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pirms 4 gadiem
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  1. title: ZAD, nature, culture et recomposition des mondes : un entretien avec Alessandro Pignocchi
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  4. <article class="site-body-content-wrap padding-top-40"><div class="site-typeface-content padding-top-40 site-body-content padding-left-0 padding-bottom-40 padding-right-0 typo-size-content">
  5. <p><span style="color: #999999;">Je me suis entretenu avec Alessandro Pignocchi, qui a r&eacute;cemment publi&eacute; une tr&egrave;s bonne bande dessin&eacute;e intitul&eacute;e <em>La Recomposition des mondes</em> aux &eacute;ditions du Seuil, dont sont tir&eacute;es les images diss&eacute;min&eacute;es dans l&rsquo;interview (&agrave; l&rsquo;exception des trois derni&egrave;res, qui viennent de <a href="https://puntish.blogspot.com/" target="_blank" rel="noopener noreferrer">son blog</a>). Voici donc.</span></p><p style="text-align: right;"><strong>Nicolas Casaux</strong></p>
  6. <hr><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Entre la premi&egrave;re fois o&ugrave; tu as entendu parler de la ZAD et aujourd&rsquo;hui, la mani&egrave;re dont tu la per&ccedil;ois a-t-elle chang&eacute;&#8239;? Si oui, comment&#8239;?</strong></p>
  7. <p>J&rsquo;ai envisag&eacute; pour la premi&egrave;re fois d&rsquo;aller sur la Zad en 2012, lorsqu&rsquo;un ami m&rsquo;a propos&eacute; de le rejoindre &agrave; la manif de r&eacute;occupation. &Agrave; l&rsquo;&eacute;poque, je me souviens m&rsquo;&ecirc;tre dit que &ccedil;a devait ressembler &agrave; une grosse f&ecirc;te &agrave; la campagne. J&rsquo;avais d&eacute;clin&eacute; l&rsquo;invitation parce mon travail ne me laissait pas le temps de faire la f&ecirc;te ce week-end l&agrave;. Aujourd&rsquo;hui je vois les Zad en g&eacute;n&eacute;ral et Notre-Dame-des-Landes en particulier comme notre principal sujet d&rsquo;espoir, comme les lieux concrets qui permettent d&rsquo;envisager un avenir un tant soit peu joyeux. Donc oui, entre les deux mon regard a chang&eacute;.</p>
  8. <p>Avant d&rsquo;y aller, je ne soup&ccedil;onnais pas du tout la complexit&eacute; de l&rsquo;exp&eacute;rience de la ZAD &ndash; la richesse, l&rsquo;intensit&eacute; et l&rsquo;originalit&eacute; de ce que &ccedil;a fait d&rsquo;&ecirc;tre sur place. Je devais penser que l&rsquo;int&eacute;r&ecirc;t de cette lutte tenait &agrave; sa finalit&eacute; &ndash; principalement l&rsquo;abandon du projet d&rsquo;a&eacute;roport &ndash; et que le parcours vers cet objectif &eacute;tait fait de souffrances et de discussions politiques p&eacute;nibles. Je n&rsquo;imaginais pas que la beaut&eacute; d&rsquo;une telle lutte tenait avant tout &agrave; la lutte elle-m&ecirc;me, &agrave; la densit&eacute; de vie qu&rsquo;elle procure.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Et pourquoi les ZAD sont-elles notre principal sujet d&rsquo;espoir&#8239;? Un <em>Green New Deal</em> d&rsquo;&Eacute;tat qui offrirait de d&eacute;velopper les industries des &eacute;nergies &laquo;&nbsp;renouvelables&nbsp;&raquo;, les emplois &laquo;&nbsp;verts&nbsp;&raquo; et les technologies &laquo;&nbsp;vertes&nbsp;&raquo;, est-ce un autre &laquo;&nbsp;sujet d&rsquo;espoir&nbsp;&raquo;&#8239;?</strong></p>
  9. <p>Les ZAD s&rsquo;en prennent &agrave; deux piliers fondamentaux de l&rsquo;Occident moderne, ceux-l&agrave; m&ecirc;me que le <em>Green New Deal</em> vise &agrave; maintenir en place&nbsp;: la <em>Nature-objet</em> et <em>l&rsquo;ind&eacute;pendance de la sph&egrave;re &eacute;conomique</em>. Deux fondamentaux qui s&rsquo;&eacute;tayent l&rsquo;un l&rsquo;autre et qui &eacute;rigent un rapport au monde incompatible avec une sortie de la crise &eacute;cologique.</p>
  10. <p>La notion de Nature-objet, qui est une autre fa&ccedil;on de parler de la distinction entre Nature et Culture, d&eacute;signe le mode de relation privil&eacute;gi&eacute; par l&rsquo;Occident moderne avec les plantes, les animaux, les &eacute;cosyst&egrave;mes et les non-humains en g&eacute;n&eacute;ral&nbsp;: la relation de sujet &agrave; objet<sup><a id="post-10686-endnote-ref-1" href="#post-10686-endnote-1">[1]</a></sup>. Les seuls sujets sont les humains, et tous les non-humains sont des objets qui n&rsquo;acqui&egrave;rent leur valeur qu&rsquo;en vertu des services qu&rsquo;ils rendent aux humains. La notion de service &eacute;cologique, si importante y compris dans des discours pr&eacute;tendument &eacute;cologistes, est symptomatique de ce mode de relation.</p>
  11. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p20.jpg"><img class="aligncenter wp-image-10687 size-large" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p20-1024x293.jpg" alt="" width="900" height="258" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p20-1024x293.jpg 1024w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p20-300x86.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p20-768x220.jpg 768w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter wp-image-10687 size-large" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p20-1024x293.jpg"></noscript></a></div>
  12. <p>L&rsquo;oppos&eacute; de la relation de sujet &agrave; objet est la relation de sujet &agrave; sujet, o&ugrave; l&rsquo;on attribue &agrave; l&rsquo;autre un statut de sujet et donc une forme d&rsquo;int&eacute;riorit&eacute;, o&ugrave; l&rsquo;on tient compte de ses int&eacute;r&ecirc;ts, de sa situation, de son point de vue, de son existence en tant que cr&eacute;ature vivante. C&rsquo;est le mode de relation que l&rsquo;on a g&eacute;n&eacute;ralement avec son animal domestique, que beaucoup de petits &eacute;leveurs entretiennent avec leurs b&ecirc;tes. C&rsquo;est aussi, ponctuellement, le mode de relation que l&rsquo;on engage avec son ordinateur portable lorsqu&rsquo;on l&rsquo;insulte et qu&rsquo;on se demande comment se venger de lui. Ce sont deux attitudes psychologiques distinctes, qui ne mobilisent pas les m&ecirc;mes facult&eacute;s et entre lesquelles on peut facilement osciller, y compris lorsqu&rsquo;on est face &agrave; un autre humain. Un SDF que l&rsquo;on enjambe dans le m&eacute;tro est spontan&eacute;ment consid&eacute;r&eacute; comme un objet, mais il suffit parfois de croiser son regard pour se sentir d&rsquo;un coup &agrave; sa place et le voir comme un sujet.</p>
  13. <p>Le point important, c&rsquo;est que dans l&rsquo;Occident moderne, c&rsquo;est la relation de sujet &agrave; objet qui fa&ccedil;onne le rapport au monde dominant, les normes sociales, les institutions, etc. (y compris, d&rsquo;ailleurs, de plus en plus souvent entre humains, comme l&rsquo;illustre la notion de &laquo;&nbsp;ressources humaines&nbsp;&raquo;).</p>
  14. <p>En Amazonie et, j&rsquo;y reviendrai, sur une ZAD, c&rsquo;est au contraire la relation de sujet &agrave; sujet avec les non-humains qui est la plus spontan&eacute;e et qui fa&ccedil;onne le rapport au monde du groupe et ses normes sociales. Pour les Indiens d&rsquo;Amazonie et d&rsquo;Am&eacute;rique du Nord, plantes et animaux sont r&eacute;ellement vus comme des personnes, dont la vie sociale est r&eacute;gie par des conventions analogues &agrave; celles en vigueur chez les humains. La diff&eacute;rence entre humains et non-humains ne tient qu&rsquo;&agrave; leurs sp&eacute;cificit&eacute;s corporelles respectives &ndash; c&rsquo;est l&rsquo; &laquo;&nbsp;animisme&nbsp;&raquo;, tel que d&eacute;fini par Descola. L&rsquo;animisme est la forme extr&ecirc;me d&rsquo;un rapport au monde o&ugrave; les non-humains sont spontan&eacute;ment consid&eacute;r&eacute;s comme des sujets, mais heureusement &ccedil;a n&rsquo;est pas la seule. Il n&rsquo;est pas n&eacute;cessaire de voir les non-humains comme des personnes pour leur attribuer un statut de sujet, pour les voir comme autre chose que des marchandises ou des objets utilitaires.</p>
  15. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21.jpg"><img class="aligncenter wp-image-10688 size-large" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21-1013x1024.jpg" alt="" width="900" height="910" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21-1013x1024.jpg 1013w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21-297x300.jpg 297w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21-768x776.jpg 768w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter wp-image-10688 size-large" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/detail-p21-1013x1024.jpg"></noscript></a></div>
  16. <p>Dans l&rsquo;Occident moderne, la relation de sujet &agrave; objet se d&eacute;cline selon deux variantes&nbsp;: l&rsquo;exploitation et la protection. La protection des milieux qui, telle qu&rsquo;elle est pens&eacute;e chez nous, reste une forme d&rsquo;utilisation, o&ugrave; sont mis en avant soit les services &eacute;cologiques, soit des fonctions de r&eacute;cr&eacute;ation, de contemplation esth&eacute;tique, etc. Tant que ce mode de relation reste la relation par d&eacute;faut, celle qui structure notre rapport au monde et les normes de notre soci&eacute;t&eacute;, il n&rsquo;y aura pas d&rsquo;issue &agrave; la crise &eacute;cologique, et ce pour deux raisons principales&nbsp;: tout d&rsquo;abord, l&rsquo;oscillation entre protection et exploitation est biais&eacute;e. &Ccedil;a n&rsquo;est pas une oscillation mais un ph&eacute;nom&egrave;ne de cliquet, puisque lorsqu&rsquo;on choisit de prot&eacute;ger une zone on peut toujours changer d&rsquo;avis et l&rsquo;exploiter, alors que l&rsquo;inverse est plus complexe. Tant que l&rsquo;on reste prisonnier de cette dichotomie on se dirige donc n&eacute;cessairement vers des lieux prot&eacute;g&eacute;s de plus en plus r&eacute;duits, jusqu&rsquo;&agrave; leur disparition totale.</p>
  17. <p>Ensuite et surtout, la relation de sujet &agrave; sujet est beaucoup plus riche cognitivement&#8239;; elle mobilise les facult&eacute;s empathiques, le syst&egrave;me &eacute;motionnel de fa&ccedil;on plus complexe et, globalement, elle permet des interactions plus denses et intenses que la relation de sujet &agrave; objet (m&ecirc;me lorsque cette derni&egrave;re prend la forme de la contemplation esth&eacute;tique).</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>D&rsquo;accord, mais tout cela n&rsquo;est-il pas un peu trop vague ou trop intellectuel&#8239;?</strong></p>
  18. <p>On pourrait croire en effet que cette distinction entre le statut d&rsquo;objet et celui de sujet attribu&eacute;s aux non-humains n&rsquo;est qu&rsquo;une fa&ccedil;on inutilement complexe et intellectualisante de reformuler ce que beaucoup de monde dit&nbsp;: il faut r&eacute;volutionner notre rapport au vivant, changer nos consciences, blablabla, sans que l&rsquo;on sache ni ce que &ccedil;a veut dire concr&egrave;tement ni comment s&rsquo;y prendre. Mais la distinction sujet/objet permet au contraire de proposer de fa&ccedil;on pr&eacute;cise une m&eacute;thode et d&rsquo;identifier nos ennemis.</p>
  19. <p>Le statut d&rsquo;objet attribu&eacute; aux non-humains est maintenu en place par l&rsquo;autre pilier fondateur de l&rsquo;Occident moderne&nbsp;: le mythe de l&rsquo;ind&eacute;pendance des faits &eacute;conomiques. Comme le d&eacute;crit Karl Polanyi dans <em>La grande transformation</em>, au cours du 19<sup>e</sup> si&egrave;cle l&rsquo;utopie lib&eacute;rale a &oelig;uvr&eacute; &agrave; d&eacute;tacher l&rsquo;&eacute;conomie du reste de la vie sociale et &agrave; la positionner en surplomb par rapport &agrave; elle, &agrave; faire de l&rsquo;activit&eacute; &eacute;conomique une fin en soi. L&agrave; aussi, cette propri&eacute;t&eacute; cosmologique est propre &agrave; l&rsquo;Occident moderne&nbsp;: dans les soci&eacute;t&eacute;s traditionnelles il n&rsquo;y a pas de faits &eacute;conomiques. Tout &eacute;change, m&ecirc;me m&eacute;di&eacute; par une forme de monnaie, est toujours plus qu&rsquo;un simple &eacute;change d&rsquo;objets&nbsp;: il renforce ou d&eacute;place les solidarit&eacute;s, les rivalit&eacute;s et s&rsquo;inscrit globalement dans l&rsquo;ensemble du tissu social. Chez les Jivaros, par exemple, si je te donne un objet et que tu me rends imm&eacute;diatement un objet de valeur similaire, il s&rsquo;agit presque d&rsquo;une d&eacute;claration de guerre&nbsp;: cela signifie que tu ne veux pas &ecirc;tre li&eacute; &agrave; moi.</p>
  20. <p>L&rsquo;ind&eacute;pendance des faits &eacute;conomiques en Occident rel&egrave;ve du mythe car, bien s&ucirc;r, l&rsquo;&eacute;conomie est toute p&eacute;n&eacute;tr&eacute;e par le politique<sup><a id="post-10686-endnote-ref-2" href="#post-10686-endnote-2">[2]</a></sup>. Mais c&rsquo;est un mythe que nos classes dirigeantes ont un besoin vital de maintenir en place car il est devenu leur principal outil de l&eacute;gitimation. Ils ont besoin, par exemple, de pouvoir prendre les points de croissance ou le PIB comme des fins en soi, ind&eacute;pendamment des r&eacute;alit&eacute;s socio-&eacute;cologiques qu&rsquo;ils dissimulent.</p>
  21. <p>Or, une sph&egrave;re &eacute;conomique autonome ne peut se nourrir que d&rsquo;objets. Pour elle, n&rsquo;existe que ce qui est chiffrable et interchangeable. Des sujets ne sont pas interchangeables pr&eacute;cis&eacute;ment parce que leur valeur ne peut &ecirc;tre r&eacute;duite &agrave; une valeur marchande. Lorsqu&rsquo;elle se retrouve face &agrave; du non-chiffrable, la sph&egrave;re &eacute;conomique n&rsquo;a que deux solutions&nbsp;: en nier l&rsquo;existence ou le rendre chiffrable (c&rsquo;est la cr&eacute;ation de nouveaux march&eacute;s, dans tous les recoins o&ugrave; on les attendait le moins). Elle doit, en somme, transformer les sujets en objets &ndash; les non-humains bien s&ucirc;r, mais aussi le plus d&rsquo;humains possible<sup><a id="post-10686-endnote-ref-3" href="#post-10686-endnote-3">[3]</a></sup>.</p>
  22. <p>Si l&rsquo;on r&eacute;sume le syllogisme tr&egrave;s simple auquel on arrive, voici ce que l&rsquo;on obtient&nbsp;:</p>
  23. <p>(1) Pas d&rsquo;issue &agrave; la crise &eacute;cologique sans instaurer la relation de sujet &agrave; sujet avec les non-humains comme relation structurante.</p>
  24. <p>(2) La sph&egrave;re &eacute;conomique autonome et surplombante ne peut accepter que des objets.</p>
  25. <p>Conclusion&nbsp;: une proposition &eacute;cologique ne peut &ecirc;tre s&eacute;rieuse que si elle s&rsquo;en prend frontalement &agrave; l&rsquo;ind&eacute;pendance des faits &eacute;conomiques. Et c&rsquo;est tr&egrave;s exactement ce qui se passe sur les ZAD. On remet au premier plan des relations bas&eacute;es sur la solidarit&eacute;, l&rsquo;entraide, le non-chiffrable, on s&rsquo;&eacute;change de la nourriture &agrave; prix libre et, plus g&eacute;n&eacute;ralement, on dissout la sph&egrave;re &eacute;conomique dans la r&eacute;alit&eacute; de la vie sociale. Ce faisant, on lib&egrave;re les espaces permettant de tisser avec les non-humains et le territoire des relations de sujet &agrave; sujet, color&eacute;es de liens affectifs, empathiques et pr&eacute;sentant toutes les nuances de ce qui n&rsquo;est pas marchandisable. Personne, sur une ZAD, n&rsquo;aurait l&rsquo;id&eacute;e de faire appel &agrave; la notion de service &eacute;cologique ou de s&eacute;parer les questions sociales et les questions environnementales. Le territoire et ses habitants non-humains ne sont plus ni des ressources ni des sanctuaires mais, en somme, des voisins, avec lesquels il s&rsquo;agit de partager au mieux un monde commun.</p>
  26. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p23.jpg"><img class="aligncenter wp-image-10689 size-large" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p23-1024x886.jpg" alt="" width="900" height="779" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p23-1024x886.jpg 1024w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p23-300x259.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p23-768x664.jpg 768w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter wp-image-10689 size-large" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p23-1024x886.jpg"></noscript></a></div>
  27. <p>Inversement, une proposition &eacute;cologiste qui accepterait les r&egrave;gles &eacute;conomiques impos&eacute;es par les sph&egrave;res dirigeantes se condamne d&rsquo;embl&eacute;e au mieux &agrave; l&rsquo;inutilit&eacute;, plus probablement &agrave; la nocivit&eacute;. C&rsquo;est ce que tu montres tr&egrave;s bien dans tes articles sur les &eacute;nergies renouvelables<sup><a id="post-10686-endnote-ref-4" href="#post-10686-endnote-4">[4]</a></sup>. Et tu as raison de souligner que, ind&eacute;pendamment des probl&egrave;mes sp&eacute;cifiques pos&eacute;s par les &eacute;nergies renouvelables, parfois pire que ceux des &eacute;nergies qu&rsquo;elles pr&eacute;tendent remplacer, m&ecirc;me une forme d&rsquo;&eacute;nergie magique, &eacute;ternelle et enti&egrave;rement non polluante, ne r&eacute;soudrait en rien la situation. Si elle restait prise dans les r&egrave;gles du jeu &eacute;conomique telles qu&rsquo;elles sont pos&eacute;es aujourd&rsquo;hui, une telle &eacute;nergie ne freinerait pas du tout, voire acc&eacute;l&eacute;rerait, le b&eacute;tonnage et l&rsquo;artificialisation des terres. Et donc elle aggraverait la course vers un monde d&eacute;vast&eacute;, vide et d&rsquo;une tristesse invivable.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Pourquoi alors se trouve-t-il tant de gens pour croire aux &eacute;nergies vertes, &agrave; l&rsquo;&eacute;cologie des petits gestes, etc.&#8239;? Quel est le statut de ce &laquo;&nbsp;r&eacute;cit&nbsp;&raquo;, pour reprendre un concept dans l&rsquo;air du temps&#8239;?</strong></p>
  28. <p>Ce type de r&eacute;cit s&rsquo;appelle commun&eacute;ment un &laquo;&nbsp;discours de l&eacute;gitimation&nbsp;&raquo; ou, en sciences cognitives, une &laquo;&nbsp;justification a posteriori&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est une narration qui permet de restaurer, y compris &agrave; ses propres yeux, une forme de coh&eacute;rence, et ce ind&eacute;pendamment de ses motivations r&eacute;elles.</p>
  29. <p>Au niveau des motivations r&eacute;elles, un moteur tr&egrave;s fondamental, bien que souvent inconscient, est la recherche d&rsquo;une bonne r&eacute;putation<sup><a id="post-10686-endnote-ref-5" href="#post-10686-endnote-5">[5]</a></sup>. Concr&egrave;tement, on cherche &agrave; &ecirc;tre per&ccedil;u comme un collaborateur fiable par les gens que l&rsquo;on consid&egrave;re appartenir &agrave; notre groupe au sens large, c&rsquo;est-&agrave;-dire ceux pour qui on a de l&rsquo;affection, ceux avec qui on partage des int&eacute;r&ecirc;ts communs ou avec qui on pourrait &ecirc;tre amen&eacute; &agrave; collaborer. Comme le montre Bruno Latour dans son dernier livre, <em>O&ugrave; atterrir&#8239;?</em>, la crise &eacute;cologique aggrave l&rsquo;antagonisme entre les int&eacute;r&ecirc;ts des milieux dirigeants et ceux du reste du monde. Pour la classe dirigeante et tous ceux qu&rsquo;elle consid&egrave;re spontan&eacute;ment comme appartenant &agrave; son groupe, il s&rsquo;agit de se prot&eacute;ger au mieux d&rsquo;un peuple qu&rsquo;elle voit comme une menace qui grandit avec l&rsquo;aggravation des conditions &eacute;cologiques. Leur motivation premi&egrave;re, le moteur principal de la plupart des actions de nos dirigeants, est de rendre la population inoffensive, gouvernable et incapable de s&rsquo;organiser. Bruno Latour analyse le d&eacute;mant&egrave;lement de l&rsquo;&Eacute;tat providence &agrave; ce prisme, et de nombreuses autres d&eacute;cisions politiques ne trouvent leur sens que vues sous cet angle. Sauf que cette motivation-l&agrave; n&rsquo;est pas pr&eacute;sentable publiquement et, sans doute pour certains au moins de nos dirigeants, pas non plus acceptable &agrave; leurs propres yeux. Il s&rsquo;agit donc de la recouvrir d&rsquo;une justification a posteriori. Et l&rsquo;esprit humain est tr&egrave;s performant pour produire ce genre de r&eacute;cits &ndash; c&rsquo;est m&ecirc;me l&agrave; la fonction premi&egrave;re de nos facult&eacute;s de raisonnement logique<sup><a id="post-10686-endnote-ref-6" href="#post-10686-endnote-6">[6]</a></sup>. Et c&rsquo;est donc l&agrave; qu&rsquo;intervient le mythe des faits &eacute;conomiques autonomes, du march&eacute; qui r&eacute;soudra tout, et de son appendice pour l&rsquo;actualiser eu &eacute;gard &agrave; la crise &eacute;cologique&nbsp;: les &eacute;nergies renouvelables, la croissance verte, etc. Ce r&eacute;cit de l&eacute;gitimation, vital pour nos dirigeants, est repris par le bon citoyen soucieux de restaurer une forme de coh&eacute;rence entre sa vie et sa sensibilit&eacute; &eacute;cologique, sans avoir &agrave; participer &agrave; des actions de r&eacute;sistance collective &ndash; joyeuses peut-&ecirc;tre, mais risqu&eacute;es<sup><a id="post-10686-endnote-ref-7" href="#post-10686-endnote-7">[7]</a></sup>.</p>
  30. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p16.jpg"><img class="aligncenter wp-image-10690 size-large" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-1024x1022.jpg" alt="" width="900" height="898" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-1024x1022.jpg 1024w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-150x150.jpg 150w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-300x300.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-768x767.jpg 768w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p16-500x500.jpg 500w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter wp-image-10690 size-large" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p16-1024x1022.jpg"></noscript></a></div>
  31. <p>Le r&eacute;cit de la croissance verte a donc le m&ecirc;me statut que le climato-scepticisme aux &Eacute;tats-Unis&nbsp;: un discours de l&eacute;gitimation qui permet aux dirigeants de dissimuler l&rsquo;&eacute;go&iuml;sme de leur action et aux citoyens de continuer &agrave; vivre comme si de rien n&rsquo;&eacute;tait. Un anthropologue extraterrestre qui viendrait nous &eacute;tudier, ou un historien du futur qui s&rsquo;int&eacute;resserait &agrave; notre &eacute;poque, ne verraient pas de diff&eacute;rence de fonction entre les deux&#8239;; seulement deux variantes g&eacute;ographiquement situ&eacute;es du m&ecirc;me r&eacute;cit de l&eacute;gitimation. Le citoyen europ&eacute;en qui mord &agrave; la croissance verte n&rsquo;est pas diff&eacute;rent du climato-sceptique am&eacute;ricain, dont pourtant il se moque. Et, du point de vue de l&rsquo;anthropologue extraterrestre ou de l&rsquo;historien du futur, un journaliste fran&ccedil;ais qui se f&eacute;licite de voir le gouvernement promouvoir les &eacute;oliennes ne commet pas un crime moins grand que le journaliste de Fox News qui explique que le r&eacute;chauffement climatique est un complot des chinois.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Outre ces nouvelles formes de relations qui se cr&eacute;ent &agrave; la ZAD, ou plut&ocirc;t autour d&rsquo;elles, il me semble que les zadistes red&eacute;couvrent et se r&eacute;approprient autant que possible les activit&eacute;s n&eacute;cessaires &agrave; leur subsistance, ils r&eacute;cup&egrave;rent de l&rsquo;autonomie (par rapport &agrave; la sph&egrave;re &eacute;conomique dont tu parles, qui a plut&ocirc;t tendance &agrave; d&eacute;truire les autonomies locales, &agrave; imposer de nombreuses d&eacute;pendances, qui sont autant de d&eacute;possessions). Cet affranchissement de la d&eacute;pendance &agrave; la sph&egrave;re &eacute;conomique, mais aussi aux &laquo;&nbsp;macro-syst&egrave;mes techniques&nbsp;&raquo; dont parle Alain Gras, et plus g&eacute;n&eacute;ralement &agrave; la m&eacute;gamachine que constitue la civilisation techno-industrielle plan&eacute;taire, me para&icirc;t crucial, sur les plans social et &eacute;cologique. Comment d&eacute;crirais-tu ce ph&eacute;nom&egrave;ne&#8239;? Pourrais-tu nous donner des exemples&#8239;?</strong></p>
  32. <p>C&rsquo;est li&eacute; bien s&ucirc;r, m&ecirc;me si une m&eacute;gamachine techno-industrielle peut fonctionner sans le mythe de l&rsquo;ind&eacute;pendance des faits &eacute;conomiques (&ccedil;a donne par exemple l&rsquo;URSS). Le fond du combat de la ZAD, qui consiste &agrave; dissoudre la sph&egrave;re &eacute;conomique dans la r&eacute;alit&eacute; de la vie sociale &ndash; une vie sociale qui inclut les non-humains &ndash; passe aussi par la r&eacute;appropriation technique. On vise des &laquo;&nbsp;outils conviviaux&nbsp;&raquo; au sens d&rsquo;Ivan Ilitch, c&rsquo;est-&agrave;-dire des outils dont chacun peut comprendre le fonctionnement, sans intervention d&rsquo;experts. Les vieux tracteurs de la ZAD ne sont pas loin d&rsquo;&ecirc;tre conviviaux, car la plupart des gens qui s&rsquo;en servent seraient capables de les d&eacute;monter et de les remonter pi&egrave;ce par pi&egrave;ce. Diff&eacute;rents lieux sont par ailleurs en train de passer &agrave; la traction animale &ndash; avec des chevaux &ndash; ce qui parach&egrave;ve la dissolution des cloisons occidentales. Les chevaux, consid&eacute;r&eacute;s par tous comme des sujets &agrave; part enti&egrave;re, et qui contribuent &agrave; diff&eacute;rentes t&acirc;ches agricoles, au d&eacute;bardage du bois de la for&ecirc;t de Rohanne, etc., sont pleinement int&eacute;gr&eacute;s aux r&eacute;seaux de solidarit&eacute;, d&rsquo;affection qui se tissent sur la ZAD et en dehors d&rsquo;elle.</p>
  33. <p>Tout l&rsquo;enjeu du processus de l&eacute;galisation en cours est l&agrave;&nbsp;: d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute;, la ZAD cherche &agrave; se donner une fa&ccedil;ade l&eacute;gale pour pouvoir poursuivre, &agrave; l&rsquo;abri d&rsquo;elle, son entreprise r&eacute;volutionnaire, c&rsquo;est-&agrave;-dire continuer &agrave; densifier tous les types de liens non marchands entre humains et avec les non-humains&#8239;; de l&rsquo;autre l&rsquo;&Eacute;tat, par l&rsquo;interm&eacute;diaire entre autres du Conseil d&eacute;partemental, cherche &agrave; annihiler la ZAD en redonnant son ind&eacute;pendance &agrave; la sph&egrave;re &eacute;conomique et en r&eacute;instaurant les cloisonnements traditionnels (&eacute;conomie/vie sociale&#8239;; Nature/Culture). Les paysans doivent produire des bilans pr&eacute;visionnels sur dix ans, c&rsquo;est-&agrave;-dire accepter l&rsquo;alternative impos&eacute;e par la sph&egrave;re &eacute;conomique&nbsp;: soit une chose est chiffrable et peut donc int&eacute;grer un march&eacute;, soit elle ne l&rsquo;est pas et dans ce cas il faut en nier l&rsquo;existence (les r&eacute;seaux d&rsquo;entraide, les liens affectifs, etc.). Le plan local d&rsquo;urbanisme, en refusant par exemple le maintien des cabanes, cherche &agrave; contribuer au r&eacute;tablissement des d&eacute;pendances dont tu parles&nbsp;: les habitants de la ZAD devraient aller vivre dans les bourgs alentours et se rendre sur leurs &laquo;&nbsp;exploitations&nbsp;&raquo; en voiture.</p>
  34. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p80.jpg"><img class="aligncenter size-large wp-image-10691" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p80-1024x882.jpg" alt="" width="900" height="775" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p80-1024x882.jpg 1024w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p80-300x258.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p80-768x662.jpg 768w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter size-large wp-image-10691" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p80-1024x882.jpg"></noscript></a></div>
  35. <p>Il ne faudrait en revanche pas croire que la ZAD vise l&rsquo;autarcie, bien au contraire. Une grande partie de la nourriture produite sur place va au ravitaillement des luttes et aux squats de migrants de Nantes et de Rennes, tandis que la ZAD r&eacute;cup&egrave;re, par exemple, les invendus des Biocoops du coin. Les &eacute;changes (de nourriture, de mat&eacute;riel, de savoir) s&rsquo;&eacute;tendent bien au-del&agrave; du bocage de Notre-Dame-des-Landes. Ils contribuent d&rsquo;ailleurs &agrave; fa&ccedil;onner &laquo;&nbsp;l&rsquo;exp&eacute;rience de la ZAD&nbsp;&raquo;, &laquo;&nbsp;ce que &ccedil;a fait&nbsp;&raquo; d&rsquo;&ecirc;tre sur place&nbsp;: on se sent maill&eacute; dans la trame d&rsquo;un monde autre, beaucoup plus vaste que les 1 600 hectares de la ZAD.</p>
  36. <div class="caption"><a href="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p27.jpg"><img class="aligncenter size-large wp-image-10692" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p27-1024x461.jpg" alt="" width="900" height="405" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p27-1024x461.jpg 1024w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p27-300x135.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d&eacute;tail-p27-768x346.jpg 768w" sizes="(max-width: 900px) 100vw, 900px"><noscript><img class="aligncenter size-large wp-image-10692" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/d%C3%A9tail-p27-1024x461.jpg"></noscript></a></div><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Le passage &agrave; la traction animale, comme tu le formules, serait consid&eacute;r&eacute; par beaucoup comme un &laquo;&nbsp;retour&nbsp;&raquo; en arri&egrave;re. L&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;in&eacute;luctabilit&eacute; et de la d&eacute;sirabilit&eacute; du progr&egrave;s technologique est bien ancr&eacute;e dans l&rsquo;imaginaire de la culture dominante. Tout cela n&rsquo;implique-t-il pas une &laquo;&nbsp;d&eacute;colonisation de l&rsquo;imaginaire&nbsp;&raquo;, une d&eacute;construction de l&rsquo;id&eacute;e de Progr&egrave;s (notamment technologique) si ancr&eacute;e dans la culture dominante, si ch&egrave;re &agrave; tant de nos cong&eacute;n&egrave;res d&eacute;sormais (propagande aidant)&#8239;?</strong></p>
  37. <p>Notre notion intuitive de &laquo;&nbsp;progr&egrave;s&nbsp;&raquo; a pris forme au sein de la distinction entre Nature et Culture. Le progr&egrave;s est spontan&eacute;ment assimil&eacute; au mouvement de la Culture sur la Nature, c&rsquo;est-&agrave;-dire &agrave; l&rsquo;accroissement de notre emprise sur elle, via la technologie, la science ou la m&eacute;decine. Il allait implicitement de soi que le renforcement de notre pouvoir de domination sur la nature &eacute;tait &eacute;quivalent &agrave; une augmentation du bien-&ecirc;tre des humains (celui des non-humains, rang&eacute;s du c&ocirc;t&eacute; de la nature, n&rsquo;&eacute;tait pas pris en compte). Sauf que ces deux variables n&rsquo;ont aucune raison d&rsquo;&ecirc;tre li&eacute;es logiquement. Et, de fait, l&rsquo;augmentation de l&rsquo;une n&rsquo;est pas &ndash; ou, pour &ecirc;tre charitable, n&rsquo;est plus &ndash; li&eacute;e &agrave; l&rsquo;augmentation de l&rsquo;autre.</p>
  38. <p>Le grand bouleversement cosmologique que nous sommes en train de vivre, qui voit s&rsquo;effondrer sous nos pieds la distinction entre Nature et Culture, emporte avec lui nombre de nos concepts et de nos crit&egrave;res&nbsp;&ndash; au premier chef celui de &laquo;&nbsp;progr&egrave;s&nbsp;&raquo;. Il est, de fait, de plus en plus difficile d&rsquo;identifier spontan&eacute;ment ce qui est &laquo;&nbsp;progressiste&nbsp;&raquo;. L&rsquo;&eacute;poque appelle ainsi un vaste travail de red&eacute;finition et de &laquo;&nbsp;r&eacute;orientation&nbsp;&raquo;, comme dit Bruno Latour. Il s&rsquo;agit de se d&eacute;faire des d&eacute;finitions intuitives de certains de nos concepts les plus fondamentaux pour r&eacute;interroger leur assise. Par exemple, une fois d&eacute;pouill&eacute;e la notion de progr&egrave;s de l&rsquo;id&eacute;e de domination de la nature, comment la lier plus directement &agrave; celle de bien-&ecirc;tre &ndash; des humains et de toutes les cr&eacute;atures pour lesquelles cette notion &agrave; un sens&#8239;?</p>
  39. <p>Ce travail de r&eacute;orientation rebat ensuite les cartes bien au-del&agrave; de ce qui touche directement au bien-&ecirc;tre. Par exemple, dans <em>Sur la piste animale</em>, Baptiste Morizot remarque que dans son souci de se s&eacute;parer toujours plus de cette effrayante Nature, l&rsquo;homme moderne a fait en sorte de s&rsquo;extraire de la cha&icirc;ne alimentaire. Une fois mort, son corps doit &ecirc;tre br&ucirc;l&eacute; ou enferm&eacute; dans un caisson &eacute;tanche, bien &agrave; l&rsquo;abri de la faune du sol. Il appara&icirc;t inadmissible que le corps humain soit consomm&eacute; par des b&ecirc;tes, comme une viande ordinaire. L&rsquo;humain est le sommet de la cha&icirc;ne alimentaire, son extr&eacute;mit&eacute;, et surtout pas un maillon parmi d&rsquo;autres.</p>
  40. <p>Dans un monde aux crit&egrave;res red&eacute;finis, o&ugrave; l&rsquo;on n&rsquo;&oelig;uvre plus &agrave; s&eacute;parer l&rsquo;homme d&rsquo;une Nature r&eacute;ifi&eacute;e mais au contraire &agrave; retisser les liens qui l&rsquo;unissent aux &ecirc;tres qui la peuplent, on consid&eacute;rera au contraire comme un &laquo;&nbsp;progr&egrave;s&nbsp;&raquo; l&rsquo;adoption d&rsquo;une coutume ou nos corps seraient, par exemple, donn&eacute;s &agrave; manger aux animaux de la for&ecirc;t &ndash; comme le faisaient diff&eacute;rentes ethnies indiennes d&rsquo;Am&eacute;rique du Nord. Morizot remarque que l&rsquo;engouement pour le lombricompost est une timide annonce de ces bouleversements cosmologiques&nbsp;: on se met &agrave; trouver choquant que nos restes alimentaires ne soient pas consomm&eacute;s par des non-humains qui pourraient pourtant les trouver &agrave; leur go&ucirc;t. Donner aux lombrics nos ongles ou nos cheveux soul&egrave;ve cela dit encore quelques r&eacute;ticences.</p>
  41. <p>Sur les Zad, o&ugrave; cette r&eacute;volution cosmologique a pris de l&rsquo;avance, tout le monde verrait comme un honneur de donner son corps aux animaux des for&ecirc;ts environnantes, ou du moins consid&eacute;reraient cette possibilit&eacute; comme beaucoup plus &laquo;&nbsp;logique&nbsp;&raquo; que de l&rsquo;enfermer dans un caisson.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Et pour en revenir &agrave; la Zad ou aux zad en g&eacute;n&eacute;ral, penses-tu que l&rsquo;&Eacute;tat puisse laisser une telle exp&eacute;rimentation, en plusieurs points contraire &agrave; ses int&eacute;r&ecirc;ts, voire totalement contraire &agrave; ses int&eacute;r&ecirc;ts, se produire et s&rsquo;&eacute;tendre&#8239;?</strong></p>
  42. <p>Non. Il l&rsquo;a d&eacute;j&agrave; prouv&eacute; et continue &agrave; le faire, dans un acharnement o&ugrave; la violence militaire le dispute &agrave; la violence administrative. Pour l&rsquo;instant la ZAD tient bon, sur certains aspects elle repart m&ecirc;me de plus belle, mais l&rsquo;&Eacute;tat n&rsquo;abandonnera jamais.</p>
  43. <p>La question est&nbsp;alors&nbsp;: pourquoi&#8239;? Apr&egrave;s tout, ce ne sont que 1 650 hectares, qui pourraient &ecirc;tre vus comme un inoffensif sas de d&eacute;compression. Ils pourraient m&ecirc;me servir d&rsquo;outil de com&rsquo; pour montrer l&rsquo;ouverture d&rsquo;esprit &eacute;cologique du gouvernement. Pourquoi alors d&eacute;penser des millions, du temps (le Conseil d&eacute;partemental a d&ucirc; ajourner la plupart de ses activit&eacute;s, ouvrir un nouveau d&eacute;partement et embaucher des gens pour traiter le dossier ZAD) et prendre le risque politique de tuer, pour an&eacute;antir ce fragment de bocage&#8239;? Aussi &eacute;tonnant que cela puisse para&icirc;tre, et &ccedil;a a &eacute;t&eacute; une vraie surprise pour moi&nbsp;: la ZAD fait tr&egrave;s peur &agrave; nos dirigeants.</p>
  44. <p>De nombreux commentateurs, au moment des expulsions, ont fustig&eacute; &laquo;&nbsp;l&rsquo;incompr&eacute;hension du gouvernement&nbsp;&raquo;. C&rsquo;est par ignorance, pensent-ils, que l&rsquo;&Eacute;tat s&rsquo;en serait pris ainsi &agrave; la ZAD. Pr&eacute;senter les choses de cette fa&ccedil;on est absurde et en partie contre-productif&nbsp;: on ne jette pas 11 000 grenades sur quelque chose parce qu&rsquo;on ne le comprend pas. L&rsquo;&Eacute;tat, au contraire, a tr&egrave;s bien compris ce qu&rsquo;est la ZAD. Faire l&rsquo;hypoth&egrave;se de l&rsquo;incompr&eacute;hension ou de l&rsquo;incomp&eacute;tence de nos dirigeants rel&egrave;ve de la m&ecirc;me logique absurde que celle qui fait dire &agrave; tant d&rsquo;analystes que &laquo;&nbsp;le gouvernement n&rsquo;a pas pris conscience de la crise &eacute;cologique&nbsp;&raquo; ou, pire, qu&rsquo;il &laquo;&nbsp;ne parvient pas &agrave; faire baisser le ch&ocirc;mage&nbsp;&raquo;. Ces phrases types sous-entendent qu&rsquo;il faudrait expliquer &agrave; nos dirigeants ce qu&rsquo;est la ZAD, les sensibiliser &agrave; l&rsquo;&eacute;cologie &ndash; en les invitant par exemple &agrave; quelques sorties naturalistes &ndash; et les aider &agrave; faire baisser le ch&ocirc;mage. Car ils essaient de toute leur &acirc;me de le faire baisser, mais c&rsquo;est tr&egrave;s difficile, alors il faut les soutenir, et ne surtout pas s&rsquo;opposer &agrave; eux, ce qui ajouterait de la difficult&eacute; &agrave; la difficult&eacute;. Se poser un instant la question en termes de motivations humaines montre l&rsquo;absurdit&eacute; de ce genre d&rsquo;approches.</p>
  45. <p>Encore une fois, la motivation premi&egrave;re de nos dirigeants, leur &laquo;&nbsp;int&eacute;r&ecirc;t de groupe&nbsp;&raquo;, c&rsquo;est que le peuple soit gouvernable, que, au moins dans une certaine mesure, il ob&eacute;isse. Sans doute, dans l&rsquo;histoire de l&rsquo;humanit&eacute;, s&rsquo;est-il trouv&eacute; des dirigeants consid&eacute;rant qu&rsquo;une population &eacute;panouie, sereine et &eacute;mancip&eacute;e serait encline &agrave; ob&eacute;ir. Mais, du moins en Occident, et du moins depuis la fin des ann&eacute;es 70, il est tr&egrave;s peu plausible qu&rsquo;un dirigeant ait envisag&eacute; les choses sous cet angle<sup><a id="post-10686-endnote-ref-8" href="#post-10686-endnote-8">[8]</a></sup>. Gr&eacute;goire Chamayou, dans &laquo;&nbsp;La soci&eacute;t&eacute; ingouvernable&nbsp;&raquo;, d&eacute;crit le mouvement de panique qui a saisi une partie de la classe dirigeante et des milieux d&rsquo;affaires lorsqu&rsquo;on s&rsquo;approchait du plein emploi&nbsp;: les travailleurs se mettaient &agrave; refuser les t&acirc;ches ali&eacute;nantes qu&rsquo;on voulait leur imposer. Depuis, les dirigeants ont bien pris acte qu&rsquo;un ch&ocirc;mage relativement &eacute;lev&eacute; et la peur du d&eacute;classement &eacute;taient les outils de gouvernance par excellence<sup><a id="post-10686-endnote-ref-9" href="#post-10686-endnote-9">[9]</a></sup>. Le plein emploi est devenu leur cauchemar absolu, la situation qu&rsquo;ils veulent par-dessus tout &eacute;viter. Dire que nos dirigeants ne parviennent pas &agrave; faire baisser le ch&ocirc;mage &eacute;quivaut &agrave; se demander pourquoi ils ne parviennent pas &agrave; se tirer des balles dans les rotules.</p>
  46. <p>Parall&egrave;lement, au d&eacute;but des ann&eacute;es 70, on commen&ccedil;ait &agrave; parler de crise &eacute;cologique&#8239;; le Club de Rome venait de publier ses conclusions sur les &eacute;nergies fossiles et les limites de la croissance&#8239;; apparaissaient les premiers mouvements sociaux &agrave; motivation &eacute;cologiste, notamment des mouvements de boycott. Ceux-ci ont d&rsquo;ailleurs dans un premier temps laiss&eacute; les classes dirigeantes et les grandes entreprises relativement d&eacute;sempar&eacute;es. Depuis, &agrave; force de colloques internationaux et de rapports d&rsquo;experts, ils ont d&eacute;velopp&eacute; toute une batterie d&rsquo;outils pour d&eacute;molir ce type de mouvements, les r&eacute;cup&eacute;rer et pr&eacute;venir leur apparition en anticipant leur pr&eacute;occupation (la croissance verte, le recyclage et les &eacute;nergies renouvelables sont de ce point de vue de remarquables outils)<sup><a id="post-10686-endnote-ref-10" href="#post-10686-endnote-10">[10]</a></sup>. Et &ccedil;a ne veut pas dire qu&rsquo;ils n&rsquo;avaient pas compris la crise &eacute;cologique, mais au contraire qu&rsquo;ils l&rsquo;avaient beaucoup mieux comprise que la plupart des gens, et qu&rsquo;ils ont agi en cons&eacute;quence, rationnellement et dans leur int&eacute;r&ecirc;t. Dans <em>O&ugrave; atterrir&#8239;?</em>, Bruno Latour montre par exemple comment la direction d&rsquo;ExxonMobil a pris tr&egrave;s au s&eacute;rieux les conclusions du Club de Rome, d&egrave;s leur parution, &agrave; une &eacute;poque o&ugrave; quasiment tout le monde s&rsquo;en moquait. Elle a alors d&eacute;cid&eacute;, de fa&ccedil;on parfaitement rationnelle, de promouvoir le climato-scepticisme<sup><a id="post-10686-endnote-ref-11" href="#post-10686-endnote-11">[11]</a></sup>.</p>
  47. <p>Si, dans les paroles, les classes dirigeantes continuaient &agrave; vanter une mondialisation qui, gr&acirc;ce &agrave; la croissance &eacute;conomique, serait heureuse et g&eacute;n&eacute;reuse pour tous, en creux, ils dessinaient un projet politique tout autre. Celui-ci, comme je l&rsquo;ai dit plus haut, consiste &agrave; se prot&eacute;ger contre le reste de l&rsquo;humanit&eacute;. Et ce projet n&rsquo;a pas besoin d&rsquo;&ecirc;tre complot&eacute; dans l&rsquo;ombre pour prendre forme, il n&rsquo;a pas m&ecirc;me besoin d&rsquo;&ecirc;tre &eacute;nonc&eacute; consciemment&#8239;; il est simplement celui qui appara&icirc;t lorsque des dirigeants, avec les institutions qui sont les n&ocirc;tres et sur fond de crise &eacute;cologique, suivent spontan&eacute;ment ce qu&rsquo;ils per&ccedil;oivent comme leurs int&eacute;r&ecirc;ts de groupe.</p>
  48. <p>Le &laquo;&nbsp;reste de l&rsquo;humanit&eacute;&nbsp;&raquo;, ils le per&ccedil;oivent &agrave; juste titre comme devant devenir de plus en plus mena&ccedil;ant, puisque ses conditions de vie vont continuer &agrave; se d&eacute;grader. Les premiers moments du mouvement des Gilets Jaunes ont sans doute &eacute;t&eacute; per&ccedil;us comme les pr&eacute;mices des &eacute;meutes de la faim qui s&rsquo;annonce. Il s&rsquo;agit donc pour les classes dirigeantes de renforcer tous les moyens de r&eacute;pression et de contr&ocirc;le, tout en perfectionnant toutes les structures qui emp&ecirc;chent la population de s&rsquo;organiser et de voir na&icirc;tre en son sein des r&eacute;seaux de solidarit&eacute;.</p>
  49. <p>Et c&rsquo;est pourquoi la ZAD fait aussi peur. Si nos dirigeants ont maintenant des armes efficaces pour affronter des mouvements sociaux diffus dans la soci&eacute;t&eacute;, ils sont d&eacute;munis face &agrave; un mouvement qui se saisit d&rsquo;un territoire, qui choisit de faire sans eux, et qui pose les bases d&rsquo;un monde autre, o&ugrave; tous leurs outils de contr&ocirc;le et de l&eacute;gitimation sont an&eacute;antis. Peur aussi que la ZAD fasse des petits, que trop de gens d&eacute;couvrent la joie d&rsquo;une telle lutte, la sensation de reprise en main de son destin et l&rsquo;&eacute;paisseur d&rsquo;existence qu&rsquo;elle procure.</p>
  50. <p>C&rsquo;est d&rsquo;ailleurs &agrave; ce r&ocirc;le que la ZAD aspire, derri&egrave;re la fa&ccedil;ade l&eacute;gale qu&rsquo;elle tente de se donner. Elle cherche &agrave; devenir une base arri&egrave;re puissante, une m&egrave;re nourrici&egrave;re pour toutes les autres luttes, tant sur le plan logistique que sur celui des imaginaires. Elle a d&rsquo;ailleurs commenc&eacute; &agrave; remplir ce r&ocirc;le avec brio en aidant les Gilets Jaunes de Saint-Nazaire &agrave; ouvrir et &agrave; conserver pendant plusieurs mois leur maison du peuple<sup><a id="post-10686-endnote-ref-12" href="#post-10686-endnote-12">[12]</a></sup>. C&rsquo;est anecdotique mais on m&rsquo;a parl&eacute; de chevriers des C&eacute;vennes (ceux de la BD de Samuel Figui&egrave;re<sup><a id="post-10686-endnote-ref-13" href="#post-10686-endnote-13">[13]</a></sup>) qui, bien qu&rsquo;ils ne soient jamais all&eacute;s &agrave; la ZAD, disent que savoir qu&rsquo;elle existe les aide &agrave; se lever le matin et &agrave; continuer la lutte contre toutes ces forces contraires qui les obligent &agrave; consid&eacute;rer leurs b&ecirc;tes comme des objets (le pu&ccedil;age, l&rsquo;abattoir, les lois du march&eacute;&hellip;).</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Donc, d&rsquo;une certaine mani&egrave;re, ce que tout cela nous enseigne ou nous confirme, c&rsquo;est que toute transition vers ou toute &eacute;laboration d&rsquo;une soci&eacute;t&eacute; diff&eacute;rente, juste et soutenable, implique une confrontation, un conflit avec les puissances &eacute;tatiques, contre les forces &agrave; leur disposition, qu&rsquo;on ne construira pas un monde meilleur, qu&rsquo;on ne mettra pas un terme au d&eacute;sastre socio-&eacute;cologique en cours sans affronter et d&eacute;manteler l&rsquo;&Eacute;tat. Non&#8239;? C&rsquo;est un point qui me parait crucial parce qu&rsquo;autour de cette question la n&eacute;buleuse du mouvement &eacute;cologiste est divis&eacute;e&nbsp;: d&rsquo;un c&ocirc;t&eacute; on retrouve des &eacute;co-citoyennistes, l&rsquo;&eacute;cologie des grandes ONG, de certaines personnalit&eacute;s, etc., qui sugg&egrave;rent que pour r&eacute;soudre les probl&egrave;mes socio-&eacute;cologiques actuels on peut et on doit compter sur l&rsquo;&Eacute;tat, sur les institutions existantes, qu&rsquo;il s&rsquo;agit donc de r&eacute;former, en quelque sorte. Et de l&rsquo;autre on retrouve les &laquo;&nbsp;&eacute;co-anarchistes&nbsp;&raquo; et d&rsquo;autres groupes et collectifs qui consid&egrave;rent que l&rsquo;&Eacute;tat est un ennemi, qu&rsquo;il fait partie du probl&egrave;me et qu&rsquo;il faudrait chercher &agrave; le d&eacute;manteler, ou au moins &agrave; r&eacute;duire son importance de mani&egrave;re drastique.</strong></p>
  51. <p>Je n&rsquo;ai pas du tout les comp&eacute;tences pour savoir si la situation socio-&eacute;cologique est incompatible avec toute forme de structure &eacute;tatique dans l&rsquo;absolu. Par contre, que l&rsquo;&Eacute;tat, avec ses structures actuelles, soit un ennemi qu&rsquo;il faille affronter de toutes les fa&ccedil;ons possibles, &ccedil;a me semble &agrave; peu pr&egrave;s certain. Croire que l&rsquo;on sortira de la crise &eacute;cologique par une discussion apais&eacute;e avec nos dirigeants, o&ugrave; ceux-ci prendraient enfin conscience de la situation et agiraient en cons&eacute;quence, est d&rsquo;une na&iuml;vet&eacute; qui pourrait &ecirc;tre touchante si ses cons&eacute;quences n&rsquo;&eacute;taient pas tragiques. Le projet de soci&eacute;t&eacute; qui est en train de prendre forme de fa&ccedil;on de plus en plus pr&eacute;cise, et qui va sans doute se parachever dans les ann&eacute;es qui viennent, ressemble de fa&ccedil;on d&eacute;concertante &agrave; celui imagin&eacute; par nombre de fictions d&rsquo;anticipation depuis des d&eacute;cennies d&eacute;j&agrave;&nbsp;: des ghettos de riches avec des jardins, prot&eacute;g&eacute;s par des hommes en armes, ou peut-&ecirc;tre seulement des drones tueurs, entour&eacute;s par des arm&eacute;es de pauvres affam&eacute;s qui ne conna&icirc;tront, comme toute biodiversit&eacute;, que les tiques et les punaises de lit. Ces pauvres qui seront rendus incapables de s&rsquo;organiser entre autres gr&acirc;ce &agrave; l&rsquo;espoir savamment entretenu de pouvoir entrer un jour dans le ghetto de riches &ndash; pour y laver le sol, garder les enfants ou livrer de la nourriture. Ce projet de soci&eacute;t&eacute; n&rsquo;a pas &eacute;t&eacute; choisi, ni planifi&eacute; par nos dirigeants&#8239;; il a simplement pris forme par la force des choses, via des successions de d&eacute;cisions prises par des gens qui suivaient &agrave; vue de nez leurs int&eacute;r&ecirc;ts de classe.</p>
  52. <p>Le point essentiel, c&rsquo;est que ce projet <em>leur convient</em>. &Ccedil;a ne serait sans doute pas leur premier choix &ndash; certains d&rsquo;entre eux ont certainement conscience que ces ghettos de riches ne seront pas pleinement &eacute;panouissants &ndash; mais faute de mieux, faute de disposer d&rsquo;une plan&egrave;te infinie qui permettrait une croissance infinie vers une mondialisation g&eacute;n&eacute;reuse pour tous, ce projet ira. Ils se disent, &agrave; raison sans doute, que gr&acirc;ce &agrave; leur pouvoir politique et &eacute;conomique, ils s&rsquo;en tireront toujours mieux que les autres, et &ccedil;a leur suffit pour se rassurer et envisager l&rsquo;avenir avec s&eacute;r&eacute;nit&eacute;. Ce projet leur convient en tout cas beaucoup mieux que celui propos&eacute; par les dangereux radicaux, et qui vise &agrave; &eacute;galiser un peu la situation de chacun face &agrave; la crise &eacute;cologique, via plus de justice sociale. Tout ce qui donne de la puissance au peuple, &agrave; ces arm&eacute;es de pauvres, tout ce qui leur conf&egrave;re de la capacit&eacute; &agrave; s&rsquo;organiser, est per&ccedil;u comme une menace existentielle pour le projet de soci&eacute;t&eacute; qu&rsquo;ils ont, sinon choisi, du moins accept&eacute;. Autrement dit, eux ont bien pris acte, et depuis un moment d&eacute;j&agrave;, que nous sommes des ennemis et qu&rsquo;il faut nous affronter. Il nous faut d&rsquo;urgence effectuer la m&ecirc;me prise de conscience si l&rsquo;on veut rattraper toute l&rsquo;avance qu&rsquo;ils ont prise dans ce combat. Eux, bien s&ucirc;r, ont tout int&eacute;r&ecirc;t &agrave; nier l&rsquo;existence de ce combat, &agrave; promouvoir une vision selon laquelle nous serions tous dans le m&ecirc;me bateau. Et les mouvements &eacute;co-citoyennistes dont tu parles sont donc pour eux des alli&eacute;s aussi inesp&eacute;r&eacute;s que d&eacute;terminants. Ils leur permettent avec une efficacit&eacute; remarquable d&rsquo;entretenir l&rsquo;illusion selon laquelle ils sont un peu b&ecirc;tes, un peu lents &agrave; comprendre, tout dirigeants qu&rsquo;ils sont. Ils nous encouragent ainsi implicitement &agrave; continuer &agrave; leur expliquer gentiment les choses, &agrave; essayer de les sensibiliser, avec des marches pour le climat et toutes sortes de mignonnes actions non-violentes qu&rsquo;ils trouvent sans doute tr&egrave;s divertissantes.</p>
  53. <p>Des amis, qui participent avec enthousiasme &agrave; ce genre d&rsquo;actions, r&eacute;pondraient que c&rsquo;est une forme de transition pour les gens, une &eacute;cole d&rsquo;&eacute;ducation populaire. Que l&rsquo;on ne passe pas en une nuit d&rsquo;une ignorance totale de la question &eacute;cologique au sabotage de chantier<sup><a id="post-10686-endnote-ref-14" href="#post-10686-endnote-14">[14]</a></sup>. Que tous ces marcheurs pour le climat vont, dans les ann&eacute;es qui viennent, face &agrave; l&rsquo;&eacute;vidence de la situation, accepter l&rsquo;id&eacute;e de l&rsquo;affrontement. Ils ont sans doute raison, c&rsquo;est une question complexe. On aimerait cela dit que ce projet soit annonc&eacute; un peu plus explicitement par ce genre de mouvements. J&rsquo;ai assist&eacute;, il y a quelques mois, au blocage des tours de la D&eacute;fense par Extinction Rebellion, Greenpeace et quelques autres. C&rsquo;&eacute;tait bon enfant, les CRS &eacute;vacuaient les bloqueurs avec le sourire. Exactement la m&ecirc;me journ&eacute;e, mais avec quelques banderoles annon&ccedil;ant d&rsquo;une fa&ccedil;on ou d&rsquo;une autre que cette journ&eacute;e &eacute;tait un d&eacute;but d&rsquo;&eacute;chauffement et que le mouvement allait rapidement passer &agrave; des actions beaucoup plus radicales, violentes si besoin, auraient compl&egrave;tement chang&eacute; l&rsquo;aspect de l&rsquo;&eacute;v&eacute;nement<sup><a id="post-10686-endnote-ref-15" href="#post-10686-endnote-15">[15]</a></sup>. On m&rsquo;a r&eacute;pondu que la discr&eacute;tion sur ce point &eacute;tait strat&eacute;gique&hellip; esp&eacute;rons.</p>
  54. <div class="caption"><img class="aligncenter size-large wp-image-10693" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1-714x1024.jpg" alt="" width="714" height="1024" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1-714x1024.jpg 714w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1-209x300.jpg 209w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1-768x1101.jpg 768w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1.jpg 800w" sizes="(max-width: 714px) 100vw, 714px"><noscript><img class="aligncenter size-large wp-image-10693" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P1-714x1024.jpg"></noscript></div>
  55. <div class="caption"><img class="aligncenter wp-image-10694" src="data:image/gif;base64,R0lGODlhAQABAIAAAAAAAP///yH5BAEAAAAALAAAAAABAAEAAAIBRAA7" data-src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P2-2.jpg" alt="" width="701" height="542" data-srcset="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P2-2.jpg 777w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P2-2-300x232.jpg 300w, https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P2-2-768x593.jpg 768w" sizes="(max-width: 701px) 100vw, 701px"><noscript><img class="aligncenter wp-image-10694" src="https://www.partage-le.com/wp-content/uploads/2019/07/P2-2.jpg"></noscript></div>
  56. <p>L&rsquo;autre objection, qui contient un peu plus de mauvaise foi, consiste &agrave; demander ce qu&rsquo;on mettra &agrave; la place de l&rsquo;&Eacute;tat une fois celui-ci renvers&eacute;. Et c&rsquo;est aussi pour r&eacute;pondre &agrave; cette objection que des mouvements de type ZAD &ndash; et, bien s&ucirc;r, le Chiapas &ndash; sont si essentiels. Ils se collettent &agrave; cette question en acte, en la confrontant &agrave; la r&eacute;alit&eacute; pour chaque facette de l&rsquo;existence.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Une tribune a r&eacute;cemment &eacute;t&eacute; publi&eacute;e sur Reporterre intitul&eacute;e </strong><a href="https://reporterre.net/L-achat-des-terres-a-l-Etat-signe-la-mort-politique-de-la-Zad-de-Notre-Dame-des"><strong>&laquo;&nbsp;L&rsquo;achat des terres &agrave; l&rsquo;&Eacute;tat signe la &laquo;&nbsp;mort politique&nbsp;&raquo; de la Zad de Notre-Dame-des-Landes&nbsp;&raquo;</strong></a><strong>. Ses auteurs d&eacute;plorent que, sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, &laquo;&nbsp;une partie du mouvement se soit conform&eacute;e aux r&egrave;gles du jeu dict&eacute;es par l&rsquo;&Eacute;tat&nbsp;&raquo;. Accepter de lui acheter le plus de terres possibles serait un &laquo;&nbsp;renoncement&nbsp;&raquo; et signerait la &laquo;&nbsp;mort politique&nbsp;&raquo; de la Zad. Ils &eacute;crivent notamment que&nbsp;:</strong></p><blockquote>
  57. <p><strong>&laquo;&nbsp;Le recours &agrave; l&rsquo;achat et au m&eacute;c&eacute;nat est en totale rupture avec l&rsquo;imaginaire de nombreuses luttes paysannes, comme celle du Mouvement des sans terre au Br&eacute;sil qui revendique une r&eacute;forme agraire juste et non commerciale, et non pas la vente des terres et l&rsquo;endettement des paysans. Comme les paysans zapatistes du Chiapas, qui entretiennent depuis plus de vingt ans un rapport de forces avec les autorit&eacute;s mexicaines, et revendiquent le l&eacute;gitime acc&egrave;s &agrave; la terre et au territoire.&nbsp;&raquo;</strong></p></blockquote><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Qu&rsquo;en penses-tu&#8239;? </strong></p>
  58. <p>Pour la r&eacute;ponse d&eacute;taill&eacute;e &agrave; cette tribune je renvoie au texte &eacute;crit par des habitants de la Zad, paru le lendemain dans Reporterre&nbsp;:</p>
  59. <p><a href="https://reporterre.net/Notre-Dame-des-Landes-La-Zad-est-bien-vivante-et-fait-vivre-l-alternative">https://reporterre.net/Notre-Dame-des-Landes-La-Zad-est-bien-vivante-et-fait-vivre-l-alternative</a></p>
  60. <p>Je rappelle juste que le fonds de dotation lanc&eacute; par la ZAD pour le rachat des terres<sup><a id="post-10686-endnote-ref-16" href="#post-10686-endnote-16">[16]</a></sup> est aliment&eacute; par des dons sans contrepartie. M&ecirc;me le terme de m&eacute;c&eacute;nat est inappropri&eacute; puisqu&rsquo;il n&rsquo;est pas m&ecirc;me possible d&rsquo;en retirer du capital symbolique. C&rsquo;est donc un principe qui est aux antipodes du capitalisme. Le don sans contrepartie, comme la gratuit&eacute; ou la vente &agrave; prix libre, font pr&eacute;cis&eacute;ment partie des outils qui permettent d&rsquo;attaquer frontalement le mythe de l&rsquo;ind&eacute;pendance des faits &eacute;conomiques, de r&eacute;encastrer la sph&egrave;re &eacute;conomique dans la r&eacute;alit&eacute; des faits sociaux, en mettant au premier plan les logiques de solidarit&eacute; et d&rsquo;entre-aide qu&rsquo;une &eacute;conomie autonome a besoin de faire dispara&icirc;tre. Le fonds de dotation est une structure juridique qui est certes l&eacute;gale, mais qui fait partie de ces outils juridiques qui, selon la fa&ccedil;on dont ils sont employ&eacute;s, peuvent alimenter le capitalisme (les grands groupes ont des fonds de dotation pour d&eacute;fiscaliser), ou le combattre.</p>
  61. <p>Dans la configuration particuli&egrave;re de la ZAD, qui n&rsquo;&eacute;tait pas en mesure de lancer une offensive arm&eacute;e contre l&rsquo;&Eacute;tat comme l&rsquo;ont fait &agrave; leur d&eacute;but les zapatistes, le fonds de dotation est l&rsquo;outil le plus appropri&eacute; pour p&eacute;renniser la pratique des communs, et donc le type de relations entre humains et avec les non-humains qui fondent l&rsquo;entreprise r&eacute;volutionnaire de la ZAD. M&ecirc;me s&rsquo;il n&rsquo;est pas possible de s&rsquo;en vanter publiquement, il est bien clair que les usages des terres de la ZAD ne se limiteront pas &agrave; ce qui est d&eacute;clar&eacute; administrativement. On ne se &laquo;&nbsp;conforme aux r&egrave;gles de l&rsquo;&Eacute;tat&nbsp;&raquo; qu&rsquo;en apparence. La propri&eacute;t&eacute; collective sous-tendue par le fonds de dotation va permettre de maintenir et de continuer &agrave; densifier la superposition des usages &ndash; agricoles et non agricoles &ndash; et de se prot&eacute;ger des logiques &eacute;conomiques par lesquelles l&rsquo;&Eacute;tat esp&egrave;re ass&eacute;cher la ZAD.</p>
  62. <p>Je rentre juste de la ZAD o&ugrave; avait lieu ce week-end le festival Zad envies. Comme chaque &eacute;t&eacute;, un collectif &eacute;tait l&agrave; pour poursuivre la construction d&rsquo;un ch&acirc;teau en pierres de taille, il y avait des migrants qui venaient &eacute;changer sur leur situation, de nombreux Gilets jaunes qui d&eacute;couvraient la ZAD, certains donnaient leur avis sur le temp&eacute;rament fac&eacute;tieux d&rsquo;un cheval de trait qui venait d&rsquo;arriver. Il y avait des conf&eacute;rences et des rencontres sur une foule de sujets, dont l&rsquo;organisation du contre G7 &agrave; Biarritz, des projections, des concerts de musique bretonne, de punk, de musique cr&eacute;ole. J&rsquo;ai aussi vu une troupe d&rsquo;une vingtaine de bec-crois&eacute;s des sapins qui a r&eacute;cemment fait son apparition dans la for&ecirc;t de Rohanne et d&rsquo;&eacute;normes &eacute;closions de crapauds communs et de grenouilles agiles. Bref, je n&rsquo;ai pas eu le sentiment d&rsquo;&ecirc;tre sur un territoire occup&eacute; par une poign&eacute;e d&rsquo;exploitants agricoles tristes et capitalistes.</p><p style="text-align: justify; padding-left: 40px;"><strong>Selon toi, quel devrait donc &ecirc;tre l&rsquo;objectif du mouvement &eacute;cologiste&#8239;?</strong></p>
  63. <p>Le c&oelig;ur de mon argument a &eacute;t&eacute; de montrer que l&rsquo;objectif fondamental d&rsquo;une lutte &eacute;cologiste est d&rsquo;instituer la relation de sujet &agrave; sujet avec les non-humains comme relation par d&eacute;faut, comme la fa&ccedil;on d&rsquo;&ecirc;tre qui structure l&rsquo;ensemble des normes sociales. Puisque cet objectif est incompatible avec la supr&eacute;matie accord&eacute;e par l&rsquo;Occident moderne au jeu &eacute;conomique, j&rsquo;en ai d&eacute;duit qu&rsquo;une lutte &eacute;cologiste qui accepte les r&egrave;gles de ce jeu est inutile ou n&eacute;faste.</p>
  64. <p>La r&eacute;ciproque est vraie aussi&nbsp;: d&egrave;s lors qu&rsquo;une lutte s&rsquo;en prend &agrave; l&rsquo;autonomie de la sph&egrave;re &eacute;conomique, m&ecirc;me si elle n&rsquo;a semble-t-il pas de rapport avec l&rsquo;&eacute;cologie, elle pose les bases d&rsquo;une lutte &eacute;cologiste efficace. C&rsquo;est le cas du mouvement des Gilets jaunes. Tr&egrave;s rapidement, il s&rsquo;est affirm&eacute; comme une attaque contre les fondamentaux du jeu &eacute;conomique&nbsp;: des gens refusaient le statut d&rsquo;objet qui leur &eacute;tait socialement attribu&eacute; et aspiraient &agrave; redevenir des sujets. Ils ne voulaient plus &ecirc;tre des marchandises interchangeables et jetables &ndash; des ressources humaines &ndash; dont la valeur, ou l&rsquo;absence de valeur, ne d&eacute;pend que de la fonction remplie dans les activit&eacute;s &eacute;conomiques.</p>
  65. <p>Cette prise de conscience non seulement ouvre les espaces n&eacute;cessaires pour tisser des relations de sujet &agrave; sujet entre humains et avec les non-humains, mais aussi instaure les pr&eacute;misses d&rsquo;une solidarit&eacute; spontan&eacute;e avec les autres objets qui aspirent &agrave; devenir des sujets, &agrave; savoir les non-humains &ndash; plantes, animaux, &eacute;cosyst&egrave;mes, milieux de vie, etc. Le mouvement des Gilets jaunes est le premier moment d&rsquo;une lutte &eacute;cologiste qui a du sens. Et le coup de foudre r&eacute;ciproque qu&rsquo;il y a eu entre des habitants de la ZAD et des Gilets jaunes de Nantes, Saint-Nazaire, Rennes ou Rouen en est une manifestation (alors que nombre de ces Gilets jaunes, avant de s&rsquo;engager dans cette lutte, n&rsquo;auraient sans doute jamais voulu mettre les pieds sur la ZAD, qu&rsquo;ils devaient consid&eacute;rer comme peupl&eacute;e de clochards infest&eacute;s de poux).</p>
  66. <p>Ce qui ressort aussi de tout &ccedil;a, bien s&ucirc;r, est que l&rsquo;attribution du statut de sujet aux non-humains n&rsquo;est pas une op&eacute;ration qui peut s&rsquo;accomplir individuellement. Vivre dans un monde o&ugrave; la sph&egrave;re &eacute;conomique institue la valeur marchande comme finalit&eacute; de toute chose en verrouille la possibilit&eacute;. Pour r&eacute;ussir cette op&eacute;ration, il est donc imp&eacute;ratif de soustraire des territoires &agrave; son influence, des territoires suffisamment &eacute;tendus pour que la relation de sujet &agrave; sujet soit r&eacute;ellement stabilis&eacute;e socialement et joue un r&ocirc;le d&rsquo;architecte dans la gen&egrave;se des normes implicitement ou explicitement accept&eacute;es par le groupe. Les ZAD en sont le paradigme, mais de nombreuses autres possibilit&eacute;s existent. L&rsquo;un des r&ocirc;les majeurs du mouvement &eacute;cologiste serait donc de cr&eacute;er de tels territoires et de densifier les interactions et la solidarit&eacute; entre tous les espaces o&ugrave; la sph&egrave;re &eacute;conomique a &eacute;t&eacute; au moins partiellement mise hors d&rsquo;&eacute;tat de nuire &ndash; les ronds-points, les maisons du peuple, les squats, les ZAD, etc.</p><hr><ol style="text-align: justify;"><li id="post-10686-endnote-1">Philippe Descola, <em>Par del&agrave; Nature et Culture</em>, Gallimard. <a href="#post-10686-endnote-ref-1">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-2">Reprenant les th&egrave;ses de Karl Polanyi, Gr&eacute;goire Chamayou, dans <em>La soci&eacute;t&eacute; ingouvernable</em>, note &laquo;&nbsp;L&rsquo;&eacute;conomie de march&eacute;, &eacute;crivait Hayek, est un &laquo;&nbsp;cosmos spontan&eacute;&nbsp;&raquo;. Un monde, peut-&ecirc;tre&#8239;; spontan&eacute;, certainement pas. [&hellip;] Non seulement cet univers [&hellip;] est activement construit mais, plus encore, il requiert, en ce qu&rsquo;il est immanquablement contest&eacute; en ses effets, d&rsquo;&ecirc;tre inlassablement r&eacute;impos&eacute; par des strat&eacute;gies conscientes&nbsp;&raquo; (p. 68). <a href="#post-10686-endnote-ref-2">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-3"><a href="https://blog.mondediplo.net/les-sociopathes-de-france-telecom-a-macron">https://blog.mondediplo.net/les-sociopathes-de-france-telecom-a-macron</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-3">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-4"><a href="https://partage-le.com/2019/02/democratie-photovoltaique-par-nicolas-casaux/" target="_blank" rel="noopener noreferrer">https://partage-le.com/2019/02/democratie-photovoltaique-par-nicolas-casaux/</a><a href="https://partage-le.com/2017/07/letrange-logique-derriere-la-quete-denergies-renouvelables-par-nicolas-casaux/" target="_blank" rel="noopener noreferrer"> https://partage-le.com/2017/07/letrange-logique-derriere-la-quete-denergies-renouvelables-par-nicolas-casaux/</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-4">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-5"><a href="https://www.cairn.info/revue-communications-2013-2-page-11.htm">https://www.cairn.info/revue-communications-2013&ndash;2-page-11.htm#</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-5">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-6"><a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&amp;lr=&amp;id=hjtYDgAAQBAJ&amp;oi=fnd&amp;pg=PP1&amp;dq=sperber+mercier+enigma+of+reason&amp;ots=aOKcuzjWkx&amp;sig=QbNWIZuiPxeJuQdyUdjT10CRIdA#v=onepage&amp;q=sperber%20mercier%20enigma%20of%20reason&amp;f=false">https://books.google.fr/books?hl=fr&amp;lr=&amp;id=hjtYDgAAQBAJ&amp;oi=fnd&amp;pg=PP1&amp;dq=sperber+mercier+enigma+of+reason&amp;ots=aOKcuzjWkx&amp;sig=QbNWIZuiPxeJuQdyUdjT10CRIdA#v=onepage&amp;q=sperber%20mercier%20enigma%20of%20reason&amp;f=false</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-6">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-7"><a href="https://grozeille.co/nous-ne-renoncerons-a-rien/">https://grozeille.co/nous-ne-renoncerons-a-rien/</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-7">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-8">Gr&eacute;goire Chamayou &eacute;crit qu&rsquo;il s&rsquo;op&egrave;re dans les ann&eacute;es 70 un &laquo;&nbsp;basculement dans les th&eacute;ories de la r&eacute;volte. Pourquoi s&rsquo;insurge-t-on&#8239;? On disait&nbsp;: par n&eacute;cessit&eacute;. On va dire&nbsp;: parce qu&rsquo;on en a le luxe&nbsp;&raquo;. (<em>op. cit.</em> p.21). <a href="#post-10686-endnote-ref-8">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-9">&laquo;&nbsp;L&rsquo;objectif du gel des salaires, confia l&rsquo;un des conseillers de la Maison Blanche, &eacute;tait de &laquo;&nbsp;zapper le travail, et c&rsquo;est ce que nous avons fait&nbsp;&raquo;. Cette politique commen&ccedil;ant &agrave; porter ses fruits, un r&eacute;dacteur de fortune entrevoyait enfin, en 1971, des raisons d&rsquo;esp&eacute;rer&nbsp;: si la hausse du ch&ocirc;mage devait se confirmer, &laquo;&nbsp;le travail pourrait tr&egrave;s vite changer d&rsquo;attitude&nbsp;&raquo;. Car il faut savoir que &laquo;&nbsp;m&ecirc;me un petit nombre de licenciements peut avoir un effet spectaculaire&nbsp;&raquo; pour calmer les ardeurs contestataires.&nbsp;&raquo; (<em>op. cit. </em>p.28). <a href="#post-10686-endnote-ref-9">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-10">L&rsquo;une des m&eacute;thodes d&eacute;crites par Chamayou est r&eacute;sum&eacute;e ici&nbsp;: <a href="https://lundi.am/Reduire-les-Gilets-Jaunes-par-l-arme-psychologique">https://lundi.am/Reduire-les-Gilets-Jaunes-par-l-arme-psychologique</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-10">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-11"><a href="https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/bruno-latour-le-peuple-a-ete-froidement-trahi">https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/bruno-latour-le-peuple-a-ete-froidement-trahi</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-11">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-12"><a href="https://lundi.am/Les-Gilets-Jaunes-de-St-Nazaire-et-leur-Maison-du-Peuple">https://lundi.am/Les-Gilets-Jaunes-de-St-Nazaire-et-leur-Maison-du-Peuple</a><a href="https://zadibao.net/2019/01/16/noel-a-saint-tropez-paques-au-gibet/"> https://zadibao.net/2019/01/16/noel-a-saint-tropez-paques-au-gibet/</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-12">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-13">Samuel Figui&egrave;re, <em>La Voie des chevriers</em>, Steinkis. <a href="#post-10686-endnote-ref-13">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-14">Corine Morel Darleux, <em>Plut&ocirc;t couler en beaut&eacute; que flotter sans gr&acirc;ce, </em>Les liens qui lib&egrave;rent. <a href="#post-10686-endnote-ref-14">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-15"><a href="https://puntish.blogspot.com/2019/05/marche-pour-le-climat.html">https://puntish.blogspot.com/2019/05/marche-pour-le-climat.html</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-15">&uarr;</a></li><li id="post-10686-endnote-16"><a href="https://encommun.eco/contribuez">https://encommun.eco/contribuez</a> <a href="#post-10686-endnote-ref-16">&uarr;</a></li></ol>
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