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  1. title: La culture en partage
  2. url: http://www.lettresvives.org/2019/09/22/la-culture-en-partage/
  3. hash_url: 56d463b169644b98a01a692b9be591c5
  4. <p>Nous sommes un collectif, nous défendons une pratique collective, ce texte a donc été écrit collectivement, nous le signons tou·tes, mais aucun·e de nous ne peut se voir assigner le statut d’auteur ou d’autrice de ce texte. Il est notre réponse aux attaques d’une rare violence dont ont été l’objet certaines d’entre nous autour de la pratique de l’arpentage.</p>
  5. <p>La
  6. lecture en arpentage consiste à partager les pages d’un livre et à
  7. les distribuer à un collectif. Il s’agit d’une pratique issue de
  8. l’éducation populaire et ouvrière qui offre la possibilité de
  9. mettre en mouvement l’intelligence d’un groupe. À l’origine,
  10. elle a été pratiquée par les ouvriers pour s’approprier des
  11. textes législatifs ou politiques. En ce sens, elle représente une
  12. forme d’autogestion et d’autodidactie collective qui permet de se
  13. passer de la glose de l’expert, quel qu’il soit. C’est une
  14. pratique qui vise à l’autonomie du collectif concerné. Dans les
  15. maquis du Vercors, les résistants, conscients de la nécessité de
  16. lutter aussi par la pensée, ont repris cette pratique de lecture.
  17. Elle permet un partage de la culture, « légitime »
  18. autant qu’ouvrière. Ce partage prend la forme d’un échange de
  19. points de vue et permet aux membres du groupe d’affermir leur
  20. pratique argumentative mais aussi de questionner le sens, la
  21. structure ou encore la portée de l’œuvre. En somme, c’est un
  22. outil d’accès à la culture par le partage et par la réflexion
  23. critique.</p>
  24. <p><strong>Récits
  25. d’arpentages</strong></p>
  26. <p>Certain.es
  27. d’entre nous ont expérimenté ce mode de lecture à l’occasion
  28. de formations et de stages syndicaux. Preuve que cette pratique n’a
  29. jamais véritablement disparu et constitue, hier comme aujourd’hui,
  30. un des outils de l’éducation populaire. Nous avons par exemple eu
  31. le plaisir de partager un de ces moments autour du livre <em>La Force
  32. du collectif </em>aux éditions Libertalia (1) lors du stage
  33. Résistances collectives (automne 2018). Cet ouvrage qui revient sur
  34. la lutte des ouvrier.ères de l’usine Lip, dans les années
  35. soixante-dix, se prêtant particulièrement bien – dans la forme
  36. comme dans le fond – à cet exercice. C’est à travers ce genre
  37. de formations que la lecture en arpentage continue son cheminement,
  38. se diffuse et séduit des éducateur.trices.</p>
  39. <p>Ramené
  40. à la question de la didactique des Lettres, l’arpentage devient
  41. une pratique d’entrée dans la lecture, notamment pour des œuvres
  42. qu’on pourrait considérer <em>a priori</em> comme difficiles. Il
  43. faut bien faire le constat suivant : dire à des élèves de
  44. 2nde, de 1ère, de n’importe quel âge : « Vous lirez
  45. (au choix) <em>Phèdre</em>, <em>Le Rouge et le noir</em>, etc. pour dans
  46. trois semaines et il y aura un test de lecture », nous n’y
  47. arrivons plus. Laisser certain·es élèves dans cette souffrance et
  48. cette solitude face à l’acte de lecture n’est pas envisageable
  49. pour nous. C’est pourquoi nous accompagnons l’entrée dans la
  50. lecture de multiples façons, en essayant, en tâtonnant, en adaptant
  51. des méthodes, etc., ce qui constitue aussi une grande partie de
  52. notre métier, tel que nous le concevons. Plus jamais cette
  53. injonction : « Lisez ! », sans accompagner,
  54. sans créer d’appétence pour les textes, sans recontextualiser,
  55. sans donner sens et vie à ces textes du passé pour qu’ils
  56. trouvent une nouvelle réalisation dans l’esprit des élèves.</p>
  57. <p>L’arpentage
  58. se fait en début de séquence, les élèves ont ensuite à lire
  59. l’œuvre <em>in extenso</em>. Les témoignages de pratique
  60. concordent : les élèves affirment qu’ils et elles ont envie,
  61. que cela leur semble plus abordable, plein de questions se posent,
  62. leur curiosité est en éveil.</p>
  63. <p>Parlons,
  64. puisque c’est un des points de départ de cette polémique, de la
  65. séance à propos du roman de Marguerite Yourcenar : « <em>Mais
  66. Hadrien il aime les hommes ou les femmes ? » « Pourquoi
  67. parle-t-il tant de la mort ? » « Quel regard a-t-il
  68. sur lui ? » « Ressemble-t-il à Yourcenar ? </em>»
  69. Dans la salle, au bout du compte, tout le monde est en train de
  70. chercher des cartes de l’Empire romain, les monuments évoqués
  71. dans l’œuvre, des bustes des personnages, des éléments
  72. d’information sur la vie de Yourcenar (« e<em>lle adorait la
  73. Grèce elle aussi », « elle voyageait beaucoup </em>»,
  74. etc.). Dans une des deux 1ère, une élève a aimé un passage, l’a
  75. lu à tout le monde, ce qui a abouti à la modification du programme
  76. de lecture linéaire pour y inclure ce passage qui s’est révélé
  77. si pertinent. Voici des mots entendus : « <em>Maintenant,
  78. c’est notre livre. », « C’était génial, tous
  79. ensemble on a lu un livre en deux heures et on ne s’est pas
  80. ennuyés, on a discuté</em>. ». C’est une activité pour
  81. déclencher la lecture, et ça marche.</p>
  82. <p>L’effet
  83. professeur ne suffit pas à expliquer ce résultat. En effet, une
  84. autre collègue a utilisé le procédé de l’arpentage avec
  85. <em>Enfance</em>, de Nathalie Sarraute. Avant cela, les deux activités
  86. menées pour entrer dans l’œuvre n’avaient pas permis de
  87. démarrer : certain·es élèves avouaient ne rien comprendre,
  88. plusieurs n’avaient même pas encore sérieusement ouvert le livre.
  89. La professeure annonce : « <em>Mercredi, on va essayer
  90. quelque chose.</em> »</p>
  91. <p>Mercredi
  92. matin, donc, ils découvrent la salle installée en U. Passée la
  93. petite émotion provoquée par cette disposition des tables, chacun
  94. trouve une place. La séance commence par l’annonce d’une
  95. activité qui suppose qu’ils échangent ensemble, d’où la
  96. disposition des tables. La méthode de l’« arpentage »
  97. est présentée (le mot « ouvriers » accroche leur
  98. attention, nettement) puis l’exemplaire neuf, acheté la veille
  99. pour le partager, est sorti. On fait le compte des pages, on divise
  100. par le nombre de participants. Ce sera huit chacun. La professeure
  101. casse la reliure et commence à séparer et distribuer les pages.
  102. Réaction affolée de certain·es :</p>
  103. <p>« <em>Madame,
  104. ça fait mal au cœur ! Vous avez dépensé 7 euros et vous
  105. détruisez le livre !</em></p>
  106. <p>–
  107. <em>Je ne le détruis pas, je le
  108. partage. Chacun gardera ses pages jusqu’à la fin de l’étude. </em>»</p>
  109. <p>Ils
  110. sortent les carnets de lecture, ouvrent une nouvelle double page :
  111. une page pour prendre en notes tout ce que chacun comprend de ses
  112. huit pages et la page en face pour relever remarques, questions,
  113. éventuellement citations. Passé le moment de trouble et de doute,
  114. c’est parti ! Vingt minutes de lecture absolument silencieuse
  115. et concentrée. Même les plus résistant·es au carnet de lecture
  116. finissent par prendre des notes : double réussite, lecture de
  117. Sarraute et investissement du carnet ! La classe est tellement
  118. silencieuse qu’il a fallu sortir plusieurs fois pour demander à
  119. des élèves dans le couloir de faire moins de bruit. Au retour dans
  120. la salle, personne n’a bougé, tout le monde lit. C’est un
  121. véritable moment de grâce.</p>
  122. <p>Au
  123. bout de vingt minutes, on lance la mise en commun. Une des élèves,
  124. qui connaît déjà la professeure et sait que toute remarque est
  125. possible, dit : « <em>Ça sert à rien, ce qu’on vient de
  126. faire ! À quoi ça sert de lire juste un morceau ? On peut
  127. lire tout le livre !</em> »</p>
  128. <p>Il
  129. faut alors rappeler que personne n’y arrivait, que l’idée est
  130. d’essayer de trouver une solution pour que tout le monde puisse
  131. lire effectivement le livre en entier, mais peut-être en partant des
  132. pages dont chacun·e est responsable, en élargissant à partir de
  133. cette première expérience.</p>
  134. <p>Il ne reste que quelques minutes de mise en commun, qui porte essentiellement sur les personnages. Il se passe alors quelque chose d’étonnant : ils parviennent à perdre la professeure malgré sa maîtrise du texte ! Heureusement, pour chaque question, il y a toujours un élève qui a compris ou vu. On parvient même à mettre en place les éléments essentiels concernant l’enfance de Nathalie Sarraute… et puis ça sonne, trop tôt, trop vite. On essaiera de reprendre tout ça lundi. L’idée émerge de compléter un petit dictionnaire des personnages. Sans doute aussi une petite chronologie. À voir. En tout cas, il y a une belle matière à exploiter dans les jours voire les semaines à venir !</p>
  135. <p>
  136. <strong>L’arpentage :
  137. une pratique qui dérange ?</strong></p>
  138. <p>Mais
  139. le témoignage ne suffira sans doute pas, d’autant que nous ne
  140. sommes pas à l’abri de la mauvaise foi qui refuserait de nous
  141. croire. Aussi éprouvons-nous le besoin de proposer une lecture plus
  142. théorique de l’objet didactique arpentage.</p>
  143. <p>
  144. La question du
  145. <em>corpus</em></p>
  146. <p>Les
  147. méthodes didactiques, même les plus classiques, ont toujours
  148. découpé des œuvres pour des besoins pédagogiques, tout simplement
  149. parce qu’il est impossible de faire lire trop d’œuvres en entier
  150. à des élèves et qu’il faut parfois se contenter de leur faire
  151. lire des extraits, pour leur en donner un aperçu. Cela ne choque
  152. personne qu’on fasse lire en classe le même extrait à tout le
  153. monde alors que bien souvent, cela assèche une œuvre littéraire,
  154. vue à travers trois textes, et souvent les mêmes à travers la
  155. France. Avec l’arpentage, ce sont des extraits multiples qui sont
  156. lus, consignés, restitués et discutés par l’ensemble de la
  157. classe.</p>
  158. <p>La
  159. raison n’est donc pas à chercher dans une critique de la lecture
  160. d’extraits en classe. Qu’est-ce qui donc dérange autant, au
  161. point de se permettre des insultes ?</p>
  162. <p>
  163. Le livre, objet sacré ?</p>
  164. <p>En
  165. observant les élèves travaillant sur leurs pages, nous avons pensé
  166. à l’étymologie du mot « <em>corpus </em>» et au
  167. rapport entre le travail sur le texte et l’exercice de dissection
  168. pour les études médicales, à l’image de <em>La leçon d’anatomie</em>
  169. de Rembrandt. Or cette idée d’une connaissance exploratrice,
  170. expérimentale, désacralisante ne gêne pas en soi, elle s’oppose
  171. à une autre conception de la pédagogie des lettres. Il n’est
  172. qu’à lire le passionnant ouvrage de Clémence Cardon-Quint qui
  173. éclaire les fondamentaux de l’enseignement du français tels
  174. qu’ils s’instituent dans les années 30 à 50 : «<em> le
  175. canon scolaire</em> » des œuvres à étudier, des programmes
  176. sous-tendus par les notions de goût (à forger) et de patrimoine (à
  177. transmettre), le nombre et la longueur des textes à aborder dans
  178. l’année, l’explication de texte, « <em>gloire de
  179. l’enseignement français</em> » et dont les étapes sont
  180. codifiées par l’Inspection elle-même, une conception quasi
  181. religieuse des professeur·es de français. Ils et elles sont
  182. chargé·es de faire percevoir «<em> l’humanité éternelle </em>»
  183. à travers la littérature, elle-même sacralisée comme lieu d’une
  184. « <em>révélation</em> » ; il doit se faire
  185. « <em>intercesseur</em> » pour favoriser le culte des
  186. « <em>grands</em> <em>écrivains</em> » ; le cours de
  187. français est le « <em>théâtre d’une expérience qui engage
  188. tout entière la personnalité des parties en présence </em>»….
  189. Cette sacralisation a trouvé corps dans l’objet livre, dont le
  190. découpage et le partage lors de l’arpentage a été dénoncé
  191. comme un crime horrifiant.</p>
  192. <p>On
  193. sait combien la pratique de la dissection se heurta aux violentes
  194. résistances du pouvoir religieux. Certain·es profs de lettres
  195. craindraient-ils/elles de perdre ce qu’ils/elles considèrent
  196. comme leur mission (répandre, en chaire, la foi en la littérature
  197. auprès d’élèves non-croyant·es) et le statut (de prélat) qui
  198. va avec ?</p>
  199. <p>On
  200. fera remarquer en passant que les nouveaux programmes de français
  201. au lycée vont dans leur sens : des programmes patrimoniaux qui
  202. invitent à la célébration des « <em>grandes</em> <em>œuvres</em> »
  203. et à la glose respectueuse, des « <em>programmes pour les
  204. héritiers</em> » comme le disait Denis Paget dans <em>Le Café
  205. pédagogique</em>.</p>
  206. <p>
  207. Une quête du sens</p>
  208. <p>Sur
  209. le plan didactique, pourtant, certaines critiques nous ont paru
  210. recevables. Ainsi le fait d’aborder une œuvre par bribes fait-il
  211. disparaître son unité ? Cela s’entend. Cependant, nous
  212. avons la conviction que la reconstruction collective de la logique
  213. de l’œuvre induit des interrogations sur le choix d’écriture ;
  214. le réseau des récurrences, le travail de sériation qui font œuvre
  215. apparaissent comme des évidences. De fait, l’entrée dans l’œuvre
  216. est morcelée, mais permet le travail de réception et
  217. d’appropriation de l’œuvre en ceci que l’arpentage construit
  218. ce qu’il est convenu d’appeler des <em>horizons d’attente</em>.</p>
  219. <p>Mais,
  220. de nouveau, nous entendons les frissons d’horreur, les voix qui
  221. convoquent l’histoire de la censure, à l’idée de déchirer un
  222. livre.</p>
  223. <p>La
  224. portée symbolique du geste peut effectivement faire question. Mais
  225. précisément, voilà un formidable objet didactique : il serait
  226. intéressant que nous, profs de lettres, nous prenions appui sur ces
  227. réactions effarées de certain·es jeunes (et/ou collègues) pour
  228. lancer un travail de recherche, ou un débat sur cette symbolique,
  229. voire une petite histoire des livres détruits afin que soit perçue
  230. toute la portée symbolique de la culture, comme source
  231. d’émancipation pour les dominé·es, ou comme instrument de
  232. domination. Nous pourrions questionner la démarche même de
  233. l’arpentage avec les jeunes et non pas juste l’apporter et
  234. l’imposer.</p>
  235. <p>Nous précisons toutefois que le livre n’est pas brûlé mais partagé : cela n’est pas le même geste. Nous renvoyons aux analyses de Claude Lévi-Strauss sur le cru et le cuit pour dire qu’il nous plaît de penser que la classe peut être une société où l’on pratique la cueillette. Le livre est également désacralisé, ce qui, dans le cadre d’analyse qui est le nôtre, nous parait une nécessité.</p>
  236. <p>
  237. <strong>Contre le dogmatisme littéraire</strong></p>
  238. <p>En fait, nous revenons au religieux, cette question de la sacralisation nous semble centrale. Elle explique la violence inouïe de certaines réactions qui considèrent l’arpentage comme iconoclaste. Par principe et par préjugé : ces « haters » ont-ils lu tout le fil d’Hélène ? Ont-ils lu l’article sur Lettres vives ? Ont-ils lu l’interview d’Aurore Delubriac publiée dans le <em>Café pédagogique</em>?</p>
  239. <p>Nous
  240. sommes toujours disposé.es à l’échange sur les questions
  241. didactiques, mais pas disponibles pour l’invective. Nous avons tout
  242. lu, vu apparaître toute la sémantique utilisée pour critiquer
  243. n’importe quelle démarche pédagogique sans distinction de qui et
  244. de pourquoi, sans aucune cohérence. À croire que ces personnes
  245. n’ont pas d’autre argumentaire. Nous avons lu les mêmes mots
  246. pour d’autres pratiques diffusées sur les réseaux sociaux :
  247. « <em>pédagauchiste », « Hitler », « relent
  248. de révolution culturelle », « on sait ce que cela a
  249. donné au Cambodge », « dérives », « démagogie »,
  250. « pédagogistes », « le regret des années
  251. soixante », « z’innovants », « qu’une
  252. météorite géante mette fin à tout cela », « cette
  253. merde », « la connerie humaine », « le Cercle
  254. des poètes disparus », « nauséabonde », « abrutis
  255. bouffis d’orgueil », « l’Enfer est pavé des
  256. meilleures intentions », « un nouveau populisme »,
  257. « petit-bourgeois », « totalitaire »</em>. Il
  258. tombait des injures comme s’il en pleuvait.</p>
  259. <p>Cette
  260. violence-là a effectivement quelque chose de religieux, et pas dans
  261. le plus beau sens du terme. Elle est révélatrice d’un certain
  262. rapport au livre : c’est la confusion, entre le support
  263. imprimé et l’œuvre elle-même, entre l’objet et le texte, entre
  264. le « <em>corps</em> » et « <em>l’âme</em> »,
  265. pour reprendre les mots de l’historien Roger Chartier. L’activité
  266. évoquée n’a rien de numérique en elle-même, mais elle nous met
  267. face à ce qui constitue pour beaucoup une terreur actuelle, une
  268. question refoulée, un défi peu pris en considération :
  269. comment vivre « <em>après le livre </em>» pour reprendre
  270. un titre de François Bon ? Comment inventer un autre rapport à
  271. l’écrit en dehors du papier imprimé ? Beaucoup de profs de
  272. lettres auraient-ils peur des mutations en cours ?…</p>
  273. <p>Cette
  274. conception du livre rejoint une relation à la littérature, de
  275. l’ordre de la foi, issue de nos « goûts », de notre
  276. parcours, de notre éducation : pour un « littéraire »,
  277. tout livre, sanctifié, est considéré comme le Livre ;
  278. l’auteur lui-même – et le masculin est volontaire – est un
  279. être d’exception, un élu, un génie, un « albatros ».
  280. Or cette relation à la littérature est située dans le temps et
  281. dans l’espace, elle est relative : le mot « littérature »
  282. n’existait pas dans son sens actuel avant le XIX<sup>e</sup> siècle,
  283. Alain Viala a bien étudié l’avènement progressif de la
  284. figure de l’auteur et William Marx remarquablement éclairé
  285. « <em>l’adieu à la littérature </em>»… En tant que
  286. profs de lettres, sommes-nous capables de nous décentrer, d’adopter
  287. une vision historique plus large, de sortir d’un certain
  288. ethnocentrisme ? Dit autrement, et pour revenir à ce que nous
  289. sommes, des enseignant·es : cette conception reste-t-elle
  290. tenable face à l’enjeu de la massification scolaire et de la
  291. démocratisation des savoirs ? Encore faut-il se donner cette
  292. mission, rendre les savoirs accessibles à toutes et à tous…</p>
  293. <p>Enfin,
  294. il reste tout de même une question, qu’il nous semble nécessaire
  295. de se poser, à moins de renvoyer la responsabilité de la lecture
  296. aux individus et à leur famille : comment vous y prenez-vous,
  297. les un·es et les autres, pour que les élèves lisent puis
  298. s’approprient les œuvres que vous souhaitez leur faire lire et
  299. aient envie d’en découvrir d’autres, qu’elles et ils
  300. choisiraient seul·es ?</p>
  301. <p>1.
  302. de Charles Piaget et du Réseau et du Réseau citoyens résistants,
  303. émanation de CRHA (organisateur du rassemblement annuel des
  304. Glières).</p>