|
123456789101112131415161718192021222324252627282930313233343536373839404142434445464748495051525354555657585960616263646566676869707172737475767778798081828384858687888990919293949596979899100101102103104105106107108109110111112113114115116117118119120121122123124125126127128129130131132133134135136137138139140141142143144145146147148149150151152153154155156157158159160161162163164165166167168169170171172173174175176177178179180181182183184185186187188189190191192193194195196197198199200201202203204205206207208209210211212213214215216217218219220221222223224225226227228229230231232233234235236237238239240241242243244245246247248249250251252253254255256257258 |
- title: Le disque vinyle : débunkage
- url: https://blog.cybergrunge.dev/le-disque-vinyle-debunkage
- hash_url: 69acddf6a1f953e130ab2b36960568b7
-
- <p id="description">
- Un autre déterrage de fil Mastodon, cette fois sur les inepties qu’on peut
- lire à propos du disque microsillon. À une époque où je parcourais le web à
- la recherche de documentation sur l’histoire de l’enregistrement sonore, je
- tombais régulièrement sur des affirmations qui me faisaient sauter en l’air
- à propos du vinyle. En voici quelques exemples.
- </p>
-
- <blockquote>Le vinyle sonne mieux parce qu’il est analogique.</blockquote>
-
- <p>Non.</p>
-
- <p>
- L’électricité dans notre cerveau qui déclenche notre émotion musicale est
- analogique, comme le mouvement de nos tympans, comme la variation de
- pression de l’air, comme le mouvement de la membrane de nos haut-parleurs,
- comme l’électricité dans les câbles qui les relient à notre amplificateur
- hi-fi, comme le signal qui sort du
- <abbr title="Digital to Analog Converter">DAC</abbr> intégré à notre lecteur
- <abbr title="Compact Disc">CD</abbr>, notre smartphone ou notre ordinateur.
- Nous n’entendrions aucune différence si ce qui se situe avant était un
- disque sur une platine vinyle, ou bien l’enregistrement numérique de ce même
- disque tournant sur cette même platine, même si cet enregistrement était en
- mp3 avec un <span lang="en">bitrate</span> supérieur à 128 <abbr title="kilo bits per second">kbps</abbr>, toutes les expériences en double aveugle avec du matériel actuel l’ont
- prouvé.
- </p>
-
- <blockquote>Le vinyle sonne plus chaud, plus rond.</blockquote>
-
- <p>Oui.</p>
-
- <p>
- Mais c’est dû au fait qu’il n’existe que peu de cellules phono capables
- d’extraire les sons aigus aussi bien qu’un lecteur numérique. Et que les
- extrêmes aigus sont les premières fréquences à être détruites par les
- frottements répétés du diamant sur les parois du sillon. Les personnes qui
- aiment ce son particulier aiment le son qui a été dégradé par rapport à
- l’enregistrement d’origine. Elles peuvent aussi essayer avec
- <a href="https://www.son-video.com/article/vinyle-cellules-et-diamants-cellules-hi-fi/grado/epoch-3">ce type de cellules à 13 900 €</a>, mais <span lang="lat">a priori</span> ça sonnera moins chaud et moins
- rond.
- </p>
-
- <blockquote>Le vinyle a une meilleure plage dynamique.</blockquote>
-
- <p>Non.</p>
-
- <p>
- Bien au contraire. À cause d’un bruit de fond plus élevé (le diamant frotte
- sur de la matière, même dans un sillon totalement droit en l’absence de
- signal enregistré), la plage dynamique (qui est la différence entre les sons
- les plus faibles et les sons les plus forts) du vinyle est d’environ
- 60 <abbr title="décibels">dB</abbr>. Celle du CD est de 96 dB. Ce sont les
- tendances récentes en matière d’enregistrement audio qui ont massacré la
- dynamique sur de nombreux enregistrements de l’ère numérique. Et les radios.
- <a href="https://www.lesnumeriques.com/audio/bienvenue-dans-guerre-volume-a2127.html">La plage dynamique de NRJ est de… 1 dB</a>.
- </p>
-
- <blockquote>
- Après la masterisation, qui s’effectuait à l’aide d’une console analogique,
- le son « définitif » enregistré sur une autre bande dit « maîtresse » était
- plus naturel, chaud et profond, bref idéal pour une gravure sur le support
- vinyle, tout en respectant la fameuse norme RIAA. (<a href="https://www.mesdisquesvinyles.com/dossier-ou-acheter-des-disques-vinyles-criteres-prix/">Source</a>)
- </blockquote>
-
- <p>😂</p>
-
- <p>
- Cette phrase ne veut absolument rien dire. Un master traité par la formule
- RIAA est inécoutable en l’état. Cette formule standardisée par la
- <span lang="en">Recording Industry Association of America</span> consiste à
- déformer l’onde du signal audio lors de l’étape du
- <span lang="en">mastering</span> vinyle en diminuant le niveau des basses
- fréquences et en augmentant celui des hautes fréquences, afin que les
- premières puissent tenir dans le sillon sans déborder dans la spire
- d’à-côté, et que les deuxièmes soient suffisamment larges pour être
- physiquement présentes dans le substrat en vinyle lors du pressage.
- L’application de la formule inverse par le préampli phono lors de la lecture
- permet de retrouver l’onde sonore d’origine.
- </p>
-
- <figure>
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/RIAA-EQ-Curve_rec_play.svg.png" alt="Courbes d’enregistrement et de lecture de la formule RIAA." loading="lazy">
- <figcaption>
- Courbes d’égalisation RIAA, lors de l’enregistrement et lors de la
- lecture. (Image
- <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89galisation_RIAA#/media/Fichier:RIAA-EQ-Curve_rec_play.svg">Wikipédia</a>)
- </figcaption>
- </figure>
-
- <blockquote>Le vinyle monte plus haut dans les aigus.</blockquote>
-
- <p>Oui.</p>
-
- <p>
- Avec une fréquence d’échantillonage numérique de 44,1 <abbr title="kilohertz">kHz</abbr>, le CD n’autorise des sons que d’une fréquence maximale de 22,05 kHz, là
- où le vinyle peut en théorie stocker de l’information sans limites en termes
- de fréquence (à part la limite quantique qu’est la longueur de Planck). Mais
- au bout d’une dizaine de lectures, le diamant d’une platine aura déjà raboté
- les infimes variations de matière correspondant aux fréquences supérieures à
- cette valeur sur un disque vinyle. Et de toutes façons, l’oreille humaine ne
- peut percevoir de fréquences au-delà de 20 kHz environ. Et encore, au début
- de sa vie. Si vous êtes en âge de lire ce blog, vous n’êtes plus dans ce
- cas, désolé 😬.
- </p>
-
- <blockquote>
- Les signaux gauche et droit de la stéréo sont gravés sur les flancs gauche
- et droit du sillon.
- </blockquote>
-
- <p>Non.</p>
-
- <p>
- Mais c’est un autre sujet. Qui fera peut-être l’objet d’un autre billet, qui
- sait.
- </p>
-
- <blockquote>
- Le vinyle est une vraie représentation de l’onde sonore, alors que le
- numérique n’en garde que des pointillés.
- </blockquote>
-
- <p>Oui.</p>
-
- <p>
- En tant que signal continu, la gravure d’un microsillon se veut être
- l’inscription exacte (moyennant la courbe RIAA) du son dans la matière
- plastique. Le CD, quant à lui, restitue 44 100 échantillons de cette onde
- par seconde. Quelle serait la distance entre ces échantillons, si on les
- représentait le long d’un sillon de vinyle ? Calculons.
- </p>
-
- <p>
- Un <abbr title="Long Player">LP</abbr>, ou « 33 tours », tourne 100/3 fois
- sur lui-même en une minute. La première spire d’un LP, celle qui présente la
- meilleure qualité sonore pressée (mais pas forcément la meilleure qualité
- restituée. Pourquoi ? Autre sujet, prochain billet, peut-être 😉), a un
- diamètre approximatif de 28 cm. Son périmètre est donc de 2 x π x 14 cm,
- soit ≈ 48,87 cm. Si l’on divise maintenant cette valeur par le nombre
- d’échantillons par seconde (44 100), on découvre que les échantillons
- seraient espacés de 0,001 cm le long du sillon. Cela correspond à 10 <abbr title="micromètres">µm</abbr>.
- </p>
-
- <p>
- À titre de comparaison, un spermatozoïde mesure, flagelle compris, environ
- 50 µm. Il faut donc se représenter l’échantillonage de qualité CD comme un
- pointillé le long du sillon tous les 1/5 de spermatozoïde.
- </p>
-
- <p>
- Si l’on considère la taille et le nombre des poussières déposées sur le
- vinyle et de celles incrustées lors de son pressage (qui n’est pas effectué
- en salle blanche), cela remet les choses en perspectives.
- </p>
-
- <p>
- Quelques photos prises au microscope électronique avec l’échelle représentée
- peuvent aussi nous y aider.
- </p>
-
- <figure class="quintuple">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/r2_5.jpg" alt="Microsillon au microscope électronique, grossissement 1000 fois." loading="lazy" id="ogimage">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/record_groove.jpg" alt="Microsillon au microscope électronique, grossissement 500 fois." loading="lazy">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/grv3.jpg" alt="Microsillons au microscope électronique, vus d’en haut, grossissement 200 fois." loading="lazy">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/record_1.jpg" alt="Microsillons au microscope électronique, vus d’en haut en biais, grossissement 200 fois." loading="lazy">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/96d6ba8330cfdb1ab8952a66560bafeec87bdcae3cf031a26565cd5df097800a.jpg" alt="Spermatozoïde au microscope électronique, grossissement 9000 fois." loading="lazy">
- <figcaption>
- (Photos
- <a href="http://www2.optics.rochester.edu/workgroups/cml/opt307/spr05/chris/">Chris Supranowitz</a>
- et <a href="https://images.cnrs.fr/photo/20110001_0554">CNRS</a> )
- </figcaption>
- </figure>
-
- <p>
- Ajoutons enfin que le signal électrique envoyé à l’amplificateur par le
- dispositif de conversion numérique vers analogique (intégré à la platine CD,
- à l’ordinateur, au smartphone, ou bien externe à ceux-ci), appelé DAC, n’est
- pas le signal « haché » correspondant à une sinusoïde qui serait constituée
- de chacun des points d’échantillonnage reliés par un segment de droite. Le
- travail du DAC est de recalculer une courbe « douce », continue, à partir
- des points d’échantillonnage discrets. Un DAC de qualité correcte fournira
- donc une onde tout à fait similaire à celle récupérée à la sortie de
- l’amplificateur phono d’une platine vinyle. Le bruit de fond et les
- parasites physiques en moins.
- </p>
-
- <blockquote>OK, j’ai compris, le vinyle c’est pourri.</blockquote>
-
- <p>Pas du tout. 🙂</p>
-
- <p>
- Je n’achète de la musique qu’en format vinyle depuis des années. J’ai la
- chance d’écouter des artistes un peu « hipsters » qui se sont lancés il y a
- déjà un moment dans ce qui est maintenant devenu une mode, un
- <span lang="en">revival</span>.
- </p>
-
- <p>
- J’écoute ma musique essentiellement en format numérique sans perte (<span lang="en">lossless</span>), que je télécharge souvent « illégalement », et j’achète seulement les
- vinyles des artistes que j’écoute le plus pour les soutenir fiancièrement et
- pour le côté fétichiste de l’objet. J’aime la qualité parfaite du son
- numérique sur un bon système hi-fi, et je ne pourrais pas me permettre de
- payer toute la musique que j’écoute. Et même si je le pouvais, je refuse
- d’acheter des fichiers numériques à l’unité (à part sur Bandcamp pour
- soutenir les artistes qui n’ont pas pu matérialiser leurs œuvres), sans la
- petite satisfaction du déballage, sans le petit rituel d’écoute d’un bout à
- l’autre de l’album en feuilletant le livret.
- </p>
-
- <p>
- Je pourrais, dans la même démarche de soutien financier de l’artiste,
- acheter des CD comme je l’ai fait pendant des années, mais je trouve l’objet
- moche et sans âme, et après avoir importé les fichiers numériques sur
- l’ordinateur, ne n’y touche plus jamais.
- </p>
-
- <figure>
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/img_4703.jpg" alt="Vinyle transparent avec inclusions de noir, sur une platine." loading="lazy">
- <figcaption>
- Édition limitée de l’album d’Emma Ruth Rundle, Engine of Hell.
- </figcaption>
- </figure>
-
- <p>
- J’aime les grandes pochettes des vinyles, j’aime les éditions spéciales
- soignées et leurs disques aux couleurs improbables, j’aime voir le son
- imprimé dans la matière, et me rappeler les étapes et les défis techniques
- qu’il a fallu traverser pour approcher d’aussi près la perfection avant que
- cela ne devienne si facile avec le numérique, j’aime découvrir les
- <span lang="en">runout-groove etchings</span> (les quoi ? Autre sujet,
- billet, peut-être) et leurs petits messages cachés, j’aime les moments où je
- prends le temps de poser le disque pour rendre hommage à l’album entier avec
- ses enchaînements tels qu’ils ont été conçus par l’artiste, j’aime savoir
- que la courroie, le bras, la cellule, le diamant ne seront jamais dans une
- configuration parfaite tellement les paramètres sont variables, j’aime la
- surprise trop rare d’entendre un son presque aussi profond que celui de la
- version numérique lorsque les techniciens ont mis toute leur expertise en
- œuvre pour créer un bon et beau disque qui rend justice au travail de
- l’artiste.
- </p>
-
- <figure class="double">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/9e2ce4dccfdaf790.jpg" alt="Gravure sur un vinyle, près de l’étiquette : « KIM, KELLEY, JOSEPHINE, JIM »." loading="lazy">
- <img src="https://blog.cybergrunge.dev/images/49a66d9daf82d45a.jpg" alt="À l’opposé, une tête de chat dessinée." loading="lazy">
- <figcaption>
- Les <span lang="en">runout-groove etchings</span> sur l’album des
- Breeders <cite>All Nerves</cite>.
- </figcaption>
- </figure>
-
- <p>
- J’aime la musique en concert, j’aime la musique enregistrée, et j’aime le
- disque vinyle. 😍
- </p>
|