vous l’employez ici) est <i>au cœur</i> de l’ontologie de Spinoza, qui est un natu­ra­lisme inté­gral, une phi­lo­so­phie de l’égalité onto­lo­gique. Le mode fini humain, sim­ple­ment <i>pars natu­rae</i>, par­tie de la nature comme les autres, y est radi­ca­le­ment des­ti­tué de son sta­tut d’exceptionnalité dans l’univers, de ses pré­ten­tions à être <i>« comme un empire dans un empire </i>». Il relève d’une « qua­li­té d’être » exac­te­ment iden­tique à n’importe quelle autre chose de la nature — éga­li­té onto­lo­gique mais dif­fé­rence ontique<sup></sup>, n’est-ce pas ? Égalité d’être mais dif­fé­rences des puis­sances. Différences en tous sens, d’ailleurs, puisque d’un côté Spinoza ne manque pas de rap­pe­ler que «<i> chez les bêtes, on observe plus d’une chose qui dépasse de loin la saga­ci­té humaine</i> », mais que, de l’autre, seuls les humains jouissent des puis­sances de la rai­son. Si la pen­sée de l’écologie se pré­oc­cupe de phi­lo­so­phie, c’est chez Spinoza qu’elle doit aller cher­cher son onto­lo­gie, plus encore si l’on consi­dère qu’elle y trou­ve­ra éga­le­ment une pen­sée de l’interrelation fon­da­men­tale, une pen­sée de ce que les modes finis, pré­ci­sé­ment parce que finis, ne peuvent vivre que dans l’interdépendance. Dois-je en rajou­ter ? Il y a quelques années déjà, un éco­lo­giste radi­cal comme<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Arne_N%C3%A6ss"> Arne Næss</a> s’en était aper­çu. Quant à moi, je ne pense donc pas faire par­tie des per­sonnes à convaincre en prio­ri­té de l’anti-dualisme — mais je dois comp­ter avec les effets d’une visi­bi­li­té dis­tor­due où mes inter­ven­tions poli­tiques font sys­té­ma­ti­que­ment oublier mes tra­vaux phi­lo­so­phiques. Au reste, je n’aurais nul besoin de me pré­va­loir de Spinoza pour jus­ti­fier d’être sen­sible au sen­sible — on peut par­fai­te­ment l’être sans lui. Il se trouve que je le suis et <i>qu’en plus</i> je suis spi­no­ziste. Simplement je n’éprouve pas le besoin de racon­ter mes petites aven­tures sensibles.</p>
<p>Donc oui, le spi­no­zisme aide à pen­ser phi­lo­so­phi­que­ment l’écologie. Et oui, l’attrition de nos sen­si­bi­li­tés me pré­oc­cupe autant qu’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Latour">latou­rien</a> qui piste les loutres. Maintenant la ques­tion <i>poli­tique</i>, c’est : qu’est-ce qu’on fait avec tout ça ? Le déli­cieux <a href="https://www.revue-ballast.fr/pierre-charbonnier-lecologie-cest-reinventer-lidee-de-progres-social/">Pierre Charbonnier</a> cite <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_Descola">Philippe Descola</a> pour <a href="https://lvsl.fr/pierre-charbonnier-mon-principal-espoir-est-que-le-zadiste-le-jacobin-ecolo-et-le-technocrate-radicalise-pactisent/">rap­pe­ler</a> qu’on ne peut pas « <i>être révo­lu­tion­naire poli­ti­que­ment et conser­va­teur onto­lo­gi­que­ment </i>». Il va pour­tant fal­loir y arri­ver car, dans l’urgence extrême de l’écocide, mettre la révo­lu­tion poli­tique sous condi­tion de la révo­lu­tion onto­lo­gique est la cer­ti­tude de finir grillés, noyés, suf­fo­qués, pan­dé­miés et tout ce que vous vou­lez. La révo­lu­tion onto­lo­gique (désas­treuse) qui a fait émer­ger la méta­phy­sique du sujet et du libre-arbitre, puis l’a conver­tie en un ima­gi­naire com­mun, a pris des siècles. Celle qui l’annulera pour (re)faire les droits de l’égalité onto­lo­gique et de l’interdépendance géné­rale en pren­dra à peu près autant. Or nous n’avons pas des siècles. Donc on va lais­ser les uni­ver­si­taires (je m’y inclus) pré­pa­rer la révo­lu­tion onto­lo­gique, mais on ne va pas non plus se la racon­ter en tech­ni­co­lor sur les pou­voirs de la phi­lo­so­phie pre­mière, et on va plu­tôt tâcher de trou­ver <i>et</i> <i>rapi­dos</i> de quoi lais­ser une chance à l’humanité de conti­nuer à habi­ter cette pla­nète. Or cette chance pas­se­ra par la posi­tion d’un cer­tain nombre d’actes, à com­men­cer par des actes de nomi­na­tion, et en fait de <i>dési­gna­tion</i>.</p>

<p><span><strong>Lesquels, par exemple ?</strong></span></p>
<p>On ne doit plus pou­voir dire que ce qui détruit la pla­nète c’est « le-chan­ge­ment-cli­ma­tique » sans rien ajou­ter der­rière, sans faire obser­ver que le chan­ge­ment cli­ma­tique ne tombe pas du ciel, sans poser la ques­tion de savoir « alors d’où ? », « de quoi ? », et même « de qui ? » — et répondre sans finas­ser. Récemment, sur France Culture, un haut lieu des « concer­nés du vivant », on était très inquiet du chan­ge­ment cli­ma­tique et de ce que « ça n’avance pas assez » sur ce front. <span class="caps">COP</span> 21, 22, … 26, rien qui bouge. Et la jour­na­liste (ou chro­ni­queuse, ou ani­ma­trice de l’émission) de s’interroger à voix haute : « Pourquoi, donc, est-ce que ça n’avance pas assez ? » Eh bien vous le croi­rez si vous vou­drez, mais c’est « à cause du<em> sta­tu quo</em> ». « Ça » reste en l’état parce qu’il y a du «<em> sta­tu quo </em>». Enlevons le lati­nisme : « Ça reste en l’état parce que ça reste en l’état. » Voilà où conduit de ne pas nom­mer, de ne pas dési­gner, de ne pas dire : ça mène à ces choses qui me donnent envie d’attaquer ma radio au pio­let (mais je dois être trop sen­sible). Pour ce qui me concerne, je sais main­te­nant très clai­re­ment à quoi contri­buer (il va fal­loir s’y mettre à beau­coup) : à <i>for­cer</i> le débat public. Le for­cer à dire « capi­ta­lisme », « la cause est le capi­ta­lisme », « l’écocide est capi­ta­liste », « il n’y a pas de solu­tion capi­ta­liste à l’écocide capi­ta­liste », « donc… ». Tant que les Sensibles ne vou­dront pas sor­tir du bois et dire, répé­ter, bas­si­ner, mar­te­ler, sans trêve — et pas une fois de temps en temps plan­qué au détour d’une phrase ou en le réser­vant aux publics favo­rables — que nous n’avons plus le choix que d’être anti­ca­pi­ta­listes, ils ne seront pas à la hau­teur d’une alarme qu’ils sont para­doxa­le­ment par­mi les plus qua­li­fiés à tirer.</p>
<p><span><strong>L’anthropologue <span><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bruno_Latour">Bruno Latour</a> </span>vous <a href="https://www.socialter.fr/article/latour-revolution-anthropocene" target="_blank" rel="noopener"><span>dirait</span></a> cer­tai­ne­ment : « <i>Ce que ne com­prend pas la gauche qui veut repé­rer des camps à l’ancienne — entre, gros­so modo, capi­ta­lisme et anti­ca­pi­ta­lisme —, c’est que la révo­lu­tion a eu lieu et elle s’appelle l’Anthropocène. Nous ne sommes plus devant une révo­lu­tion à faire, mais devant une révo­lu­tion déjà faite </i>». Vous ne pre­nez donc pas acte ?</strong></span></p>
<blockquote>
<p>« Tant que les Sensibles ne vou­dront pas sor­tir du bois et dire, répé­ter, bas­si­ner, mar­te­ler, sans trêve que nous n’avons plus le choix que d’être anti­ca­pi­ta­listes, ils ne seront pas à la hau­teur d’une alarme qu’ils sont para­doxa­le­ment par­mi les plus qua­li­fiés à tirer. »</p>
</blockquote>
<p>Tout ce que je viens de dire atteste que je prends acte — mais de quoi ? en quels termes ? C’est ça toute la ques­tion. Oui, je prends acte qu’une révo­lu­tion a eu lieu. Non je ne prends pas acte que le mot adé­quat pour la nom­mer soit <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropoc%C3%A8ne">« Anthropocène »</a>. « Anthropocène » nous dit que la cause de l’écocide c’est « l’homme » — par­don : « l’Homme ». Ah bon ? On se croi­rait reve­nu avant les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A8ses_sur_Feuerbach"><i>Thèses sur Feuerbach</i></a> : « l’Homme » — cette chose qui n’existe nulle part sinon dans la tête des phi­lo­sophes idéa­listes. Non, ce qui a fou­tu en l’air le cli­mat et détruit la pla­nète, ça n’est pas « l’Homme », ce sont les hommes capi­ta­listes. <a href="https://www.revue-ballast.fr/andreas-malm-lurgence-climatique-rend-caduc-le-reformisme/">Andreas Malm</a> a fait litière de cet absurde « Anthropocène » dont le nom même n’est qu’un évi­te­ment : un de ces stra­ta­gèmes géla­ti­neux typiques de l’idéalisme mora­liste, qui fait tou­jours tout pour igno­rer les forces maté­rielles et les forces sociales, les hégé­mo­nies et les conflits, les rap­ports sociaux et les rap­ports de force, et qui fina­le­ment nous laisse quoi comme pos­si­bi­li­té ? Réformer l’Homme ? On sait déjà com­ment ça se finit : par le tri des déchets et l’apologie des « petits gestes » qui « per­met­tront de tout chan­ger ». Or voi­là : les petits gestes pour tout chan­ger sont pré­ci­sé­ment des béquilles pour tout recon­duire, donc pour ne rien chan­ger. Ou alors on va créer le par­le­ment de la Loire, du bois de Saint-Cucufa ou du Gave de Pau ? Le capi­tal tremble sur ses bases. Je pour­rais dire que tout ce texte un peu éner­vé du blog du <em>Diplo</em> auquel vous faites réfé­rence a été sous la gou­verne d’une image unique : l’hilarité des hommes du Medef. Je pense qu’ils ne doivent pas en croire leurs yeux ni leurs oreilles. Une « gauche radi­cale » pareille, c’est tota­le­ment ines­pé­ré, même dans leurs rêves les plus fous. En ces matières je pense qu’on peut se fier à des cri­tères très rus­tiques mais très sûrs : quand quelque chose contra­rie le capi­tal, il ne rit pas du tout, il fait don­ner ses médias (j’entends : ses médias, conve­na­ble­ment agen­cés par lui, donnent d’eux-mêmes), et la requa­li­fi­ca­tion des contra­riants en fous dan­ge­reux (désor­mais on dit « radi­ca­li­sés », une expres­sion très com­mode qui sert à plein de choses) ne se fait pas attendre.</p>
<p>Reprenons : je prends acte qu’une révo­lu­tion a eu lieu. Elle n’est pas celle de l’« Anthropocène », mais celle du Capitalocène<sup></sup>, c’est-à-dire l’œuvre du capi­ta­lisme et des capi­ta­listes. Je prends acte sur­tout de ce qu’une autre révo­lu­tion doit impé­ra­ti­ve­ment suivre, celle-ci si nous ne vou­lons pas ter­mi­ner cal­ci­nés — en réa­li­té nous ter­mi­ne­rons plu­tôt à nous entre­tuer pour les der­nières flaques d’eau. Quand j’y repense, je trouve la phrase de Latour hal­lu­ci­nante : arrê­tez de pour­suivre la révo­lu­tion, elle a déjà eu lieu ! Oui, seule­ment ça a été la révo­lu­tion des capi­ta­listes, ce qui me sem­ble­rait un puis­sant mobile non pas pour lâcher l’idée de révo­lu­tion mais pour la pour­suivre dere­chef, d’autant plus vigou­reu­se­ment, et dans la direc­tion exac­te­ment opposée.</p>

<p><span><strong>Vous évo­quez Andreas Malm. Nous l’avons<span><a href="https://www.revue-ballast.fr/andreas-malm-lurgence-climatique-rend-caduc-le-reformisme/"> ren­con­tré il y a peu</a></span> et, à la ques­tion de savoir à quoi bon une révo­lu­tion sociale et éco­lo­giste dans un ou deux pays si les États pol­lueurs conti­nuent, par­tout ailleurs, de pol­luer l’air mon­dial, il nous a répon­du qu’il séchait un peu. Ajoutant : « <i>il est effec­ti­ve­ment dif­fi­cile d’imaginer cette tran­si­tion dans des pays iso­lés </i>». Voilà qui nous ramène à vos <span><a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-organiser-la-contagion/">pré­cé­dents tra­vaux sur l’internationalisme</a></span>… On com­mence quand même sans les autres ?</strong></span></p>
<p>Oui, la lec­ture des livres d’Andreas Malm m’a été une puis­sante pro­pul­sion, et c’est peu dire que j’ai trou­vé en lui un cama­rade, spé­cia­le­ment dans le déploie­ment de la <i>consé­quence</i> stra­té­gique. Il devait y avoir des affi­ni­tés pré­cons­ti­tuées parce qu’on m’a fait décou­vrir <i>après</i> le texte du <em>Diplo</em> son livre <a href="https://www.versobooks.com/books/3140-the-progress-of-this-storm"><i>The Progress of This Storm </i></a>[<em>indis­po­nible en fran­çais, ndlr</em>] où visi­ble­ment le par­le­ment des cours d’eau lui fait le même effet qu’à moi. Quant à votre ques­tion, je vais le dire sans détour : je sèche autant que Malm. Et pour­tant je réponds « oui ! », sans hési­ter. Je me per­mets aus­si de rap­pe­ler qu’un cha­pitre de <i>Figures du com­mu­nisme</i> est consa­cré à cette dif­fi­cile ques­tion, qu’à défaut de résoudre j’essaie de repo­ser dans les coor­don­nées qui me semblent adé­quates. C’est-à-dire pas celles de ce que j’ai appe­lé dans le pas­sé « l’internationalisme ima­gi­naire », cet inter­na­tio­na­lisme abs­trait, tout entier pétri de ver­tuisme et qui, entre autres choses, ne répond jamais à la ques­tion de la mor­pho­lo­gie poli­tique : l’internationalisme abs­trait pour­ra-t-il jamais nous pro­po­ser une image de ce qui lui semble la seule com­mu­nau­té poli­tique admis­sible, soit la com­mu­nau­té mon­diale du genre humain uni­fié ? Moi je ne crois pas à ça, et je suis encore moins déci­dé à l’attendre l’arme au pied. Par consé­quent je me plie à l’idée qu’il nous fau­dra comp­ter encore un moment avec des enti­tés poli­tiques dis­tinctes. Si c’est un pro­blème pour le com­mu­nisme ? Évidemment oui ! Car, sauf hypo­thèse héroïque (déli­rante) tablant sur le mou­ve­ment syn­chro­ni­sé de tous les pays, il aura bien à com­men­cer quelque part. Sans doute peut-on espé­rer que des effets d’émulation inter­na­tio­naux se feront connaître, mais je sug­gère de ne pas trop comp­ter des­sus non plus — on se sou­vient que ça n’a pas trop sui­vi après 1917, dans un contexte pour­tant autre­ment favo­rable que le nôtre —, en tout cas de ne pas en faire une condi­tion <em>sine qua non</em>.</p>
<blockquote>
<p>« On attend Godot et la révo­lu­tion pla­né­taire syn­chro­ni­sée ? Non : on com­mence quelque part, et on œuvre à la propagation. »</p>
</blockquote>
<p>Partons donc de la seule hypo­thèse « réa­liste » : quelque part, ça s’est pré­sen­té — la fenêtre his­to­rique pour une révo­lu­tion com­mu­niste. Voilà com­ment pour ma part j’attrape les pro­blèmes du « com­mu­nisme dans un seul pays » : non par la ver­tu inter­na­tio­na­liste mais par la divi­sion du tra­vail — j’admets : c’est moins avan­ta­geux. Même grand, un pays ne peut inter­na­li­ser la tota­li­té de la divi­sion du tra­vail adé­quate à ses réqui­sits maté­riels — quand bien même ceux-ci sont dras­ti­que­ment revus à la baisse, comme le com­mande de parer d’urgence à l’écocide. Il s’ensuit un pro­blème double : le pays com­mu­niste iso­lé conti­nue de devoir s’insérer dans la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail, c’est-à-dire dans un envi­ron­ne­ment capi­ta­liste, adverse, vis-à-vis duquel cette posi­tion de dépen­dance est d’emblée une vul­né­ra­bi­li­té, à plus forte rai­son de ce que, dans cet envi­ron­ne­ment, cer­tains pro­ta­go­nistes sont déter­mi­nés à lui faire la peau. L’hégémon éta­su­nien en tête bien sûr, dont on sait quel trai­te­ment il a réser­vé aux expé­riences qui, sans même rompre avec le capi­ta­lisme, se pro­po­saient d’en inflé­chir signi­fi­ca­ti­ve­ment le cours, sous la ban­nière reven­di­quée du socia­lisme. Devoir s’insérer dans la divi­sion inter­na­tio­nale du tra­vail dans un cli­mat d’hostilité presque géné­rale n’est pas une affaire des plus simples. Et encore moins de faire face, iso­lé­ment, aux entre­prises de désta­bi­li­sa­tion de puis­sances pour qui lais­ser faire, et, qui sait, réus­sir une expé­rience hors des clous du capi­ta­lisme, est sim­ple­ment incon­ce­vable. Ici il m’arrive sou­vent de pen­ser à Rousseau et à son pro­jet de consti­tu­tion pour la Corse, dans lequel il don­nait aux insu­laires cet excellent conseil d’en finir avec la « gran­deur natio­nale » et son ima­gi­naire : rape­tis­ser jusqu’à dis­pa­raître de la scène inter­na­tio­nale, s’en faire oublier… et enfin avoir la paix. Oui mais voi­là, plus on rape­tisse, plus l’internalisation de la divi­sion est défi­ciente, et l’insertion dans les échanges inter­na­tio­naux impé­ra­tive. La conclu­sion pénible est qu’on ne se retire pas comme on veut de la scène géoé­co­no­mique — donc géo­po­li­tique. Elle est là qui nous res­sai­sit, d’une manière ou d’une autre, quoi que nous en ayons.</p>
<p>Retour à la case départ : on ne peut pas comp­ter sur la syn­chro­nie spon­ta­née des conjonc­tures révo­lu­tion­naires natio­nales, mais l’effort pour induire des répliques ailleurs, dans d’autres pays, avec les­quels com­men­cer à for­mer un bloc (et, par­tant, un ensemble de divi­sion du tra­vail plus auto­nome) est à l’évidence une prio­ri­té stra­té­gique du com­mu­nisme-tran­si­toi­re­ment-dans-un-seul-pays. Dont, pour ma part, je pense qu’il est un risque à cou­rir inévi­ta­ble­ment, sauf à devoir attendre un évé­ne­ment coor­don­né inter­na­tio­na­le­ment (qui ne se pro­dui­ra jamais). Il ne faut pas se lais­ser mettre en panne par l’argument des exter­na­li­tés de pol­lu­tion : bien sûr, avec un seul pays com­mu­niste à la sur­face du globe, les don­nées d’ensemble de l’écocide ne sont que mar­gi­na­le­ment modi­fiées puisque tout le reste de la pla­nète conti­nue de s’autodétruire joyeu­se­ment (donc de détruire <i>toute</i> la pla­nète). Et alors ? On en tire la conclu­sion que tout est vain ? On attend Godot et la révo­lu­tion pla­né­taire syn­chro­ni­sée ? Non : on com­mence quelque part, et on œuvre à la propagation.</p>

+ 4
- 0
cache/2021/index.html View File

@@ -633,6 +633,8 @@
<li><a href="/david/cache/2021/9f3a8d345963dac24bef4df547fef72c/" title="Accès à l’article dans le cache local : Why light text on dark background is a bad idea">Why light text on dark background is a bad idea</a> (<a href="https://tatham.blog/2008/10/13/why-light-text-on-dark-background-is-a-bad-idea/" title="Accès à l’article original distant : Why light text on dark background is a bad idea">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/83a8fca8b84f0b396b4330924c9387dc/" title="Accès à l’article dans le cache local : « La multitude mobilisée en masse est l’unique solution »">« La multitude mobilisée en masse est l’unique solution »</a> (<a href="https://www.revue-ballast.fr/frederic-lordon-la-multitude-mobilisee-en-masse-est-lunique-solution/" title="Accès à l’article original distant : « La multitude mobilisée en masse est l’unique solution »">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/626841dd876f103a10391b1b841ba5ae/" title="Accès à l’article dans le cache local : Host your own wikipedia backup">Host your own wikipedia backup</a> (<a href="https://dataswamp.org/~solene/2019-11-13-wikimedia-dump.html" title="Accès à l’article original distant : Host your own wikipedia backup">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/f442ffc39b7109ceebe8bc2a669589cb/" title="Accès à l’article dans le cache local : Les limites pour débattre de numérisation">Les limites pour débattre de numérisation</a> (<a href="https://gauthierroussilhe.com/post/limites-debat.html" title="Accès à l’article original distant : Les limites pour débattre de numérisation">original</a>)</li>
@@ -655,6 +657,8 @@
<li><a href="/david/cache/2021/3d24bdc0a4dfe935c5eb7ebd613fed3f/" title="Accès à l’article dans le cache local : La livraison rapide, ou comment le capitalisme a fait de nous des bourreaux capricieux">La livraison rapide, ou comment le capitalisme a fait de nous des bourreaux capricieux</a> (<a href="https://www.frustrationmagazine.fr/livraison-rapide/" title="Accès à l’article original distant : La livraison rapide, ou comment le capitalisme a fait de nous des bourreaux capricieux">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/7e777a9c9804873a1a80623828f7003f/" title="Accès à l’article dans le cache local : Installation des lecteurs de CO₂">Installation des lecteurs de CO₂</a> (<a href="http://app.dialoginsight.com/T/OFSYS/SM3/365/2/S/F/1936/21070517/ZHsjKgZe.html" title="Accès à l’article original distant : Installation des lecteurs de CO₂">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/96ff9022e3ee0d37611b30f57205810e/" title="Accès à l’article dans le cache local : Ways I'm available to help.">Ways I'm available to help.</a> (<a href="https://lethain.com/ways-i-help/" title="Accès à l’article original distant : Ways I'm available to help.">original</a>)</li>
<li><a href="/david/cache/2021/4012886f0e58f02527e8a0da6f644857/" title="Accès à l’article dans le cache local : What would have happened if we never fixed the ozone hole?">What would have happened if we never fixed the ozone hole?</a> (<a href="https://www.sciof.fi/what-would-have-happened-if-we-never-fixed-the-ozone-hole/" title="Accès à l’article original distant : What would have happened if we never fixed the ozone hole?">original</a>)</li>

Loading…
Cancel
Save