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- title: Ce Qui Se Passe En Moi Quand Une Femme Me Parle De Sexisme
- url: https://ut7.fr/blog/2019/01/15/ce-qui-se-passe-en-moi-quand-une-femme-me-parle-de-sexisme.html
- hash_url: 7273e8596bbc99a718cd168d83e858e7
-
- <p>Je suis un homme respecteux des femmes et je suis pour l’égalité.
- Un mec bien, quoi.</p>
-
- <p>Et pourtant, il m’a fallu presque 43 ans pour parvenir – parfois – à écouter
- des femmes parler de sexisme.</p>
-
- <!--more-->
-
- <p>Ça en valait la peine : ce que j’ai appris est édifiant.</p>
-
- <p>Mais plutôt que de décrire ce que j’ai découvert en écoutant, et puisque le souvenir
- est encore frais, je tente de documenter ici le chemin parcouru pour arriver à
- écouter, dans des termes accessibles à celui que j’étais au début du voyage.</p>
-
- <p>J’écris dans l’espoir que cela puisse être utile à d’autres qui voudraient suivre
- une trajectoire similaire.
- Bien évidemment, mon parcours est très personnel. Charge à chacun de faire le
- tri et de piocher ce qui pourrait lui être utile.</p>
-
- <p>Mais autant prévenir : le voyage est déstabilisant, et l’arrivée est
- plutôt… encombrée. Alors pourquoi se donner la peine de le faire ?
- Pour être un mec bien, justement !</p>
-
- <p>Dans ce premier article, je vais commencer par mon point de départ : ce qui se
- passait en moi, et comment je me comportais quand je tentais d’écouter une
- femme me parler de sexisme.</p>
-
- <h2 id="tentative-1-écouter-réagir-spontanément">tentative 1 : écouter, réagir spontanément</h2>
-
- <p>Oh oui, je pouvais dire que j’écoutais. Quand par exemple, une amie me
- racontait une histoire où un mec l’avait emmerdée dans les transports en
- commun, j’étais tout ouïe. Je ne ratais pas un détail, je m’indignais du
- comportement dudit mec, je vivais par procuration la situation qui m’était
- décrite, et je souffrais un peu, même, par empathie.</p>
-
- <p>Mais si cette même amie me décrivait des situations plus subtiles, comme des
- insinuations dans une conversation, une parole non donnée, une plaisanterie
- ambiguë, mon écoute changeait légèrement. Plus encore si elle tentait de
- généraliser ces situations vécues, pour me parler d’un phénomène plus global,
- que subiraient toutes les femmes aujourd’hui.</p>
-
- <p>Dans ces cas-là, je réagissais. En me fendant parfois de paroles de réconfort,
- de suggestions pour s’en sortir, la prochaine fois : « Voilà comment moi
- j’aurais fait, à ta place », ou en l’invitant à prendre du recul : « As-tu tenté
- de prendre les choses moins à cœur ? »</p>
-
- <p>Il arrivait que ces conseils ne soient pas entendus, ou du moins qu’ils n’aient
- aucun effet sur mon interlocutrice. Énervant, non ? « À quoi sert cette
- conversation ? pouvais-je alors me demander - À me prendre à témoin, et se
- complaire dans une posture de victime ? Après tout, si mon interlocutrice ne
- veut pas tirer parti de mes suggestions, je ne suis pas surpris qu’elle ne
- sache pas gérer ces situations ! »</p>
-
- <p>Bref, j’étais en colère. Autant dire que dans cet état, je n’étais plus du tout
- en condition d’écouter, et pas du tout en empathie avec mon interlocutrice.
- Échec. À ce stade de la conversation, il était urgent de changer de sujet.</p>
-
- <h2 id="tentative-2-se-taire-ressentir-de-lempathie">tentative 2 : se taire, ressentir de l’empathie</h2>
-
- <p>Avec l’expérience, j’ai appris à trouver en moi l’origine de l’irritation : Ce
- n’est pas l’autre, mais moi, qui me mets en colère. Et comme (rappel) je suis
- un mec bien, j’ai appris à ne pas reprocher à l’autre ce qui est en moi. Alors
- je me suis tu, j’ai accepté ma frustration, et j’ai écouté du mieux que je
- pouvais.</p>
-
- <p>Pour éviter de reproduire le fiasco décrit précédemmment, j’ai appris à me
- méfier de mes réactions spontanées. J’ai aussi acquis une meilleure écoute, en
- apprenant à faire des gestes simples et connus : faire silence pour laisser la
- parole, être attentif, reformuler et poser des questions de clarification.</p>
-
- <p>Cela a marché… dans une certaine mesure. Je n’intervenais plus que pour
- me baigner un peu plus dans le flot de parole de l’autre, m’imprégner un peu
- plus de l’expérience subjective qui m’était offerte.</p>
-
- <p>Mais en parallèle de ma compréhension du récit, il se passait autre chose en
- moi. Un dialogue interne.</p>
-
- <p>Ça commence par un inconfort, une partie de moi se sent jugée, au même titre
- que les autres hommes dont il s’agit dans les propos de mon interlocutrice,
- que je perçois comme une généralité. Je ressens le besoin d’introduire des
- nuances « on n’est pas tous comme ça ». Que cela soit clair : je ne veux pas être
- mis dans le même sac que les autres. J’ai besoin d’être reconnu comme le mec
- bien que je suis.</p>
-
- <p>Étrangement, plus j’écoute, et moins j’entends les paroles rassurantes dont
- j’aurais besoin. À la place, le discours devient plus acerbe. Au point même où
- je peux me sentir agressé. Je sais maintenant qu’il est inutile de demander
- réparation : cela ne ferait qu’empirer le malaise.</p>
-
- <p>Alors je continue à écouter, mais en mettant à distance le propos de l’autre,
- en restant focalisé sur le caractère subjectif de l’expérience qui m’est
- décrite. Cette distance, je la maintiens avec des pensées comme « elle exagère »,
- « elle voit du sexisme là où il n’y en n’a pas », ou encore « elle est
- susceptible, trop sensible ».</p>
-
- <p>Finalement, je ne suis pas en train de tenter de voir le monde tel que mon
- interlocutrice le voit. Ce dialogue interne prend beaucoup de place. Trop de
- place pour que je puisse comprendre réellement ce qui m’est dit, et embrasser
- pleinement la situation telle qu’elle est vécue.</p>
-
- <p>Cette nouvelle tentative se solde par un échec : se taire, ça ne suffit pas.</p>
-
- <p>Et comme je suis un mec (wait for it…) bien, je me suis à nouveau demandé
- comment faire mieux.</p>
-
- <p>La clé de ma progression a été de m’efforcer de comprendre à quoi me servait
- ce dialogue interne.</p>
-
- <h2 id="intermède-se-regarder-penser-plutôt-quécouter-ses-pensées">intermède : se regarder penser plutôt qu’écouter ses pensées</h2>
-
- <p>Ce qui se passe en moi, alors que naît le dialogue interne évoqué plus haut,
- c’est une dissonance cognitive : une contradiction au sein de mon propre
- système de pensée.</p>
-
- <p>Les termes de cette contradiction :</p>
-
- <p>1) J’écoute du mieux que je peux, car je suis un mec bien.</p>
-
- <p>2) Plus j’écoute, plus j’ai de bonnes raisons de douter du fait que je suis un
- mec bien. Puisque ce que j’entends, c’est que non seulement j’ai toutes les
- caractéristiques de ceux qui ont le mauvais rôle, et qu’en plus, je ne
- contribue pas activement à améliorer la situation.</p>
-
- <p>Pour résoudre ce conflit, je serais très soulagé de pouvoir distinguer
- clairement la catégorie des mecs biens de celle des connards, et de pouvoir
- classer mon cas sans aucune ambiguïté du bon côté de la frontière. Mais si
- j’ai le moindre doute, et si en plus mon interlocutrice refuse de tracer
- spontanément une frontière claire et de trancher en ma faveur, c’est là que la
- dissonnance devient criante.</p>
-
- <p>Et cette dissonance est d’autant plus difficile à supporter que les croyances
- qui sont en tension portent sur la manière dont je me perçois, moi-même. Ce qui
- est en jeu, ce sont mes croyances sur moi-même, en somme : mon identité.</p>
-
- <p>Paradoxalement, si je n’étais pas persuadé d’être un mec bien, je n’aurais pas
- de dissonnance cognitive à affronter, et peut-être même serais-je plus en
- mesure d’entendre plus sereinement ce qui m’est dit, quand on me parle de
- sexisme.</p>
-
- <p>Ainsi, le dialogue interne dont je parle plus haut me sert à éviter cette
- dissonance, et à protéger ainsi l’édifice de ma structure identitaire : si
- c’est l’autre qui exagère, ou qui est trop sensible, c’est elle qui ne perçoit
- pas le monde comme il est vraiment, ce n’est donc pas à moi de remettre mes
- croyances en question - et je peux continuer à me penser comme le mec bien que
- je suis.</p>
-
- <p>C’est une bonne chose que de protéger son identité : cela permet de maintenir
- une certaine stabilité psychique, qui est nécessaire pour interagir avec le
- reste du monde.</p>
-
- <p>Mais dans mon cas, je me sentais assez solide, j’étais prêt à perdre, le temps
- d’une dernière tentative, un peu en stabilité pour gagner en souplesse, et
- aller plus loin dans mon écoute.</p>
-
- <h2 id="tentative-3-retenir-ses-pensées-et-accueillir-les-émotions-qui-se-cachent-derrière">tentative 3, retenir ses pensées, et accueillir les émotions qui se cachent derrière</h2>
-
- <p>Pour cette dernière tentative, il ne s’agissait plus de laisser libre cours à
- ses pensées, mais plutôt de les taire.</p>
-
- <p>Et à la place, écouter, de la manière la plus intense et la plus profonde que
- je connaisse : en accueillant les émotions qui naissent au contact de l’autre,
- et en discriminant au fil de leur arrivée, celles qui tiennent de l’empathie (ce
- que j’arrive à sentir de l’autre) et ce qui m’appartient : mes émotions
- propres.</p>
-
- <p>Concrètement, prenons une des pensées qui nourrissait mon dialogue interne :
- « Elle exagère ! ». Je sais que cette pensée est la manifestation d’un mécanisme
- de défense qui me protège… mais de quoi ?</p>
-
- <p>À titre d’exercice, je me suis efforcé d’inhiber cette croyance, ne serait-ce que
- temporairement, en me demandant : « et si mon interlocutrice n’exagérait pas,
- quelle conséquence son témoignage sur le sexisme aurait pour moi ? ».</p>
-
- <p>Ce faisant, j’ai écouté des témoignages de manifestations de sexisme.
- Comme prévu, cette expérience a été très désagréable.</p>
-
- <p>J’ai éprouvé simultanément plusieurs émotions, que je détricote ici :</p>
-
- <p>Le doute : « Je me sens perdu. Suis-je vraiment capable de faire la part des
- choses entre ce qui est bien ou non ? Et si ce n’était pas l’autre qui est trop
- sensible, mais moi qui ne le suis pas assez ? Et si je ne sais pas faire la
- différence, ne devrais-je pas réévaluer mon propre comportement ? Toutes les
- fois où j’ai eu des comportements qui me semblaient OK, était-ce vraiment le
- cas ? Peut-être n’est-ce pas si clair… Peut-être ne suis-je pas le mec bien que je
- voudrais être… »</p>
-
- <p>La colère : « Non, je ne suis pas comme ça ! Et le monde, est-il réellement
- aussi terrible qu’il m’est décrit ? Ce serait affreux ! Injuste !
- Révoltant ! »</p>
-
- <p>La culpabilité et la honte : « Je participe activement à ça ? Et en plus j’ai
- vécu tout ce temps sans le voir ? Et d’ailleurs, suis-je certain de vouloir
- changer la situation ? »</p>
-
- <p>Le sentiment d’impuissance : « Quand bien même je voudrais améliorer la
- situation, je ne sais pas comment changer les choses. Ni comment me
- changer moi-même. »</p>
-
- <p>Doute, colère, honte, culpabilité, et sentiment d’impuissance, rien que ça.
- C’est tellement insupportable que je ne veux rien avoir à faire avec ces
- émotions : ne pas en parler, ne pas les exprimer d’une manière ou d’une autre.
- Encore mieux : ne pas les éprouver.</p>
-
- <p>Fin de l’exercice.</p>
-
- <p>Voilà donc de quoi me protège la pensée « Elle exagère ! » : en plus que de
- me permettre d’entretenir la cohérence de mon système de pensées, ce dialogue
- interne me préserve d’émotions inacceptables.</p>
-
- <p>Je ne serais pas surpris que nombre de mes autres réactions spontanées soient
- également des manifestations de ce même mécanisme de défense. Par exemple, les
- conseils que j’ai tant de mal à ne pas donner n’auraient-ils pas comme bénéfice
- potentiel de me sortir de la situation d’impuissance dans laquelle me place le
- récit de mon interlocutrice ?</p>
-
- <p>Cette dernière tentative d’écoute est plus réussie que les précédentes, mais pas
- complètement.</p>
-
- <p>J’ai réussi à ouvrir, le temps de quelques minutes, une fenêtre sur un nouveau
- paysage. Ce bref aperçu a été instructif, certes, mais bien trop furtif pour
- que je puisse m’en imprégner et en tirer des enseignements.</p>
-
- <p>De plus, inhiber mes mécanismes de défense n’est pas un exercice facile à
- reproduire. Les conditions à réunir : une grande sérénité, beaucoup
- de vigilance et de maîtrise de moi pour faire le tri entre ce qui vient de
- l’autre, et ce que ça fait résonner en soi.</p>
-
- <p>Je ne saurais reprendre cette posture d’écoute profonde et vigilante ni
- suffisamment longtemps, ni suffisamment souvent pour prendre en considération
- ce qu’elle me permet de percevoir.</p>
-
- <p>Demi-succès, donc.</p>
-
- <p>Au moins ai-je alors compris ce qui se passait en moi quand j’écoute une femme
- me parler de sexisme.</p>
-
- <h2 id="bilan">bilan</h2>
-
- <p>Voilà comment j’ai découvert la raison et la manière dont je ne parvenais pas à
- écouter quand une femme me parlait de sexisme.</p>
-
- <p>Prendre conscience du rôle que jouent mon comportement et mes pensées,
- a été une étape décisive dans mon cheminement.
- J’ai compris que les mécanismes qui m’aveuglent font partie intégrante de ma
- subjectivité. Aussi pouvais-je être certain que ces mécanismes de défense se
- déclencheraient à nouveau dans des conditions similiaires, et que pour les
- contrebalancer, <strong>l’écoute et l’empathie ne suffisent pas</strong>.</p>
-
- <p>Au moins ne pouvais-je plus me voiler la face : ma subjectivité est construite
- pour percevoir le monde d’une certaine manière, et pour ne pas percevoir
- certaines choses.</p>
-
- <p>J’ai entrevu la potentialité d’une inégalité, à la fois omniprésente et
- pourtant invisibile à mes yeux. Ignorer l’hypothèse de l’existence réelle de
- cette chose, ç’aurait été nier mon idéal d’égalité. À la place, je me devais de
- l’envisager sérieusement : partir à l’enquête, comprendre la situation,
- l’évaluer. Me faire mon opinion, en somme. Mais comment faire si je ne peux pas
- l’observer ?</p>
-
- <p>Je savais désormais que c’était ma propre pensée, toute rationnelle qu’elle
- est, qui me jouait des tours. <strong>Ce que je crois m’arrange bien trop pour que
- je ne m’en méfie pas</strong>.</p>
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- <h2 id="la-suite-au-prochain-épisode">La suite… au prochain épisode</h2>
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- <p>Me restait alors à explorer une piste, pour parvenir à mieux écouter :
- détromper mon propre cerveau, faire des exercices pour le contraindre à sortir
- de ses biais, à percevoir ce qu’il est entrainé depuis longtemps à ne pas
- percevoir, tant que ce cela serait nécessaire.</p>
-
- <p>C’est ce que j’ai fait, et que je continue à faire.</p>
-
- <p>Dans le prochain article, je parlerai des exercices qui fonctionnent bien pour
- moi, des trucs et astuces qui m’ont permis de percevoir les choses
- différemment, malgré tout.</p>
-
- <p>D’ici là, je souhaite recueillir des témoignages d’hommes qui progressent dans
- une réflexion similaire : avez-vous détecté des mécanismes de défense qui vous
- empêchent d’écouter quand on vous parle de sexisme ? Quelles en sont les
- manifestations ? Avez-vous tenté de les déjouer ? Comment ? Et pour quel
- résultat ? <a href="mailto:raphaelp@ut7.fr">Écrivez-moi !</a></p>
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